A-549-76
Royal American Shows, Inc, (Requérante)
c.
Monsieur le juge R. McClelland et le ministre du
Revenu national (Intimés)
Cour d'appel, les juges Pratte, Urie et Le Dain—
Vancouver, le 30 novembre 1976 et le 1" février
1977.
Examen judiciaire — Demande pour obtenir l'annulation
d'une ordonnance en vertu de l'art. 231(2) de la Loi de l'impôt
sur le revenu prescrivant que des documents saisis demeurent
en la possession du Ministre jusqu'à leur production en justice
— Les documents ont-ils été légalement saisis conformément à
l'art. 231(1)d) — Le juge a-t-il outrepassé sa compétence ou
commis une erreur de droit en rendant l'ordonnance — Loi de
l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 231(1)d) et
231(2) — Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Des documents et autres biens se rapportant à l'entreprise de
la requérante ont été saisis le 23 juillet 1975 par la police
municipale d'Edmonton et la Gendarmerie royale du Canada
en vertu de l'article 443 du Code criminel et ont été apportés au
commissariat de police d'Edmonton où un enquêteur spécial du
ministère du Revenu national a procédé à leur examen. Le 28
juillet 1975, la requérante a demandé à la Cour suprême de
l'Alberta d'émettre un bref de certiorari pour annuler les
mandats de perquisition obtenus en vertu du Code criminel. Le
29 juillet 1975, l'enquêteur du ministère du Revenu national est
censé, invoquant l'article 231(1)d) de la Loi de l'impôt sur le
revenu, avoir saisi au commissariat de police les documents et
autres biens. Le 13 août 1975, la Cour suprême de l'Alberta a
annulé les mandats de perquisition obtenus en vertu du Code
criminel et le 18 août 1975 la requérante a présenté à la Cour
fédérale un avis introductif de requête pour obtenir une ordon-
nance interdisant au deuxième intimé en l'espèce de conserver,
d'utiliser ou de copier les documents saisis au commissariat de
police d'Edmonton, et lui prescrivant de les remettre sans délai
à la requérante. Cette demande a été rejetée le 18 novembre
1975 au motif que seule une action pouvait permettre d'obtenir
le redressement demandé et que, de plus, la saisie pratiquée par
l'enquêteur du ministère du Revenu national était autorisée par
l'article 231(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le 19
novembre 1975, la requérante a logé devant cette cour un appel
de cette décision. Le 20 novembre 1975, le ministre du Revenu
national a présenté une demande visant à obtenir une ordon-
nance de rétention conformément à l'article 231(2) de la Loi, et
le premier intimé en l'espèce a rendu une ordonnance à cet
effet. Le 26 mai 1976, le pourvoi logé par la requérante contre
la décision de la Division de première instance de la Cour
fédérale a été rejeté. La requérante prétend maintenant que la
validité de l'ordonnance de rétention dépend de la légalité de la
saisie et allègue que si un juge rend une ordonnance de
rétention conformément à l'article 231(2) en l'absence de l'au-
torisation de saisir prévue par l'article 231(1)d), il outrepasse
sa compétence, commet donc une erreur de droit et que sa
décision est sujette à examen en vertu des dispositions de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt (dissidence du juge Pratte): la demande est accueillie
et l'ordonnance de rétention est annulée.
Par le juge Pratte (dissident): le juge qui a rendu l'ordon-
nance de rétention n'avait pas compétence pour juger de la
validité de la saisie et pour cette raison il ne lui incombait pas
de faire enquête dans cette affaire. Même si la saisie était
irrégulière, elle a été effectuée par une personne qui prétendait
agir en vertu de l'article 231(1)d) et n'a pas été annulée par
une cour ayant compétence pour se prononcer sur sa validité.
Elle était donc conforme à l'article 231(1), et comme telle
constituait un fondement suffisant pour rendre l'ordonnance de
rétention. De plus la saisie pouvait légitimement être effectuée
au commissariat de police d'Edmonton puisque l'article 231(1)
se borne à indiquer les endroits où l'on peut recourir au droit
d'entrer, mais ne limitait pas le pouvoir de saisir à ces endroits.
Par les juges Le Dain et Urie: il est manifeste qu'on n'a pas
voulu permettre de rendre une ordonnance de rétention sans
tenir compte de ce qui a permis au Ministre d'entrer en
possession des biens. Lorsque la légalité de la saisie est mise en
cause, les documents à l'appui de la demande d'ordonnance de
rétention doivent établir qu'il s'agit d'une saisie faite en vertu
de l'article 231(1)d). On ne peut valablement recourir au
pouvoir de saisir qu'après avoir pénétré et effectué une vérifica-
tion ou un examen conformément à l'article 231(1), et le
commissariat de police d'Edmonton n'est pas le lieu d'affaires
de la requérante ni un endroit où ses livres devraient être gardés
au sens des articles 230 ou 231. L'article 231(1) précise les
endroits où l'on peut pénétrer dans un but de vérification
seulement. Les pièces à l'appui de la demande d'ordonnance de
rétention n'établissent pas que la saisie a été pratiquée en vertu
de l'article 231(1), et donc le juge a outrepassé ses pouvoirs en
rendant ladite ordonnance.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
I. Pitfield pour la requérante.
S. Hardinge pour les intimés.
PROCUREURS:
Thorsteinsson, Mitchell, Little, O'Keefe &
Davidson, Vancouver, pour la requérante.
Le sous - procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): Cette demande
présentée en vertu de l'article 28 s'attaque à une
décision rendue par un juge en vertu de l'article
231(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu'.
' L'article 231(1) et (2) de la Loi de l'impôt sur le revenu
(S.C. 1970-71-72, c. 63) se lit comme suit:
231. (1) Toute personne qui y est autorisée par le Minis-
tre, pour toute fin relative à l'application ou à l'exécution de
la présente loi, peut, en tout temps raisonnable, pénétrer dans
tous lieux ou endroits dans lesquels l'entreprise est exploitée
(Suite à la page suivante)
On soupçonnait la requérante d'avoir enfreint la
Loi de l'impôt sur le revenu. Une personne autori-
sée par le Ministre et qui soi-disant agissait en
vertu de l'article 231(1) a saisi des documents et
registres qui appartenaient à la requérante. On
croyait qu'un examen de ces pièces détenues par la
police municipale d'Edmonton suite à une saisie
pratiquée sous l'autorité du Code criminel, démon-
(Suite de la page précédente)
ou des biens sont gardés, ou dans lesquels il se fait quelque
chose se rapportant à des affaires quelconques, ou dans
lesquels sont ou devraient être tenus des livres ou registres, et
a) vérifier ou examiner les livres et registres, et tout
compte, pièce justificative, lettre, télégramme ou autre
document qui se rapporte ou qui peut se rapporter aux
renseignements qui se trouvent ou devraient se trouver
dans les livres ou registres, ou le montant de l'impôt
exigible en vertu de la présente loi,
b) examiner les biens décrits dans un inventaire ou tous
biens, procédés ou matière dont l'examen peut, à son avis,
lui aider à déterminer l'exactitude d'un inventaire ou à
contrôler les renseignements qui se trouvent ou devraient
se trouver dans les livres ou registres, ou le montant de
tout impôt exigible en vertu de la présente loi,
c) obliger le propriétaire ou le gérant des biens ou de
l'entreprise et toute autre personne présente sur les lieux
de lui prêter toute aide raisonnable dans sa vérification ou
son examen, et de répondre à toutes questions appropriées
se rapportant à la vérification ou à l'examen, soit orale-
ment, soit, si cette personne l'exige, par écrit, sous serment
ou par déclaration exigée par la loi et, à cette fin, obliger le
propriétaire ou le gérant de l'accompagner sur les lieux, et
d) si, au cours d'une vérification ou d'un examen, il lui
semble qu'une infraction à la présente loi ou à' un règle-
ment a été commise, cette personne autorisée peut saisir et
emporter tous documents, registres, livres, pièces ou choses
qui peuvent être requis comme preuves de l'infraction à
toute disposition de la présente loi ou d'un règlement.
(2) Le Ministre doit retourner les documents, livres, regis-
tres, pièces ou choses à la personne sur qui ils ont été saisis
a) dans les 120 jours de la date de la saisie de tous
documents, registres, livres, pièces ou choses conformé-
ment à l'alinéa (1)d), ou
b) si pendant ce délai une demande est faite en vertu de ce
paragraphe et est rejetée après l'expiration du délai, immé-
diatement après le rejet de la demande,
à moins qu'un juge d'une cour supérieure ou d'une cour de
comté, sur demande faite par ou pour le Ministre avec preuve
fournie sous serment établissant que le Ministre a des motifs
raisonnables pour croire qu'il y a eu infraction à la présente
loi ou à un règlement et que les documents, registres, livres,
pièces ou choses saisis sont ou peuvent être requis comme
preuves à cet égard, n'ordonne qu'ils soient retenus par le
Ministre jusqu'à leur production en cour, ordonnance que le
juge peut rendre sur demande ex parte.
trerait de manière concluante la culpabilité de la
requérante. Aux termes de l'article 231(2), cette
nouvelle saisie n'était valide que pour 120 jours; à
l'expiration de cette période, le Ministre devait
retourner les objets saisis, à moins qu'il n'ait
obtenu d'un juge une ordonnance de rétention
jusqu'au moment de leur production en cour. Dans
les délais prescrits, le Ministre a présenté une
demande visant à obtenir une telle ordonnance et
elle a été accordée. Le litige porte maintenant sur
la validité de cette ordonnance.
La requérante prétend que l'ordonnance de
«rétention» est invalide parce que les documents et
choses sur lesquels elle porte n'ont pas été valable-
ment saisis en vertu de l'article 231(1). Elle allè-
gue qu'une saisie pratiquée en vertu de l'article
231(1) peut uniquement être pratiquée dans l'en-
treprise du contribuable, et non pas lorsque les
objets en cause ont déjà été saisis sous l'autorité du
Code criminel; de ce point de vue, la saisie était
entachée de deux irrégularités et devrait être jugée
invalide. La requérante prétend que si le juge avait
fait enquête sur la validité de la saisie, il l'aurait
jugée invalide. Selon elle, le juge aurait commis
une erreur de droit en n'enquêtant pas sur la
validité de la saisie, et en tout cas il aurait outre-
passé ses pouvoirs en rendant l'ordonnance de
rétention, puisque l'article 231(2) ne lui donnait
pas le pouvoir de rendre une telle ordonnance à
l'égard de biens qui n'avaient pas été validement
saisis en vertu de l'article 231(1).
A mon avis, le juge qui a rendu l'ordonnance
n'avait pas compétence pour juger de la validité de
la saisie pratiquée en vertu de l'article 231(1), et
pour cette raison il ne lui incombait pas de faire
enquête dans cette affaire.
Je suis également d'opinion que le juge n'a pas
outrepassé ses pouvoirs lorsqu'il a rendu l'ordon-
nance contestée. Au moment où a été présentée
une demande visant à obtenir cette ordonnance, on
pouvait dire que les biens du requérant avaient été
saisis en vertu de l'article 231(1), même s'il est
allégué que la saisie était irrégulière. Manifeste-
ment, la saisie avait été effectuée par une personne
qui prétendait agir en vertu de l'article 231(1), et
suite à cette saisie le Ministre a obtenu possession
des biens saisis. En l'espèce, la saisie, qui n'avait
pas été annulée par une cour ayant compétence
pour se prononcer sur sa validité était, à mon avis,
conforme à l'article 231(1), et comme telle consti-
tuait un fondement suffisant pour permettre au
juge de rendre l'ordonnance de rétention.
De plus j'estime que la saisie pouvait légitime-
ment être effectuée au commissariat de police
d'Edmonton. Je crois que l'article 231(1) indique
les endroits où l'on peut recourir au droit d'entrer,
mais qu'il ne limite pas le pouvoir de saisie à ces
endroits.
Pour ces motifs, je rejetterais la demande.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Il s'agit d'une demande
présentée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale pour obtenir l'examen et l'annula-
tion d'une ordonnance rendue en vertu de l'article
231(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C.
1970-71-72, c. 63, prescrivant que certains docu
ments, registres, livres, pièces ou choses saisis à
dessein aux termes de l'article 231(1)d) demeurent
en la possession du ministre du Revenu national
jusqu'à leur production en justice.
La requérante allègue que le juge qui a pro-
noncé l'ordonnance de rétention a outrepassé ses
pouvoirs ou a commis une erreur de droit parce
que la saisie en vertu de laquelle le Ministre a été
mis en possession des documents, registres, livres,
pièces ou choses, n'était pas autorisée par l'article
231(1)d) de la Loi.
Les paragraphes (1) et (2) de l'article 231 de la
Loi sont libellés comme suit:
231. (1) Toute personne qui y est autorisée par le Ministre,
pour toute fin relative à l'application ou à l'exécution de la
présente loi, peut, en tout temps raisonnable, pénétrer dans tous
lieux ou endroits dans lesquels l'entreprise est exploitée ou des
biens sont gardés, ou dans lesquels il se fait quelque chose se
rapportant à des affaires quelconques, ou dans lesquels sont ou
devraient être tenus des livres ou registres, et
a) vérifier ou examiner les livres et registres, et tout compte,
pièce justificative, lettre, télégramme ou autre document qui
se rapporte ou qui peut se rapporter aux renseignements qui
se trouvent ou devraient se trouver dans les livres ou regis-
tres, ou le montant de l'impôt exigible en vertu de la présente
loi,
b) examiner les biens décrits dans un inventaire ou tous
biens, procédés ou matière dont l'examen peut, à son avis, lui
aider à déterminer l'exactitude d'un inventaire ou à contrôler
les renseignements qui se trouvent ou devraient se trouver
dans les livres ou registres, ou le montant de tout impôt
exigible en vertu de la présente loi,
c) obliger le propriétaire ou le gérant des biens ou de l'entre-
prise et toute autre personne présente sur les lieux de lui
prêter toute aide raisonnable dans sa vérification ou son
examen, et de répondre à toutes questions appropriées se
rapportant à la vérification ou à l'examen, soit oralement,
soit, si cette personne l'exige, par écrit, sous serment ou par
déclaration exigée par la loi et, à cette fin, obliger le proprié-
taire ou le gérant de l'accompagner sur les lieux, et
d) si, au cours d'une vérification ou d'un examen, il lui
semble qu'une infraction à la présente loi ou à un règlement
a été commise, cette personne autorisée peut saisir et empor-
ter tous documents, registres, livres, pièces ou choses qui
peuvent être requis comme preuves de l'infraction à toute
disposition de la présente loi ou d'un règlement.
(2) Le Ministre doit retourner les documents, livres, regis-
tres, pièces ou choses à la personne sur qui ils ont été saisis
a) dans les 120 jours de la date de la saisie de tous docu
ments, registres, livres, pièces ou choses conformément à
l'alinéa (1)d), ou
b) si pendant ce délai une demande est faite en vertu de ce
paragraphe et est rejetée après l'expiration du délai, immé-
diatement après le rejet de la demande,
à moins qu'un juge d'une cour supérieure ou d'une cour de
comté, sur demande faite par ou pour le Ministre avec preuve
fournie sous serment établissant que le Ministre a des motifs
raisonnables pour croire qu'il y a eu infraction à la présente loi
ou à un règlement et que les documents, registres, livres, pièces
ou choses saisis sont ou peuvent être requis comme preuves à
cet égard, n'ordonne qu'ils soient retenus par le Ministre jus-
qu'à leur production en cour, ordonnance que le juge peut
rendre sur demande ex parte.
La requérante a été constituée en corporation
dans l'État de Floride et exploitait des barraques
d'attractions aux États-Unis et dans les provinces
du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta.
Au cours de l'été 1975, la Gendarmerie royale et
la police municipale d'Edmonton ont fait enquête
sur les affaires de la requérante qui faisait alors
commerce au Canada et de ses concessionnaires
relativement à des infractions possibles au Code
criminel du Canada, et le ministère du Revenu
national a fait de même relativement à des infrac
tions éventuelles à la Loi de l'impôt sur le revenu.
L'enquête du Ministère a été menée par Edmund
M. Swartzack, vérificateur et enquêteur spécial
autorisé par le sous-ministre du Revenu national
(Impôt) à exercer les pouvoirs conférés par l'arti-
cle 231(1) de la Loi. Au cours de son enquête,
Swartzack a rencontré des agents de la Gendarme-
rie royale et de la police municipale d'Edmonton.
On ne connaît pas exactement le degré de consul
tation et de collaboration existant entre eux, mais
il semble y avoir eu une entente selon laquelle la
police informerait Swartzack, le cas échéant, de
tout indice d'évasion fiscale. A un moment donné,
la police a permis à Swartzack d'écouter l'enregis-
trement d'une conversation téléphonique privée et
d'assister à un échange de vues où il a été décidé
d'obtenir des mandats de perquisition.
Le 23 juillet 1975, suite à des informations
données sous serment par l'inspecteur E. Hahn de
la police municipale d'Edmonton, ont été obtenus
en vertu de l'article 443 du Code criminel, des
mandats de perquisition autorisant à rechercher
sur le terrain de l'Exposition d'Edmonton et à
d'autres endroits désignés des indices éventuels
d'une [TRADUCTION] «conspiration pour frauder le
gouvernement du Canada en détruisant, mutilant,
altérant ou falsifiant quelque livre, papier, écrit,
valeur ou document ou en y portant une fausse
inscription contrairement au Code criminel du
Canada». Le 24 juillet 1975, vers minuit, des
agents de la police municipale d'Edmonton et de la
Gendarmerie royale se sont rendus au bureau de la
requérante sur le terrain de l'Exposition et ont
saisi des documents et autres biens qui s'y trou-
vaient. Swartzack accompagnait la police au
moment de la perquisition et de la saisie.
Du 25 au 28 juillet 1975, la police municipale
d'Edmonton a permis à Swartzack et à des person-
nes travaillant sous les ordres de celui-ci de procé-
der au commissariat de police d'Edmonton à la
vérification et à l'examen, prétendument confor-
mes à l'article 231(1)a) de la Loi de l'impôt sur le
revenu, des documents et autres biens saisis.
Le 28 juillet 1975 la requérante a demandé à la
Cour suprême de l'Alberta d'émettre un bref de
certiorari pour annuler les mandats de perquisition
obtenus en vertu du Code criminel. Le juge Cava-
nagh a fait droit à cette requête par jugement du
13 août 1975 concluant que les informations ne
révélaient pas de motifs suffisants pour justifier
l'émission de mandats, et de plus que le mandat
ordonnant de perquisitionner sur le terrain de l'Ex-
position d'Edmonton était de portée trop générale.
Appel a été interjeté contre le jugement du juge
Cavanagh, mais nous ignorons ce qu'il en est de
cet appel.
Le 29 juillet 1975, Swartzack, invoquant l'arti-
cle 231(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu, a
saisi au commissariat de police d'Edmonton les
documents et autres biens, qui ont été mis en lieu
sûr dans une pièce dont seul Swartzack possédait
la clé. Ensuite, ils ont été transférés à la Division
du quartier général de la Gendarmerie royale du
Canada à Edmonton et, finalement, ils ont été
transportés au bureau de district du ministère du
Revenu national à Regina.
Suite à l'examen des livres, registres, comptes,
pièces justificatives et autres documents saisis, les
cotisations d'impôt sur le revenu de la requérante
ont été établies à un total de $730,219.52 pour
l'ensemble des années 1974, 1975, 1976, et un bref
de fieri facias a été exécuté contre les biens de la
requérante à Regina et à Winnipeg. Des accusa
tions ont également été portées en vertu du Code
criminel et de la Loi de l'impôt sur le revenu
contre des dirigeants de la requérante, et d'autres
personnes liées à cette dernière à titre d'employés
ou de concessionnaires.
Le 18 août 1975 la requérante a présenté à la
Division de première instance un avis introductif
de requête contre l'intimé, le ministre du Revenu
national, pour obtenir le redressement suivant rela-
tivement à la saisie de ses biens:
[TRADUCTION] ... une ordonnance interdisant à l'intimé et à
tout employé du ministère du Revenu national agissant sous ses
ordres de chercher à connaître, d'examiner ou de copier l'un ou
l'ensemble des biens saisis dans les locaux de la requérante à
Edmonton en Alberta, et subséquemment saisis au commissa
riat de police d'Edmonton; et une ordonnance de certiorari à
l'égard de telle(s) saisie ou saisies; une ordonnance déclarant
ladite saisie ou lesdites saisies préjudiciables et illégales, et une
ordonnance prescrivant à l'intimé de remettre sans délai à la
requérante tous lesdits biens ainsi saisis dans les locaux de cette
dernière.
Le 18 novembre 1975, la Division de première
instance a rejeté la demande: la Cour a jugé que
seule une action pouvait permettre d'obtenir le
jugement déclaratoire et l'ordonnance de remise
des biens à la requérante, et que, de plus, la saisie
pratiquée par Swartzack au commissariat de police
d'Edmonton le 29 juillet 1975 était de celles auto-
risées par l'article 231(1)d) de la Loi de l'impôt
sur le revenu. Les passages suivants sont tirés des
motifs de la Cour:
[TRADUCTION] Je ne peux accepter l'argument de l'avocat
de la requérante selon lequel l'examen et la saisie subséquente
n'étaient pas permis aux termes de l'art. 231(1)d), puisque
ladite vérification ou ledit examen n'ont pas été menés sur les
lieux de l'entreprise ou là où se fait quelque chose se rapportant
à l'entreprise de la requérante.
A mon avis, l'art. 231(1)d) permet une vérification, un
examen ou une saisie des «documents, registres, livres, pièces ou
choses» du contribuable en quelque endroit qu'ils se trouvent et
permet à cette fin de «pénétrer dans tous lieux aux endroits» ...
«où ... des biens sont gardés».
... Je crois que M. Swartzack pouvait saisir lesdits biens en
vertu de l'art. 231(1)d), n'importe où en ce pays et sans tenir
compte de ce qui justifiait leur emplacement au moment de la
saisie.
Le 19 novembre 1975, la requérante a logé
devant cette cour un appel de l'ordonnance rendue
par la Division de première instance.
Le 20 novembre 1975, on a présenté au nom du
ministre du Revenu national une demande visant à
obtenir une ordonnance de rétention conformé-
ment à l'article 231(2) de la Loi de l'impôt sur le
revenu. Voici le texte de cette demande:
[TRADUCTION] AU NOM du ministre du Revenu national je,
Laurence Edwin Mann, directeur du bureau de district du
ministère du Revenu national à Regina demande par la pré-
sente que les documents, registres, livres, pièces ou choses saisis
le 29 juillet 1975 en vertu des dispositions de l'alinéa 231d) de
la Loi de l'impôt sur le revenuà la:
Police Municipale d'Edmonton
au 4, Sir Winston Churchill Square
Edmonton (Alberta)
demeurent en la possession du ministre du Revenu national
jusqu'au moment de leur production en justice.
A L'APPUI de cette demande je produis l'affidavit de Orville
T. Dahl, fait sous serment le 20 novembre 1975, et qui à mon
avis établit que le ministre du Revenu national a des motifs
raisonnables et plausibles de croire à une violation de la Loi de
l'impôt sur le revenu ou d'un règlement édicté sous son empire,
et que les documents, registres, livres, pièces ou choses peuvent
être requis dans des procédures contre Royal American Shows,
Inc., Tampa (Floride), Etats-Unis d'Amérique.
L'affidavit de Dahl comprenait le paragraphe
suivant:
[TRADUCTION] 11. Suite à mes enquêtes, je sais que les
documents, registres, livres, pièces ou choses visés par la pré-
sente demande ont été saisis à la police municipale d'Edmonton
au 4, Sir Winston Churchill Square, Edmonton (Alberta), le 29
juillet 1975, et ce en vertu de l'alinéa 231(1)d) de la Loi de
l'impôt sur le revenu.
Suite à cette demande, le juge McClelland a
rendu le 20 novembre 1975, une ordonnance libel-
lée comme suit:
[TRADUCTION] J'ORDONNE PAR LES PRÉSENTES que les
documents, registres, livres, pièces ou choses, visés par la
demande précitée, présentée au nom du ministre du Revenu
national, demeurent en la possession de ce dernier jusqu'au
moment de leur production en justice.
Le 26 mai 1976, la Cour a rejeté le pourvoi logé
le 18 novembre 1975 contre l'ordonnance rendue
par la Division de première instance, au motif que
la question était devenue théorique.
En tant que mesure de l'étendue et des condi
tions du pouvoir statutaire, le concept de compé-
tence peut être complexe et ambigu, mais c'est
celui qu'il faut appliquer aux termes de l'article 28
de la Loi sur la Cour fédérale. En l'instance, la
requérante prétend en somme que la validité de
l'ordonnance de rétention dépend de la légalité de
la saisie. Essayant de faire entrer cet argument
dans le champ d'application de l'article 28, elle
allègue que si un juge rend une ordonnance de
rétention conformément à l'article 231(2) en l'ab-
sence de l'autorisation de saisir prévue par l'article
231(1)d), il outrepasse sa compétence et commet
donc une erreur de droit. Il nous faut maintenant
étudier cette allégation.
Je suis d'avis qu'il s'agit ici uniquement d'une
question de compétence. Si tel n'est pas le cas, une
demande présentée en vertu de l'article 28 ne
serait pas fondée. Je ne vois pas que l'on puisse
parler d'une erreur de droit en matière de compé-
tence. Si je comprends bien il s'agit de déterminer
si une saisie faite conformément à l'article
231(1)d) est une condition préalable à l'exercice
du pouvoir accordé par l'article 231(2). Pour
répondre à cette question, il faut bien sûr étudier
les termes des paragraphes 231(1) et (2)
susmentionnés.
A la lecture de ces paragraphes, il est manifeste,
je crois, qu'on n'a pas voulu permettre de rendre
une ordonnance de rétention sans tenir compte de
ce qui a permis au Ministre d'entrer en possession
des biens; autrement, on pourrait ainsi légaliser la
rétention des biens par le Ministre lorsque celui-ci
est entré en possession desdits biens par des
moyens illégaux. En effet, l'ordonnance de réten-
tion est une prolongation des conséquences de la
saisie. L'article 231(2) dans son ensemble délimite
la durée pendant laquelle les biens peuvent être
retenus suite à une saisie pratiquée en vertu de
l'article 231(1)d). Il fixe cette durée à 120 jours, à
moins que le Ministre n'obtienne une ordonnance
lui permettant de retenir les biens jusqu'à leur
production en justice. Les mots «saisie» et «saisis»
dans ce paragraphe confirment selon moi ce qu'il
faut nécessairement entendre, pour les raisons sus-
mentionnées, à savoir que les biens qu'un juge peut
assujettir à une ordonnance de rétention sont ceux
qui ont été saisis conformément à l'article
231(1)d).
En supposant que cette interprétation soit
exacte, elle ne tranche pas nécessairement la ques
tion qui nous est soumise. Peut-on dire qu'un juge
n'a pas compétence pour rendre une ordonnance de
rétention, si d'après la preuve qui lui a été soumise
il semblait y avoir eu saisie en vertu de l'article
231(1)d) et qu'on n'a pas réussi à faire récuser la
légalité de cette saisie avant que le juge ne rende
l'ordonnance de rétention?
En l'espèce, il apparaissait manifestement
d'après la demande d'ordonnance de rétention et
l'affidavit qui l'appuyait que la saisie avait été
faite entre les mains de la police municipale d'Ed-
monton, au commissariat de police d'Edmonton,
selon ce que laisse croire l'adresse indiquée. La
question en litige est donc de savoir si le juge qui a
rendu l'ordonnance de rétention était bien fondé à
présumer qu'il y avait eu saisie légale conformé-
ment à l'article 231(1)d). Les preuves produites
étaient-elles suffisantes pour permettre au juge de
conclure raisonnablement que le commissariat de
police d'Edmonton était un endroit où une per-
sonne autorisée pouvait, en vertu de l'article
231(1), pénétrer, vérifier ou examiner et saisir? Si
les documents fournis ne permettaient pas cette
conclusion alors, à mon avis, le juge n'avait pas
pouvoir de rendre une ordonnance de rétention. Il
suffit lors d'une demande d'ordonnance de réten-
tion que les documents à l'appui établissent qu'il
s'agit d'une saisie faite en vertu de l'article
231(1)d), mais, si la légalité même de la saisie est
mise en cause dans la demande, la suffisance de
ces documents doit être sujette à révision.
J'étudierai maintenant la question de savoir si la
saisie pratiquée au commissariat de police d'Ed-
monton était permise en vertu de l'article
231(1)d). A mon avis, on ne peut interpréter cet
article comme signifiant qu'une personne autorisée
peut saisir et emporter tous les documents, regis-
tres, livres, pièces ou choses où qu'ils se trouvent et
indépendamment des circonstances. Il ne s'agit pas
d'un pouvoir de saisir indépendant et sans réserve.
Le but de l'article 231(1) est de permettre à une
personne autorisée par le Ministre de pénétrer
dans certains endroits pour les fins d'une vérifica-
tion ou d'un examen. Si, en procédant à ladite
vérification ou audit examen, elle croit qu'il y a eu
violation de la Loi ou des règlements, elle peut
saisir et emporter tous documents, registres, livres,
pièces ou choses qui peuvent être requis comme
preuves de l'infraction. Il s'agit d'un pouvoir de
saisie qui existe dans certaines circonstances défi-
nies. Il se rattache au pouvoir d'entrer pour véri-
fier ou examiner et son champ d'application possi
ble est nécessairement limité par ce pouvoir. On ne
peut recourir valablement au pouvoir de saisir sauf
après avoir pénétré et effectué une vérification ou
un examen conformément à l'article 231(1)a).
Le commissariat de police d'Edmonton n'est
manifestement pas un endroit où on exploite une
entreprise ni un lieu où il se fait quelque chose se
rapportant à des affaires quelconques au sens de
l'article 231(1). Je ne crois pas non plus que l'on
puisse dire, à l'égard des objets saisis en l'espèce,
que le commissariat soit un endroit où registres ou
livres devraient être tenus au sens de cet article. Le
sens dans lequel le mot «tenus» est utilisé doit être
celui donné à ce mot à l'article 230 de la Loi qui
impose l'obligation de «tenir» des registres et livres
de comptes. Le mot doit se référer à l'endroit où
ces registres ou livres sont gardés ou doivent l'être
par la personne qui doit les tenir conformément à
l'article 230. II faut ainsi se demander si on peut
dire que le commissariat de police d'Edmonton est
un «endroit[s] ... ou des biens sont gardés» au sens
de l'article 231(1). Dans la version anglaise de
l'article, je pourrais considérer ces mots comme
qualifiés par l'expression «se rapportant à des
affaires quelconques», mais la version française
écarte une telle interprétation. Néanmoins, dans le
contexte de l'article 231(1) lu dans son ensemble,
je ne crois pas que le mot «biens» doive être pris
dans son sens large. Il ne semble pas qu'on ait
voulu lui faire désigner les livres ou registres pour
lesquels des dispositions distinctes ont été édictées.
De plus, une comparaison des termes des alinéas
a) et b) de l'article 231(1) laisse croire que dans
l'article on utilise le mot «biens» dans un sens autre
que «livres et registres, et tout compte, pièce justi-
ficative, lettre, télégramme ou autre document».
Considérant les termes de l'alinéa b), je suis d'opi-
nion que le mot «biens» a le sens d'actifs matériels
au moyen desquels on peut vérifier l'exactitude
d'un inventaire ou d'autres informations contenues
dans les livres ou registres ou qui fournissent une
autre façon de déterminer l'assujettissement à
l'impôt; et non pas celui de documents qui consti
tuent les dossiers d'une compagnie ou d'indivi-
dus—en d'autres termes, il n'a pas le sens de
documents d'information. L'article 231(1) précise
les endroits où l'on peut pénétrer dans un but de
vérification et d'examen. A cet égard, il faut dis-
tinguer l'article 231(1) de l'article 231(4), lequel
permet d'entrer et de chercher.
Le fait, tel que décrit dans la demande visant à
obtenir une ordonnance de rétention et l'affidavit à
l'appui portant que les «documents, registres,
livres, pièces ou choses» ont été saisis au commissa
riat de police d'Edmonton n'indiquent pas suffi-
samment qu'il s'agissait d'un endroit où des biens
sont gardés conformément à l'article 231(1). Con-
sidérant l'endroit où la saisie a été effectuée, je
suis d'avis que le juge qui a rendu l'ordonnance de
rétention ne disposait pas de renseignements suffi-
sants pour se convaincre que la saisie avait été
légale conformément à l'article 231(1)d). Je con
' clus donc que le juge a outrepassé ses pouvoirs en
rendant l'ordonnance de rétention. Vu cette con
clusion, je n'ai pas à décider si l'on peut légale-
ment saisir conformément à l'article 231(1) de la
Loi de l'impôt sur le revenu des biens détenus suite
à une saisie pratiquée en vertu des dispositions du
Code criminel. Pour ces motifs, je suis d'avis d'ac-
corder la demande présentée en vertu de l'article
28 et d'annuler l'ordonnance de rétention.
* * *
LE JUGE URIE y a souscrit.
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