T-3890-77
Delivrance Immacula Laneau (Requérante)
c.
L. G. Rivard (Intimé)
et
Le ministre de l'Immigration (Mis-en-cause)
Division de première instance, le juge Decary—
Montréal, le 14 novembre; Ottawa, le 21 décembre
1977.
Brefs de prérogative — Immigration — Demande de bref de
prohibition afin d'empêcher l'enquêteur spécial de continuer
une enquête relativement à un cas d'expulsion — Demande
visant l'obtention d'un permis ministériel en vertu de la discré-
tion conférée par l'art. 8 présentée avant le début de l'enquête
— L'enquêteur spécial a-t-il compétence pour mener l'en-
quête? — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c.
10, art. 2, 28 — Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art.
8, 11, 18, 27.
La requérante, une non-immigrante passible d'expulsion, pré-
sente une requête en prohibition afin d'empêcher l'enquêteur
spécial de continuer une enquête parce qu'elle avait, avant le
début de l'enquête, demandé au Ministre de délivrer un permis
en vertu de la discrétion qui lui est accordée à l'article 8 de la
Loi sur l'immigration. Il s'agit de décider si cette demande doit
être accueillie ou rejetée.
Arrêt: la demande est accueillie. Les pouvoirs dévolus au
Ministre en vertu de l'article 8 ont préséance sur ceux que
détient l'enquêteur spécial en vertu des articles 11 et 27, dans
les cas où tous les deux seraient saisis de la même cause. Le
pouvoir du Ministre d'émettre ou de refuser un permis est de sa
juridiction exclusive. En l'absence de telle autorisation législa-
tive, la doctrine et la maxime «delegatus non potest delegare»
interdisent à l'intimé de poser quelque geste que ce soit qui
empêche ultérieurement le Ministre de rendre une décision
favorable à la requérante en vertu de l'article 8. C'est ce qui
arriverait si l'enquêteur spécial tenait l'enquête et décidait
d'émettre une ordonnance d'expulsion puisque dans ce cas la
requérante tomberait dans la catégorie des personnes aux-
quelles le Ministre ne peut délivrer un permis.
Arrêts appliqués: Le procureur général du Canada c.
Cylien [1973] C.F. 1166; British Columbia Packers Ltd. c.
Le Conseil canadien des relations du travail [1973] C.F.
1194; Ramawad c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration [1978] 2 R.C.S. 375.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
Michel Coulanges pour la requérante.
Suzanne Marcoux-Paquette pour l'intimé et
le mis-en-cause.
PROCUREURS:
Michel Coulanges, Montréal, pour la requé-
rante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé et le mis-en-cause.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE DECARY: Il s'agit de décider si l'on
doit accueillir ou rejeter une requête en prohibition
afin d'empêcher l'enquêteur spécial de l'immigra-
tion de continuer une enquête parce que la requé-
rante avait, avant le début de cette enquête,
demandé au Ministre qu'il statue sur son cas en
vertu de la discrétion qui lui est accordée à l'article
8 de la Loi.
Les faits méritent d'être cités assez longuement:
la requérante est arrivée au Canada le 21 août
1974 en qualité de non-immigrante; elle a exercé
un emploi comme aide-domestique; elle a en tout
point respecté les exigences de la Loi jusqu'au jour
où elle a été incapable de travailler à cause de
nombreuses difficultés que lui causait sa grossesse;
son fiancé, la dénommé Joseph Lucien Paul, un
citoyen canadien dont elle était devenue enceinte,
l'emmena vivre auprès de ses parents; dans l'inter-
valle, son fiancé, sachant que la requérante pour-
rait être expulsée du pays parce qu'elle avait dû
abandonner son emploi, ne s'est pas présenté pour
la célébration de leur mariage; l'enfant de la
requérante, Jean Jacky Laneau, est né à Montréal
le 30 avril 1976; la requérante a intenté une action
en reconnaissance de paternité contre Joseph
Lucien Paul; craignant qu'une déportation ne
rende illusoires les chances de faire valoir les droits
de son fils à une pension alimentaire elle a choisi
de demander au Ministre de l'immigration, le 14
avril 1977, un permis ministériel en vertu de la
discrétion que l'article 8 de la Loi sur l'immigra-
tion confère au Ministre; cette demande, il est
important de le souligner; fut faite avant même
que les autorités de l'immigration n'aient convo-
qué, ou communiqué avec la requérante; suite à
cette demande, le cabinet du Ministre de l'immi-
gration accusa réception de ladite demande dans
une lettre datée du 28 avril et promit une réponse
dans les semaines à venir; avant de recevoir du
Ministre une décision sur sa demande pour un
permis ministériel, la requérante fut convoquée au
Centre d'immigration du Canada à Montréal, pour
une enquête spéciale; comme moyen préliminaire,
le procureur de la requérante, au tout début de
l'enquête, contesta la juridiction de l'enquêteur de
tenir l'enquête avant la décision du Ministre sur la
demande pour l'obtention d'un permis ministériel,
en faisant valoir qu'aucune disposition de la Loi ou
du Règlement sur l'immigration ne lui conférait,
en l'espèce, juridiction pour tenir une enquête;
l'enquêteur spécial, l'intimé, refusa alors d'ajour-
ner la cause, prétendant qu'il avait juridiction pour
mener l'enquête et qu'il avait le pouvoir de statuer
sur sa propre juridiction, même quand elle n'était
pas explicitée dans la Loi.
Je crois nécessaire de citer au long la demande
de permis de la requérante (pièce R-2):
Montréal, le 14 avril 1977.
M. Bud Cullen
Ministère de l'Immigration
Ottawa, Canada
Monsieur le Ministre,
Comme ultime recours possible, je m'adresse à vous aujour-
d'hui pour obtenir l'autorisation de rester au Canada le temps
nécessaire pour éviter que mes droits ainsi que ceux de mon fils
Jean Jacky Laneau ne soient à jamais compromis. En effet, j'ai
enduré plus que ma juste part d'épreuves et d'humiliation
pendant mon séjour ici, pour qu'au dernier moment je ne puisse
même pas obtenir une réparation minimale pour les dommages
que j'ai subis et ceux que mon fils aurait à subir.
Je suis arrivée au Canada le 21 août 1974 avec un permis
valable pour travailler comme aide-ménagère.
Dans l'intervalle, j'ai rencontré un certain Joseph Lucien
Paul qui m'a convaincu, après maintes promesses de bonheur de
rester au Canada et de l'épouser, pour vivre la relation amou-
reuse que n'importe quelle femme est heureuse de connaître.
Comme preuve de sa bonne foi, Joseph Lucien Paul m'a
introduit auprès de sa famille et depuis, mes relations avec lui
empreintes d'admiration et d'affection réciproques se sont
multipliées.
Devenue enceinte pour mon fiancé, j'ai connu des troubles
dûs à ma grossesse qui m'ont empêché de continuer à donner le
rendement exigé de mes employeurs et j'ai dû abandonner mon
travail. Mon fiancé m'a emmené vivre avec ceux qui devaient
devenir mes beaux-parents, en attendant les préparatifs de
notre mariage. Tout était arrangé et le jour fixé pour la
cérémonie du mariage, mon fiancé ne s'est pas présenté.
Dans les circonstances, j'étais forcée de prendre mon parti et
d'abandonner la maison des parents de mon fiancé.
J'ai accouché le 30 novembre 1976 d'un enfant qui porte le
nom de Jean Jacky Laneau.
Parce que je crois, monsieur le Ministre, que mon fils a droit
aux aliments, et à une éducation le moindrement décente, j'ai
dû prendre devant les tribunaux de la Province de Québec une
action en reconnaissance de paternité, pour la sauvegarde et
pour empêcher que mon fils ne devienne jamais une charge
pour le gouvernement canadien, ou n'importe quel gouverne-
ment. Les procédures dans cette action en reconnaissance de
paternité ne sont pas encore complétées et de l'avis de mon
procureur, les droits de Jean Jacky seraient sérieusement com-
promis, si je ne pouvais témoigner personnellement à l'audition
de la cause.
Monsieur le Ministre, pour éviter qu'une déportation avant le
jugement dans cette cause facilite la perpétuation d'une injus
tice odieuse envers Jean Jacky et moi, nous vous serions gré à
jamais de nous laisser rester au Canada jusqu'au jugement dans
cette cause sans être déportés, et de donner instruction au
centre d'Immigration du Canada à Montréal, pour qu'il m'ac-
corde un permis de travailler d'une année, renouvelable jusqu'à
la fin des procédures sus-dites.
Vous trouverez ci-inclus une copie de l'acte de naissance de
Jean Jacky et une lettre de l'Eglise prouvant cette odieuse
supercherie dont nous avons été les victimes.
Dans l'espoir de recevoir des informations qui nous permet-
traient de vivre avec dignité, respect et autonomie, recevez,
monsieur le Ministre mes remerciements anticipés.
Delivrance Immacula Laneau
Délivrance Immacula Laneau
A/S 4115 St denis
Montréal, Qué.
H2W 2M7
Cette lettre demande clairement l'autorisation
de rester au Canada «le temps nécessaire pour
éviter que mes droits ainsi que ceux de mon fils
Jean Jacky Laneau ne soient à jamais compromis»
et qu'on lui accorde «un permis de travailler d'une
année.»
Deux semaines plus tard, la requérante recevait
cette lettre du ministère de l'Immigration que je
cite:
Le 28 avril 1977.
Madame Délivrance Immacula Laneau,
a/s 4115 St Denis,
MONTRÉAL (Québec)
H2W 2M7
Madame,
La Cabinet du Ministre nous a demandé de donner suite à
votre récente demande de renseignements au sujet de votre
situation.
Comme nous croyons que le sujet pourrait être traité de
façon plus efficace et expéditive par nos agents sur place, nous
avons référé votre demande à notre bureau de Montréal (Atwa-
ter) (Québec).
J'ai bon espoir que vous recevrez une réponse dans les
semaines à venir.
Veuillez agréer, Madame, l'expression de mes sentiments
distingués.
Directeur général intérimaire,
Facilité, Contrôle et Exécution de la loi,
et signé G. DESORMEAUX pour
J. St-Onge.
Même si l'on considère que cette lettre du
Ministère n'est qu'un accusé de réception, l'on
peut s'étonner avec raison que l'on réfère à la
lettre de la requérante comme étant une demande
de renseignements. Une telle façon d'agir ne
dénote pas grand soin de la part du Ministère.
En date du 21 septembre 1977, la requérante
était convoquée pour une enquête spéciale, tel
qu'en fait foi la lettre-formulaire reproduite
ci-dessous:
c.c.: Me M. Coulanges, 4115 rue St. Denis, Montréal, Québec,
Suite 6
Notre référence
2496-1-710
Mlle Immacula Délivrance LANEAU
6545 rue Boyer
Montréal, Québec Le 21 septembre 1977
Mademoiselle,
En vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur l'immigration, un
rapport à votre sujet a été soumis au Directeur de l'Immigra-
tion qui, selon l'article 25 de la même loi, a émis une ordon-
nance d'enquête. Veuillez trouver ci-joint:
L'ordonnance d'enquête, le rapport et les pièces à l'appui.
A la suite de cette ordonnance, une enquête d'immigration
sera tenue; nous vous enjoignons donc de vous présenter au
Centre d'Immigration du Canada, Plaza Alexis Nihon, 11ème
étage, 1500, avenue Atwater, Montréal, Québec, le 21 septem-
bre 1977 8:30 a.m.
Le but de cette enquête est de déterminer si vous pouvez
demeurer au Canada. S'il est établi que vous ne pouvez satis-
faire aux dispositions de la Loi et du Règlement sur l'immigra-
tion pour demeurer au Canada, une ordonnance d'expulsion
sera émise contre vous.
Selon le paragraphe 26(2) de la Loi sur l'immigration, vous
avez le droit, à vos propres frais, d'être représenté par avocat ou
conseiller à cette enquête. Vous trouverez d'ailleurs un avis
relatif à ce droit attaché à la présente.
Lorsque vous vous présenterez devant l'enquêteur spécial,
ayez soin d'apporter cette lettre ainsi que l'avis qui y est attaché
et votre passeport.
Bien à vous,
Le surveillant Sous-section des enquêtes
Centre d'Immigration du Canada
(et signé)
G. Savard
Quant à la compétence de l'enquêteur spécial, il
importe de souligner au départ qu'il est «une ...
personne ayant, exerçant ou prétendant exercer
une compétence ou des pouvoirs conférés par une
loi du Parlement du Canada» et tombe en consé-
quence dans la catégorie: «office, commission ou
autre tribunal fédéral» telle que définie à l'article 2
de la Loi sur la Cour fédérale.
Il faut déterminer la nature de la décision de
l'enquêteur spécial de refuser la demande de
remise au début de l'enquête. Cette décision de
l'enquêteur spécial n'était pas prise dans l'exercice
de ses pouvoirs de rendre des décisions puisque ses
pouvoirs en ce qui concerne la conduite d'une
enquête sont définis aux articles 11, 18 et 27 de la
Loi sur l'immigration.
Les pouvoirs de l'enquêteur spécial sont définis à
l'article 11 de la Loi:
11. (1) Les fonctionnaires supérieurs de l'immigration sont
des enquêteurs spéciaux, et le Ministre peut nommer les autres
fonctionnaires à l'immigration qu'il juge nécessaires pour agir
en qualité d'enquêteurs spéciaux.
(2) Un enquêteur spécial a le pouvoir d'examiner la question
de savoir si une personne doit être admise à entrer au Canada
ou à y demeurer ou si elle doit être expulsée, et celui de statuer
en l'espèce.
(3) Un enquêteur spécial possède tous les pouvoirs et toute
l'autorité d'un commissaire nommé en vertu de la Partie I de la
Loi sur les enquêtes et, sans restreindre la généralité de ce qui
précède, peut, aux fins d'une enquête,
a) émettre une sommation à toute personne, lui enjoignant
de comparaître aux temps et lieu y mentionnés, de rendre
témoignage sur toutes questions à sa connaissance concer-
nant le sujet de l'enquête et d'apporter avec elle et de
produire tout document, livre ou pièce, en sa possession ou
sous son contrôle, en ce qui regarde le sujet de l'enquête;
b) faire prêter serment et interroger toute personne sous
serment, affirmation ou autrement;
c) émettre des commissions ou requêtes en vue de recueillir
des témoignages au Canada;
d) retenir les services des avocats, techniciens, commis, sté-
nographes ou autres personnes qu'il estime indispensables à
une enquête complète et régulière; et
e) accomplir toutes autres choses nécessaires pour assurer
une enquête complète et régulière.
L'article 18 de la Loi concerne les cas où, inter
alfa, l'enquêteur spécial doit faire enquête et
rapport:
18. (1) Lorsqu'il en a connaissance, le greffier ou secrétaire
d'une municipalité au Canada, dans laquelle une personne
ci-après décrite réside ou peut se trouver, un fonctionnaire à
l'immigration ou un constable ou autre agent de la paix doit
envoyer au directeur un rapport écrit, avec des détails complets,
concernant
a) toute personne, autre qu'un citoyen canadien, qui se livre
au renversement, par la force ou autrement, du régime, des
institutions ou des méthodes démocratiques, tels qu'ils s'en-
tendent au Canada, ou qui préconise un tel renversement, ou
qui est un membre ou associé d'une organisation, d'un groupe
ou d'un corps quelconque qui se livre à un renversement de ce
genre ou le préconise;
b) toute personne, autre qu'un citoyen canadien, qui, si elle
se trouve au Canada, a été déclarée, par une cour compé-
tente, coupable d'une infraction impliquant désaffection ou
manque de fidélité envers Sa Majesté;
c) toute personne, autre qu'un citoyen canadien qui, si elle
est hors du Canada, se livre à l'espionnage, au sabotage ou à
toute activité préjudiciable à la sécurité du Canada;
d) toute personne, autre qu'un citoyen canadien, qui est
déclarée coupable d'une infraction sous le régime de l'article
3, 4, 5 ou 6 de la Loi sur les stupéfiants;
e) toute personne, autre qu'un citoyen canadien ou une
personne ayant un domicile canadien, qui
(i) pratique la prostitution ou l'homosexualité, ou y aide
ou en partage les fruits,
(ii) a été déclarée coupable d'une infraction visée par le
Code criminel,
(iii) est devenue un détenu dans un pénitencier, une geôle,
une maison de correction ou une prison, ou pensionnaire
d'un asile ou hôpital d'aliénés,
(iv) était un membre d'une catégorie interdite lors de son
admission au Canada,
(v) est, depuis son admission au Canada, devenue une
personne qui, si elle demandait son admission au Canada,
se la verrait refuser du fait qu'elle est membre d'une
catégorie interdite autre que celles dont les alinéas
5a),b),c) et s), donnent la description,
(vi) est entrée au Canada comme non-immigrant et y
demeure après avoir cessé d'être un non-immigrant ou
d'appartenir à la catégorie particulière dans laquelle elle a
été admise en qualité de non-immigrant,
(vii) est entrée au Canada à un endroit -autre qu'un port
d'entrée ou s'est soustraite à l'examen ou à l'enquête
prévue par la présente loi ou s'est évadée d'une garde ou
détention légitime visée par la présente loi,
(viii) est entrée au Canada, ou y demeure, avec un passe-
port, un visa, un certificat médical ou autre document
relatif à son admission qui est faux ou irrégulièrement
délivré, ou par suite de quelque renseignement faux ou
trompeur, par la force, clandestinement ou par des moyens
frauduleux ou irréguliers, exercés ou fournis par elle ou
par quelque autre personne,
(ix) revient au Canada ou y demeure contrairement à la
présente loi après qu'une ordonnance d'expulsion a été
rendue contre elle ou autrement, ou
(x) est entrée au Canada comme membre d'un équipage
et, sans l'approbation d'un fonctionnaire à l'immigration
ou pendant une période plus longue que celle qu'a approu-
vée ce fonctionnaire, demeure au Canada après le départ
du véhicule sur lequel elle est entrée au Canada.
(2) Quiconque, sur enquête dûment tenue par un enquêteur
spécial, est déclaré une personne décrite au paragraphe (1)
devient sujet à expulsion.
Le paragraphe (2) de l'article 18 établit que
toute personne tombant sous un de ces chefs, est
sujette à expulsion. La requérante tomberait sous
18(1)e)(vi).
Le choix et les modalités de la décision de
l'enquêteur spécial sont prévus à l'article 27 de la
Loi:
27. ( I ) A la conclusion de l'audition d'une enquête, l'enquê-
teur spécial doit rendre sa décision le plus tôt possible et, si les
circonstances le permettent, en présence de la personne
intéressée.
(2) Lorsque l'enquêteur spécial décide que la personne
intéressée
a) peut de droit entrer ou demeurer au Canada;
b) dans le cas d'une personne cherchant l'admission au
Canada, n'est pas membre d'une catégorie interdite; ou
c) dans le cas d'une personne au Canada, n'est pas reconnue,
par preuve, une personne décrite à l'alinéa 18(1)a),b),c),d)
ou e),
il doit, en rendant sa décision, admettre ou laisser entrer cette
personne au Canada, ou y demeurer, selon le cas.
(3) Dans le cas d'une personne autre que celle dont le
paragraphe (2) fait mention, l'enquêteur spécial doit, en ren-
dant sa décision, émettre contre elle une ordonnance
d'expulsion.
(4) Nulle décision rendue en vertu du présent article ne doit
empêcher la tenue d'une enquête ultérieure si elle est requise en
raison d'un rapport subséquent sous le régime de l'article 18 ou
conformément à l'article 24.
Dans le cadre de ses pouvoirs, en vertu de ces
articles l'enquêteur spécial peut rendre des déci-
sions au sens de l'article 28(1) de la Loi sur la
Cour fédérale, mais en dehors de ce cadre, comme
le cas présent, ses décisions sont de simples conclu
sions, comme le confirme d'ailleurs une jurispru
dence constante.
En effet, dans l'affaire Le procureur général du
Canada c. Cylien', le juge en chef de la Cour a
distingué deux grandes catégories parmi les déci-
sions que peut rendre une commission: les déci-
sions que la Commission peut rendre dans l'exer-
cice de sa compétence ou de ses pouvoirs de rendre
des décisions et qui ont un effet juridique et les
décisions que la Commission prend sur la nature
des pouvoirs qu'elle a l'intention d'utiliser et qui
n'ont aucun effet juridique. On lit, aux pages 1175
et 1176 ibid. ces remarques du juge en chef
Jackett:
'[1973] C.F. 1166.
Il s'agit donc à mon avis de décider, en l'espèce, si ledit refus
de s'acquitter d'une obligation ou ladite déclaration de compé-
tence peuvent, vu les circonstances de l'affaire, être considérés
comme une «décision» au sens de ce mot à l'article 28.
Afin de déterminer si ce qu'on présente ici comme une
décision est une «décision» au sens de ce mot à l'article 28(1), il
faut se rappeler que la Commission d'appel de l'immigration est
un office, une commission ou un autre tribunal fédéral car il
s'agit d'un organisme ayant, exerçant ou prétendant exercer
«une compétence ou des pouvoirs» conférés par une loi du
Parlement du Canada (voir article 2g) de la Loi sur la Cour
fédérale). Une décision susceptible d'annulation en vertu de
l'article 28(1) doit donc être une décision résultant de l'exercice
ou du prétendu exercice d'«une compétence ou des pouvoirs»
conférés par une loi du Parlement. Il va de soi qu'une décision
du tribunal, prise en vertu d'«une compétence ou des pouvoirs»
expressément conférés par la loi, est une «décision» relevant de
cette catégorie. Une décision prise dans le prétendu exercice
d'«une compétence ou des pouvoirs» précis conférés par la loi
relève aussi manifestement de l'article 28(1). Une décision de
ce genre a pour effet juridique de régler l'affaire, ou elle
prétend avoir cet effet. Une fois que, dans une affaire donnée,
le tribunal a exercé sa «compétence ou ses pouvoirs» en rendant
une «décision», la question est tranchée et même le tribunal ne
peut y revenir.
En l'espèce, le problème est différent. La Commission a «la
compétence ou les pouvoirs» en vertu de l'article 11(3) de
décider à un stade préliminaire si elle permettra à l'appel de
l'intimé de suivre son cours. Cependant, elle n'a pas encore pris
de décision à ce sujet. Le problème soulevé, et à l'égard duquel
la Commission a pris position, porte sur le point de savoir si
l'article 11, interprété correctement, exige que la Commission
prenne une décision en vertu de l'article 11(3) après avoir
examiné la déclaration mentionnée à l'article 11(2) et rien
d'autre, ou si, selon la loi, la Commission peut ou doit examiner
d'autres documents avant de prendre cette décision. C'est une
question de droit que la Commission n'a pas «la compétence ni
les pouvoirs» de trancher. Elle doit, bien sûr, se faire une
opinion sur cette question, mais cette opinion n'a aucun effet
juridique.
Il existe une différence manifeste entre une «décision» de la
Commission dont l'objet relève de «sa compétence ou de ses
pouvoirs» et une décision par laquelle elle détermine la nature
des pouvoirs qu'elle va utiliser. Une fois que la Commission,
dans une affaire donnée, a rendu une décision relevant de «sa
compétence ou de ses pouvoirs», cette décision a un effet
juridique et la Commission a épuisé - ses pouvoirs à l'égard de
cette affaire. Cependant, lorsque la Commission prend position
sur la nature des pouvoirs qu'elle a l'intention d'utiliser, cette
«décision» n'a aucun effet juridique. Dans un tel cas, il n'y a pas
eu de décision en droit. La Commission elle-même, quelle que
soit sa composition peut, au cours de l'affaire où elle a pris
position, changer d'avis avant de traiter de cette affaire et
même poursuivre en se fondant sur cette nouvelle opinion.
Ainsi la décision de l'intimé, alors que le Minis-
tre déjà saisi de l'affaire n'avait pas encore rendu
sa décision, est une attribution de compétence,
puisque l'intimé s'est trouvé à se prononcer sur sa
propre compétence. Or, dans l'affaire British
Columbia Packers Limited c. Le Conseil canadien
des relations du travail 2 , la Division d'appel de la
Cour s'était prononcée sans équivoque sur la ques
tion. Mon collègue le juge Thurlow, tel qu'il était à
l'époque, parlant en son nom et en celui de ses
collègues, le juge en chef Jackett et le juge sup
pléant Sheppard, avait clairement indiqué à la
page 1196 que:
A notre avis, l'affirmation ou l'opinion du Conseil quant à sa
compétence ne constitue pas une «décision» au sens de l'article
28 de la Loi sur la Cour fédérale et ne peut être examinée par
cette Cour en vertu dudit article. Il n'appartient pas au Conseil
de se prononcer sur l'étendue de sa propre compétence de
manière à lier quiconque. Le Conseil peut seulement décider
d'accréditer ou non un syndicat et, quand il le fait, cette
décision seule peut faire l'objet d'un examen en vertu de
l'article 28. Il est évident que certaines questions soulevées au
cours des procédures devant le Conseil peuvent faire l'objet
d'un examen en vertu de l'article 28, à savoir, par exemple, des
ordonnances enjoignant les parties de faire quelque chose qu'il
est dans la compétence du Conseil d'ordonner. Mais l'affirma-
tion en cause n'a pas ce caractère et, à notre avis, elle est
comparable à celle que la Cour, dans l'affaire Le procureur
général du Canada c. Cylien, a jugée ne pas relever de
l'article 28.
La présente requête est donc bien fondée en
droit, comme d'ailleurs l'a laissé entendre le juge
en chef Jackett dans la cause Le procureur général
du Canada c. Cylien ci-haut mentionnée, lorsque
aux pages 1174 et 1175 il dit quant à la
compétence:
Si l'on admet que le point de vue du Ministre quant aux
obligations imposées à la Commission par l'article 11(3) est
juste, à mon sens, ce que la Commission a fait en prononçant
ses motifs le 16 octobre, si on les interprète bien, constituait soit
a) un refus de s'acquitter de ses obligations découlant de
l'article 11(3), à savoir, examiner «la déclaration» de l'intimé
immédiatement après l'avoir reçue et décider, en se fondant
seulement sur cet examen, de permettre ou non que l'appel
suive son cours, soit
b) la déclaration d'une compétence qu'elle n'a pas, à savoir,
celle de tenir compte de la preuve et des exposés soumis à
l'enquêteur spécial, ainsi que toutes autres preuves ou expo-
sés qui lui seront présentés, avant de s'acquitter des obliga
tions lui incombant en vertu de l'article 11(3),
ou était à la fois un refus de s'acquitter de ses obligations et une
déclaration erronée de compétence; il est clair qu'il s'agit d'un
cas où il y aurait lieu de demander un bref de mandamus ou un
bref de prohibition, ou les deux, afin de déterminer la nature
exacte des obligations de la Commission en l'espèce, à moins
que l'article 28(3) n'empêche ce recours.
2 [1973] C.F. 1194.
Le pouvoir discrétionnaire dévolu au Ministre
est celui identifié à l'article 8 de la Loi qui se lit
comme suit:
8. (1) Le Ministre peut délivrer un permis écrit autorisant
toute personne à entrer au Canada, ou, étant dans ce pays, à y
demeurer, à l'exclusion
a) d'une personne visée par une ordonnance d'expulsion à
qui un tel permis n'a pas été délivré avant le 13 novembre
1967, ou
b) d'une personne au sujet de laquelle a été interjeté, en
vertu de l'article 17 de la Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration, un appel qui a été rejeté.
(2) Un permis doit porter qu'il est en vigueur pour une
période déterminée d'au plus douze mois.
(3) Le Ministre peut toujours, par écrit, proroger la validité
d'un permis ou l'annuler.
(4) Le Ministre peut, lors de l'annulation ou l'expiration
d'un permis, rendre une ordonnance d'expulsion concernant la
personne en cause.
(5) Le Ministre doit soumettre au Parlement, dans les trente
jours de l'ouverture de la première session parlementaire de
chaque année, un rapport indiquant tous les permis délivrés au
cours de l'année civile précédente, ainsi que les détails
pertinents.
A mon avis, ces pouvoirs ont préséance sur ceux
que détient l'enquêteur spécial en vertu des articles
11 et 27 de la même loi dans les cas où tous les
deux seraient saisis de la même cause; les disposi
tions de l'article 8(1) explicitent sans équivoque le
fait que le Ministre peut délivrer un permis écrit
autorisant toute personne entrée au Canada à y
demeurer à l'exclusion de deux catégories, aux-
quelles, indiscutablement, la requérante n'appar-
tient pas.
Les pouvoirs de l'enquêteur spécial sont ceux
décrits à l'article 11 de la Loi, déjà cité, et ses
devoirs sont spécifiés à l'article 27 où l'on exige
qu'il rende sa décision d'admettre ou de laisser une
personne au Canada, ou d'émettre une ordonnance
d'expulsion.
L'article 8 énumère l'objet de la discrétion du
Ministre, son droit d'exercer sa discrétion quant à
l'émission d'un permis, sa prorogation, son annula-
tion ou quant à l'émission d'une ordonnance d'ex-
pulsion et la seule obligation imposée au Ministre
lorsqu'il émet un permis est celle mentionnée au
paragraphe (5) de l'article 8, soit de soumettre au
Parlement un rapport indiquant tous les permis
délivrés au cours de l'année civile précédente ainsi
que les détails pertinents.
Il faut reconnaître que le Ministre et l'enquêteur
spécial peuvent être saisis d'une même affaire,
impliquant la même personne, et ayant le même
objet, celui de demeurer au Canada. Telle est
d'ailleurs la situation de la requérante, qui, après
qu'elle eût, comme elle en avait le droit, sollicité
auprès du Ministre un permis ministériel, fut plus
tard convoquée à une enquête spéciale, dans le but
de déterminer si elle pouvait demeurer au Canada.
Il est important de souligner que nulle part dans la
convocation à l'enquête, est faite une référence
quelconque à la demande du permis ministériel de
la requête.
Le pouvoir du Ministre d'émettre ou de refuser
un permis est de sa juridiction exclusive. En effet,
les pouvoirs que le Ministre peut déléguer à ses
représentants sont strictement limités à ce que le
Parlement a autorisé. Or, il n'existe nulle part
dans la Loi et le Règlement une disposition autori-
sant le Ministre, directement ou indirectement, à
déléguer à un enquêteur spécial ces pouvoirs confé-
rés à l'article 8. En l'absence de telle autorisation
législative, la doctrine et la maxime «delegatus non
potest delegare» interdisent à l'intimé de poser
quelque geste que ce soit qui, à toute fin pratique,
empêche ultérieurement le Ministre de rendre une
décision favorable à la requérante en réponse à sa
demande en vertu de l'article 8. Or, c'est précisé-
ment ce qui arriverait, si l'enquêteur spécial tenait
l'enquête et décidait d'émettre contre la requé-
rante une ordonnance d'expulsion, puisque dans ce
cas la requérante tomberait dans la catégorie des
personnes visées par l'article 8(1)b) auxquelles le
Ministre ne peut délivrer un permis. La requérante
subirait alors un dommage irréparable dû au fait
que l'enquêteur spécial aurait, à toutes fins prati-
ques, empêché le Ministre d'exercer sa discrétion
exclusive, prévue à l'article 8 de la Loi.
Il est utile de distinguer entre la nature des
pouvoirs conférés au Ministre en vertu de l'article
8 et ceux délégués à l'enquêteur spécial en vertu
des articles 11 et 27. Dans le premier cas, c'est une
fonction de nature purement administrative, dans
le second cas c'est une fonction quasi judiciaire,
soumise au pouvoir de surveillance et de contrôle
des tribunaux.
Le refus de l'intimé d'ajourner l'enquête peut
rendre illusoires les possibilités pour la requérante
d'obtenir une décision favorable vu sa demande en
vertu de l'article 8 car au droit ou privilège de
pouvoir faire une demande correspond implicite-
ment celui d'obtenir une décision sur la demande
de privilège. Cette interprétation est d'ailleurs con-
firmée à l'avant-dernier paragraphe de la lettre
datée du 28 avril 1977, adressée à la requérante et
où on lui promet une réponse dans les semaines à
venir.
Il me semble évident que le législateur, par
l'article 8, a prévu que dans certains cas des
technicalités trop rigides empêcheraient la Loi
d'atteindre ses objectifs et a confié au Ministre une
discrétion entière pour éviter des situations inéqui-
tables, discrétion limitée seulement par deux faits:
ordonnance d'expulsion et appel rejeté par la Com
mission d'appel. Une telle discrétion est sûrement
«unfettered» car elle est quasi sans limite.
L'on reconnaît que si l'enquêteur spécial con-
cluait que la requérante devrait être admise, il n'y
aurait aucunement lieu pour le Ministre d'exercer
sa discrétion. Mais dans l'état actuel des faits, le
Ministre fut saisi d'une demande sous le régime de
l'article 8 et comme réponse, à part le vague
accusé de réception laissant supposer que la lettre
de la requérante était une demande de renseigne-
ments, il y eut convocation devant l'enquêteur
spécial. Il y a maintenant possibilité que le Minis-
tre ne puisse exercer sa discrétion. Ce n'est sûre-
ment pas du ressort d'un enquêteur spécial de faire
en sorte que le Ministre soit privé d'un droit
exclusif que la Loi lui confère.
Il est facile de faire une analogie entre l'affaire
présente et une autre, toute récente, jugée par la
Cour suprême en un jugement unanime daté du 23
novembre 1977, écrit par le juge Pratte. Il s'agit de
l'affaire Ramawad c. Le ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration [1978] 2 R.C.S. 375.
Il s'agissait de déterminer si l'enquêteur spécial
avait eu droit de faire fi de la discrétion réservée
au Ministre quant à savoir s'il y avait «existence de
circonstances spéciales» laquelle discrétion appa-
raît à l'article 3Gd) du Règlement sur l'immigra-
tion et par voie de conséquence si l'ordonnance
d'expulsion était valide. Il fut décidé à l'unanimité
que l'ordonnance d'expulsion était invalide.
Dans l'affaire Ramawad il y avait ordonnance
d'expulsion; dans l'affaire Laneau, il peut y avoir
ordonnance d'expulsion; dans l'affaire Ramawad
la discrétion quant à l'existence de circonstances
spéciales émanait du Règlement et dans l'affaire
Laneau la discrétion est le pouvoir conféré par la
Loi à l'article 8; dans l'affaire Ramawad, l'ordon-
nance rendait impossible pour le Ministre d'exer-
cer sa discrétion régie par l'article 8 et dans l'af-
faire Laneau, l'enquêteur spécial, malgré la
demande de permis en vertu de la discrétion du
Ministre, sous le régime de l'article 8, peut empê-
cher l'exercice de cette discrétion en émettant une
ordonnance d'expulsion; dans l'affaire Ramawad
l'on a invalidé une ordonnance d'expulsion et dans
l'affaire Laneau l'on peut ajourner une enquête.
Ces points expliqueront les longs extraits du juge-
ment en l'affaire Ramawad.
A la page 377 du jugement on lit ces remarques
relatives à l'enquête:
L'enquêteur spécial tint une enquête conformément au par.
23(2) de la Loi. Après l'audition, le 8 octobre 1975, l'enquêteur
spécial jugea qu'on ne pouvait autoriser l'appelant à rester au
Canada; dans sa décision, il déclarait que l'appelant ne pouvait
obtenir un visa d'emploi parce qu'en changeant d'employeur
sans l'autorisation d'un fonctionnaire à l'immigration, il avait
enfreint, au cours des deux années précédentes, une des condi
tions du visa qui lui avait été délivré le 27 juillet 1974.
Je cite cet extrait pour souligner le fait qu'il
s'agissait d'une chose aussi insignifiante qu'un
changement d'emploi sans permission.
Quant à l'autorité et la discrétion sous la Loi sur
l'immigration, nous lisons ces remarques du juge
Pratte aux pages 381 et 382:
Dans la Loi sur l'immigration, le Parlement reconnaît l'exis-
tence de plusieurs niveaux d'autorité: le gouverneur en conseil,
le Ministre, le directeur, le fonctionnaire supérieur à l'immigra-
tion, l'enquêteur spécial et le fonctionnaire à l'immigration. La
Loi définit clairement les pouvoirs conférés à chaque niveau par
le Parlement. Dans certains cas, la Loi permet que l'autorité
puisse être exercée par plusieurs niveaux. Par exemple, l'art. 12
prévoit que les agents de la paix doivent exécuter tout mandat
rendu en vertu de la Loi en vue de l'arrestation, la détention ou
l'expulsion «s'ils en sont requis par le Ministre, le sous-ministre,
le directeur, un enquêteur spécial ou un fonctionnaire à l'immi-
gration». De même le par. 36(2) autorise «le Ministre, le
directeur, un enquêteur spécial, ou un fonctionnaire à l'immi-
gration» à donner des directives à l'égard de l'expulsion d'une
personne frappée d'une ordonnance d'expulsion.
De même, les règlements d'application de la Loi font une
distinction nette entre les pouvoirs conférés au Ministre et les
pouvoirs conférés aux fonctionnaires.
Bien entendu, dans la Loi et le Règlement, les fonctions les
plus importantes ont été réservées au pouvoir discrétionnaire du
Ministre alors que les pouvoirs dans les autres domaines ont été
délégués directement à des fonctionnaires spécifiquement
désignés.
L'économie générale de la Loi et du Règlement révèle claire-
ment l'intention du Parlement et du gouverneur général en
conseil, savoir que les pouvoirs conférés au Ministre doivent
être exercés par lui plutôt que par des fonctionnaires agissant
en vertu d'une délégation implicite, sous réserve bien sûr de
dispositions législatives contraires. En d'autres termes, la légis-
lation en question, en raison de sa structure particulière et
peut-être aussi de son objet, ne permet absolument pas de dire,
comme c'était le cas dans Harrison*, que le pouvoir de déléga-
tion du Ministre est implicite. Bien au contraire.
A l'appui de cela, je citerai l'art. 67 de la Loi qui dispose:
«Le Ministre peut autoriser le sous-ministre ou le directeur
à remplir et exercer les devoirs, pouvoirs et fonctions qu'il est
ou qu'il peut être tenu de remplir ou d'exercer aux termes de
la présente loi ou des règlements et tout devoir, pouvoir ou
fonction rempli ou exercé par le sous-ministre ou par le
directeur sous l'autorité du Ministre est réputé l'avoir été par
le Ministre.»
Cet article a nécessairement pour effet d'interdire au Minis-
tre de déléguer des pouvoirs qui lui ont été conférés à des
personnes qui n'y sont pas mentionnées.
Je conclus donc que le pouvoir discrétionnaire confié au
Ministre par l'al. 3Gd) du Règlement doit être exercé par lui
ou, si elle est dûment autorisée, par une des personnes mention-
nées à l'art. 67, ce qui exclut l'enquêteur spécial qui a rendu
l'ordonnance d'expulsion en cause.
En conséquence, on ne peut considérer la décision de l'enquê-
teur spécial en l'espèce, selon laquelle «il n'y a aucune circons-
tance particulière qui justifierait l'application de l'al. 3Gd) du
Règlement sur l'immigration comme le demande l'avocat»
comme une décision du Ministre. Elle est donc invalide.
Dans l'affaire présente, il n'y a pas d'ordon-
nance d'expulsion, mais il y a le risque qu'il y en
ait une et ce risque existe alors que le Ministre est
saisi de la demande de permis. Le fonctionnaire ne
devrait pas commencer une enquête spéciale si l'on
a eu recours à la discrétion ministérielle avant que
débute l'enquête spéciale parce que le résultat de
cette enquête peut nullifier l'exercice de la discré-
tion du Ministre.
* La Reine c. Harrison [1977] 1 R.C.S. 238.
Quant au droit d'avoir recours au Ministre, nous
lisons aux pages 382 et 383:
Mais l'ordonnance d'expulsion est-elle viciée par l'invalidité
de la décision de l'enquêteur spécial en vertu de l'al. 3Gd) du
Règlement? A mon avis, oui.
Aux termes de l'al. 3Gd), l'appelant a droit à une décision du
Ministre sur «l'existence de circonstances particulières». L'ap-
pelant tire ce droit directement du Règlement et l'enquêteur
spécial n'a aucun pouvoir de l'abroger directement ou
indirectement.
En prétendant exercer le pouvoir conféré au Ministre par l'al.
3Gd) du Règlement et en rendant sur-le-champ une ordon-
nance d'expulsion contre l'appelant, l'enquêteur spécial a en
réalité privé l'appelant de son droit de faire trancher par le
Ministre la question de l'existence de circonstances particuliè-
res au sens de l'al. 3Gd). En fait, une fois l'ordonnance
d'expulsion rendue, le Ministre ne pouvait plus exercer de
pouvoir discrétionnaire dans cette affaire en raison de l'art. 8 de
la Loi qui prévoit que:
«Le Ministre peut délivrer un permis écrit autorisant toute
personne à entrer au Canada, ou, étant dans ce pays, à y
demeurer, à l'exclusion
a) d'une personne visée par une ordonnance d'expulsion à
qui un tel permis n'a pas été délivré avant le 13 novembre
1967, ...»
Autrement dit, une fois l'ordonnance d'expulsion rendue, le
Ministre ne pouvait plus empêcher l'expulsion de l'appelant
même s'il considérait alors qu'«en raison de circonstances parti-
culières», il y avait lieu de lever l'interdiction prescrite à l'al.
3D(2)b). Il faut aussi noter que, si l'interdiction avait été levée
avant le prononcé de l'ordonnance d'expulsion, l'appelant aurait
pu demander un visa d'emploi puisque le seul obstacle à
l'obtention d'un tel visa était l'application de l'al. 3D(2)b). Il
est donc évident que nous traitons ici de questions de fond
plutôt que de procédure.
Dans l'affaire présente, la requérante a droit que
le Ministre exerce sa discrétion, tout comme dans
l'affaire Ramawad; si l'enquêteur spécial émet une
ordonnance d'expulsion, tout comme dans l'affaire
Ramawad l'on aura nié à la requérante son droit à
ce que le Ministre exerce sa discrétion et l'ordon-
nance pourra être cassée.
Quant à l'effet de la nullité de la décision de
l'enquêteur spécial, nous lisons aux pages 383 et
384:
Décider que l'invalidité de la décision de l'enquêteur spécial
quant à l'absence de circonstances particulières au sens de l'al.
3Gd) n'a aucun effet sur la validité de l'ordonnance d'expulsion
conduirait à une conclusion injustifiable, savoir, que l'enquêteur
spécial pourrait, en exerçant abusivement le pouvoir conféré au
Ministre par l'al. 3Gd), supprimer le droit du non-immigrant
en vertu dudit alinéa en empêchant le Ministre d'exercer le
pouvoir discrétionnaire qui lui a été confié.
A mon avis, les remarques suivantes s'appli-
quent à l'affaire présente sans qu'on ait de distinc
tion à faire, page 384:
A mon avis, dès que l'on demande au Ministre son avis
conformément à l'al. 3Gd), tout pouvoir de l'enquêteur spécial
de rendre une ordonnance d'expulsion est alors suspendu et la
seule chose que ce dernier peut faire dans ces circonstances est
d'ajourner sa décision jusqu'à ce que le Ministre ait tranché la
question.
Dans le cas présent, une demande de permis a
été faite, le Ministre n'a pas encore exercé sa
discrétion en vertu de l'article 8 de la Loi, une
enquête spéciale a été commencée et il s'ensuit que
si, lorsqu'une demande à cause de l'existence de
circonstances spéciales sous le Règlement, a pour
effet de suspendre l'autorité de l'enquêteur spécial
aussi longtemps que la discrétion du Ministre n'a
pas été exercée, à plus forte raison en est-il ainsi
d'une demande de permis faite sous la Loi, à être
émis à la discrétion du Ministre.
Je ne crois pas que dans la situation présente
l'on puisse interpréter la Loi autrement que dans
l'affaire Ramawad car si l'on agit différemment,
l'enquêteur spécial peut toujours faire en sorte que
le Ministre ne puisse exercer sa discrétion.
Si discrétion a été donnée au Ministre, c'est
pour qu'il puisse être en mesure de l'exercer, tout
comme le non-immigrant a le droit de demander
un permis que le Ministre peut accorder en vertu
de cette discrétion qui lui est conférée à l'article 8
de la Loi. Il serait aberrant que l'enquêteur spécial
puisse nier ce droit de discrétion au Ministre et au
non-immigrant.
Il est par les présentes interdit à l'intimé de
continuer l'enquête en cours, dont la requérante
fait l'objet, aussi longtemps que le Ministre n'aura
pas exercé sa discrétion, le tout avec dépens contre
l'intimé et le mis-en-cause.
ORDONNANCE
Il est interdit à l'intimé de continuer l'enquête
en cours, dont la requérante fait l'objet, aussi
longtemps que le Ministre n'aura pas exercé sa
discrétion, le tout avec dépens contre l'intimé et le
mis-en-cause.
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