77-T-609
Union des chauffeurs de camions, local 106,
Robert Duguay et Florian Brunet (Requérants)
c.
Motorways Québec Limitée (Intimée)
et
La division du transport général de marchandise
du Motor Transport Industrial Relations Bureau
du Québec (Inc.) (Mise-en-cause)
Division de première instance, le juge Marceau—
Montréal, le 15 août; Ottawa, le 29 août 1977.
Pratique — Requête présentée par les requérants visant
l'obtention du dépôt et de l'enregistrement d'une décision
arbitrale conformément à l'art. 159 du Code canadien du
travail — La requête de l'intimée sollicite la suspension des
procédures, conformément à l'art. 50(1) de la Loi sur la Cour
fédérale — La demande de dépôt et d'enregistrement peut-elle
être suspendue pour le motif invoqué dans la seconde requête?
— Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 159
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art.
50(1).
Deux requêtes, liées l'une à l'autre, ont été déposées par
chacune des parties. La première, soumise par les deux
employés et leur syndicat, vise à obtenir le dépôt et l'enregistre-
ment d'une décision d'un tribunal d'arbitrage conformément à
l'article 159 du Code canadien du travail. La seconde requête,
présentée par la compagnie intimée, vise à obtenir une suspen
sion des procédures relatives à ladite décision arbitrale, confor-
mément à l'article 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Des
procédures en nullité de la décision arbitrale ont été intentées
devant un tribunal provincial. Il s'agit de savoir si la demande
de dépôt et d'enregistrement elle-même peut être suspendue
pour le motif invoqué dans la seconde requête.
Arrêt: le dépôt et l'enregistrement seront autorisés mais les
procédures d'exécution auxquelles pourraient donner lieu tel
dépôt et enregistrement sont suspendues jusqu'à ce qu'il ait été
adjugé sur l'action en nullité de la décision. La Cour se doit de
se prononcer sur la demande de dépôt et ce n'est qu'une fois la
demande jugée bien fondée et le dépôt autorisé, que, se fondant
sur la Règle 1909, elle pourra envisager l'opportunité d'une
suspension des mesures d'exécution. La Cour est satisfaite que
les conditions préalables requises par un tel dépôt, notamment
le refus d'obtempérer à la décision, sont remplies et que la
décision, telle que formulée, est susceptible de se voir attribuer
le même effet qu'un jugement de cette cour; elle ne saurait
refuser la demande de dépôt et d'enregistrement.
Arrêts appliqués: Tardif c. Verreault Navigation Inc.
[1978] 1 C.F. 815; International Association of Long
shoremen, Local 375 c. Association of Maritime Employ
ers (1975) 52 D.L.R. (3e) 293; Fraternité internationale
des ouvriers en électricité, section locale 529 c. Central
Broadcasting Company Ltd. [1977] 2 C.F. 78.
DEMANDES.
AVOCATS:
Gino Castiglio pour les requérants.
H. Dizgum pour l'intimée.
PROCUREURS:
Décary, Jasmin, Rivest, Laurin & Castiglio,
Montréal, pour les requérants.
Mendelson, Selick, Gross & Pinsky, Mont-
réal, pour l'intimée.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE MARCEAU: Deux requêtes, liées l'une à
l'autre, ont été ici soumises par chacune des par
ties. J'entends en disposer en même temps.
La première vise à obtenir le dépôt et l'enregis-
trement d'une décision d'un tribunal d'arbitrage
datée du 21 avril 1977. Elle est soumise par les
deux employés en faveur de qui la décision a été
rendue et leur syndicat, et s'appuie sur l'article
159 du Code canadien du travail dont il convient
de rappeler les termes:
159. (1) Lorsqu'une personne ou une association ne s'est pas
conformée à une ordonnance ou décision d'un arbitre ou d'un
conseil d'arbitrage, toute personne ou association concernée par
l'ordonnance ou la décision peut, après l'expiration d'un délai
de quatorze jours à partir de la date de l'ordonnance ou de la
décision ou de la date d'exécution qui y est fixée, si celle-ci est
postérieure, déposer à la Cour fédérale du Canada une copie du
dispositif de l'ordonnance ou de la décision.
(2) Dès son dépôt à la Cour fédérale du Canada effectué en
vertu du paragraphe (1), une ordonnance ou une décision d'un
arbitre ou d'un conseil d'arbitrage doit être enregistrée à la
Cour et cet enregistrement lui confère la même force et le
même effet que s'il s'agissait d'un jugement émanant de la
Cour et toutes les procédures y faisant suite peuvent dès lors
être engagées en conséquence.
La seconde est présentée par la compagnie inti-
mée, l'employeur, en vue d'obtenir une suspension
des procédures relatives à ladite décision arbitrale:
elle se réfère à l'article 50(1) de la Loi sur la Cour
fédérale' et fait valoir essentiellement qu'ont été
intentées devant la Cour supérieure de la province
de Québec des procédures en nullité de la décision
I 50. (1) La Cour peut, à sa discrétion, suspendre les procé-
dures dans toute affaire ou question,
a) au motif que la demande est en instance devant un autre
tribunal ou une autre juridiction; ou
b) lorsque, pour quelque autre raison, il est dans l'intérêt de
la justice de suspendre les procédures.
arbitrale dont le dépôt et l'enregistrement sont
recherchés.
Le lien entre les deux requêtes, aussi évident
qu'il soit, ne manque pas de poser un problème à
première vue embarrassant qui va jusqu'à mettre
en question le rôle même de la Cour face à une
requête faite sous l'article 159 du Code canadien
du travail. Il s'agit de savoir si la demande de
dépôt et d'enregistrement elle-même peut être sus-
pendue pour le motif invoqué dans la deuxième
requête, ce que voudrait apparemment l'intimée. A
la réflexion cependant, j'en suis venu à la conclu
sion que la Cour se devait d'abord de se prononcer
sur la demande de dépôt et ce n'est qu'une fois la
demande jugée bien fondée et le dépôt autorisé,
que, se fondant sur la Règle 1909 des règles et
ordonnances générales de la Cour, elle pourra
envisager l'opportunité d'une suspension des mesu-
res d'exécution.
Dans une décision que j'ai rendue il y a quelques
jours, soit le 23 août dernier, dans l'affaire Tardif
c. Verreault Navigation Inc. [1978] 1 C.F. 815, je
me suis expliqué sur ce qui m'apparaissait être le
rôle de la Cour face à une requête faite sous
l'article 123 ou 159 du Code canadien du travail,
les deux dispositions étant essentiellement au
même effet. Je me fondais en fait sur deux déci-
sions antérieures de cette cour: International
Association of Longshoremen, Local 375 c. Asso
ciation of Maritime Employers (1975) 52 D.L.R.
(3e) 293, et Fraternité internationale des ouvriers
en électricité, section locale 529 c. Central Broad
casting Company Ltd. [1977] 2 C.F. 78. Je ne
crois pas essentiel de tout reprendre ici. Il me
suffira de dire qu'à mon avis, si, face à une
demande de dépôt, la Cour est satisfaite d'une part
que les conditions préalables requises pour tel
dépôt, notamment le refus d'obtempérer à la déci-
sion, sont remplies et d'autre part que la décision,
telle que formulée, est susceptible de se voir attri-
buer le même effet qu'un jugement de cette cour,
elle ne saurait refuser la demande.
Or, même si l'affidavit produit au soutien de la
requête est discutable, il n'est pas douteux, eu
égard à l'ensemble du dossier, que les conditions
préalables de dépôt se rencontrent. Et même si le
libellé de la décision ressemble guère au libellé
d'une décision de cette cour, la décision elle-même
reste suffisamment précise et claire pour se voir
attribuer le même effet qu'un jugement de cette
cour, puisqu'elle consiste uniquement à ordonner
de payer une somme précise aisément détermina-
ble par un calcul dont tous les éléments sont
donnés.
La requête pour dépôt et enregistrement sera
donc accordée.
La Cour a cependant, sous l'autorité de l'article
50 de sa Loi constitutive ou sous celle de la Règle
1909 de ses règles et ordonnances générales le
pouvoir d'ordonner une suspension des procédures
auxquelles le dépôt et l'enregistrement de l'ordon-
nance pourraient donner lieu. Et ce pouvoir discré-
tionnaire, je crois opportun de l'exercer dans le
sens recherché par la compagnie intimée.
Il ne me revient pas de me prononcer sur la
valeur des procédures en nullité intentées par l'in-
timée. Il me suffit de constater que les procédures
ont été valablement intentées et sont pendantes et
que l'intérêt de l'intimée à retarder l'exécution de
la décision jusqu'à ce que sa valeur soit définitive-
ment acquise, est réel étant donné les répercussions
que la situation ainsi créée peut avoir; alors que de
l'autre côté, l'intérêt pécuniaire des employés-
requérants, celui qui serait servi sans délai par une
exécution immédiate, est minime, puisqu'il est de
$29.19 et $10.80.
Le dépôt et l'enregistrement seront autorisés
mais les procédures d'exécution auxquelles pour-
raient donner lieu tel dépôt et enregistrement
seront suspendues jusqu'à ce qu'il ait été adjugé
sur l'action en nullité de la décision actuellement
pendante devant la Cour supérieure de la province
de Québec, sous le n° 500-05-01426-772 des dos
siers de ladite cour.
Je crois que, dans les circonstances, il n'y a pas
lieu d'attribuer de dépens à l'une ou à l'autre des
parties.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.