T-1599-73
251798 Ontario Inc. (auparavant, Jacques Cartier
Mint Inc.) Silver Shield Mines Inc. et 255330
Ontario Limited (auparavant, Canadian Smelting
and Refining Corporation Inc.) (Demanderesses)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Addy—
Ottawa, les 15 février et 20 avril 1977.
Couronne — Contrats — Approbation de subventions en
faveur des demanderesses par le ministère de l'Expansion
économique régionale pour l'établissement d'une affinerie et
d'une usine de monnaie dans la région de Cobalt — Retrait de
l'approbation à cause de la prétendue corruption d'un fonc-
tionnaire de la Couronne ayant à voir avec l'approbation des
subventions — Les demanderesses allèguent l'inexécution de
contrat ou d'engagement implicite — Bénéfice important
octroyé clandestinement au mandataire de la défenderesse
Y a-t-il effectivement contrat? — S'il y a contrat valide, les
principes de restitutio in integrum et du retard indu font-ils
obstacle à la résiliation? — La loi oblige-t-elle la défende-
resse à payer? — Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, c.
E-10, art. 30(1) — Loi sur les subventions au développement
régional, S.R.C. 1970, c. R-3, art. 10.
Le ministère de l'Expansion économique régionale (MEER)
a approuvé des subventions en faveur des demanderesses, relati-
vement à des compagnies d'affinage et de fabrication de mon-
naie, pour les aider à établir une usine d'affinerie d'argent et de
monnaie dans la région de Cobalt de préférence à la région de
Toronto. La défenderesse a retiré l'approbation parce que les
demanderesses auraient acheté un fonctionnaire clé du MEER.
Les demanderesses poursuivent en dommages-intérêts pour
inexécution de contrat ou d'un engagement implicite que l'offre
ne serait ni retirée ni annulée. La défenderesse soutient que la
corruption de l'employé par les demanderesses lui donne le
droit de résilier le contrat, si leur demande de subventions et
son acceptation créent bien un contrat. Les demanderesses
prétendent en outre que la loi oblige la défenderesse à payer et,
subsidiairement, que les principes équitables de restitutio in
integrum et du retard indu font obstacle à la résiliation du
contrat.
Arrêt: l'action est rejetée. L'octroi d'un bénéfice important
par une partie à un contrat au mandataire de l'autre partie
constitue en droit une fraude. Cela suffit en soi à autoriser le
mandant fraudé à résilier le contrat, peu importe ce qui a
motivé l'autre mandant ou l'effet que ce bénéfice a eu sur le
mandataire. Cependant, lorsqu'il y a corruption d'un manda-
taire qui agit comme l'alter ego de son mandant, ce mandataire,
aux fins du consentement requis pour créer un contrat, agit non
pas pour son mandant, mais pour ceux qui lui ont remis le
pot-de-vin. Donc, dans la présente affaire, il n'y a pas eu de
contrat en droit. Quant à l'obligation de payer imposée par la
loi, elle est assujettie à l'acceptation en fait et en droit du
projet; en l'espèce, le consentement et l'acceptation ont été
obtenus par fraude. Même s'il y avait eu contrat, puis résilia-
tion, le principe de restitutio in integrum ne pourrait s'appli-
quer puisque la défenderesse n'a pas encore reçu les bénéfices
auxquels les demanderesses ont consacré de l'argent. Enfin, le
retard indu est un moyen d'equity opposable seulement à une
partie qui invoque un recours fondé sur l'equity, tel que la
résiliation. Un recours fondé sur la loi ne peut être exclu que
par prescription ou limitation légale. En l'espèce, il n'y a ni
contrat sanctionné par la loi ni obligation imposée par la loi: la
défense est fondée sur la loi et non sur l'equity et le retard indu
ne peut s'appliquer pour la faire échouer. Quoi qu'il en soit, le
retard n'est pas déraisonnable et les demanderesses n'ont pas
les mains propres, c'est pourquoi elles ne disposent d'aucun
moyen de défense reposant sur le retard indu opposable à une
demande de résiliation.
Arrêts appliqués: Panama and South Pacific Telegraph
Company c. India Rubber, Gutta Percha, and Telegraph
Works Company (1874-75) 10 L.R. Ch. App. 515; Taylor
c. Walker [1958] 1 Lloyd's Rep. 490; Shipway c. Broad-
wood [1899] 1 Q.E. 369 et Industries & General Mort
gage Co., Ltd. c. Lewis [1949] 2 All E.R. 573. Distinction
faite avec l'arrêt: Frigidaire Corporation c. Steedman
[1932] 3 W.W.R. 544 (C.P.).
ACTION.
AVOCATS:
C. R. Thomson, c.r., pour les demanderesses.
J. A. Scollin, c.r., pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto, pour
les demanderesses.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE ADDY: Les demanderesses, qui sont
toutes des compagnies apparentées, poursuivent en
dommages-intérêts pour inexécution de contrat ou,
à titre subsidiaire, pour inexécution de l'engage-
ment implicite qu'une offre faite par la défende-
resse ne sera ni retirée ni annulée. En invoquant les
engagements pris par un représentant dûment
autorisé du ministère de l'Expansion économique
régionale, communément appelé «MEER», elles
prétendent qu'elles ont consacré du temps, des
fonds et des efforts considérables à construire dans
la région de Cobalt (Ontario), plutôt que dans
celle de Toronto qui aurait été beaucoup plus
avantageuse pour elles, une usine d'affinage de
l'argent (ci-après appelée l'«affinerie») que la
demanderesse Silver Shield Mines Inc. devait
exploiter pour son propre compte et pour celui de
la demanderesse 255330 Ontario Limited, et aussi
une usine (ci-après appelée «la monnaie») destinée
à fabriquer des médaillons d'argent fin et des
pièces de collectionneur, que la demanderesse
251798 Ontario Inc. devait exploiter. Elles ont
sollicité du MEER des subventions de $617,000
pour la monnaie, et de $119,970 pour l'affinerie.
Avant d'entreprendre les travaux le Ministère leur
a notifié l'approbation des subventions.
Les demanderesses avaient déjà consacré des
sommes importantes aux deux projets lorsque l'ar-
rêt des subventions leur a été notifié. La défende-
resse déclare qu'elle les a retirées parce qu'elle a
découvert que les demanderesses avaient acheté un
certain M. McKendry qui, à l'époque, était l'un
des principaux fonctionnaires du MEER dont
dépendait l'approbation des subventions en cause.
Il n'existe aucune preuve que les demanderesses
n'aient pas satisfait à l'une des exigences ministé-
rielles ou à l'une de leurs obligations en matière de
construction et d'établissement des usines en vue
desquels leurs demandes ont été présentées et
approuvées. J'estime aussi que le projet favorisait
extrêmement la région de Cobalt et convenait
particulièrement aux fins visées par ces subven-
tions. Pour cette raison, il est fort probable qu'elles
auraient été approuvées au fond, même si M.
McKendry n'avait jamais rien eu à voir avec les
subventions. En d'autres termes, je conclus que
même s'il n'avait reçu aucun bénéfice, les deux
demandes auraient probablement été approuvées
en raison de leurs propres mérites. Ces trois con
clusions sont assujetties aux commentaires que je
formulerai ultérieurement quant à l'opportunité de
les prendre en considération.
La défenderesse ne prétend pas (et je n'ai été
saisi d'aucun élément de preuve tendant à le mon-
trer) que M. McKendry, en approuvant ces sub-
ventions, a été réellement influencé par les divers
bénéfices qui lui ont été octroyés. Je dirai aussi
plus tard s'il faut prouver que le mandataire a été
réellement acheté ou même influencé.
Les bénéfices que M. McKendry aurait reçus
des demanderesses ou en leur nom, ou que celles-ci
auraient eu l'intention de lui octroyer, peuvent être
classés en trois catégories:
1. Actions acquises par M. McKendry dans
l'une des compagnies demanderesses et dans une
compagnie apparentée à un certain M. Cooper,
la personne qui a la participation la plus élevée
dans les compagnies demanderesses.
2. Quatre fins de semaine, tous frais payés,
passées au ranch de M. Cooper en Floride.
3. Une offre d'emploi.
Pour ce dernier point, l'emploi ne s'étant jamais
matérialisé, le bénéfice proposé n'a jamais été
remis. Toutefois, il y a eu offre et acceptation. Si
ladite offre est restée sans suite, c'est en raison de
l'annulation des subventions qui a provoqué l'arrêt
complet des travaux et non pas parce qu'elle a été
retirée ou annulée.
Quant à l'achat des actions, il est fort incorrect
et répréhensible (pour s'exprimer modérément)
qu'un fonctionnaire obtienne un bénéfice spécial
en utilisant une connaissance des événements pro-
posés qu'il a acquise dans l'exercice de ses fonc-
tions et alors que les renseignements ne sont pas
entièrement divulgués au grand public. Toutefois,
il ressort clairement de la preuve qu'il s'agit d'ac-
tions d'une compagnie publique, qu'elles ont été
achetées au marché libre par l'entremise d'un
courtier et que leur pleine valeur marchande a été
payée. Rien ne prouve que les demanderesses aient
consenti un bénéfice spécial à M. McKendry ou
aient fait quoi que ce soit pour faciliter cet achat,
sinon lui indiquer la Bourse à laquelle elles étaient
cotées et le_ nom d'un agent de change qui les
connaisse bien. Dans ces conditions, bien qu'on
puisse taxer M. McKendry d'incorrection pour
avoir, en sa qualité de fonctionnaire, utilisé à son
profit personnel le fait d'avoir eu connaissance des
subventions avant que le public en ait été informé,
on ne peut pas conclure que les demanderesses ont
eu l'intention de lui octroyer, ou lui ont en fait
octroyé, un bénéfice afférent à ces actions.
Quant aux voyages en Floride, les deux premiers
ont eu lieu avant l'approbation des subventions et
les deux derniers, après, les 3 et 17 mars, 7 avril et
5 mai. Les subventions ont été approuvées le 5
avril, c'est-à-dire immédiatement avant le troi-
sième. Tous ont eu pour destination le ranch d'un
certain M. Cooper, qui a témoigné à l'instance et
dont le nom figure en qualité de président des
compagnies qui ont présenté les deux demandes de
subventions. Il a une participation financière consi-
dérable dans leur exploitation. Il est manifeste
qu'il est leur principal représentant et négocie pour
leur compte toutes les affaires importantes.
Indiscutablement, M. Cooper avait le pouvoir
d'agir au nom de ces compagnies pour toutes les
questions qui se rattachent aux points litigieux
dont cette cour est saisie. Toutefois, il a déclaré
dans sa déposition (celle de McKendry et au même
effet) que certaines des dépenses sur lesquelles la
défenderesse se base pour invoquer son prétendu
droit d'annuler les subventions, étaient normale-
ment à sa charge ou à celle de ses compagnies.
Quant aux dépenses faites pour le compte de M.
McKendry, ce dernier était censé les rembourser
par la suite, mais personne ne conteste qu'il ne l'a
pas encore fait. Tous les billets d'avion ont été
payés par M. Cooper ou par ses compagnies.
Les explications que MM. Cooper et McKendry
ont données à l'instance sur l'objet et la responsa-
bilité financière finale des quatre voyages peuvent
se résumer ainsi:
1. Les deux premiers ont eu pour objet de per-
mettre à M. McKendry d'acheter une paire de
chevaux de vitesse à un ami de M. Cooper, qui
possède en Floride un ranch à quelques milles de
distance du sien. Lors du second voyage, la
femme de M. McKendry l'a accompagné. M.
Cooper ou ses compagnies ont provisoirement
payé le coût de transport, que devait finalement
supporter M. McKendry.
2. Le troisième voyage a eu pour objet de per-
mettre à M. McKendry de présenter à M.
Cooper une personne qui pourrait éventuelle-
ment gérer sa ferme en Floride. Ce voyage a
encore été payé personnellement par M. Cooper,
M. McKendry étant allé en Floride pour lui
rendre service.
3. Le quatrième voyage a eu pour objet de
discuter les conditions inhérentes au poste de
président de la compagnie chargée d'exploiter la
monnaie, poste proposé à M. McKendry. Les
dépenses y afférentes ont naturellement été à la
charge de ladite compagnie, c'est-à-dire de la
demanderesse maintenant connue sous le nom
de 251798 Ontario Inc.
Dans leurs dépositions, les deux témoins ont
déclaré que, dès leur première rencontre, il s'était
noué entre eux une amitié spontanée principale-
ment basée sur leur intérêt mutuel pour la Floride
et l'élevage des chevaux. Ils ont aussi déclaré que
le premier voyage, qui a eu lieu trois jours après
cette rencontre, a été exclusivement motivé par le
désir exprimé par M. McKendry d'acheter une
paire de chevaux de vitesse et n'avait aucun lien,
même lointain, avec la demande de subventions en
cours. Selon eux, les propositions formulées par M.
Cooper au nom de ses compagnies étaient fort
importantes et passionnantes pour celles-ci et pour
le Ministère et enthousiasmaient tout le monde. Ils
ont aussi affirmé catégoriquement que malgré
cela, ils n'avaient eu pendant les fins de semaine
des 3 et 17 mars, aucun entretien relatif aux
demandes, aux aménagements projetés ou aux sub-
ventions réclamées.
Quand on considère l'invraisemblance de pareil-
les affirmations et qu'on se rapporte à leurs témoi-
gnages ultérieurs, où ils prétendent ne pas avoir
évité délibérément de mentionner lesdites subven-
tions, on ne peut que conclure au premier abord,
que leurs témoignages sortent quelque peu de l'or-
dinaire. Et quand ceux-ci s'accompagnent d'expli-
cations fort boiteuses sur le fait que M. McKendry
n'a rien remboursé, qu'on ne lui a adressé aucune
demande de remboursement, que personne ne s'est
enquis par téléphone avant le voyage s'il y avait
des chevaux à vendre, et que finalement M.
McKendry n'en a pas acheté, leurs déclarations
relatives aux motifs qui ont présidé au voyage
deviennent parfaitement inacceptables. En vérité,
le contre-interrogatoire des deux témoins qui a
porté sur leurs dépositions afférentes à l'objet des
deux premiers voyages, les raisons pour lesquelles
M. McKendry n'a rien payé, l'absence de factura-
tion et les sujets discutés au cours de ces voyages,
m'incitent nettement à penser qu'à l'instance, tous
deux se sont efforcés maladroitement et sans
succès de cacher le véritable objet. Je n'ai aucun
mal à conclure que leurs dépositions sur ce point
ne sont pas du tout dignes de foi et que les voyages
ont principalement visé à octroyer des bénéfices à
M. McKendry, ce dernier n'ayant jamais eu l'in-
tention de rembourser M. Cooper (ou l'une de ces
compagnies) qui, de son côté, a agi sans s'attendre
à être remboursé.
Sans parler de la valeur que représente l'hospita-
lité offerte à M. et Mme McKendry au ranch de M.
Cooper durant ces deux fins de semaine, le coût
d'un billet d'avion aller-retour en première classe
pour la Floride pour ces deux voyages, constitue en
droit un gros bénéfice.
Il ressort clairement du droit que lorsqu'un
employé responsable ou mandataire qui, dans une
affaire donnée, agit pour le compte de son man-
dant, reçoit un gros bénéfice, et lorsque celui qui a
fait octroyer ce bénéfice a des intérêts dans l'af-
faire qui ne sont pas identiques à ceux du mandant
et lorsque ce dernier n'a pas eu communication de
l'octroi du bénéfice, il y a présomption qu'il a été
octroyé aux fins expresses d'influencer le manda-
taire à l'encontre des intérêts du mandant en
faveur de la personne au nom de qui le bénéfice a
été octroyé. Une telle présomption est-elle absolue
comme on l'a soutenu? Peu importe en l'espèce,
car même s'il s'agit d'une présomption simple, les
demanderesses, pour les raisons que j'ai exposées
précédemment, n'ont pas réussi à la détruire.
Sur cette question de fait, il ne reste plus qu'à
savoir si la défenderesse a eu communication de
l'octroi des bénéfices. M. McKendry a déclaré
dans sa déposition que peu après ses voyages, il a
avisé son supérieur immédiat, M. Smart, qu'il était
allé en Floride. M. Smart a confirmé le fait dans
une certaine mesure, mais je conclus que ni M.
McKendry ni aucun représentant des demanderes-
ses n'a informé M. Smart, ou quiconque au Minis-
tère, que M. Cooper (ou ses compagnies) a défrayé
le coût des voyages. C'est la Gendarmerie royale
qui s'en est aperçue le 26 septembre 1972, ou vers
cette date, et en a informé le Ministère le 4 octobre
par une note écrite confidentielle adressée à M.
Love, sous-ministre. Ce rapport ne visait que les
trois derniers voyages. Le fait que le premier, celui
du 3 mars, ait été aussi fait au ranch de M. Cooper
et payé par l'une de ses compagnies n'a été décou-
vert que très longtemps après.
De toute évidence, les demanderesses n'avaient
pas le droit de s'en remettre à M. McKendry, qui a
reçu les bénéfices, pour en informer la défende-
resse, car quiconque octroie un bénéfice à un
mandataire a l'obligation légale de s'assurer que
son mandant en est informé. En tout cas, elles
n'ont produit aucune preuve indiquant qu'elles s'en
sont ou non remis à M. McKendry pour transmet-
tre le renseignement et ce, pour la bonne raison
qu'elles ont affirmé tout au long de l'instance qu'il
n'avait jamais été question que les voyages soient à
leurs frais.
Quant au troisième voyage, je n'accepte pas
l'explication selon laquelle il a été fait uniquement
parce que M. McKendry voulait présenter à M.
Cooper une personne habitant la Floride, qui pour-
rait éventuellement gérer son ranch, ce qui justifie-
rait la prise en charge des dépenses par M. Cooper
sans constituer pour autant l'octroi d'un bénéfice à
M. McKendry. Il aurait été beaucoup plus simple,
plus judicieux et plus économique pour ce dernier
de téléphoner à ladite personne, qui devait être un
de ses amis, que de faire tout ce long voyage pour
procéder à une simple présentation. Il est difficile
de concevoir qu'un homme d'affaire aussi astu-
cieux que M. Cooper ait adopté cette dernière
solution, sans un autre motif.
Vu que le motif allégué n'est probablement pas
le vrai et vu que j'ai rejeté les témoignages de
MM. Cooper et McKendry relatifs aux deux pre
miers voyages, je rejette leurs explications en l'oc-
currence et conclus que le troisième voyage n'a été
rien d'autre qu'un nouveau bénéfice octroyé à M.
McKendry. J'estime aussi, pour les raisons que j'ai
exprimées à propos des deux premiers voyages, que
ni ce dernier ni les demanderesses n'en ont informé
la défenderesse. Il constitue donc un pot-de-vin
remis clandestinement à son mandataire.
Toutefois, pour le troisième voyage, bien qu'il
n'ait eu lieu que deux jours après l'approbation des
requêtes, rien ne prouve que des dispositions aient
été prises pour l'organiser ni qu'il ait été promis au
témoin McKendry avant cette approbation. Ce
point revêt une importance qu'on ne peut pas
ignorer lorsqu'il s'agit d'établir si ce bénéfice a eu
une quelconque influence sur l'approbation, et
aussi parce que M. McKendry avait un rôle et des
responsabilités comparativement moindres après
qu'avant l'approbation des subventions du MEER,
Quant au quatrième. et dernier voyage en Flo-
ride, où la femme de M. McKendry l'a à nouveau
accompagné, j'estime raisonnable l'explication
selon laquelle il a eu pour objet de discuter les
conditions d'une offre d'emploi, si l'on tient
compte qu'environ six semaines plus tard la défen-
deresse en a été officiellement avisée par écrit. Je
suis donc disposé à lui donner quelque créance et,
sous réserve des commentaires que je vais faire
ultérieurement en vue d'établir si l'offre d'emploi
constitue en soi un bénéfice, je conclus que lorsque
M. Cooper a demandé à M. McKendry de se
rendre à son ranch avec sa femme, la fin de
semaine en question, il avait pour principal motif
de discuter les conditions de son engagement éven-
tuel. Bien entendu, dans ces circonstances, il est
normal et raisonnable qu'un futur employeur paie
les frais de déplacement d'un futur employé.
En ce qui concerne les trois premiers voyages, je
conclus donc qu'ils constituent des bénéfices et
que, dans chaque cas, le bénéfice a été octroyé
clandestinement sans que les demanderesses aient
jamais eu l'intention d'en informer la défenderesse,
qui n'en a donc rien su. Quant au quatrième, vu
qu'il est intrinsèquement lié à l'offre d'emploi, le
succès du moyen de défense sera plus ou moins
assuré selon que l'offre d'emploi constitue ou non
un pot-de-vin.
Je constate que M. Cooper a offert à M.
McKendry le poste de président de la monnaie à
un salaire annuel d'environ $60,000, plus certains
avantages marginaux. Cette offre ne s'est jamais
matérialisée parce que la défenderesse a retiré les
subventions et que les demanderesses ont alors
abandonné le projet. Celles-ci ont communiqué
l'offre d'emploi le ou vers le 12 juin 1972, date à
laquelle elles ont adressé à M. McKendry une
lettre en énonçant les conditions avec copies à ses
supérieurs. M. Cooper a déclaré dans sa déposition
qu'il a commencé à penser à M. McKendry
comme président éventuel de la monnaie, le 28
avril 1972, et que les premiers entretiens à ce sujet
ont eu lieu le ou vers le 5 mai 1972, au cours du
quatrième voyage en Floride, dont je viens de
parler.
A propos de la date où le poste a été réellement
offert à M. McKendry, la défenderesse a produit à
l'instance un document, qui figure sous la cote
D-7, et qui est réputé être une copie d'une
demande de location en date du 17 avril 1974
présumément signée par M. McKendry, où il se
présente comme employé de Newton Industries
Ltd., compagnie de portefeuille appartenant à M.
Cooper. Le document a été apparemment saisi par
la Gendarmerie royale et, sans que son authenti-
cité ait été autrement prouvée, présenté en vertu
de l'article 30(1) de la Loi sur la preuve au
Canada'. J'ai alors fait des réserves quant à sa
recevabilité à l'instance et j'estime maintenant
qu'il n'est pas recevable en vertu dudit article. Il
n'a pas été établi qu'il ait été rédigé dans le cours
ordinaire des affaires et, de plus, il ne constitue ni
une «pièce» ni un document «sur ou dans lesquels
des renseignements sont écrits, enregistrés, conser-
vés ou reproduits», comme l'article 30(12) de cette
loi le définit.
Bien que je soupçonne fortement que M. Cooper
a offert le poste et que M. McKendry l'a accepté
longtemps avant le 12 juin 1972, il n'existe pas de
preuve recevable à cet effet et la défenderesse n'a
donc pas réussi à prouver qu'il y a eu une offre de
bénéfice qui ne lui a pas été communiquée à la
date où elle a été faite ou immédiatement après. Si
elle avait prouvé que l'offre a été faite et acceptée
avant le 12 juin 1972, j'aurais considéré qu'il
s'agissait bien de l'octroi d'un bénéfice, bien que
M. McKendry n'ait pas été effectivement employé.
La promesse (qui s'accompagne d'une acceptation)
d'un emploi comportant des conditions particuliè-
res et exécutoires, constitue à mes yeux l'octroi
d'un bénéfice.
1 S.R.C. 1970, c. E-10.
Je récapitule donc mes constatations de fait à
propos des moyens de défense soulevés: la défende-
resse a établi que les trois premiers voyages ont
constitué des pots-de-vin, c'est-à-dire des bénéfices
importants clandestinement octroyés à M. McKen-
dry par les demanderesses ou en leur nom, mais
elle n'a pas réussi à prouver que le quatrième
voyage, l'offre d'emploi et l'achat des actions tom-
bent dans cette catégorie.
Une fois établi que le bénéfice a été octroyé
clandestinement (c'est-à-dire sans que le mandant
en ait été informé) et qu'il était important, il est
présumé non seulement qu'il a été octroyé par un
mandant en vue d'inciter le mandataire d'un autre
mandant à agir contre les intérêts de ce dernier et
en faveur des intérêts du premier, mais aussi que
ces agissements clandestins et illicites constituent
en droit une fraude contre le dernier mandant,
fraude que la Cour doit prendre en considération.
Ce principe a été énoncé clairement pour la pre-
mière fois par le lord juge William M. James dans
Panama and South Pacific Telegraph Company c.
India Rubber, Gutta Percha, and Telegraph
Works Company 2 , où il déclare à la page 526 du
recueil:
[TRADUCTION] D'après mon interprétation du droit propre à
cette cour, j'estime manifeste que tout agissement clandestin et
illicite entre un mandant et le mandataire d'un autre mandant
constitue une fraude contre cet autre mandant, qui entre dans
la compétence de cette cour. Je considère cette proposition
comme claire et je considère aussi clair que le mandant fraudé,
s'il intervient à temps, a droit, lorsqu'il le désire, de faire
résilier le contrat, ou s'il choisit de ne pas le faire résilier, de
recourir à tout autre redressement que la Cour peut juger bon
de lui accorder.
On a dit qu'il n'existe ni jurisprudence ni dictum à cet effet.
Plus la chose est claire, plus il est difficile d'en trouver qui s'y
rapporte exactement. Je doute que l'on puisse trouver un
jugement ou un dictum exposant exactement la première des
deux propositions que j'ai mentionnées, et que personne dans le
cours des débats ne s'est risqué à contester—à savoir que tout
agissement clandestin et illicite entre un mandant et le manda-
taire d'un autre mandant constitue une fraude contre cet autre
mandant, qui entre dans la compétence de cette cour. Quant à
l'autre proposition relative au redressement, il se peut qu'elle ne
figure pas en détail dans un jugement ou un dictum, mais on
peut invoquer bien des cas qui ne reposeront également sur
aucun jugement ni sur aucun dictum. Si un homme engage un
vetturino pour le transporter d'un lieu à un autre et découvre
que celui-ci, après avoir accepté, a conspiré avec son domesti-
que pour le voler en chemin, il sera en droit de se débarrasser
du vetturino et du domestique. De même, si un homme s'assoit
dans une taverne ou osteria pour jouer aux cartes ou aux dés
2 (1874-75) 10 L.R. Ch. App. 515.
avec un autre homme pour un enjeu, et s'aperçoit que son
adversaire s'est muni de dés pipés ou de cartes marquées,
l'homme sera immédiatement en droit de quitter la table et ne
sera pas obligé de fournir des cartes propres ou des dés intacts.
[C'est moi qui souligne.]
Ce jugement a été appliqué en plusieurs occa
sions depuis lors. Voir en particulier les quatre
affaires suivantes: Alexander c. Webber 3 ; Hitch-
cock c. Sykes 4 ; Murray c. Smith 5 ; et Rowland c.
Chapman 6 .
L'arrêt Taylor c. Walker 7 est très utile pour
trancher les questions de savoir s'il faut prouver
l'effet que le paiement peut avoir eu sur l'esprit du
mandataire, et s'il faut démontrer qu'il y a eu
corruption. Le juge Havers y passe longuement en
revue la jurisprudence britannique en la matière.
Il cite en particulier l'arrêt rendu par le lord
juge Chitty dans Shipway c. Broadwood 8 , où il
déclare à la page 373:
[TRADUCTION] Lorsqu'il est prouvé que l'argent a été versé ou
promis au mandataire de l'autre partie, il est tout à fait inutile
de chercher plus loin pour constater l'effet que ce paiement a eu
sur l'esprit de la personne à qui il a été effectué ou devait l'être.
Le demandeur a placé Pinkett dans une position où son devoir
entrait en conflit avec son intérêt. Dans Thompson c. Havelock
(1808) 1 Camp. 527, lord Ellenborough a dit: »Aucun homme
ne devrait être autorisé à avoir un intérêt opposé à son devoir.»
Ce grand principe a été appliqué dans d'innombrables causes et
personne n'a jamais statué que l'effet d'un pot-de-vin sur
l'esprit de son récipiendaire devait faire l'objet d'une enquête.
[C'est moi qui souligne.]
Il cite aussi le jugement rendu par le juge Slade
dans Industries & General Mortgage Co., Ltd. c.
Lewis 9 , où il déclare à la page 575:
[TRADUCTION] J'estime que la preuve de la corruption ou du
motif de la corruption est inutile dans une action civile et je me
réclame à ce propos de l'arrêt rendu par la Cour d'appel dans
Hovenden and Sons c. Millhoff (1900) 83 L.T. 41 .... [C'est
moi qui souligne.]
Après avoir examiné plusieurs affaires sur ce
sujet et cité en l'approuvant le jugement rendu par
3 [1922] 1 K.B. 642, à la p. 644.
4 [1913] 29 O.L.R. 6, aux pp. 14, 23 et 24.
(1905) 14 M.R. 125, à la p. 133.
6 (1900-1) 17 T.L.R. 669, aux pp. 670 et 671.
' [1958] 1 Lloyd's Rep. 490.
8 [1899] 1 Q.B. 369.
9 [1949] 2 All E.R. 573.
lord juge Scrutton dans In re A Debtor 10 , le juge
Havers déclare à la page 512 de la transcription de
son jugement afférent à l'affaire Taylor:
[TRADUCTION] Ces causes m'ont convaincu que dans une
action civile, il n'est pas nécessaire que le demandeur prouve la
corruption ou le motif de la corruption chez la personne qui a
effectué le paiement au mandataire. [C'est moi qui souligne.]
Je suis d'accord avec cette jurisprudence et estime
qu'elle s'applique également ici.
De nombreux arguments ont été adressés à la
Cour sur les points de droit suivants:
1. L'acceptation par la défenderesse, ou en son
nom, de la demande de subventions constitue-
t-elle en droit un contrat exécutoire?
2. A titre subsidiaire, jusqu'à l'achèvement des
travaux existait-il simplement une offre de la
défenderesse et l'acceptation des demanderesses
devenait-elle effective seulement si les travaux
étaient achevés et absolument conformes aux
conditions imposées par la défenderesse?
3. A titre subsidiaire, si à la date de l'accepta-
tion de la demande, il n'y avait pas de contrat
exécutoire, alors, lorsque les demanderesses ont
commencé à construire les usines, la défende-
resse n'avait-elle plus le droit de la retirer à
cause d'une clause implicite ou bien d'un contrat
accessoire implicite en droit à cet effet?
4. Sur le plan juridique, les relations créées
équivalent-elles à un simple contrat unilatéral?
5. Enfin, les demanderesses ont aussi soutenu
que l'article 10 de la Loi sur les subventions au
développement régional" crée une obligation de
payer.
La partie pertinente de l'article 10(2) * de la Loi
sur les subventions au développement régional est
rédigée dans les termes suivants:
(2) Lorsque le Ministre est convaincu qu'a été mis en exploi
tation commerciale un établissement pour l'implantation
duquel ont été autorisées une subvention principale et une
subvention secondaire ... il doit payer au requérant ...
On peut soutenir que les demanderesses s'étant
rendu coupables de fraude civile, doivent échouer
1 ° [1927 ] 2 Ch. 367.
" S.R.C. 1970, c. R-3.
* Voir la modification au même effet dans S.R.C. 1970 (2°
Supp.), c. 25, art. 5.
dans leur action, car tout tribunal refusera d'ac-
corder à la partie coupable un redressement en
vertu d'un contrat; ce point de vue n'est pas le bon:
une partie à un contrat valable, bien que partie à
une fraude portant sur ce contrat, a normalement
droit à un recours en justice pour en faire exécuter
les termes. Toutefois, ce droit de mise à exécution
est assujetti au droit de l'autre partie de faire
résilier le contrat ou de réclamer des dommages-
intérêts, quels que soient le recours que la dernière
partie choisisse et la solution que la Cour estime
juste dans les circonstances, compte tenu des prin-
cipes équitables de restitutio in integrum et du
retard indu.
Si à la date du retrait des subventions, il y avait
un contrat en vigueur, les demanderesses préten-
dent que la fraude, même si elle a existé, ne crée
pas le droit de résilier dans les circonstances de
l'espèce, car la défenderesse n'a pas réussi à prou-
ver et ne pouvait pas en fait prouver qu'après cette
annulation, il y aurait restitutio in integrum, car
elles avaient déjà dépensé pour leur projet d'usine
à Cobalt, des sommes plus importantes que celles
requises par le prétendu contrat. Bien entendu,
elles se fondent sur le principe d'equity bien établi
à cet effet et plus particulièrement sur l'arrêt
Frigidaire Corporation c. Steedman' 2 où lord
MacMillan, en prononçant la recommandation du
comité judiciaire du Conseil privé, déclare à la
page 548:
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries sont d'avis que la division
d'appel a eu raison de refuser la demande présentée par l'appe-
lante de résilier le contrat. Dans cette affaire, quelque répré-
hensible que puisse être la conduite du corrupteur, la partie
lésée n'a pas droit à un redressement de résiliation fondé sur
l'equity, à moins qu'elle puisse prouver (le fardeau de la preuve
lui incombe) qu'il est possible de rétablir la position où elle se
trouvait avant le contrat. Elle doit être en mesure d'offrir une
restitutio in integrum et doit officiellement présenter cette offre
de restitution: Western Bank of Scotland c. Addie (1867) L.R.
1 H.L. (Sc.) 145; Boyd & Forrest c. Glasgow & S.W. Ry. Co.
[1915] S.C. (H.L.) 20, 52 Sc. L.R. 205. L'appelante n'a
nullement réussi à le faire. La preuve est à ce point insuffisante
qu'elle est compatible seulement avec le fait que l'appelante a
accompli ou autorisé des actes de propriété et d'utilisation en
rapport avec une grande partie au moins de l'équipement
installé en permettant à ses locataires de l'exploiter. Elle ne
peut pas le rendre dans l'état où il était quand elle l'a reçu.
Il convient de noter que dans cette affaire (et dans
beaucoup d'autres), la partie qui réclamait la rési-
liation avait, avant de présenter cette réclamation,
12 [1932] 3 W.W.R. 544 (C.P.).
reçu un bénéfice très important. En fait, il était
hors de question que le contrat soit unilatéral ou
qu'il n'y ait pas eu de contrat en premier lieu.
Dans l'affaire Frigidaire (précitée), l'appelante
avait accepté plusieurs des comptoirs qui faisaient
l'objet des arrangements financiers en litige et les
avait loués à des tiers.
En l'espèce, la défenderesse n'avait pas encore
reçu les bénéfices en vue desquels elle accordait les
subventions (c'est-à-dire les emplois pour la popu
lation locale susceptibles d'être créés par l'exploi-
tation des usines), et tous les actifs auxquels les
demanderesses avaient consacré de l'argent étaient
encore entre leurs mains.
L'arrêt rendu dans l'affaire Kupchak c. Dayson
Holdings Co. Ltd. 13 est utile lorsqu'on veut savoir
si une partie qui réclame une résiliation peut l'ob-
tenir alors qu'il ne peut pas y avoir une complète
restitutio in integrum et lorsqu'on discute le prin-
cipe d'une restitution importante.
En tout cas, si l'argument de l'avocat des
demanderesses s'applique jusqu'à sa conclusion
logique, dans les circonstances de l'espèce, pour
peu que les demanderesses aient commencé à
dépenser de l'argent pour construire la monnaie et
l'affinerie, alors, quels qu'aient pu être les fraudes
perpétrées contre la défenderesse, l'identité ou le
nombre de ses fonctionnaires ou agents corrompus
aux fins d'approuver le projet et la date où la
défenderesse a découvert la corruption et s'y est
opposée, cette dernière n'avait pas d'autre choix
que d'autoriser la poursuite des travaux et de
payer le plein montant des subventions, en comp-
tant exclusivement sur un recours en dommages-
intérêts, pourvu seulement que les demanderesses
aient souscrit à toutes les conditions indiquées dans
le contrat. S'il n'était possible de prouver aucun
dommage, alors la défenderesse n'aurait aucune
sorte de recours.
Mais, indépendamment de la question de savoir
si la restitutio in integrum peut être un obstacle à
la résiliation, dans des circonstances telles que
celles-ci, la question fondamentale qui se pose ici
est la suivante: y a-t-il jamais eu un contrat et la
défenderesse a-t-elle jamais eu, en vertu d'un con-
trat ou d'une loi, l'obligation de payer les
subventions?
13 [1966] 53 D.L.R. (2e) 482.
Du point de vue contractuel, lorsqu'un manda-
taire a été corrompu avant qu'il y ait eu un accord
général et que les parties aient échangé des docu
ments officiels, le mandataire peut avoir agi à l'un
des deux titres suivants:
1. Il peut, avant la remise du pot-de-vin, n'être
intervenu qu'accessoirement dans la négociation
du contrat ou pour faire une recommandation
ou un rapport à son mandant concernant un
certain aspect de l'affaire. L'exemple classique
et probablement le plus fréquent, c'est celui d'un
vendeur qui accepte secrètement une commis
sion de l'autre partie. Il y a aussi le cas de la
corruption des experts, dont les fonctions consis
tent à donner une opinion, ou des employés qui
doivent faire rapport à leur mandant sur certai-
nes questions. Dans ce cas, il y a généralement
création de contrat parce qu'il y a un accord
général ad idem entre les deux mandants; néan-
moins, dans certaines circonstances, lorsque la
question dans laquelle le mandataire intervient
revêt une importance capitale, le consentement
du mandant peut être complètement vicié ou, s'il
y a eu consentement, un droit de résiliation peut
surgir. Dans d'autres circonstances, il est conce-
vable qu'il ne puisse exister qu'un droit à des
dommages-intérêts et au recouvrement du
pot-de-vin ou de la commission payée secrète-
ment.
2. D'autre part, le mandataire peut avoir été
habilité à agir tout au long de l'affaire comme
un alter ego de son mandant. Il peut, à la place
de son mandant, avoir été exclusivement chargé
ou principalement impliqué dans la prise de
décision et dans la création d'une obligation
juridique pour ce dernier, qui découle de ladite
décision. L'exemple classique à cet égard est
celui d'un mandataire qui agit en vertu d'une
procuration générale consentie par son mandant.
M. McKendry, dans l'exercice de ses fonc-
tions, et notamment à propos de l'approbation
des demandes de subventions, tombe nettement
dans cette seconde catégorie. Le MEER lui
avait carrément délégué ses pouvoirs de prise de
décision. Lorsqu'un mandataire qui est l'alter
ego de son mandant au point que j'ai indiqué est
acheté, le mandant ne peut pas, par rapport à
celui qui a fait remettre le pot-de-vin, être
réputé avoir donné un quelconque consentement.
Puisque M. McKendry a été acheté, il est
péremptoirement réputé en droit avoir été
influencé dans sa prise de décision de façon
défavorable aux intérêts de la défenderesse. Il
est impossible aussi de spéculer sur l'effet que le
pot-de-vin a pu avoir sur sa décision ou, vice-
versa, de se demander s'il aurait pris la même
décision dans l'hypothèse où il ne se serait pas
laissé acheter. Il s'ensuit que mes constatations
de fait précédentes, suivant lesquelles la
demande de subventions, si elle n'avait pas été
annulée, aurait bénéficié à la défenderesse et
que le projet aurait été probablement approuvé
de toute façon, ne peuvent pas être prises en
considération.
Pour parler plus simplement, la défenderesse ne
s'est jamais engagée ni n'a jamais consenti à rien:
il n'y a pas eu de contrat en droit. On pourrait
même dire que lorsqu'il a donné le consentement
requis pour créer un contrat, M. McKendry n'agis-
sait plus au nom de la défenderesse, mais à celui
des demanderesses qui l'avaient acheté. Quoi qu'il
en soit, le prétendu engagement ou consentement
qu'il a donné au nom de la défenderesse, a été
fondamentalement, essentiellement et sciemment
corrompu et vicié par les demanderesses, qui
demandent maintenant que cette cour fasse exécu-
ter des droits qui ne peuvent être basés que sur lui
ou sur quelque obligation de payer découlant de la
Loi sur les subventions au développement régio-
nal, que j'ai déjà citée.
Quant à l'obligation de payer, je ne peux pas
concevoir qu'en adoptant cette loi, le Parlement ait
voulu que les fonds publics soient obligatoirement
versés lorsque l'acceptation donnée au nom du
Ministre a été obtenue par fraude et plus particu-
lièrement, en tout ou en partie, par une personne
qui a participé à la fraude perpétrée contre le
Ministère en question. Cette obligation est assujet-
tie à l'acceptation en fait et en droit du projet et
n'apparaît qu'après.
Les demanderesses invoquent le retard indu
contre la réclamation de la défenderesse, où cel-
le-ci affirme qu'elle était en droit de retirer les
subventions. Une cour d'equity [ TRADUCTION]
«refuse son aide à des demandes désuètes lorsque le
demandeur a dormi sur son droit et acquiescé
pendant très longtemps.» Le retard indu s'applique
suivant que la partie contre qui ce principe est
invoqué a acquiescé ou non et que celle qui l'invo-
que a changé ou non sa position. Il est injuste
d'accorder à une partie un recours d'equity lors-
que, par sa conduite, elle y a implicitement
renoncé. Toutefois, le principal élément du retard
indu reste l'acquiescement; le laps de temps sert à
prouver s'il y a eu ou non acquiescement. (Voir 16
Halsbury's Laws of England, 4 e éd., parag. 1476,
1477, 1478 et les affaires s'y rapportant.)
Toutefois, il importe de se rappeler que le retard
indu est un moyen d'equity opposable seulement à
une partie qui invoque un recours fondé sur
l'equity tel que la résiliation. Un droit fondé sur la
loi ne peut être exclu que par prescription ou
limitation légale. En l'espèce, j'ai statué qu'il ne
s'agit pas de la résiliation d'un contrat sanctionné
par la loi, car il n'y avait ni contrat de cette nature
en vigueur ni obligation légale de payer. Il s'agit
d'une défense fondée sur la loi et non sur l'equity
et le retard indu ne peut pas s'appliquer pour la
faire échouer. Il est préférable de renverser la
question: puisque les demanderesses n'ont aucun
droit au paiement fondé sur la loi, tout recours qui
leur sera offert devra être fondé sur l'equity et
toute cour d'equity leur refusera une demande de
redressement de cette nature en raison de leur
fraude. Le cliché juridique selon lequel on doit se
présenter devant une cour d'equity avec les mains
propres s'applique sans contredit dans la présente
action et la question du retard indu ne se pose donc
pas.
Toutefois, même si on pouvait recourir au retard
indu pour exclure une défense fondée sur la loi ou
si les conclusions auxquelles je suis parvenu en
appliquant le droit à une situation de fait sont
fausses et que, contrairement à mes observations, il
y a eu création d'une véritable obligation légale, ce
qui aurait pour résultat que la défense selon
laquelle l'annulation était justifiée ne peut être
fondée que sur une demande de résiliation d'un
contrat sanctionné par la loi, les demanderesses, en
tout cas, n'ont pas réussi à établir le retard indu
dans la preuve qu'elles ont produite à l'instance.
L'arrêt des subventions a été notifié aux deman-
deresses le 8 novembre. Comme je l'ai déclaré
précédemment, c'est le 4 octobre (c'est-à-dire cinq
semaines plus tôt) que la défenderesse a appris que
M. Cooper a payé les trois derniers voyages. Quant
au premier, elle ne l'a su que beaucoup plus tard.
A partir du 4 octobre, le seul voyage important
dont la défenderesse ait été au courant, a donc été
le second, c'est-à-dire celui du 17 mars. Les sub-
ventions ont été approuvées après ce voyage et
avant le suivant. Après que l'approbation fut deve-
nue effective, M. McKendry ne jouait plus un rôle
principal dans le projet, car son administration et
sa supervision passaient alors à une autre section
du Ministère. Il n'était plus requis que de faire
rapport sur certains de ses aspects particuliers,
lorsqu'il se produisait des faits spéciaux requérant
ses connaissances.
C'est une chose de savoir que le 17 mars, M.
McKendry a effectué en Floride un voyage payé
par les demanderesses et une toute autre chose, de
déterminer s'il n'y a pas eu de remboursement
subséquent ou si le paiement n'a pas été effectué
pour quelque raison valable autre que l'octroi d'un
bénéfice clandestin à cet employé.
Il importait aussi de déterminer si, à cette date,
il existait une preuve juridique suffisante pour
établir devant un tribunal le paiement clandestin
des bénéfices, le fardeau de cette preuve incom-
bant naturellement à la défenderesse. La Gendar-
merie royale et la firme Price, Waterhouse pour-
suivaient encore des recherches actives à ce sujet.
Cette dernière avait aussi été chargée d'enquêter
et de faire rapport à la défenderesse. Les problè-
mes juridiques étaient fort complexes, comme les
débats à l'instance l'ont amplement démontré. A
ce moment-là, il était impossible de donner un avis
juridique valable sans avoir examiné de façon
approfondie la situation de fait, les conséquences
financières pour toutes les parties et les résultats
juridiques qui risquaient d'en découler. Même à ce
premier stade, il devenait apparent que le résultat
final dépendrait grandement, selon toutes probabi-
lités, d'une question de crédibilité. A cette époque,
la défenderesse avait aussi connaissance de l'achat
des actions, de l'offre d'emploi et du quatrième
voyage, mais n'était peut-être pas très sûre des
événements qui y ont conduit. Comme on l'a vu à
l'instance, la preuve afférente à toutes ces ques
tions ne justifiait pas, et ne justifie toujours pas
maintenant, les mesures qui ont été prises. Toute-
fois à l'époque, il était nécessaire d'enquêter acti-
vement à ce sujet.
Lorsqu'on considère la position des parties pen
dant les semaines qui ont suivi le 4 octobre, le fait
que la situation a encore été compliquée par une
enquête préalable effectuée par l'Ontario Securi
ties Commission quelques mois plus tôt, revêt une
certaine importance. Il y a également eu un arrêt
obligatoire dans le commerce de certaines actions
des compagnies de M. Cooper. M. McKendry et
son supérieur immédiat ont été aussi suspendus
pendant l'enquête, mais ce dernier a été réintégré,
alors que M. McKendry, lui, a été renvoyé.
Enfin, le projet en question était très important
pour les habitants de la région de Cobalt, qui était
considérée à l'époque comme en plein marasme en
raison d'un taux de chômage élevé. Toute annula-
tion comportait donc nécessairement des considé-
rations politiques très sérieuses et exigeait une
décision du Ministère, sinon du Cabinet, basée sur
des considérations politiques ainsi que sur des
recommandations juridiques.
Dans ces conditions, si j'avais retenu la question
du retard indu, je n'aurais pas hésité à conclure
qu'un délai de cinq semaines pour prendre des
mesures positives ne constituait aucunement un
retard établissant l'acquiescement de la défende-
resse, compte tenu aussi du fait qu'il lui fallait
absolument décentraliser et déléguer ses responsa-
bilités administratives en la matière.
Quant au changement de position provisoire des
demanderesses, c'est-à-dire les dépenses qu'elles
ont continué à engager entre le 4 octobre et la date
réelle de l'avis d'annulation, il m'est fort difficile
d'apprécier comment une partie, qui s'est rendue
coupable de fraude et de tromperie et persiste à
cacher le véritable état de choses à la partie lésée,
peut légitimement se plaindre du temps que cel-
le-ci a mis à essayer de le découvrir. La mauvaise
foi n'a été ni établie ni même invoquée à l'encontre
de la défenderesse. Durant toute cette période, les
demanderesses essayaient de cacher le véritable
état de choses puisqu'elles ont continué à le faire
jusqu'à maintenant. Si elles avaient révélé les faits
le 4 octobre ou vers cette date, il n'est pas besoin
d'être grand clerc pour supposer que l'annulation
des subventions aurait suivi immédiatement.
Pour ces raisons, je conclus qu'en tout état de
cause, les demanderesses ne disposent d'aucun
moyen de défense reposant sur le principe du
retard indu opposable à une demande de
résiliation.
Je rejette l'action avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.