A-149-77
Ghebregziabher Woldu (Requérant)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion (Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald et Le Dain et le juge
suppléant MacKay—Toronto, les 25 et 27 octobre
1977.
Examen judiciaire — Immigration — Déclaration asser-
mentée accompagnant l'avis d'appel du requérant contre une
ordonnance d'expulsion indique son intention de déposer une
déclaration modifiée — Il ne s'agit pas d'une demande de
prorogation du délai — La Commission, en rejetant l'appel
interjeté conformément à l'art. 11(3) de la Loi sur la Commis
sion d'appel de l'immigration n'a pas attendu la déclaration
modifiée et ne l'a pas prise en considération — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, art. 28 — Loi sur la
Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, art.
11(2),(3) dans sa forme modifiée par S.C. 1973-74, c. 27, art. 5
— Règles 4,17 de la Commission d'appel de l'immigration.
La présente demande faite en vertu de l'article 28 fait valoir
que la Commission d'appel de l'immigration aurait dénié au
requérant l'application des principes de justice naturelle dans
l'examen de sa demande de statut de réfugié et qu'elle aurait
commis une erreur de droit en décidant qu'elle ne pouvait pas
réentendre cette demande. Dans la déclaration assermentée
accompagnant son avis d'appel contre l'ordonnance d'expulsion,
le requérant a indiqué son intention de déposer une déclaration
modifiée dans une semaine. La Commission, toutefois, a rendu
sa décision sur son appel conformément à l'article 11(3) de la
Loi sur la Commission d'appel de l'immigration sans attendre
la déclaration modifiée ni la prendre en considération.
Arrêt: la requête est rejetée.
Le juge Heald: La décision de cette cour dans Lugano c. Le
ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1977] 2
C.F. 605, s'applique avec la même vigueur aux faits et circons-
tances de l'espèce. Dans Lugano, il a été clairement décidé que
la Commission n'a pas le pouvoir, en vertu de l'article 11(3), de
permettre le dépôt de documents supplémentaires en vertu de
l'article 11(2), exigeant une nouvelle décision sur le fondement
de l'examen de la déclaration initiale complétée par la déclara-
tion modifiée.
Le juge Le Dain: Il existe un courant de jurisprudence qui
suggère que, lorsqu'un tribunal reconnaît n'avoir pas appliqué
les règles de justice naturelle, il peut annuler sa décision et
réentendre l'affaire. Mais le requérant n'a pas prouvé qu'il y a
eu déni de justice naturelle dans la manière dont la Commission
a jugé son appel. La Commission n'a pas le pouvoir de permet-
tre de compléter ou d'améliorer un avis d'appel au-delà d'une
période maximale imposée par la loi et elle doit examiner
immédiatement la déclaration assermentée. Puisque, en exami-
nant la déclaration, la Commission s'est acquittée de cette
obligation, on ne peut dire qu'elle n'a pas tenu compte de la
déclaration du requérant ou lui a refusé l'application des princi-
pes de justice naturelle. Bien qu'il soit invraisemblable que l'on
ait voulu que la Règle 17 s'applique au jugement d'un appel
fait conformément à l'article 11(3), tout droit de modification
ne peut effectivement porter atteinte aux exigences énoncées
par la Règle 4 et ne peut permettre de réduire l'obligation
imposée par la loi d'examiner immédiatement une déclaration.
Arrêt appliqué: Lugano c. Le ministre de la Main-d'oeuvre
et de l'Immigration [1977] 2 C.F. 605.
DEMANDE.
AVOCATS:
Laurence Kearley pour le requérant.
T. James et K. Braid pour l'intimé.
PROCUREURS:
Laurence Kearley, ais Parkdale Community
Legal Services, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus à l'audience par
LE JUGE HEALD: A mon avis, la décision rendue
par cette cour dans l'affaire Lugano c. Le ministre
de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration ([1977] 2
C.F. 605) s'applique avec la même vigueur aux
faits et circonstances de l'espèce. Dans Lugano, le
requérant cherchait à obtenir la «réouverture» de
l'appel initial fait devant la Commission d'appel de
l'immigration aux fins de recevoir des affidavits en
complément de la déclaration déposée en vertu de
l'article 11(2) de la Loi sur la Commission d'appel
de l'immigration. En l'espèce, il s'agit d'une
demande aux fins de «réentendre» la demande de
statut de réfugié faite par le requérant, et de
permettre, au cours de l'audience, le dépôt d'une
déclaration modifiée en vertu de l'article 11(2).
Que la nouvelle audition soit appelée «réouver-
ture» comme dans Lugano ou «réaudition» comme
en l'espèce, le résultat sera pratiquement le même,
à savoir la permission de déposer des documents
supplémentaires en vertu de l'article 11(2), exi-
geant une nouvelle décision sur le fondement de
l'examen de la déclaration initiale complétée par la
déclaration modifiée. Dans Lugano il a été claire-
ment décidé qu'en vertu de l'article 11(3), la Com
mission n'a pas ce pouvoir. Le juge en chef s'est
ainsi prononcé aux pages 607 et 608 du recueil:
La présente demande fondée sur l'article 28 a été plaidée
d'après la question en litige à savoir si, ayant déjà rendu son
jugement, la Commission a l'autorité, expresse ou implicite, en
vertu de la loi, d'annuler ce jugement, de rouvrir les procédures
pour recevoir des affidavits qui compléteraient la déclaration
déposée en vertu de l'article 11(2), et de rendre une autre
décision en vertu de l'article 11(3) en se fondant sur un examen
de la première déclaration ainsi complétée.
A mon avis, on se rend compte, à la lecture de l'article 11(3),
que la Commission n'a pas une telle autorité. Aux termes de
cette disposition, un groupe de membres de la Commission,
formant quorum doit «immédiatement examiner la déclaration
mentionnée au paragraphe (2)» et si, «se fondant sur cet
examen», la Commission en vient à une certaine conclusion, elle
doit «permettre que l'appel suive son cours» et, dans tout autre
cas, elle doit «refuser cette autorisation» et «ordonner immédia-
tement, l'exécution aussi prompte que possible de l'ordonnance
d'expulsion.»
Si je comprends bien l'article 11(3),
a) il faut qu'un groupe de membres de la Commission
formant quorum agisse «immédiatement», et
b) en agissant immédiatement, il doit
(i) examiner la déclaration mentionnée à l'article 11(2)
(c'est la déclaration qui était contenue dans l'avis d'appel),
et
(ii) en se fondant sur cet examen,
(A) permettre que l'appel suive son cours, ou
(B) refuser cette autorisation et ordonner l'exécution
aussi prompte que possible de l'ordonnance d'expulsion.
Si la Commission refuse de permettre que l'appel suive son
cours, comme elle l'a fait en l'occurrence, à mon avis, l'article
11(3) est formulé de façon à exclure tout examen subséquent
de l'appel. Selon moi, cette interprétation est appuyée du fait
qu'il est expressément' mentionné, à l'article 11(1), que le droit
d'appel, créé par cet article, existe «Sous réserve des paragra-
phes (2) et (3)». A mon avis, en lisant parallèlement les articles
11(1) et 11(3), il ressort que la décision rendue termine l'appel.
A mon avis, tout droit que la Commission aurait de rouvrir
les procédures et de compléter la déclaration prévue à l'article
11(2) pendant une période illimitée dans le futur serait con-
traire au but évident du législateur, qui prescrit, à l'article
11(2), que la «déclaration» doit être contenue dans l'avis d'ap-
pel, lequel doit être déposé dans un délai d'au plus six jours de
la date à laquelle est rendue l'ordonnance d'expulsion. (Voir la
Règle 4(2) de la Commission d'appel de l'immigration.) Cette
exigence, ajoutée à la disposition de l'article 11(3) visant
l'examen «immédiat» fondé sur la déclaration suivi du règle-
ment de la question de savoir si l'appel doit immédiatement se
terminer, est tout à fait incompatible, à mon avis, avec la
prétention du requérant selon laquelle la question peut être
considérée comme un prolongement de la procédure en vertu
duquel on peut faire une demande pour obtenir une nouvelle
audition et y présenter une nouvelle preuve à n'importe quel
moment.
Une fois qu'un appel est terminé par une décision rendue en
vertu de l'article 11(3), je suis d'avis qu'il le demeure tant que
cette décision n'est pas annulée; et, en l'absence d'une disposi
tion législative expresse, un tribunal ne peut annuler ses propres
décisions. Si je comprends bien, la Cour suprême du Canada a
décidé, dans Grillas c. M.M.&I. ([1972] R.C.S. 577), qu'il
existait une compétence prolongée permettant d'accorder le
redressement prévu à l'article 15, compétence à laquelle on
n'avait pas mis fin par un refus antérieur.* Il ne s'agissait pas
d'annuler une décision antérieure de la Commission. Ce qu'on a
décidé, en fait, c'est que même si le redressement avait été
refusé quant à un ensemble de preuves, il existait encore une
compétence pour l'accorder quant à d'autres preuves.
* Voir l'article 26(3) de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970,
c. I-23, qui prévoit:
(3) Quand un pouvoir est conféré ou un devoir imposé, le
pouvoir peut être exercé et le devoir doit être accompli à
l'occasion selon que les circonstances l'exigent.
J'adopte le raisonnement précité du juge en chef
et, par conséquent, je suis d'avis de rejeter la
demande faite en vertu de l'article 28.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus à l'audience par
LE JUGE LE DAIN: Je conviens qu'il faut rejeter
la demande faite en vertu de l'article 28, pour les
motifs rendus par mon collègue Heald.
Si je comprends bien, le requérant allègue que,
dans sa déclaration assermentée accompagnant son
avis d'appel contre l'ordonnance d'expulsion, il a
indiqué son intention de déposer une déclaration
modifiée dans une semaine; que la Commission, en
rendant sa décision sur ledit appel conformément à
l'article 11(3) de la Loi sur la Commission d'appel
de l'immigration, sans attendre la déclaration
modifiée ni la prendre en considération, lui aurait
dénié l'application des principes de justice natu-
relle dans l'examen de sa demande de statut de
réfugié; et que, dans ces circonstances, la Commis
sion aurait commis une erreur de droit en décidant
qu'elle ne pouvait pas réentendre cette demande.
Nonobstant le principe général confirmé dans
Lugano, à savoir qu'en l'absence d'autorisation
expresse de la loi, un tribunal administratif n'a pas
le pouvoir d'annuler sa propre décision, un courant
de jurisprudence suggère que, lorsqu'un tribunal
reconnaît n'avoir pas appliqué les règles de justice
naturelle, il peut annuler sa décision et réentendre
l'affaire. Voir Ridge c. Baldwin [1964] A.C. 40, à
la page 79; R. c. Development Appeal Board, Ex
parte Canadian Industries Ltd. (1970) 9 D.L.R.
(3e) 727, aux pages 731 et 732, et comparer Pol -
suns c. Toronto Stock Exchange [1968] R.C.S.
330, la page 340. Il est peut-être douteux que
cette réserve possible au principe général soit
applicable même à une décision rendue conformé-
ment à l'article 11(3) de la Loi sur la Commission
d'appel de l'immigration, en dépit des considéra-
tions spéciales applicables à cette décision qui ont
été soulignées dans Lugano. Il n'était pas question
de déni de justice naturelle dans Lugano. Mais le
requérant n'a pas prouvé qu'il y a eu déni de
justice naturelle dans la manière dont la Commis
sion a jugé son appel en l'espèce.
Dans sa déclaration assermentée signifiée à l'en-
quêteur spécial le 23 novembre 1976, le jour même
où l'ordonnance d'expulsion fut rendue, le requé-
rant a déclaré: [TRADUCTION] «Je donnerai des
motifs plus complets et plus détaillés à l'appui de
ma demande de statut de réfugié, dans un affidavit
qui sera déposé dans une semaine devant la Com
mission d'appel de l'immigration.» La Commission
a reçu la déclaration le 30 novembre. Un groupe
de membres de la Commission formant quorum l'a
examinée le 2 décembre, conformément à l'article
11(3) de la Loi, et a rendu sa décision le 6
décembre, rejetant l'appel. La déclaration modi-
fiée a été manifestement déposée devant la Com
mission le 6 décembre, mais il appert de façon
évidente, dans les motifs du jugement de la Com
mission sur la requête en vue de la réouverture de
l'affaire, que le groupe de membres de la Commis
sion formant quorum n'a pas tenu compte de la
déclaration modifiée.
Aux termes de l'article 11 de la Loi sur la
Commission d'appel de l'immigration, un avis
d'appel fondé sur une demande de statut de réfugié
doit contenir une déclaration assermentée énon-
çant la demande. Conformément à l'article 19 de
la Loi, un appelant doit notifier son avis d'appel de
la manière et dans les délais prescrits par les
Règles de la Commission. La Règle 4 des Règles
de la Commission d'appel de l'immigration pré-
voit qu'un avis d'appel doit être signifié à l'enquê-
teur spécial «dans les vingt-quatre heures de la
signification de l'ordonnance d'expulsion ou, à la
discrétion du président, dans un délai d'au plus
cinq jours». Sous le titre «Audition des appels», la
Règle 17 prévoit que la Commission peut «permet-
tre que l'on fasse des modifications aux arguments
et preuves écrits». L'article 11(3) de la Loi dispose
que, sur réception, par la Commission, d'un avis
d'appel fondé sur une demande de statut de réfu-
gié, un groupe de membres de la Commission
formant quorum doit immédiatement examiner la
déclaration. Des dispositions précitées il faut con-
clure que la Commission n'a pas le pouvoir de
permettre de compléter ou d'améliorer un avis
d'appel plus de six jours après la signification de
l'ordonnance d'expulsion et que la loi l'oblige à
examiner immédiatement la déclaration assermen-
tée. En agissant comme elle l'a fait en l'espèce, la
Commission s'est acquittée de cette obligation.
L'allégation faite dans la déclaration assermentée
ne constitue pas une demande de prorogation du
délai pour signifier un avis d'appel, ni une
demande de permission de modifier la déclaration
assermentée, mais une affirmation de ce que le
requérant comptait faire après son avis d'appel. La
Commission n'avait donc aucune base pour rendre
une décision. Le président de la Commission aurait
certainement pu permettre une prorogation du
délai, jusqu'à un maximum de cinq jours supplé-
mentaires, pour le dépôt de l'avis d'appel, afin de
permettre au requérant de déposer une déclaration
modifiée. Mais le requérant a cherché à déposer sa
déclaration modifiée environ deux semaines après
la signification de l'ordonnance d'expulsion. Je
doute sérieusement que l'on ait voulu que la Règle
17, qui figure parmi des dispositions applicables à
l'audition d'appels qui peuvent suivre leur cours,
s'applique au jugement d'un appel fait conformé-
ment à l'article 11(3), mais je suis en tout cas
convaincu qu'aucun droit de modification ne peut
effectivement porter atteinte aux exigences énon-
cées par la Règle 4. Il ne peut pas non plus
permettre de réduire l'obligation imposée par la loi
d'examiner immédiatement une déclaration. En
examinant la déclaration le 2 décembre, deux jours
après sa réception et plus d'une semaine après la
date de sa signification, le groupe de membres de
la Commission formant quorum s'acquittait de
cette obligation. On ne peut donc pas dire que la
Commission n'a pas tenu compte de la déclaration
du requérant ou lui a refusé l'application des prin-
cipes de justice naturelle dans la décision qu'elle a
rendue sur l'appel conformément à l'article 11(3).
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je souscris aux
motifs et aux conclusions de mon collègue Heald
et aussi aux motifs de mon collègue Le Dain.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.