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A-84-77
Mario Santiago Hilario (Appelant) c.
Le ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigra- tion (Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie et le juge suppléant MacKay Toronto, les 26 et 27 sep- tembre 1977.
Examen judiciaire Citoyenneté et immigration Expul sion ordonnée par la Commission d'appel de l'immigration Renseignements non communiqués au fonctionnaire à l'immi- gration Le fait de taire des renseignements est-il «trom- peur» au sens de l'art. 18(1)e)(viii) de la Loi sur l'immigration? La Commission a-t-elle convenablement exercé son pouvoir discrétionnaire dans sa compétence «spéciale» en vertu de l'art. 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration? Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 18(1)e)(viii) Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, art. 15.
L'appelant n'a pas révélé au fonctionnaire à l'immigration aux Philippines la célébration de son mariage religieux et les deux enfants nés de ce mariage. La Commission d'appel de l'immigration a ordonné l'expulsion de l'appelant. L'appelant met en doute la qualification de .trompeur, appliquée au fait de taire des renseignements, au sens de l'article 18(1)e)(viii) de la Loi sur l'immigration. Il a également allégué que la Commis sion a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon inappropriée en vertu de la compétence spéciale à lui reconnue par l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration.
Arrêt: l'appel est rejeté. Les renseignements non communi- qués par l'appelant avaient pour effet d'éviter ou d'empêcher d'autres enquêtes qui auraient pu influencer de façon défavora- ble la décision relative à l'admission de l'appelant au Canada. La Commission avait tout à fait le droit, après examen des preuves produites devant elle, de conclure que l'appelant avait été admis au Canada par suite de renseignements trompeurs au sens de cette expression dans l'article 18(1)e)(viii) de la Loi sur l'immigration. Il ne peut pas être allégué que le refus de la Commission d'exercer sa compétence .spéciale» en vertu de l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigra- tion représente un cas d'exercice inapproprié de son pouvoir discrétionnaire car la Commission n'a pas tenu compte de considérations inappropriées et elle n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon arbitraire ou illégale.
Arrêt appliqué: Le Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks [1974] R.C.S. 850; arrêt appli- qué: D. R. Fraser and Company, Ltd. c. M.R.N. [1949] A.C. 24.
APPEL. AVOCATS:
S. Long, c.r., pour l'appelant.
T. James pour l'intimé.
PROCUREURS:
Seed, Howard, Long, Cook & Caswell, Toronto, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE HEALD: Je suis d'avis que l'appelant n'a pas prouvé l'existence de quelque erreur révisa- ble dans la décision de la Commission d'appel de l'immigration. A part la question de la validité des formes du mariage contracté par l'appelant et Sonia Valenzuela, des preuves abondantes produi- tes devant la Commission permettent à cette der- nière de conclure raisonnablement que le statut d'immigrant reçu a été accordé à l'appelant parce que celui-ci a donné aux autorités d'immigration des renseignements trompeurs. Les preuves produi- tes devant la Commission montrent que l'appelant n'a pas révélé à l'agent d'immigration aux Philip- pines la célébration de son mariage religieux avec Sonia Valenzuela ni que cette dernière lui avait donné deux enfants. (Voir le dossier d'appel, pages 125 à 129 incluses.) Taire des renseignements véridiques, appropriés et pertinents peut «tromper» tout aussi bien que fournir positivement des rensei- gnements incorrects.
A mon avis, la Commission avait raisonnable- ment le droit de conclure que le fait d'agir de mauvaise foi en taisant les renseignements évoqués ci-dessus a empêché l'agent d'immigration de faire d'autres enquêtes que lesdits renseignements auraient vraisemblablement provoquées. Ces enquêtes auraient pu influencer de façon défavora- ble la décision relative à l'admission de l'appelant au Canada. Ainsi, à mon avis, la Commission avait tout à fait droit, après examen des preuves produi- tes devant elle, de conclure que l'appelant avait été admis au Canada par suite de «renseignement [s] ... trompeur[s]» au sens de cette expression dans l'article 18(1)e)(viii) de la Loi.
Dans un résumé de ses conclusions, la Commis sion a déclaré: (Dossier d'appel, à la page 166) [TRADUCTION] «En conséquence, la Commission constate que l'appelant est entré au Canada et y est demeuré par suite de quelque renseignement
faux et trompeur fourni par lui-même.» Dans le dernier membre de phrase, la Commission a employé la particule conjonctive «et» au lieu de la disjonctive «ou», telle qu'elle est employée dans l'article 18(1)e)(viii). Cependant, pour satisfaire les exigences de l'article, il est nécessaire que le renseignement soit seulement faux ou trompeur, mais pas les deux à la fois.' Pour ce motif, j'estime qu'il n'est pas nécessaire de conclure à la validité ou l'invalidité du prétendu mariage avec Sonia Valenzuela. Indépendamment de ce problème (dont la solution pourrait permettre de savoir si l'appelant a fourni des renseignements «faux»), je suis d'avis, comme il a été indiqué ci-dessus, que la Commission pouvait raisonnablement conclure que l'appelant est entré au Canada par suite de rensei- gnements trompeurs, et ladite conclusion satisfait les exigences de l'article susmentionné.
Dans l'affaire Brooks précitée, le juge Laskin (plus tard juge en chef) s'est prononcé ainsi à la page 873:
Afin d'éliminer tout doute à ce sujet résultant des motifs de la Commission, je rejetterais toute prétention ou conclusion selon laquelle, pour qu'il y ait caractère important sous le régime du sous-al. (viii) de l'al. e) du par. (1) de l'art. 19, la déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur donnés dans une réponse ou des réponses doivent être de nature à avoir caché un motif indépendant d'expulsion. La déclaration contraire à la vérité ou le renseignement trompeur peuvent ne pas avoir semblable effet et, cependant, avoir été des facteurs qui ont déterminé l'admission. La preuve faite en l'espèce suivant laquelle certaines réponses inexactes n'auraient eu aucun effet sur l'admission d'une personne, est évidemment pertinente quant à la question du caractère important. Mais est aussi pertinente la question de savoir si les déclarations contrai- res à la vérité ou les réponses trompeuses ont eu pour effet d'exclure ou d'écarter d'autres enquêtes, même si aucun motif indépendant d'expulsion n'eût été découvert par suite de ces enquêtes.
A mon avis, dans la présente affaire, le rensei- gnement que l'appelant n'a pas donné aux préposés à l'immigration a eu «pour effet d'exclure ou d'écarter d'autres enquêtes» et est donc «impor- tant> au regard du critère énoncé par le juge Laskin dans l'affaire Brooks.
Je suis également d'avis que la décision rendue par cette cour dans l'affaire Ebanks c. Le ministre
'Voir Le Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks [19741 R.C.S. 850, à la page 865.
de la Main-d'œuvre et de l'Immigration 2 ne peut pas être distinguée, dans ses considérations essen- tielles, de la présente espèce. Dans cette affaire, le juge en chef, rendant le jugement de la Cour, a cité en l'approuvant l'avis de la Commission d'ap- pel de l'immigration. Il s'est exprimé ainsi:
[TRADUCTION] ... la Commission est d'avis que le mot «enfants., tel qu'il est employé dans la case 23 de la demande de résidence permanente, IMM.OS.8, devrait être compris dans sa signification ordinaire et englober tous les enfants nés du mariage, ceux nés en dehors du mariage et aussi ceux ne dépendant pas directement du requérant. La Commission est aussi d'avis que le défaut de révélation de l'existence de ces enfants est très important en ce qui concerne l'admission du requérant au Canada, et qu'il le met, en conséquence, dans la sphère d'application de l'article 18(1)e)(viii) de la Loi sur l'immigration ... .
Pour les motifs susmentionnés, j'ai conclu que l'action de l'appelant contre la validité de l'ordon- nance d'expulsion devait être rejetée.
L'appelant a, cependant, attaqué la décision de la Commission sur une autre base, à savoir que son refus d'exercer sa compétence «spéciale» en vertu de l'article 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration représente un cas d'exercice inapproprié de son pouvoir discrétionnaire sous le régime dudit article. L'appelant soutient que la Commission doit exercer ce pouvoir discrétion- naire en se fondant non pas sur des considérations arbitraires ou citées au hasard, mais sur des preu- ves dont la Commission appréciera le caractère pertinent et convaincant à la manière d'un tribunal judiciaire. L'appelant a en outre soutenu que la Commission doit [TRADUCTION] «au moins mon- trer une compréhension des points litigieux dudit article ainsi que des preuves produites devant elle.» Selon l'appelant, alors que la Commission déclare avoir étudié l'ensemble des preuves et en men- tionne certaines, la lecture complète du dossier fait apparaître avec évidence qu'elle n'a pas examiné toutes les preuves, mais qu'elle a été influencée, à tort, par celles de ces preuves établissant que [TRADUCTION] «aux Philippines, l'appelant avait habité, à tour de rôle et de manière intermittente, avec chacune de ses prétendues femmes ... .» 3 L'appelant a ensuite fait ressortir une preuve pro- duite par lui et non contredite, montrant que,
2 Non publié—Dossier de la Cour no A-559-76, en date du 11 janvier 1977. [Pas de motifs écrits—Éd.]
3 Voir dossier d'appel, page 166.
depuis son arrivée au Canada, il a un emploi stable, et aussi la déposition de plusieurs témoins affirmant qu'il est un employé très utile, digne de confiance et compétent. L'avocat a également fait ressortir un autre argument, non contesté, de l'ap- pelant, à savoir qu'il a envoyé quelque argent à Sonia Valenzuela, aux Philippines, pour l'entretien de ses deux enfants qui y sont demeurés. Il a également rappelé une autre circonstance, à savoir qu'il vit maintenant au Canada depuis plus de cinq ans (quoique les cinq ans n'étaient pas écoulés à la date de l'ordonnance d'expulsion) et que sans cette ordonnance d'expulsion, il serait habilité à deman- der la citoyenneté canadienne.
Le critère à appliquer pour juger l'exercice du pouvoir discrétionnaire statutaire a été énoncé brièvement par lord Macmillan dans l'affaire D. R. Fraser and Company, Limited c. M.R.N. °:
[TRADUCTION] ... il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu. 5
A mon avis, en appliquant le critère ci-dessus à l'espèce, la Cour n'aurait aucune raison valable de substituer son pouvoir discrétionnaire à celui de la Commission. J'ai étudié soigneusement le dossier et je suis convaincu que la Commission n'a pas tenu compte de considérations inappropriées et qu'elle n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon arbitraire ou illégale.
Dans ses motifs, la Commission se réfère spé- cialement aux preuves produites par l'appelant relativement à son emploi continu au Canada et à son aide à ses deux enfants demeurés aux Philip- pines. Elle se réfère aussi aux deux enfants de l'appelant au Canada, et au fait, rappelé ci-dessus, que, lorsque l'appelant était aux Philippines, il demeurait, à tour de rôle et de façon intermittente, avec ses deux prétendues femmes. Après l'énoncé de ces faits spécifiques, la Commission a déclaré:
La Commission a consciencieusement examiné la preuve et, selon elle, l'appelant n'est pas apte à bénéficier du redressement
[1949] A.C. 24, à la page 36.
5 Le critère susmentionné, énoncé par lord Macmillan, a été cité avec approbation par le juge Abbott dans l'affaire Boulis c. Le Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1974] R.C.S. 875, à la page 877.
spécial qu'elle peut octroyer. 6
A mon avis, le fait que la Commission se réfère de façon spéciale à quelques-unes seulement des circonstances qu'elle prend en considération ne vicie pas l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Elle déclare considérer les preuves dans leur ensemble, et je suis d'avis que, ce faisant, elle pouvait raisonnablement tirer la conclusion qu'elle a tirée en l'espèce. Les preuves relatives à la conduite de l'appelant pendant le temps qu'il vivait au Canada contribuent à sa bonne réputation. Les preuves concernant au moins certains aspects de sa conduite aux Philippines montrent que celle-ci lais- sait à désirer.
Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Commission a évidemment pesé et examiné tous ces facteurs, les facteurs favorables aussi bien que les facteurs défavorables; ainsi, elle a, à mon avis, satisfait au critère énoncé par lord Macmillan dans l'affaire Fraser citée plus haut.
En conséquence, l'appel est rejeté.
* * *
LE JUGE URIE y a souscrit.
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LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY y a souscrit. 6 Dossier d'appel, page 166.
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