A-553-76
Mike Sheehan (Requérant)
c.
Upper Lakes Shipping Ltd. et le Conseil canadien
des relations du travail (Intimés)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie et le juge
suppléant MacKay—Toronto, les 27 et 28 septem-
bre 1977.
Examen judiciaire — Relations du travail — Pratiques
déloyales de travail — Erreur à la lecture du dossier de la
décision du Conseil canadien des relations du travail — Refus
de l'intimée d'embaucher le requérant à cause de l'exclusion de
ce dernier du Syndicat — Le Conseil a jugé que la plainte
n'avait pas été présentée dans le délai imparti et ne violait pas
l'interdiction prévue par le Code canadien du travail — Le
Conseil a-t-il erré? — Code canadien du travail, S.R.C. 1970,
c. L-1 (modifié par S.C. 1972, c. 18), art. 184(3)a)(ii), 187(2),
188(3) — Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art. 24(1)
— Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
La présente demande, introduite sous l'autorité de l'article
28, vise à faire annuler une décision du Conseil canadien des
relations du travail qui a rejeté une plainte déposée par le
requérant contre Upper Lakes Shipping Ltd. Cette plainte
faisait valoir que la compagnie avait refusé de l'embaucher à
cause de son exclusion du S.I.M. et, plus tard, du S.M.C.—
exclusions qui ont eu lieu en 1960—et ce, contrairement à
l'interdiction prévue à l'article 184(3)a)(ii) du Code canadien
du travail. Malgré la décision du Conseil selon laquelle la
plainte ne pouvait suivre son cours parce que déposée hors du
délai prévu, le Conseil a exprimé son point de vue sur le
bien-fondé de la plainte et a conclu qu'il n'y avait pas eu
violation de l'interdiction. Le requérant fait valoir, en premier
lieu, que les exclusions ne doivent être que des facteurs détermi-
nants dans le refus de l'embaucher, et non la raison d'être de ce
refus et, en second lieu, que la preuve n'a qu'à établir que ces
refus ont été fondés, en tout ou en partie, sur la connaissance de
ces exclusions.
Arrêt: la demande est accueillie. Chaque demande d'emploi
suivie d'un refus en contravention de l'article 184, aurait pu
faire l'objet d'une plainte si elle avait eu lieu après l'entrée en
vigueur de l'article 184, soit le 1°' mars 1973. Le Conseil a erré
en concluant que la plainte n'avait pas été déposée dans le délai
fixé. L'exclusion du requérant du S.I.M. et du S.M.C. a été la
cause directe du refus de l'embaucher. Le fait que ni l'un ni
l'autre de ces syndicats ne représente actuellement les employés
de l'unité de négociation importe peu; chacun était un syndicat
au sens de l'article 184(3)a)(ii). Bien que la Fraternité cana-
dienne des cheminots, employés des transports et autres
ouvriers ne soit pas, strictement, le syndicat qui a succédé au
S.M.C. ou qui s'est fusionné à ce dernier, cela ne signifie pas
que les exclusions des syndicats antérieurs rendent inapplicable
l'article 184(3)a)(ii).
Arrêt approuvé: R. c. Bushnell Communications Ltd.
(1974) 1 O.R. (2') 442; et (1975) 4 O.R. (2') 288. Arrêt
appliqué: Central Broadcasting Co. Ltd. c. Le Conseil
canadien des relations du travail [1977] 2 R.C.S. 112.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
D. Moore pour le requérant.
E. Rovet pour l'intimée Upper Lakes Ship
ping Ltd.
L. M. Huart pour l'intimé, le Conseil cana-
dien des relations du travail.
PROCUREURS:
Lockwood, Bellmore & Strachan, Toronto,
pour le requérant.
Stikeman, Elliott, Robarts & Bowman,
Toronto, pour l'intimée Upper Lakes Ship
ping Ltd.
Le conseiller juridique du Conseil canadien
des relations du travail, Ottawa, pour l'intimé
le Conseil canadien des relations du travail.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Il s'agit en l'espèce d'une
demande, introduite sous l'autorité de l'article 28,
visant à faire annuler une décision du Conseil
canadien des relations du travail [(1977) 17 di 14]
rendue le 27 juillet 1976 qui a rejeté une plainte
déposée par le requérant contre l'intimée, Upper
Lakes Shipping Ltd., (ci-après appelée «la compa-
gnie»), alléguant que la compagnie avait violé l'ar-
ticle 184(3)a)(ii) du Code canadien du travail,
S.R.C. 1970, c. L-1, modifié par S.C. 1972, c. 18,
(ci-après appelé, «le Code»). L'article se lit comme
suit:
184....
(3) Nul employeur et nulle personne agissant pour le compte
d'un employeur ne doit
a) refuser d'embaucher ou de continuer à employer une
personne, ni autrement prendre contre une personne des
mesures discriminatoires en ce qui concerne un emploi ou
une condition d'emploi, parce que cette personne
(ii) a été exclue définitivement ou temporairement d'un
syndicat pour une raison autre que le défaut de paiement
des cotisations périodiques, contributions et droits d'adhé-
sion que tous les membres du syndicat sont uniformément
tenus de payer pour adhérer ou rester adhérents au
syndicat,
Dans une lettre datée du 23 mai 1974, adressée
au Conseil canadien des relations du travail, le
requérant allègue, entre autres, que les dirigeants
de la compagnie ont enfreint l'article 184(3)a)(ii)
[TRADUCTION] «par leur refus constant d'inscrire
mon nom sur une liste d'emploi ou de m'embau-
cher parce que j'aurais été exclu du S.M.C.
(C.M.U.)». S.M.C. est le sigle utilisé par le requé-
rant dans sa plainte, il désigne le Syndicat des
marins du Canada (Canadian Maritime Union),
Fraternité canadienne des cheminots, employés des
transports et autres ouvriers. Les dirigeants de la
compagnie visés dans les allégations sont B. Merri-
gan, le vice-président au personnel et J. D. Leitch,
le président de la compagnie. Le requérant a
déclaré que le 26 avril 1974 et le 3 mai 1974,
Merrigan et Leitch, respectivement, ont refusé de
l'embaucher en qualité de marin non breveté à
bord de navires appartenant à la compagnie parce
qu'il avait été exclu d'un syndicat pour des motifs
autres que le défaut de paiement des cotisations et
ce, contrairement à l'article 184(3)a)(ii) de la Loi.
La plainte faisait état de rencontres antérieures
entre le requérant et MM. Merrigan et Leitch. La
plainte renfermait en outre des allégations portant
que la section locale 401 du Syndicat des marins
du Canada, Fraternité canadienne des cheminots,
employés des transports et autres ouvriers, avaient
violé d'autres articles de la Loi.'
La compagnie, par le biais de ses procureurs, a
déposé en réponse à la plainte, le 13 juin 1974, une
réponse qui niait les allégations contenues dans
ladite plainte. La réponse exigeait des détails
quant aux rencontres entre le requérant et MM.
Merrigan et Leitch et alléguait que la plainte
n'avait pas été déposée dans le délai fixé, contrai-
rement à l'article 187(2) du Code. Les paragra-
phes pertinents de l'article 187 se lisent comme
suit:
187. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), toute per-
sonne ou organisation peut adresser au Conseil, par écrit, une
plainte portant qu'un employeur, une personne agissant pour le
compte d'un employeur, un syndicat, une personne agissant
pour le compte d'un syndicat ou un employé ne s'est pas
conformé aux articles 148, 184 ou 185.
(2) Sous réserve des autres dispositions du présent article,
une plainte pouvant être déposée en application du paragraphe
(1) doit être adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours
qui suivent la date à compter de laquelle le plaignant a eu ou,
de l'avis du Conseil, aurait dû avoir connaissance des mesures
ou des circonstances donnant lieu à la plainte.
' La décision du Conseil qui a rejeté la plainte portée contre
le syndicat a fait l'objet d'une autre demande présentée sous
l'autorité de l'article 28, à la page 847 infra, dont l'audition a
eu lieu une fois complétée l'argumentation concernant la pré-
sente demande.
Afin de comprendre le fondement de cette pro
position, il faut se reporter brièvement à l'histori-
que des relations entre le requérant, la compagnie
et les syndicats qui, de temps à autre, ont été mis
en cause.
Le témoignage du requérant révèle qu'il a
exercé, depuis l'âge de 14 ans, le métier de marin
au Royaume-Uni et au Canada, à bord de chalu-
tiers, de paquebots, de navires de haute mer desti-
nés au sauvetage, de navires de guerre et de navi-
res affectés au transport maritime sur les Grands
Lacs. Peu de temps après sa libération de la
Marine royale canadienne, survenue après la
Seconde Guerre mondiale, il s'est intéressé au
mouvement syndical canadien à titre d'officier
dans le Syndicat international des marins (ci-après
appelé le «S.I.M.»).
En 1961 ou vers cette date, le requérant a été
exclu du S.I.M. à cause de son rôle dans la mise
sur pied du Syndicat des marins du Canada (ci-
après appelé le «S.M.C.») dont il fut le premier
président. Le S.M.C. est devenu l'agent négocia-
teur des marins non brevetés au service de la
compagnie intimée. En 1964, le requérant a été
exclu du S.M.C. Avant son exclusion, il avait
rencontré, à plusieurs reprises, J. D. Leitch durant
la période de mise sur pied du S.M.C.; il va sans
dire que M. Leitch était au courant de l'exclusion
du requérant des deux syndicats. La preuve
démontre également que ces faits étaient bien
connus de M. Merrigan.
Durant la fin des années 1960 et au début des
années 1970, le requérant a tenté d'obtenir, par
intervalles, un emploi en qualité de marin non
breveté auprès de la compagnie et d'autres pro-
priétaires de navires, mais ses tentatives ont
échoué. Dans une plainte amendée où il a donné
un certain nombre de détails relativement à ses
allégations, le requérant a déclaré qu'il avait à six
reprises, avant 1974, rencontré M. Leitch et que ce
dernier lui aurait déclaré à chaque fois que la
compagnie, en aucun cas, ne l'embaucherait.
Le 3 mai 1974, le requérant, après avoir pris un
rendez-vous à cet effet, a rencontré M. Leitch dans
sa chambre dans un hôtel de Toronto. La plainte
relate cette rencontre en ces termes:
[TRADUCTION] Le 3 mai 1974, je l'ai rencontré à l'hôtel
Royal York de Toronto. Je lui avais téléphoné environ une
semaine auparavant et lui avais demandé de me rencontrer
parce que je n'arrivais à aucun résultat avec le «Personnel». Il a
accepté de me rencontrer et l'a effectivement fait. A la réunion,
il m'a dit, comme c'est de mise, que j'avais l'air bien. Il m'a
demandé ce que je faisais. Je lui ai répondu: «Rien. C'est
pourquoi je voulais vous rencontrer. Je veux retourner travailler
à bord d'un navire, c'est là où je suis bien. J'estime que vous me
devez quelque chose. Après tout, c'est moi qui ai réellement
permis à votre entreprise de continuer à fonctionner et qui ai
mis fin à l'étranglement de votre compagnie par le S.I.M. Il ne
me reste que cinq ans avant de toucher ma pension du Canada
et je voudrais pouvoir retourner à mon métier, la navigation». Il
m'a répondu: «Si tu reviens naviguer sur nos navires, tu feras du
syndicat ton cheval de bataille. Nous ne voulons pas être
dérangés, par conséquent, nous nous efforcerons de te tenir
éloigné et ce, à n'importe quel prix. J'utiliserai tous les moyens
à ma disposition pour ce faire. Mais indépendamment de cela,
je suis disposé à t'aider de quelque façon que ce soit».
Je lui ai alors déclaré que j'allais demander au Conseil
canadien des relations du travail d'étudier mon cas parce que
j'estimais qu'il s'agissait bel et bien d'un cas de discrimination.
Il m'a dit: «Tu as peut-être la moitié des chances de ton côté».
J'ai répondu: «Je pense avoir toutes les chances.» Nous nous
sommes alors quittés sur un ton amical.
Le requérant a également déclaré dans sa
plainte qu'il avait, depuis 1963, rencontré à plu-
sieurs reprises M. Merrigan et qu'à chaque fois, ce
dernier lui aurait déclaré qu'il n'aurait plus jamais
l'occasion de naviguer sur l'un quelconque des
navires de la compagnie.
Au début des procédures devant le Conseil, la
compagnie et le syndicat ont tous deux fait valoir
que parce que la prétendue infraction avait eu lieu,
à l'origine, dès 1963, soit avant l'adoption du Code
canadien du travail qui est entré en vigueur le l»r
mars 1973, elle ne pouvait faire l'objet d'une
plainte en vertu de l'article 184(3)a)(ii). Advenant
le rejet de cette proposition, on a allégué, à titre
subsidiaire, que la plainte avait été déposée au-
delà des quatre-vingt-dix jours qui suivent la date
à compter de laquelle le requérant a eu ou aurait
dû avoir connaissance des mesures ou des circons-
tances donnant lieu à la plainte. L'avocat de la
compagnie a adopté le point de vue voulant que,
puisque les demandes d'emploi s'étendant de 1963
jusqu'à mai 1974 et que leurs rejets étaient subs-
tantiellement les mêmes, le requérant avait eu
connaissance des actes contestés bien avant de
déposer sa plainte concernant cette pratique
déloyale. Le Conseil a suspendu sa décision relati-
vement à cette proposition jusqu'à ce que l'audi-
tion au fond de la plainte ait été terminée. Dans
ses motifs de décision en date du 27 juillet 1976
[(1977) 17 di 14 aux pages 20 et 21], le Conseil a
traité de la question du délai de présentation en ces
termes:
1. Le délai de présentation
Dans sa décision intérimaire, le Conseil a résolu de prendre
sous réserve les objections préliminaires soulevées par l'em-
ployeur-intimé jusqu'à ce que l'audition soit complétée et que le
Conseil ait pris connaissance des faits sous-jacents à la plainte.
Cette décision reflétait le souci du Conseil de permettre à un
plaignant de présenter sa cause devant lui à moins qu'il n'ait été
clairement établi que sa plainte était tout à fait sans fondement
ou qu'elle était irrecevable aux termes du Code canadien du
travail (Partie V—Relations industrielles).
Après avoir entendu les témoins, le Conseil est convaincu que
M. Sheehan n'a effectivement pas porté plainte dans le délai
imparti en ce que, dans les circonstances, les incidents dont il se
plaint ne peuvent être considérés comme des incidents séparés.
Il ne s'agit en fait que du dernier épisode d'une longue suite
d'événements qui a commencé au début des années 60.
Même si le Conseil est d'avis que l'alinéa 118m) du Code lui
confère le pouvoir de proroger le délai de présentation d'une
plainte, il reste que cet alinéa ne lui permet pas de recevoir des
plaintes fondées sur une situation qui a pris naissance avant
même l'entrée en vigueur des articles pertinents du Code,
c'est-à-dire avant le ler mars 1973.
En toute déférence, je suis d'avis que la conclu
sion du Conseil est erronée. En premier lieu, puis-
que les interdictions incorporées dans l'article 184
ne sont entrées en vigueur qu'en mars 1973, il n'a
pu y avoir infraction à ces interdictions qu'après
cette date. Par conséquent, à mon sens, les événe-
ments qui se sont produits avant cette date n'ont
aucun rapport avec l'infraction commise ultérieu-
rement. Si ce qui a été fait après l'adoption de la
loi constituait une infraction, le fait qu'exactement
la même chose aurait pu se produire impunément
avant son adoption n'en constitue pas moins une
violation de la loi. De plus, à mon avis, il est clair
que chaque demande d'emploi suivie d'un refus en
contravention de l'article 184, aurait pu faire l'ob-
jet d'une plainte. En l'espèce, puisque la plainte a
été déposée le 23 mai 1974 relativement à des
prétendus refus en date du 26 avril 1974 et du 3
mai 1974 d'embaucher le requérant, on ne peut
conclure que la plainte n'a pas été déposée dans le
délai fixé et le Conseil a erré en concluant qu'elle
l'avait été.
Nonobstant la décision du Conseil selon laquelle
la plainte ne pouvait suivre son cours parce que
déposée hors du délai prévu, le Conseil a voulu
exprimer son point de vue sur le bien-fondé de la
plainte relativement aux pratiques déloyales et a
conclu que la compagnie n'avait pas, par ses actes,
violé l'interdiction prévue à l'article 184(3)a)(ii)
du Code. Voici un extrait de la page 21 des motifs:
Après étude de la preuve, le Conseil est convaincu qu'à
l'occasion des rencontres qu'ils ont eues avec le plaignant en
avril et mai 1974, M. Leitch et M. Merrigan n'ont pas refusé
de l'embaucher parce qu'il avait été expulsé du SIMC et du
Syndicat des marins du Canada pour des raisons autres que le
défaut de payer les cotisations ordinaires. Par conséquent, le
Conseil estime que l'employeur n'a pas violé les dispositions du
sous-alinéa 184(3)a)(ii) du Code canadien du travail (Partie
V—Relations industrielles).
Il est évident que M. Leitch et M. Merrigan connaissaient
très bien M. Sheehan et n'ignoraient rien de son passé au
Syndicat des marins du Canada. Le Conseil est tout de même
convaincu que leur décision de refuser de l'embaucher en tant
que marin à bord des navires de l'employeur ne dépend pas de
son expulsion du SIMC et du Syndicat des marins du Canada.
La thèse du requérant est fondée sur deux
propositions.
En premier lieu, la question exacte à poser pour
déterminer si les refus de M. Merrigan ou de M.
Leitch, agissant en leur qualité de dirigeants de la
compagnie, d'embaucher ou non le requérant, con-
treviennent à l'article 184(3)a)(ii), n'est pas:
Ont-il refusé parce que le requérant a été exclu?
mais plutôt: Les exclusions ont-elles été des fac-
teurs déterminants dans la décision de ne pas
l'embaucher?
En second lieu, si l'on convient que la dernière
question est la question exacte à formuler, alors la
prochaine question à poser est celle-ci: La preuve
démontre-t-elle, en l'espèce, que la connaissance de
telles exclusions a déterminé, en tout ou en partie,
les refus?
En ce qui concerne la première proposition,
j'estime qu'il faut examiner la décision du juge
Hughes de la Haute Cour de Justice de l'Ontario,
R. c. Bushnell Communications Ltd. (1974) 1
O.R. (2e) 442. Dans cette affaire, l'accusé avait été
poursuivi aux termes de l'article 110(3) du Code
tel qu'il se lisait en février 1973. Le libellé de cet
article, dans la mesure où cela est nécessaire pour
les présents motifs, se lit comme suit:
110....
(3) Nul employeur, nulle personne agissant pour le compte
d'un employeur, ne doit
a) refuser d'embaucher ou de continuer d'employer une
personne, ou autrement faire des distinctions contre une
personne à l'égard d'un emploi ou d'une condition quel-
conque d'emploi parce que celle-ci est membre d'un syndicat,
ou .... [C'est moi qui souligne.]
Abstraction faite de quelques améliorations
apportées dans la rédaction française du texte
présentement en vigueur, on voit que le libellé de
cet article est identique à celui de l'article
184(3)a) jusqu'à et y compris l'expression «parce
que». Cela dit, il semble que les motifs du. juge
Hughes soient applicables en l'espèce, même si
l'affaire Bushnell traite d'une accusation portée
contre la compagnie avec l'autorisation du ministre
du Travail, comme cela était permis aux termes de
l'article précurseur de l'article 184, et non d'une
plainte de pratique déloyale de travail présenté au
Conseil. La page 447 du recueil reproduit la con
clusion suivante:
[TRADUCTION] La Cour doit examiner d'un point de vue
plus large un texte législatif dépourvu des mots «seule raison»
ou «pour la seule raison» liés au renvoi, qui ne repose que sur
l'expression «parce que». Si la Cour est convaincue, au-delà de
tout doute raisonnable, que l'adhésion d'un employé à un
syndicat a déterminé la décision de l'employeur de renvoyer ce
dernier, soit en tant que raison principale ou incidente, soit en
tant qu'une des nombreuses raisons invoquées ni à titre princi
pal ni à titre incident, alors l'art. 110(3) du Code canadien du
travail a été violé.
Je suis d'accord avec l'interprétation donnée par
le juge Hughes de l'article et j'estime que ses
motifs sont applicables en l'espèce malgré ses com-
mentaires relatifs à la charge de la preuve, com-
mentaires découlant de la nature quasi criminelle
de l'accusation dans Bushnell.
La décision du juge Hughes a été confirmée par
la Cour d'appel de l'Ontario. Le juge Evans, alors
juge d'appel, a déclaré à la page 290 du recueil
dans lequel est citée la décision de la Cour d'appel,
soit (1975) 4 O.R. (2») 288:
[TRADUCTION] Nous sommes essentiellement d'accord avec
la conclusion du juge Hughes et, à notre avis, la question à
trancher pour la Cour est celle-ci: «Quel facteur a incité
l'employeur à accomplir l'acte qu'il a effectivement accompli à
l'égard de l'employé?» Si l'on conclut que l'adhésion à un
syndicat constitue le fondement de l'acte accompli, alors il doit
y avoir condamnation; sinon un acquittement s'impose. La
question de savoir si l'adhésion à un syndicat est à l'origine de
la mesure prise est purement une question de faits que le juge
de première instance doit, en chaque cas, déterminer après
avoir évalué la crédibilité des différents témoins.
A notre avis, il faut, pour enfreindre l'art. 110(3) du Code
canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, que l'adhésion au
syndicat soit une cause directe de renvoi; mais cette cause peut
exister de concert avec d'autres causes directes.
En conclusion, l'appel est rejeté avec dépens.
Il se dégage clairement de la preuve en l'espèce
que l'un des facteurs pris en considération par les
dirigeants de la compagnie pour refuser d'embau-
cher le requérant a été l'exclusion du requérant du
S.I.M. et, plus tard, du S.M.C. Ces exclusions ont
été les causes directes du refus d'embaucher le
requérant. A mon avis, le fait que ni l'un ni l'autre
de ces syndicats ne représente actuellement les
employés de l'unité de négociation importe peu.
Chacun était «un syndicat» au sens de l'article
184(3)a)(ii) et, bien que la Fraternité canadienne
des cheminots, employés des transports et autres
ouvriers ne soit pas, strictement, le syndicat qui a
succédé au S.M.C. ou qui s'est fusionné à ce
dernier (et sur ce point, on n'a avancé aucune
preuve directe), cela ne signifie pas que les exclu-
sions des syndicats antérieurs rendent inapplicable
le sous-alinéa a)(ii) de l'article 184(3).
Cette conclusion établie, la seconde proposition
peut facilement, à mon avis, être réglée. Le requé-
rant a fait état, dans sa plainte, d'allégations con-
cernant les refus de MM. Merrigan et Leitch de
l'embaucher à l'intérieur de la compagnie. Le
requérant et M. Merrigan ont tous deux témoigné
de façon exhaustive à l'audition devant le Conseil.
M. Leitch n'a pas témoigné; les allégations du
requérant concernant la rencontre entre lui-même
et M. Leitch n'ont pas été réfutées. La plainte
reproduit clairement la prétention du requérant
selon laquelle il lui a été impossible d'inscrire son
nom au bureau d'embauchage, une condition régis-
sant l'embauchage, et que cela était dû à son
exclusion du S.I.M. et du S.M.C. Il est clair, par
conséquent, que cela constituait tout au moins
«une raison» pour la compagnie de ne pas
l'embaucher.
Le témoignage du requérant a confirmé la
plainte et fourni quelques détails à l'appui de sa
prétention. Cette prétention, du moins en ce qui
concerne la situation de M. Leitch dans cette
affaire, n'a pas été contestée ni démentie.
L'article 188(3) du Code se lit comme suit:
188....
(3) Une plainte déposée par écrit en application de l'article
187 et portant qu'un employeur ou une personne agissant pour
le compte d'un employeur ne se serait pas conformé à l'alinéa
184(3)a) constitue une preuve que cet employeur ou cette
personne ne s'est pas conformée à cet alinéa.
L'avocat du requérant a fait valoir que l'article
doit être lu de concert avec l'article 24(1) de la Loi
d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23:
24. (1) Quand un texte législatif déclare qu'un document
constitue la preuve d'un fait sans qu'il y ait, dans le contexte,
une indication que le document est une preuve concluante, ce
dernier est recevable comme preuve dans toutes procédures
judiciaires et le fait est alors réputé établi en l'absence de toute
preuve contraire.
La Cour suprême du Canada a étudié cette
question dans un autre contexte, soit celui de
l'affaire Central Broadcasting Co. Ltd. c. Le Con-
seil canadien des relations du travail [1977] 2
R.C.S. 112. Le juge de Grandpré, parlant au nom
de la Cour, a conclu aux pages 117 et 118 de ses
motifs:
La plainte est recevable comme preuve et, s'il n'y a pas d'autre
preuve, le fait qui y est allégué «est alors réputé établi». Si
d'autres éléments de preuve sont présentés, le Conseil alors est
tenu d'examiner tous ces éléments et de considérer tout aussi
bien la plainte que tous ces autres éléments, écrits ou oraux.
Après quoi, aux pages 118 et 119, discutant
d'une proposition qui consistait à savoir s'il existait
ou non une présomption selon laquelle les faits
mentionnés dans la plainte devaient être réputés
établis si, dans un cas où la preuve n'est plus
probante dans un sens que dans l'autre, ils ne sont
pas réfutés, il a déclaré ceci:
Compte tenu à la fois du par. 188(3) du Code canadien du
travail et du par. 24(1) de la Loi d'interprétation, je conclus
que l'employeur n'a pas la charge de la preuve lorsque des
éléments de preuve sont présentés en plus de la plainte; dans ce
cas, pour arriver à une conclusion, le Conseil doit examiner
l'ensemble de la preuve en tenant compte de toutes les circons-
tances. La loi édicte simplement que le fait mentionné dans la
plainte «est alors réputé établi en l'absence de toute preuve
contraire». Si l'une ou l'autre des parties présente une preuve
contraire, le Conseil n'est pas fondé à conclure que, si la preuve
n'est plus probante dans un sens que dans l'autre, la plainte est
établie. Cela reviendrait à dire que l'employeur a la charge de
la preuve et rien dans le Code ne nous permet de tirer une telle
conclusion.
Aucune question relative à la charge de la
preuve n'a été soulevée en l'espèce et les alléga-
tions concernant le rôle de M. Leitch dans les
procédures n'ont pas été contestées de la seule
façon vraiment admissible, c.-à-d. en faisant
témoigner M. Leitch. Ainsi, le Conseil n'a eu
aucune preuve contraire à examiner avant de
rendre sa décision et, en vertu des articles extraits
des deux lois citées antérieurement, les faits men-
tionnés dans la plainte, dans la mesure où ils se
rapportent à M. Leitch, doivent être réputés éta-
blis. Puisque ces faits révèlent que l'un des facteurs
qui a déterminé le refus de la compagnie d'embau-
cher le requérant a été son exclusion du S.I.M. et,
plus tard, du S.M.C., ce facteur doit être réputé
avoir été établi et la compagnie était par consé-
quent coupable d'une pratique déloyale de travail,
aux termes de l'article 184(3)a)(ii).
En raison de cette conclusion, il ne sera pas
nécessaire d'examiner ni de commenter les autres
erreurs qui auraient, son le requérant, été commi-
ses par le Conseil.
Par conséquent, je suis d'avis qu'il faut accueillir
la demande introduite sous l'autorité de l'article
28, annuler l'ordonnance du Conseil délivrée le 27
juillet 1976, dans la mesure où elle se rapporte à la
compagnie intimée, et renvoyer l'affaire au Conseil
afin qu'il rende, conformément à l'article 189 du
Code, une décision fondée sur le fait que la compa-
gnie a enfreint l'article 184(3)a)(ii) du Code.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je suis
d'accord.
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