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T-4371-76
Sivaco Wire & Nail Company (Demanderesse) c.
Atlantic Lines & Navigation Company, Inc., et Tropwood A.G. et les propriétaires et affréteurs du navire Tropwood et le navire Tropwood (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 30 mai; Ottawa, le 11 juillet 1977.
Compétence Droit maritime Requête en vertu de la Règle 474 pour une décision préliminaire Cargaison endommagée en mer, et estimation du dommage faite à Mont- réal Action invoquant la responsabilité contractuelle et délictuelle La compétence de la Cour a-t-elle été modifiée par les décisions rendues en matière maritime dans Quebec North Shore et McNamara relativement à des réclamations pour dommages aux cargaisons? Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 2b), 22(1),(2), 42 Règle 474 de la Cour fédérale Loi d'amirauté, 1934, S.C. 1934, c. 31, art. 18(1),(2) Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, art. 657.
La cargaison de la demanderesse a été endommagée pendant son transport de France à Montréal, et la demanderesse invo- que la responsabilité contractuelle et délictuelle des défendeurs. Cette requête, en vertu de la Règle 474, cherche à obtenir une décision préliminaire relative à la mesure dans laquelle, s'il en est, la compétence de la Cour en matière maritime, relative- ment à des réclamations pour avarie ou perte de cargaison, constatées à l'arrivée du navire, a été modifiée par les décisions rendues dans Quebec North Shore et McNamara.
Arrêt: la requête est accueillie. La Cour est compétente pour connaître de la présente action. Même si, d'après les jugements Quebec North Shore et McNamara, la Cour fédérale n'est compétente pour connaître des sujets qu'énumère le paragraphe 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale que si les procédures sont fondées sur un droit fédéral applicable, aucune des deux déci- sions ne fait autorité sur le point de savoir si le droit fédéral applicable aux réclamations pour perte ou avarie d'une cargai- son transportée sur un navire arrivant en eaux canadiennes ne pourrait pas résulter de l'intégration dans le droit maritime canadien du droit appliqué par la Haute Cour de Justice en Angleterre en 1925. Si le droit d'amirauté et la doctrine y relative ont été intégrés dans le droit canadien en vertu des lois canadiennes applicables, ce droit et cette doctrine font partie du droit maritime canadien pour lequel la Cour a compétence.
Arrêts analysés: Quebec North Shore Paper Co. c. Cana- dien Pacifique Ltée [1977] 2 R.C.S. 1054; McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654. Distinction faite avec l'arrêt: La Reine c. Canadian Vickers Ltd. [1978] 2 C.F. 675. Arrêts mentionnés: Bow, McLachlan & Co., Ltd. c. Le «Camosun» [1909] A.C. 597; Goodwin Johnson Ltd. c. Le (scow) [1954] R.C.S. 513; MacMillan Bloedel Ltd. c. Canadian Stevedoring Co. Ltd. [1969] 2 R.C.É. 375.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Marc Nadon pour la demanderesse.
David F. H. Marier pour la défenderesse Atlantic Lines & Navigation Company, Inc. Sean J. Harrington pour les défendeurs Trop - wood A.G. et les propriétaires et affréteurs du navire Tropwood et le navire Tropwood.
PROCUREURS:
Martineau, Walker, Allison, Beaulieu, Mac - Kell & Clermont, Montréal, pour la deman- deresse.
Chauvin, Marier & Baudry, Montréal, pour la défenderesse Atlantic Lines & Navigation Company, Inc.
McMaster, Minnion, Patch, Hyndman, Legge, Camp & Paterson, Montréal, pour les défendeurs Tropwood A.G. et les propriétaires et affréteurs du navire Tropwood et le navire Tropwood.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La présente affaire a été entendue à la requête de la demanderesse qui vise à obtenir une décision préliminaire conformément à la Règle 474 de la Cour fédérale sur la compé- tence de la Cour à connaître du litige. L'action découle de dommages causés à un chargement de rouleaux de câbles et de tringles transporté de France à Montréal sur le navire Tropwood, l'ins- pection ayant révélé des dommages considérables, pour lesquels la demanderesse invoque la responsa- bilité contractuelle et délictuelle des défendeurs. Les défendeurs Tropwood A.G. et les propriétaires du navire Tropwood plaident en défense que la demanderesse avait affrété le navire en time char ter, non coque-nue, à l'Atlantic Lines & Naviga tion Company, Inc., que la cargaison lors de son chargement à bord ne paraissait pas en bon état et que l'expédition était assujettie aux Règles de La Haye, dont ils invoquent la clause de limitation de responsabilité. En sus de plaider les défenses habi- tuelles en matière de responsabilité, ils allèguent que le recours et le redressement demandé par la demanderesse ne se fondent pas sur le droit mari time canadien ni sur quelque autre disposition du droit canadien relative à une question relevant de la catégorie navigation et marine marchande.
La demanderesse a donc introduit la présente requête et dans l'affidavit qui l'accompagne, elle déclare que deux arrêts récents de la Cour suprême du Canada ont jeté un doute sur la compétence de la Cour fédérale du Canada à connaître de la présente action, car ils portent que cette cour ne peut exercer sa compétence que lorsque le droit fédéral (loi, règlement ou common law) peut être invoqué comme base des procédu- res. Les deux arrêts en question sont: Quebec North Shore Paper Company c. Canadien Pacifi- que Limitée' et McNamara Construction (West- ern) Limited c. La Reine 2 .
La demanderesse invoque les articles suivants de la Loi sur la Cour fédérale:
2....
«droit maritime canadien» désigne le droit dont l'application relevait de la Cour de l'Échiquier du Canada, en sa juridic- tion d'amirauté, en vertu de la Loi sur l'Amirauté ou de quelque autre loi, ou qui en aurait relevé si cette Cour avait eu, en sa juridiction d'amirauté, compétence illimitée en matière maritime et d'amirauté, compte tenu des modifica tions apportées à ce droit par la présente loi ou par toute autre loi du Parlement du Canada;
22. (1) La Division de première instance a compétence con- currente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
e) toute demande pour l'avarie ou la perte d'un navire, et notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, l'avarie ou la perte de la cargaison ou de l'équipe- ment d'un navire ou de tout bien à bord d'un navire ou en train d'y être chargé ou d'en être déchargé;
h) toute demande pour la perte ou l'avarie de marchandises transportées à bord d'un navire, et notamment, sans restrein- dre la portée générale de ce qui précède, la perte ou l'avarie des bagages ou effets personnels des passagers;
i) toute demande née d'une convention relative au transport de marchandises à bord d'un navire, à l'utilisation ou au louage d'un navire soit par charte-partie, soit autrement;
' [1977] 2 R.C.S. 1054. 2 [1977] 2 R.C.S. 654.
42. Le droit maritime canadien existant immédiatement avant le pr juin 1971 reste en vigueur sous réserve des modifi cations qui peuvent y être apportées par la présente loi ou toute autre loi.
En outre, la demanderesse soutient qu'elle recher- che un redressement en vertu du droit maritime canadien et invoque l'article 657 de la Loi sur la marine marchande du Canada', rédigé dans les termes suivants:
657. Sous réserve de la Loi sur le transport des marchandi- ses par eau, les transporteurs par eau sont responsables non seulement des marchandises reçues à bord de leurs bâtiments, mais aussi de celles qui leur sont livrées pour être transportées par l'un de ces bâtiments, et ils sont tenus d'exercer le soin et la diligence voulus pour que les marchandises soient gardées en lieu sûr et ponctuellement transportées.
La demanderesse se réfère aussi à l'article 68 du Code de procédure civile du Québec relatif à la compétence des cours du Québec, et conclut qu'el- les ne pourraient connaître de la présente affaire que si les défendeurs avaient des avoirs dans la Province (ce qui ne serait pas le cas selon l'affida- vit), car ils n'y sont pas domiciliés et le contrat de transport n'y a pas été passé. Il s'ensuit donc que si la Cour fédérale était incompétente à connaître de l'action, la demanderesse devrait s'adresser à une juridiction étrangère. Toutefois, il s'agit ici d'un argument d'utilité, qui n'a pas d'incidence sur le plan de la juridiction de cette cour. Il convient pourtant de souligner que, dans la pratique, de sérieuses difficultés surgiraient si la demanderesse devait introduire devant les cours de l'une des provinces du Canada, une action pour perte ou avarie d'une cargaison en provenance de l'étran- ger, et ce, en raison de leur juridiction concurrente, car elles sont indiscutablement incompétentes pour les procédures in rem. Or, vu que les navires qui transportent les marchandises sont fréquemment immatriculés à l'étranger, appartiennent à des étrangers ou sont affrétés à l'étranger et ne font que transiter au Canada, les propriétaires des car- gaisons subissent un grave préjudice lorsqu'il ne leur est pas possible d'entamer des procédures in rem pour recouvrer une créance ou exécuter un jugement. En outre, comme le déclare le juge Cartwright dans National Gypsum Company Inc. c. Northern Sales Limited 4 à la page 153:
3 S.R.C. 1970, c. S-9.
4 [1964] R.C.S. 144.
[TRADUCTION] Le droit positif appliqué par la Cour de l'Échiquier en sa compétence d'amirauté est naturellement le même sur tout le territoire du Canada et ne varie pas suivant les districts d'amirauté ...
Il serait donc malencontreux d'assujettir les récla- mations relatives aux marchandises aux diverses lois provinciales régissant les contrats et les actes délictueux. Néanmoins, si cette cour est en fait incompétente ratione materiae, on ne peut pas invoquer ces considérations en faveur de sa compétence.
Le juge en chef adjoint Thurlow, dans La Reine c. Canadian Vickers Limited 5 , a examiné récem- ment en détail la compétence de cette cour. Dans cette affaire, la réclamation portait sur de préten- dues violations d'un contrat relatif à la construc tion et à la livraison d'un navire. L'avocat de la demanderesse a soutenu qu'il existait un droit maritime canadien applicable en l'espèce, au sens retenu dans les affaires Quebec North Shore Paper et McNamara, qu'avant 1971 la Cour de l'Échi- quier était compétente en matière d'amirauté, et que l'article 3 de la Loi sur la Cour fédérale a maintenu ladite cour sous le nom de Cour fédérale du Canada, lui attribuant la compétence d'ami- rauté définie à l'article 22, qui s'étend notamment (alinéa (2)n)) à:
22. (2) ...
n) toute demande née d'un contrat relatif à la construction, à la réparation ou à l'équipement d'un navire;
et enfin que la Loi définit le droit maritime cana- dien comme le droit que la Cour de l'Échiquier aurait été chargée de mettre en application si elle avait eu une compétence d'amirauté illimitée, compte tenu des modifications apportées à ce droit par ladite loi ou par toute autre loi (article 2 précité).
Le juge en chef adjoint Thurlow, faisant l'histo- rique de la Cour fédérale, fait remarquer que la Cour de l'Échiquier du Canada a été créée par l'article 1 de l'Acte de la Cour Suprême et de l'Échiquier 6 et qu'au cours des diverses révisions, notamment celle de la Loi de 1971 7 , qui régit actuellement la Cour fédérale, la Cour instituée par la Loi de 1875 a toujours été maintenue et
Supra, page 675.
6 Statuts du Canada, 1875, c. 11.
7 S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10.
reste la même, ayant été instituée à l'origine en vertu de l'article 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867. Lors de l'entrée en vigueur de l'Acte de l'Amirauté, 1891 8 , elle est devenue également une cour d'amirauté, les pou- voirs du Parlement à cet égard découlant en partie de l'Acte des Cours coloniales d'Amirauté, 1890 9 . Aux termes des articles 3 de ces deux lois, de 1891 à 1934 la Cour de l'Échiquier avait une compé- tence d'amirauté comparable et limitée à celle que possédait en 1890 la Haute Cour de Justice en Angleterre (voir Le Yuri Maru [1927] A.C. 906).
A l'entrée en vigueur de l'Acte de l'Amirauté, 1891, la Cour maritime de l'Ontario et les cours de vice-amirauté siégeant dans d'autres parties du Canada, instituées par des commissions sous le grand sceau du Royaume-Uni et fonctionnant sous le régime des lois du Parlement britannique, ont été abolies. L'article 4 de la Loi est ainsi rédigé:
4. Cette juridiction, ces pouvoirs et cette autorité pourront être et seront exercés par la cour de l'Échiquier dans tout le Canada et sur toutes ses eaux, soit de marée ou non, et soit naturellement navigables ou rendues artificiellement naviga- bles; et toutes personnes auront, tant dans les parties du Canada qui jusqu'ici ont été au-delà de l'atteinte des mandats de toute cour de Vice-Amirauté, qu'ailleurs dans ses limites, tous les droits et recours en toutes choses (y compris les cas de contrat et de tort et de procédures in rem et in personam provenant de la navigation, de la marine, du trafic ou du commerce, ou s'y rattachant, qui peuvent être exercés dans toute cour coloniale d'Amirauté en vertu de l'Acte des Cours coloniales d'Amirauté, 1890.
Comme le juge Thurlow le déclare, le passage souligné parait être un texte de droit positif.
Avec l'adoption du Statut de Westminster, 1931 10 , les pouvoirs impartis au Parlement pour légiférer en matière de marine marchande devien- nent illimités et l'article 6 met fin aux restrictions que l'Acte des Cours coloniales d'Amirauté, 1890 lui avait imposées.
En 1934, l'Acte de l'Amirauté, 1891 a été rem- placé par une nouvelle loi, S.C. 1934, c. 31, qui est restée en vigueur jusqu'en 1971. Celle-ci mainte-
8 Statuts du Canada, 1891, c. 29.
9 1890, 53-54 Vict., c. 27 (Imp.).
10 1931, 22 Geo: V, c. 4 (Imp.). [Voir S.R.C. 1970, Appen-
dice II, 26.]
naît la Cour de l'Échiquier comme Cour d'Ami- rauté pour le Canada, lui donnant une compétence de même étendue que celle qu'avait en 1925 la Haute Cour de Justice, sauf pour certaines ques tions, en particulier celles mentionnées au paragra- phe 18(3), sa compétence était plus large. L'article 18(1) de la Loi d'amirauté, 1934" est rédigé dans les termes suivants:
18. (1) La juridiction de la Cour en sa juridiction d'ami- rauté s'étendra et s'exercera relativement à toutes les eaux navigables, de marée et non de marée, qu'elles soient naturelle- ment navigables ou qu'elles le soient artificiellement devenues, et bien que ces eaux soient dans les limites d'un corps de comté ou autre district judiciaire, et, en général, cette juridiction s'exercera, subordonnément aux dispositions de la présente loi, sur les mêmes endroits, personnes, matières et choses que la juridiction d'amirauté actuellement possédée par la Haute Cour de Justice en Angleterre, qu'elle existe en vertu de quelque loi ou autrement, et elle sera exercée par la Cour de la même manière et dans la même mesure que par cette Haute Cour. [C'est moi qui souligne.]
L'article 18(2) dispose que, sous réserve du paragraphe (3), l'article 22 du Supreme Court of Judicature (Consolidation) Act, 1925 (Imp.), 1925, 15-16 Geo. 5, c. 49, doit être appliqué à cette cour mutatis mutandis. L'article 18(3)a) est ainsi libellé:
18... .
(3) Par dérogation à toute disposition de la présente loi ou de l'Acte mentionné au paragraphe précédent, la Cour aura juridiction pour entendre et décider
a) Les réclamations
(i) découlant d'une convention relative à l'exploitation ou à l'affrètement d'un navire; ou
(ii) relatives au transport de marchandises dans un navire; ou
(iii) en dommage relativement à des marchandises trans- portées dans un navire;
mais à l'égard de ces réclamations, aucune action in rem ne tombera sous la juridiction de la Cour, à moins que, au moment de l'institution de l'action, il ne soit démontré à la Cour qu'aucun propriétaire ou copropriétaire du navire n'était domicilié au Canada;
Cette dernière réserve ne s'applique pas en l'es- pèce; en effet, la déclaration indique que les pro- priétaires du navire ne sont pas domiciliés au Canada. Dans Gaetano and Maria 12 , le lord juge Brett déclare à la page 143:
" 24-25 George V, c. 31. ' 2 7 P.D. 137.
[TRADUCTION] Le droit appliqué par la Cour d'amirauté d'Angleterre est le droit maritime anglais. Ce n'est pas le droit municipal ordinaire du pays, c'est le droit que la Cour d'ami- rauté anglaise, en vertu d'une loi du Parlement ou de décisions réitérées, traditions et principes, a adopté en tant que droit maritime anglais.
Dans National Gypsum Company Inc. c. Northern Sales Limited, (précitée) le juge Cartwright, se reportant à cette citation, déclare la page 153]:
[TRADUCTION] Bien que la Cour de l'Échiquier exerce au Canada sa compétence d'amirauté, elle applique le droit mari time de l'Angleterre comme si le litige était jugé par la Cour d'amirauté anglaise.
Le juge Kerwin a commenté l'effet de la Loi de 1934 dans le Renvoi relatif à la compétence légis- lative du Parlement du Canada relativement à l'adoption du Bill 9 ... intitulé «Loi modifiant la Loi sur la Cour suprême» 13 (aux pages 108 et
109):
[TRADUCTION] On a soutenu avec ingéniosité que le Parle- ment, avec la Loi d'amirauté, 1934, ayant abrogé l'Acte des Cours coloniales d'Amirauté, 1890 (sauf l'exception que nous avons notée), il a perdu sa compétence d'amirauté qui, allègue- t-on, dérivait exclusivement de la loi abrogée. Mais cette thèse néglige le fait que la rubrique 10 de l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique donne au Parlement compé- tence pour «La navigation et les expéditions par eau» et qu'il peut conférer à la Cour de l'Échiquier compétence pour les actions en justice y afférentes (Consolidated Distillers Limited c. Le Roi ([1933] A.C. 508, la page 522)).
Commentant l'effet de l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale, qui confère compétence à la Division de première instance dans tous les cas la réclamation est faite en vertu du droit maritime canadien ou de quelque autre loi du Canada en matière de navigation et de marine marchande, le juge en chef adjoint Thurlow déclare à la page 687 de son jugement:
... il me semble qu'il faut lire les alinéas du paragraphe (2), qui décrivent les catégories de demandes qui sont de la compé- tence de la Cour, sous la réserve que les demandes ne peuvent être reçues par la Cour que lorsqu'elles sont fondées sur le droit maritime canadien ou sur une autre loi fédérale, que cela soit mentionné dans le paragraphe 22(1) ou ailleurs.
Après avoir cité la définition du droit maritime canadien que donne l'article 2 précité et s'être référé à l'article 42 précité, il déclare aux pages 687 et 688:
A mon sens, ces dispositions législatives ont pour effet de maintenir en vigueur le «code» d'amirauté que l'Acte de l'Ami-
13 [1940] R.C.S. 49.
sauté, 1891 avait introduit dans la législation canadienne et qui a été appliqué ensuite par la Cour de l'Échiquier du Canada en vertu de cette loi et de la Loi d'amirauté, 1934. Elles visent aussi peut-être à introduire le droit maritime fondé sur les sources de droit mentionnées dans le passage de l'ouvrage de Mayers intitulé Admiralty Law and Practice 14 que j'ai cité, qui était appliqué par la Cour d'Amirauté sous le règne d'Edward III et avant les lois promulguées par Richard II et Henry IV, qui ont été ensuite interprétées et exécutées par les cours de common law, appliquant les principes de common law de manière à restreindre sévèrement la compétence de la Cour d'Amirauté.
Toutefois, le savant juge en chef adjoint conclut à propos de l'action dont il est saisi que la Cour fédérale est incompétente, car le droit introduit par l'Acte de l'Amirauté, 1891 (Can.) ne comprenait pas de droit positif donnant au propriétaire d'un navire un recours en amirauté contre un charpen- tier pour des dommages causés par la rupture d'un contrat afférent à la construction, à l'équipement ou à la réparation du navire. Il n'a trouvé aucune jurisprudence lui indiquant que le droit maritime appliqué par la Cour d'Amirauté ait jamais inclus une loi traitant du droit d'invoquer un tel contrat, qu'il ne considère pas comme un contrat maritime, même s'il vise la construction d'un navire devant être livré à flot. Il examine ensuite si l'article 22(2)n) de la Loi sur la Cour fédérale a apporté un changement de fond à ce droit et conclut
14 Ce passage de l'ouvrage Admiralty Law and Practice, de Mayers, 1916, pages 41 et 42, mentionné dans le jugement se lit ainsi:
[TRADUCTION] Après avoir traité de la compétence, il reste à considérer le caractère du droit appliqué par la Cour de l'Échiquier en sa compétence d'amirauté. En vertu de l'Acte des Cours coloniales d'Amirauté, 1890 (53 & 54 Vict., c. 27) art. 2, par. 2, la Cour de l'Échiquier peut exercer sa compétence «de la même manière ... que la Haute Cour en Angleterre»; et «le droit appliqué par la Cour d'Amirauté de l'Angleterre est le droit maritime anglais. Ce n'est pas le droit municipal ordinaire du pays, c'est le droit que la Cour d'Amirauté britannique, en vertu d'une loi du Parlement ou de décisions réitérées, traditions et principes, a adopté en tant que droit maritime anglais» (le lord juge Brett dans The Gaetano and Maria, 7 P.D. à la page 143). Une grande partie de cette tradition et bon nombre de ces principes peuvent être retracés jusqu'au Digeste et aux diverses ordon- nances des États maritimes, tels que le Consolato del Mar, et les lois des Rhodiens, d'Oleron, de Wisbey et des villes de la Hanse; mais tous ces codes ne font eux-mêmes pas partie du droit d'amirauté à moins qu'ils (ou plutôt les principes qu'ils englobent) n'aient été incorporés dans la «pratique continue et les jugements des grands juges qui ont présidé la Cour d'Amirauté et les jugements des Cours de Westminster.» (Lord Esher, dans The Gas Float Whitton, 2 (1896) P. à 47).)
qu'aucune responsabilité n'est imposée spécifique- ment ou par déduction à un charpentier de navire, qu'aucun droit n'est conféré spécifiquement ou par déduction au propriétaire du navire et qu'en fait de responsabilités et de droits, l'un et l'autre n'ont en vertu du contrat que ceux prévus par les lois provinciales applicables.
Toutefois, il se peut bien qu'en l'espèce et dans d'autres réclamations pour perte ou avarie d'une cargaison, la situation soit différente, et même si les alinéas e), h) et i) de l'article 22(2) précité ne suffisent pas pour créer un nouveau droit positif, la compétence de la Cour peut néanmoins se fonder sur la compétence d'amirauté possédée par une Haute Cour de Justice en Angleterre. Le droit maritime canadien ne se limite pas au droit mari time figurant dans les Statuts du Canada, car si ceux-ci ont incorporé le droit maritime de l'Angle- terre par renvoi à celui-ci (qui comprend non seulement le droit statutaire, mais aussi la doctrine britannique), ce droit et cette doctrine font main- tenant partie du droit maritime canadien.
Bien qu'américaine, la décision De Lovio c. Boit 15 , rendue en 1815 par un tribunal de district des États-Unis, contient un historique très complet du droit maritime britannique. A la page 467, dans le résumé des conclusions, le juge déclare:
[TRADUCTION] 4. Que l'interprétation des mêmes statuts par l'amirauté ne restreint pas son ancienne compétence, mais laisse de son ressort tous les contrats maritimes et tous les actes délictueux, les dommages et les infractions qui surviennent en haute mer et dans les ports entre le flux et le reflux de la marée.
Commentant les lois des États-Unis, qui ont donné au tribunal de district «compétence pour toutes les causes civiles d'amirauté et maritimes», le juge- ment déclare à la page 468:
[TRADUCTION] Si nous examinons l'étymologie et l'usage reçu des mots «amirauté» et «compétence maritime», nous nous apercevons qu'ils englobent la compétence pour tous les actes commis en mer ou se rapportant à la mer ou, en d'autres termes, toutes les transactions et procédures relatives au com merce et à la navigation, et aux dommages ou blessures surve- nus en mer. Dans toutes les grandes nations maritimes de l'Europe, les termes «compétence d'amirauté» sont uniformé- ment appliqués aux tribunaux qui exercent une compétence sur les contrats et affaires maritimes.
Le Conseil privé a examiné la compétence d'amirauté de la Haute Cour de Justice d'Angle-
15 (1817) 2 Gall. 398.
terre, dans une affaire que l'on appelle communé- ment Le «Camosun» 16 . Dans son jugement lord Gorell déclare, à la page 608:
[TRADUCTION] Le juge Idington donne à entendre que la compétence d'amirauté de la Haute Cour en Angleterre a été modifiée par les lois de 1873 et 1875 réorganisant le système judiciaire britannique et il se réfère à l'art. 24 de la première d'entre elles. Ces lois ont fusionné les tribunaux anglais et transféré à la Haute Cour toute la compétence qu'ils exerçaient auparavant, de sorte que tout juge de la Haute Cour peut exercer tous les genres de compétence qu'elle possède; mais ces modifications n'ont pas conféré à la Haute Cour de nouvelle compétence d'amirauté et l'expression «compétence d'amirauté de la Haute Cour» n'inclut aucune compétence que la Cour d'Amirauté n'exerçait pas avant son intégration à la Haute Cour, à moins qu'une loi établissant une nouvelle compétence d'amirauté ne la lui confère. Il est vrai qu'un juge de la Haute Cour siégeant à la Division d'Amirauté peut, en sa qualité de juge de la Haute Cour, exercer toute compétence dont sont maintenant investis les juges de celle-ci, mais il l'exerce en vertu de la compétence générale qui lui a été conférée et non pas en vertu d'une modification de sa compétence d'amirauté. De l'avis de Leurs Seigneuries, lesdites lois de réorganisation du système judiciaire n'affectent pas la présente affaire.....
Dans l'arrêt rendu par la Cour suprême dans
Goodwin Johnson Limited c. Le (scow) ", le juge Rand déclare à la page 521:
[TRADUCTION] Avant de traiter cette question, j'estime sou- haitable de revoir brièvement les grands principes et règles du droit maritime, d'où il faut tirer la règle qui s'applique en l'espèce. Ce droit, qui met en vigueur les coutumes de la mer généralement adoptées par les États maritimes de l'Europe, conçoit le voyage d'un navire comme une entreprise hasardeuse tous les intérêts, les droits, les garanties et autres charges, la cargaison, les salaires et le matériel, sous la surveillance du capitaine (qui est, dans bien des cas, l'un des copropriétaires), sont exposés aux risques du voyage. Parmi ces risques, figure celui de l'abordage. Dès les temps les plus reculés, les domma- ges causés par une navigation négligente aboutissant à un abordage ont donné lieu contre le navire fautif à un privilège qui avait priorité sur tous les autres intérêts. La créance privilégiée était recouvrable par une action in rem. Par ce moyen, la Cour d'Amirauté exerçait une compétence touchant la propriété au sens absolu du terme, et par ses décisions liait toutes les personnes et tous les intérêts, étrangers et nationaux. [C'est moi qui souligne.]
Il convient aussi de se référer au jugement rendu par le juge Jackett dans MacMillan Bloedel Lim ited c. Canadian Stevedoring Co. Ltd.'s, il examine l'interprétation à donner à l'article 22(1)b)(i) du Supreme Court of Judicature (Con-
16 [1909] A.C. 597.
17 [ 1954] R.C.S. 513.
18 [ 1969] 2 R.C.É. 375.
solidation) Act, 1925 19 qui incluait dans la compé- tence d'amirauté de la section de la Haute Cour toute compétence conférée auparavant à la Haute Cour d'Amirauté, et il déclare aux pages 383 et
384:
[TRADUCTION] Je conclus donc que l'article 22(1)b) s'étend à toutes les questions de la compétence de la Haute Cour d'Amirauté avant la promulgation des statuts de Richard II et Henry IV susmentionnés; et que, comme cette compétence s'étendait aux actes délictueux commis dans un port de mer (question que je ne puis étudier aussi soigneusement que j'aime- rais le faire, vu le temps dont je dispose), la compétence de cette cour s'étend auxdits actes.
Dans le même jugement, il déclare auparavant à la page 381:
[TRADUCTION] Les origines de la Haute Cour d'Amirauté remontent probablement à Richard Ie`. Elle avait, entre autres, compétence sur les actes délictueux commis en haute mer et, comme les limites de la haute mer ne sont pas très claires, il semble que la compétence s'étendait aux actes délictueux commis dans les ports entre le flux et le reflux de la marée. Voir De Lovio c. Boit, 2 Gall. 398, (le juge Story) et Le «Zeta» [1893] A.C. 468 (lord Herschell) aux pages 480 et suiv.
Dans l'affaire La Compagnie Robert Simpson Montréal Limitée c. Hamburg-Amerika Linie Norddeutscher 20 , la Cour d'appel a jugé la Cour compétente pour connaître des contrats de trans port, y compris le déchargement des marchandises à l'arrivée du navire et leur livraison au destina- taire. Aux pages 1368 et 1369, le juge Thurlow déclare:
Si l'on se penche sur la définition de l'article 2b), sans rien présumer de l'intention du législateur, il me semble tout à fait évident que le droit maritime canadien dont la mise en applica tion relève de la Division de première instance en vertu de l'article 22(1), entend tout le droit que la Cour de l'Échiquier aurait eu le pouvoir de mettre en application si elle avait eu, en sa juridiction d'amirauté, «compétence illimitée en matière de droit maritime et d'amirauté». D'après moi, l'expression «compte tenu des modifications apportées à ce droit par la présente loi ou par toute autre loi du Parlement du Canada» ne restreint pas la portée générale de ce qui la précède.
De plus, il me semble que, si la Cour de l'Échiquier avait eu, en sa juridiction d'amirauté, compétence illimitée en matière de droit maritime, elle aurait manifestement eu compétence pour mettre en application le droit régissant les rapports entre les transporteurs maritimes et les entreprises de manutention, notamment l'exécution par l'entreprise de manutention pour le compte des transporteurs maritimes des obligations de ces derniers de décharger la cargaison, d'en prendre soin et de la livrer aux personnes ayant qualité pour la recevoir.
19 Imperial Statutes, 1925, c. 49.
20 [1973] C.F. 1356.
Il se réfère à l'arrêt rendu par la Cour suprême dans In re la validité de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les diffé- rends du travail, S.R.C. 1952, c. 152, et sur son applicabilité à certains employés de l'Eastern Canada Stevedoring Company Limited 21 , le juge Locke déclare à la page 578:
[TRADUCTION] ... il semble que le chargement et le décharge- ment de la cargaison soient des activités essentielles au trans port des marchandises par mer et qu'une loi ayant pour objet de réglementer les relations entre employeurs et employés soit, de par sa portée véritable, en ce qui concerne les marins par exemple, une loi qui se rapporte à la marine marchande.
La question suivante se pose: la compétence de la Cour en matière maritime, et plus spécialement, aux fins de la présente requête, d'avarie ou de perte de marchandises constatées à l'arrivée du navire qui les transportait au Canada, a-t-elle été touchée, et dans quelle mesure, par les jugements rendus dans Quebec North Shore Paper Company et McNamara Construction précités? L'affaire Quebec North Shore Paper portait sur la préten- due rupture d'une obligation contractuelle affé- rente à la construction d'une gare maritime d'auto- rail à Baie -Comeau, qui faisait partie d'un plan global pour le transport du papier journal en divers points des États-Unis. On a prétendu que le con- trat se rapportait à des entreprises ou à des ouvra- ges interprovinciaux au sens de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, dont voici le libellé:
23. La Division de première instance a compétence concur- rente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière de lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures, d'aéronautique ou d'ouvrages et entre- prises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province, sauf dans la mesure cette compé- tence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
Prononçant le jugement de la Cour, le juge en chef Laskin déclare la page 1058]:
En l'espèce, le redressement réclamé ne l'est pas en vertu d'une loi du Parlement du Canada. La question de la compé- tence de la Cour fédérale tourne donc autour des termes «ou autrement» employés à l'art. 23 et cela, indépendamment de la question subsidiaire de savoir si la demande se rattache à une matière relevant de la catégorie de sujets énumérés dans la dernière partie de l'art. 23. Selon l'argument des intimées, retenu en première instance et en appel par la Cour fédérale, la compétence judiciaire en vertu de l'art. 101 recouvre le même
21 [1955] R.C.S. 529.
domaine que la compétence législative en vertu de l'art. 91. Par conséquent, l'art. 23 doit être interprété de façon à donner compétence à la Cour fédérale dans les domaines énumérés à la fin de l'article et ce, même en l'absence de législation sur ces sujets, si le Parlement a le pouvoir de légiférer à leur égard. On affirme en outre, à l'appui de ce point, qu'il existe une législa- tion applicable régissant les demandes de redressement, jusqu'à ce que le Parlement légifère, et que c'est la législation provin- ciale qui doit, pro tanto, être considérée comme de la législation fédérale. Cette prétention suppose l'incorporation de l'ensemble de la législation provinciale ou son adoption par renvoi afin d'alimenter la compétence de la Cour fédérale en vertu de l'art. 23.
La Cour a rejeté cette prétention.
En conclusion, le savant juge en chef déclare [aux pages 1065 et 1066]:
Il convient également de souligner que l'art. 101 ne traite pas de la création des tribunaux pour connaître des sujets relevant de la compétence législative fédérale, mais «pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada». Le terme «exécution» est aussi significatif que le mot pluriel «lois». A mon avis, ils supposent tous deux l'existence d'une législation fédérale appli cable, que ce soit une loi, un règlement ou la common law, comme dans le cas de la Couronne, sur lesquels la Cour fédérale peut fonder sa compétence. L'article 23 exige que la demande de redressement soit faite en vertu de pareille loi. Cette exigence n'[est] pas remplie en l'espèce.... [C'est moi qui souligne.]
Il est important de noter que, dans cette affaire, la Cour n'a pas examiné si la Cour fédérale avait en matière d'amirauté une compétence de même étendue que celle que la Haute Cour de Justice possédait en 1925. Je conclus qu'une réclamation de la nature de celle qui nous occupe aurait relevé de la compétence d'amirauté de ladite cour. Il faut aussi noter que, dans le second passage que je viens de citer, le juge en chef Laskin évoque la nécessité de l'existence d'une législation fédérale applicable «que ce soit une loi, un règlement ou la common law, comme dans le cas de la Couronne, sur les- quels la Cour fédérale peut fonder sa compétence». Il est donc inutile de chercher une loi canadienne créant un droit positif pour régler les questions visées par la présente requête, car si le droit d'ami- rauté appliqué par la Haute Cour de Justice en Angleterre et la doctrine y relative ont été intégrés dans le droit canadien en vertu des lois canadien- nes applicables, ce droit et cette doctrine font partie du droit maritime canadien pour lequel la Cour a compétence.
Dans McNamara Construction, la seconde affaire jugée par la Cour suprême qui jette un certain doute sur la compétence de la Cour fédé- rale, il s'agit d'un différend relatif à la construc tion d'un pénitencier en Alberta. On a jugé que, même si le Parlement du Canada a des pouvoirs législatifs exclusifs concernant «la dette et la pro- priété publiques» et «l'établissement, le maintien et l'administration des pénitenciers», et si l'objet du contrat de construction pouvait relever de l'un ou l'autre de ces domaines législatifs, la Cour fédérale n'avait néanmoins pas compétence, car il n'y avait pas de droit positif fédéral applicable. La Cou- ronne avait engagé des procédures en se fondant sur l'article 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale, qui donne à la Cour, en première instance, une compétence concurrente dans les procédures d'or- dre civil la Couronne du Canada demande un redressement. La Cour a renversé la jurisprudence établie par la décision Farwell c. La Reine 22 . Dans le jugement de la Cour, le juge en chef Laskin déclare la page 660]:
La règle de common law selon laquelle la Couronne peut poursuivre devant tout tribunal ayant compétence dans le domaine pertinent, élaborée dans le régime unitaire anglais, ne peut s'appliquer intégralement au Canada, un état fédéral, les pouvoirs législatifs et exécutifs sont répartis entre les législa- tures et gouvernements centraux et provinciaux et où, en outre, le pouvoir du Parlement d'établir des tribunaux est limité par la Constitution.
D'après ces jugements, la Cour fédérale n'est donc compétente pour connaître des sujets qu'énu- mère l'article 22(2) de la Loi sur la Cour fédérale en matière de navigation et de marine marchande que si les procédures sont fondées sur un droit fédéral applicable; néanmoins, j'estime qu'aucune des deux décisions ne fait autorité sur le point de savoir si le droit fédéral applicable aux réclama- tions pour perte ou avarie d'une cargaison trans- portée sur un navire arrivant en eaux canadiennes ne pourrait pas résulter de l'intégration dans le droit maritime canadien du droit maritime appli- qué par la Haute Cour de Justice en Angleterre, lequel inclut la compétence en cette matière.
Il est intéressant de noter que dans son ouvrage intitulé Canadian Constitutional Law (quatrième édition), le savant juge en chef Laskin déclare à la page 796 que la reconnaissance du droit positif par la Cour fédérale dépend non pas [TRADUCTION]
22 (1893) 22 R.C.S. 553.
«de la compétence statutaire de celle-ci, mais du droit positif que le Parlement, en vertu de l'art. 101 de l'A.A.N.B., y a déclaré applicable, ou, à défaut de déclaration statutaire, des éléments de la common law (et aussi du droit d'amirauté) qui sont appropriés à la compétence conférée.» [C'est moi qui souligne.] Cette déclaration annonce celle qu'il a faite ultérieurement dans Quebec North Shore Paper (précitée), qui est du même ordre, mais qui précise en outre que le droit d'amirauté s'applique.
Nous pouvons noter aussi deux arrêts de la Cour suprême appliquant les principes du droit d'ami- rauté, par opposition à la common law, pour accor- der des intérêts sur les dommages-intérêts adjugés à la suite de réclamations afférentes aux cargai- sons. Dans le premier (Canadian General Electric Company Limited c. Pickford & Black Limited) 23 le juge Ritchie déclare à la page 56:
La règle, en Cour d'amirauté, est la même que celle qui s'applique aux affaires d'amirauté en Angleterre ... .
et à la page 57:
Il est donc bien établi qu'il y a une nette distinction entre la règle appliquée dans les cours de common law et celle qui l'est en amirauté quant à ce qui est d'accorder une demande d'inté- rêts comme partie intégrante des dommages adjugés.
La seconde affaire est Drew Brown Limited c. L'«Orient Trader» 24 , le juge Laskin déclarait à la page 1335:
Suivant le principe considéré par cette Cour dans Canadian General Electric Co. Ltd. c. Pickford and Black Ltd. ([1972] R.C.S. 52), l'intimé doit toucher l'intérêt à compter de la date du règlement d'avarie commune jusqu'à la date du jugement.
Ces affaires sont des exemples de l'application des règles de droit positif du droit d'amirauté britanni- que en Cour de l'Échiquier et en Cour fédérale.
Je conclus donc que cette cour est compétente pour connaître de la présente action, il s'agit d'une demande en dommages-intérêts d'ordre con- tractuel ou délictuel pour dommages subis par une cargaison transportée de France à Montréal sur le navire défendeur Tropwood. Vu que la question de compétence n'a jamais été soulevée spécifiquement dans ce contexte auparavant et revête une grande importance, le jugement rendu sur la requête n'ac- cordera pas de dépens.
23 [1972] R.C.S. 52.
24 [1974] R.C.S. 1286.
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