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A-120-77
Gilles Richard (Requérant) c.
La Commission des relations de travail dans la Fonction publique (Intimée)
Cour d'appel, les juges Heald, Unie et Ryan— Ottawa, les 1e' et 13 décembre 1977.
Examen judiciaire Fonction publique Requérant licencié pendant la période de stage L'employeur a consi- déré le licenciement comme un renvoi pendant le stage, confor- mément à l'art. 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, plutôt qu'une révocation pour des motifs disciplinai- res L'intimée s'est opposée à la compétence de l'arbitre (dérivée de l'art. 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique) Appel contre la décision de l'arbitre confirmant cette opposition Loi sur l'emploi dans la Fonc- tion publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art. 28(3) Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 91 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28.
Pendant la prolongation d'un an de sa période de stage, le requérant a été renvoyé pour cause. A l'arbitrage, l'intimée s'est opposée à l'exercice de sa compétence par l'arbitre en vertu de l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, pour le motif que l'employeur avait qualifié la cessation d'emploi de renvoi durant le stage, en application de l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, plutôt que de révocation pour des raisons disciplinaires. Le requérant demande la révision et l'annulation de la décision de l'arbitre confirmant cette opposition.
Arrêt: la demande est accueillie. Un arbitre ne remplit pas ses obligations lorsqu'il ne s'enquiert pas tout d'abord de la nature véritable de l'action d'un employeur qui renvoie un employé stagiaire, et l'arbitre n'est pas tenu par la qualification attribuée par l'employeur à sa propre action. Comme il incombe à l'arbitre d'examiner les faits de manière objective, il lui est nécessaire d'avoir suffisamment de preuves pour lui permettre de déterminer si le prétendu renvoi durant le stage a été en fait une mesure disciplinaire au sens de l'article 91(1)b), ce qui lui donnerait compétence conformément audit paragra- phe. Les documents, considérés séparément ou ensemble, ne peuvent être tenus pour décisifs ou suffisants pour permettre à l'arbitre de se prononcer sur la question de compétence. Son interprétation erronée de la jurisprudence applicable l'a empê- ché d'entendre les preuves nécessaires pour trancher cette question. Sa décision de rejeter le grief pour incompétence constitue cependant une décision au sens de l'article 28 et ne prive pas cette cour de compétence pour connaître de la matière.
Arrêts appliqués: Le procureur général du Canada c. La Commission des relations de travail dans la Fonction publique [Jacmain] [1977] 1 C.F. 91; Fardella c. La Reine [1974] 2 C.F. 465.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
M. W. Wright, c.r., pour le requérant. Personne n'a comparu pour l'intimée. P. B. Annis pour le procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady & Morin, Ottawa, pour le requérant. La Commission des relations de travail dans la Fonction publique, Ottawa, pour l'intimée. Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Le requérant est entré dans la Fonction publique du Canada le 2 juin 1975. A cette date, il a été nommé professeur de français langue seconde, de catégorie LAT -01, à la Direc tion générale du, perfectionnement de la Commis sion de la Fonction publique. Sa période de stage était originairement fixée à un an. Par lettre en date du 30 avril 1976 (pièce E-2, à la page 9 du recueil), le directeur général de ladite Direction l'informa que, conformément à l'article 30(2) du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publi- que, DORS/67-129, il avait décidé de prolonger d'un an la période d'essai, à compter du 2 juin 1976. Dans la même lettre, le directeur général a exprimé l'espoir que la prolongation permettrait au requérant de s'améliorer au point de vue de sa capacité d'établir et de maintenir des relations personnelles convenables avec ses collègues, les professeurs seniors et avec son chef d'unité'.
Par lettre en date du 20 septembre 1976 (pièce E-1, à la page 8 du recueil), le même directeur général a informé le requérant que, conformément à l'article 28(3) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, il avait décidé de le renvoyer durant le stage, l'emploi du requérant se terminant ainsi le 22 octobre 1976.
L'avocat du procureur général a paraphrasé la lettre en ces termes: «... l'espoir que la prolongation permettrait au requé- rant d'améliorer son attitude envers ses collègues, les profes- seurs seniors et son chef d'unité».
Je dirai respectueusement que j'ai traduit différemment le passage en question.
Dans ladite lettre, le directeur général a en outre déclaré que la conduite du requérant avait été en contradiction avec son poste de professeur et sa qualité d'employé de la Commission de la Fonction publique, et que son manque de bonne volonté et de coopération persistait malgré des recommanda- tions et avertissements.
Le requérant a déposé un grief qui a été rejeté par l'employeur et a présenté son grief à l'arbi- trage, conformément à l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35. L'employeur a opposé l'in- compétence de l'arbitre pour entendre le grief en vertu dudit article 91. L'arbitre a confirmé l'oppo- sition de l'employeur et a ainsi conclu ses motifs à cet égard:
Dans le cas présent, l'employeur a qualifié de renvoi en cours de stage la cessation d'emploi de M. Richard en recourant à la procédure de renvoi en cours de stage pour un motif déterminé prévue à l'article 28(3) de la Loi sur l'Emploi dans la Fonction Publique plutôt que de recourir à la procédure de congédiement disciplinaire et l'arbitre n'a pas en conséquence compétence pour décider de la validité de cette cessation d'emploi en vertu de l'article 91 de la Loi sur les Relations de Travail dans la Fonction Publique, même si le renvoi de M. Richard a été motivé par une faute disciplinaire de sa part.
Seules les preuves documentaires précitées, à savoir les pièces E-1 et E-2, avaient été présentées à l'arbitre. Aucune disposition verbale n'avait été faite.
D'après le passage précité et d'autres déclara- tions faites dans les motifs rendus par l'arbitrez, il est manifeste, de l'avis de ce dernier, que, l'em- ployeur ayant qualifié son action de «renvoi durant le stage», sa décision est définitive et obligatoire et prive l'arbitre de toute compétence, même pour examiner si l'action de l'employeur est une «mesure disciplinaire» au sens de l'article 91(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Il est évident que l'arbitre a fondé son avis sur sa connaissance de la décision rendue par cette cour dans Le procureur général du Canada c. La Commission des relations de travail dans la Fonction publique 3 .
2 Voir pour exemple tout le paragraphe de ces motifs, aux pages 7 et 8.
3 [1977] 1 C.F. 91, ci-après appelé arrêt Jacmain.
Avec respect, je pense qu'en l'espèce l'arbitre a mal conçu ou mal interprété la décision de la Cour dans Jacmain (supra). Dans cet arrêt, la Cour, se fondant sur sa décision dans Cutter Laboratories 4 , a conclu qu'un arbitre a le droit de s'enquérir des faits et circonstances d'une affaire donnée, de façon suffisante pour lui permettre de décider si, en fait, l'action de l'employeur a été un renvoi pour motif déterminé ou un congédiement disciplinai- re S .
Je suis d'accord avec l'avocat du requérant dans son allégation selon laquelle les arrêts Jacmain (supra) et Fardella 6 établissent qu'un arbitre ne remplit pas ses obligations lorsqu'il ne s'enquiert pas tout d'abord de la nature véritable de l'action d'un employeur qui veut renvoyer un employé stagiaire, et que l'arbitre n'est pas tenu par la qualification attribuée par l'employeur à sa propre action. En l'espèce, je crois qu'il incombait à l'ar- bitre d'examiner les faits de manière objective, et pour ce faire il lui était nécessaire d'avoir suffi- samment de preuves pour lui permettre de déter- miner si le prétendu renvoi durant le stage a été en fait une mesure disciplinaire au sens de l'article 91(1)b), ce qui lui donnerait compétence confor- mément audit paragraphe.
Comme «faits juridictionnels», l'arbitre avait seulement devant lui les pièces E-1 et E-2. A mon avis, aucun de ces documents, considérés séparé- ment ou ensemble, ne peuvent être tenus pour décisifs ou suffisants pour permettre à l'arbitre de se prononcer sur la question de compétence. Il a évidemment fait des erreurs dans son jugement et sa compréhension de la jurisprudence applicable et cette erreur de droit l'a empêché d'entendre les preuves des faits juridictionnels dont il devait dis
4 Cutter Laboratories International c. Le Tribunal antidum- ping [1976] 1 C.F. 446.
Voir l'arrêt Jacmain rendu par cette cour [1977] 1 C.F. 91 à la page 96. Dans Jacmain le jugement de cette cour a été confirmé par la Cour suprême du Canada [1978] 2 R.C.S. 15. Les trois jugements de la Cour suprême ont confirmé les conclusions de cette cour spécialement sur ce point litigieux. Voir le jugement du juge de Grandpré (pages 37 et 38); celui du juge Pigeon (page 40); et celui du juge Dickson (pages 20 et 21, 24 et 25).
6 Fardella c. La Reine [1974] 2 C.F. 465 (Cour d'appel).
poser pour trancher la question de compétence.
Pour les motifs précités, je suis d'avis que, sur le principal litige entre les parties, la demande intro- duite en vertu de l'article 28 doit être accueillie. Il est, cependant, nécessaire de répondre à un argu ment subsidiaire avancé par l'avocat de l'intimée. D'après ledit argument, puisque l'arbitre a décidé de rejeter le grief pour incompétence, cette action ne constitue pas une décision ou ordonnance au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, et ainsi la présente cour n'a plus compétence pour connaître de la matière. L'avocat a allégué que l'arbitre n'avait pas pris sa décision dans l'exercice de sa compétence ou de son pouvoir de rendre des décisions, mais avait simplement pris une position n'ayant aucun effet juridique, et qu'en consé- quence, la mesure raisonnable, s'il en est, consiste- rait pour la Division de première instance à rendre une ordonnance de mandamus. A l'appui de ses allégations, l'avocat a cité les arrêts Juneau', Cylien 8 , Danmor Shoe 9 et Gaspar 10 .
A mon avis, cette allégation est mal fondée, car sur la base des faits présentés, l'arbitre est censé avoir conclu au rejet du grief, comme il a le droit de le faire conformément à l'article 96(1) et (2) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique". La dernière phrase de la «décision» de l'arbitre est ainsi libellée:
POUR TOUS CES MOTIFS, l'arbitre rejette le grief pour défaut de compétence. ' 2
National Indian Brotherhood c. Juneau [1971] C.F. 73.
8 Le procureur général du Canada c. Cylien [1973] C.F. 1166.
9 I re la Loi antidumping et in re Danmor Shoe Co. Ltd. [1974] 1 C.F. 22.
10 Gaspar c. La Commission de la Fonction publique et Irene G. Clapham, du greffe de la Cour A-608-75.
"96. (1) Lorsqu'un grief est renvoyé à l'arbitrage, l'arbitre doit donner aux deux parties au grief l'occasion d'être entendues.
(2) Après avoir étudié le grief, l'arbitre doit rendre une décision à son sujet et
a) en faire parvenir copie à chaque partie et à son représen- tant ainsi qu'à l'agent négociateur, s'il en est, pour l'unité de négociation à laquelle appartient l'employé qui a présenté le grief, et
b) remettre une copie de la décision au secrétaire de la
Commission.
12 Voir la décision à la page 14.
Cette phrase fait suite à des motifs s'étendant sur 13 pages et demie, dans lesquels il évoque à plu- sieurs reprises les pièces E-1 et E-2. A mon avis, l'arbitre, tout en déclarant rejeter le grief pour incompétence, a effectivement exercé cette compé- tence au point d'accepter certaines preuves docu- mentaires sans entendre ou examiner d'autres preuves nécessaires et essentielles pour trancher pertinemment sur le litige.
A mon avis, la déclaration suivante du juge en chef, à la page 28 de Danmor Shoe (supra) s'ap- plique ici:
Une décision prise dans le prétendu exercice d'«une compétence ou des pouvoirs» conférés par la loi relève aussi manifestement de l'article 28(1). Une décision de ce genre a pour effet juridique de régler l'affaire, ou elle prétend avoir cet effet. Une fois que, dans une affaire donnée, le tribunal a exercé sa «compétence ou ses pouvoirs» en rendant une «décision», la question est tranchée et même le tribunal ne peut y revenir.*
*A moins, bien sûr, qu'il ait les pouvoirs exprès ou implicites de défaire ce qu'il a fait, ce qui est une compétence supplémentaire.
En l'espèce, l'arbitre a prétendument rendu sa décision en exerçant le pouvoir à lui conféré par l'article 96(1) et (2) (supra), et sa décision a prétendument résolu le litige. Il ne s'agit pas d'une décision rendue sur une matière préliminaire, interlocutoire ou accessoire, comme c'était la si tuation respectivement dans les arrêts cités en référence par l'avocat de l'intimée.
La lecture de l'article 96 et de l'article 20(1)c) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique montre de façon évidente que la décision rendue par un arbitre conformément à l'article 96 est définitive et lie les parties. Et à ce titre, la décision est sujette à révision en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
En conséquence, pour les motifs précités, j'ac- cueille la demande faite en vertu de l'article 28, j'annule la décision rendue par l'arbitre Pierre- André Lachapelle le 31 janvier 1977, et je renvoie la matière à l'arbitre aux fins de déterminer si, d'après des preuves pertinentes et suffisantes, il est compétent pour entendre le grief du requérant conformément à l'article 91(1)b) et la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, et, sur le fondement de cette détermination, pour qu'il
examine le grief et la règle conformément aux dispositions applicables de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique.
LE JUGE URIE: J'y souscris.
LE JUGE RYAN: J'y souscris.
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