T-1762-73
La Reine, sur la dénonciation du sous-procureur
général du Canada (Demanderesse)
c.
Gilbert A. Smith (Défendeur)
Division de première instance, le juge Dubé—
Newcastle (Nouveau-Brunswick), les 7 et 8 sep-
tembre 1976, les 16, 17, 18 et 19 mai 1977;
Ottawa, le 9 septembre 1977.
Indiens — Dénonciation par la Couronne — Terres de
réserve — Terres prétendument cédées à la Couronne pour être
vendues au bénéfice de la bande — Terres non vendues et
bénéfices non reçus — Terres occupées par le défendeur et ses
prédécesseurs en titre depuis 1838 — Ont-elles été confiées à
la province lors de la cession en 1895? — Le défendeur
détient-il valablement ces terres en vertu d'une possession
acquisitive? — Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, art. 31.
Cette dénonciation produite en vertu de l'article 31 de la Loi
sur les Indiens réclame au nom de la bande d'Indiens Red Bank
le droit de possession, à l'encontre du défendeur, d'un lopin de
terre qui serait situé dans leur réserve. La demanderesse pré-
tend que ce lopin de terre a été cédé à la Couronne pour être
vendu au bénéfice de la bande et allègue que ce lopin n'a jamais
été vendu et que la bande n'en a jamais bénéficié. Le défendeur
prétend, cependant, avoir acheté ce lopin de terre, et possède
trois contrats enregistrés à l'appui de sa prétention. Il allègue
que ledit lopin a été confié a la province lors de la cession en
1895, et que, subsidiairement, il détient ce lopin en vertu d'une
possession acquisitive.
Arrêt: l'action est rejetée. La cession de 1895 n'était pas une
cession définitive, finale consentie par la bande Red Bank à la
Couronne, mais simplement une cession conditionnelle qui ne
devenait absolue qu'après la vente et le dépôt de l'argent au
crédit de la bande. La convention de 1958 entre le Canada et le
Nouveau-Brunswick règle tous les problèmes en suspens relatifs
aux terres indiennes, y compris celui de leur transfert entre le
Canada et la province, et permet a la Reine du chef du Canada
de prendre des mesures efficaces à l'égard des terres faisant
partie desdites réserves. A cette fin, la Reine du chef du
Canada peut légitimement déposer une réclamation devant
cette cour au nom des Indiens en vertu de la Loi sur les
Indiens. Mais pour réussir, une réclamation doit s'appuyer sur
un droit non éteint. Les droits d'occupation dont on ne fait pas
usage ne durent pas indéfiniment. De 1838 à la date de cette
dénonciation en 1973, la possession acquisitive n'a été effective-
ment interrompue par aucune des parties ayant droit de le
faire, soit la province du Nouveau-Brunswick de 1838 à 1958,
le gouvernement du Canada de 1958 à 1973, et la bande Red
Bank pour ce qui touche leur propre droit d'occupation pendant
la période.
ACTION.
AVOCATS:
J. M. Bentley, c.r., et Robert R. Anderson
pour la demanderesse.
James E. Anderson, John D. Harper et Wil-
liam J. McNichol pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Anderson, MacLean & Chase, Moncton, pour
le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DUBE: Il s'agit d'une dénonciation
produite par le sous-procureur général du Canada
en vertu de l'article 31 de la Loi sur les Indiens'
réclamant au nom de la bande d'Indiens Red Bank
le droit de possession, à l'encontre du défendeur,
d'un lopin de terre présumément situé dans la
réserve indienne Red Bank n° 7, comté de North-
umberland, province du Nouveau-Brunswick.
La demanderesse prétend que ce lopin de terre
est situé dans la partie de la réserve qui a été cédée
à la Couronne en 1895 pour être vendue au béné-
fice de la bande. On allègue que ce lopin précis
n'a, en fait, jamais été vendu et que la bande n'en
a jamais bénéficié.
Par ailleurs, le défendeur prétend avoir acheté le
lopin de terre à un certain Isaac Mutch et possède
trois contrats enregistrés, en date du 26 septembre
1952, du 8 septembre 1958 et du 16 juillet 1959 à
l'appui de sa prétention.
Les pièces produites pour la Couronne comptent
des levés, plans et actes du début du dix-neuvième
siècle indiquant les possessions des terres de la
réserve indienne sur la rivière Little Southwest
Miramichi, l'un des nombreux embranchements de
la rivière Miramichi. Le document de cession lui-
même, en date du 6 juin 1895, a cédé à la Cou-
ronne, entre autres, les lots 1, 2, 3, 5, 6, 7 et 17 sur
le côté nord de la rivière Little Southwest Mirami-
chi. Un rapport concomitant envoyé au surinten-
dant général, Affaires indiennes, en date du 30
juillet 1896, déclare que les lots [TRADUCTION]
«sont occupés par des colons sans titre, la cession
ayant pour but de permettre au ministère des
Affaires indiennes de vendre les lots aux parties
qui les occupent».
1 S.R.C. 1970, c. I-6.
Une lettre en date du 15 juillet 1898 envoyée
par un représentant du ministère des Affaires
indiennes au «Secrétaire, ministère des Affaires
indiennes, Ottawa», rapporte que [TRADUCTION]
«conformément aux directives ... j'ai visité cette
réserve». Le représentant a noté que les lots 6, 7 et
8 étaient occupés par James Mutch.
Un mémoire en date du 12 août 1898, envoyé au
secrétaire après la tenue d'une enquête concernant
[TRADUCTION] «la question des colons sans titre
de la réserve indienne Red Bank» relate ce qui suit
concernant le lot 6, au nord de la rivière Little
Southwest:
[TRADUCTION]
Lot Occupant Remarques
6 James Mutch L'occupant désire acheter et paiera
partie du prix l'automne prochain.
Dans une lettre en date du 5 juillet 1901 adres-
sée au sous-ministre de la Justice, Ottawa, le
secrétaire écrit:
[TRADUCTION] On me demande d'inclure un exposé des faits
concernant les colons sans titre de la réserve indienne Red
Bank, comté de Northumberland (N.-B.), et d'exiger que des
mesures soient prises pour les forcer à payer les terres.
L'exposé des faits énumère les noms [TRADUC-
TION] «des occupants des [lots] non vendus» y
compris celui de James Mutch pour le lot 6, au
nord de la rivière Little Southwest.
Dans une lettre en date du 14 mars 1919 de H.
G. Buoy, inspecteur forestier, à un certain M. Orr,
on recommande [TRADUCTION] «que l'on offre à
M. Isaac Mutch la possibilité d'acheter cette terre
au prix de $2 l'acre», faisant référence à la [TRA-
DUCTION] «moitié est du lot n° 6 du côté nord de la
rivière Little South West Miramichi dans la
réserve Redbank».
Dans une lettre postérieure entre les mêmes
parties en date du 10 juin 1919, Buoy conclut
[TRADUCTION] «je partage son opinion (celle de
Mutch) que $2 l'acre pour toute la terre serait un
prix excessif et à mon avis $1.50 l'acre représente-
rait un prix raisonnable et équitable».
Un mémoire en date du 16 mars 1960, prove-
nant du surintendant de la Miramichi Indian
Agency révèle que [TRADUCTION] «les lots 6 et 17
ont été antérieurement cédés pour vente mais n'ont
jamais été vendus«.
La description des limites du terrain en question
qui apparaît dans la déclaration a été préparée en
1973 par W. D. McLellan, arpenteur géomètre,
qui a beaucoup témoigné au procès et a établi à
ma satisfaction qu'en remontant à la cession de
1895 la propriété en question est vraiment le même
lopin de terre.
L'affidavit de H. R. Phillips, Conservateur des
terres indiennes et fonctionnaire responsable du
Registre des terres cédées, produit comme pièce,
confirme qu'il n'existe au registre aucun document
transférant lesdites terres au défendeur ou à qui
que ce soit.
Le défendeur soulève principalement deux
moyens de défense, premièrement, qu'en raison de
la cession de 1895, la terre est devenue propriété
de la Couronne du chef du Nouveau-Brunswick, et
non du Canada, et deuxièmement qu'il détient la
propriété en question en vertu d'une possession
acquisitive opposable à tous.
Dans St. Catherine's Milling and Lumber Com
pany c. La Reine 2 , le Conseil privé a jugé que
l'article 109 de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1867, donne à chaque province le
plein droit de propriété de la Couronne sur toutes
les terres à l'intérieur de ses limites, qui, au
moment de l'union, appartenaient à la Couronne,
sous réserve des droits que le Dominion peut con-
server en vertu des articles 108 et 117. Par la
Proclamation royale de 1763 3 la possession des
terres en question en Ontario avait été accordée à
certaines tribus indiennes. En 1873 par traité
formel avec certaines tribus indiennes ces terres
ont été cédées gu gouvernement du Dominion pour
la Couronne, socs réserve d'un certain privilège
restreint de chasse et de pêche.
2 (1886) 10 O.R. 196, confirmé (1886-87) 13 O.A.R. 148,
confirmé (1887) 13 R.C.S. 577, (1889) 14 App. Cas. 46.
3 (S.R.C. 1970, Appendice II.) En vertu de la Proclamation
royale, le roi George a établi quatre gouvernements distincts,
savoir: ceux de Québec, de la Floride orientale, de la Floride
occidentale et de Grenade. Elle ne s'applique pas à la Nouvelle-
Écosse qui à l'époque comprenait le Nouveau-Brunswick.
Le Conseil privé a dit qu'en raison de la procla
mation, le droit de propriété des Indiens était un
droit personnel et usufructuaire assujetti au bon
vouloir de la Couronne et qu'en vertu de la cession,
la propriété réelle des terres, sous réserve du privi-
lège de chasse et de pêche, a été cédée à la
province aux termes de l'article 109 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867.
Le défendeur allègue que l'arrêt St. Catherine's
s'applique en l'espèce et est une autorité du plus
haut ordre pour dire qu'au moment de la cession
des terres par la bande Red Bank en 1895, la
propriété réelle et le titre du bien en question ont
été dévolus à la Couronne du chef de la province
du Nouveau-Brunswick, libre de tout intérêt ou
obligation des Indiens. Le défendeur prétend donc
que la Reine du chef du Canada n'a pas qualité
pour agir dans cette action.
Deux ans après l'arrêt St. Catherine's, soit en
1890, la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick a
jugé dans Burk c. Cormier 4 que le titre des terres
réservées aux Indiens dans la province, appartient
au gouvernement provincial et non au gouverne-
ment fédéral. Le juge en chef a dit à la page 149:
[IRnnucnom Ici, encore, il me semble que les arguments à
l'appui des droits provinciaux sont plus forts que dans l'arrêt St.
Catherine's parce que, dans cette province, le droit de propriété
de la Couronne sur les terres en litige n'est assujetti (selon ce
qui ressort de la preuve) à aucun titre indien.
et plus bas:
[TRADUCTION] Il n'y a jamais eu de doute dans cette
province, que le titre des terres réservées à l'usage des Indiens
est demeuré, comme celui de toutes les autres terres non cédées,
à la Couronne, les Indiens ayant tout au plus un droit
d'occupation.
En 1895, la Cour suprême du Canada a jugé
dans La province de l'Ontario c. Le Dominion du
Canada et la province du Québec 5 qu'en vertu de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867,
le Dominion du Canada a pris à sa charge les
dettes et obligations de la province du Canada et
que l'article 109 de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1867 a prévu que toutes les terres
appartiennent aux provinces dans lesquelles elles
sont sises «sous réserve des fiducies existantes». En
1850, l'ancienne province du Canada avait passé
° (1890) 30 N.B.R. 142.
5 (1896) 25 R.C.S. 434.
des traités avec certaines tribus indiennes par les-
quels des terres indiennes ont été cédées en contre-
partie de rentes.
En 1902, dans Ontario Mining Company, Lim
ited c. Seybold 6 le Conseil privé a suivi l'arrêt St.
Catherine's et a jugé que les terres en Ontario,
cédées par les Indiens aux termes du traité de
1873, sont la propriété réelle de la province de
l'Ontario. La Couronne peut donc seulement en
disposer sur l'avis de la province et sous son sceau.
Lord Davey disait à la page 82:
[TRADUCTION] En vertu de l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique
du Nord britannique, 1867, le Parlement du Canada a compé-
tence législative exclusive sur les .Indiens et les terres réservées
aux Indiens», mais cela n'a investi le gouvernement du Domi
nion d'aucun droit de propriété dans ces terres ni d'aucun
pouvoir de légiférer pour s'approprier les terres devenues terres
publiques de la province, à titre de réserve indienne, en vertu de
la cession du titre indien, en violation des droits de propriété de
la province.
Le juge Anglin, de la Cour suprême du Nou-
veau-Brunswick dans Warman c. Francis' en 1958
cite un long passage de l'arrêt St. Catherine's et
ajoute à la page 207:
[TRADUCTION] En 1888, cette opinion sur la nature du titre
indien était en effet celle qui prévalait au Nouveau-Brunswick
concernant les réserves que le gouverneur en conseil a (consti-
tuées» au Nouveau-Brunswick peu après l'établissement de
cette province en 1784. Le volume des lois du Nouveau-Bruns-
wick pour 1838 contient en annexe un rapport du commissaire
des terres de la Couronne énumérant les ■terres réservées à
l'usage des Indiens dans cette province... à l'époque où ces
réserves ont été constituées ....» Au bas de ce rapport se trouve
la mention suivante:
Nature des réserves—A occuper et posséder jusqu'à
révocation.
Le défendeur s'appuie sur ces arrêts et sur plu-
sieurs autres arrêts postérieurs à l'arrêt St. Cathe-
rine's, pour prétendre qu'en 1895 les Indiens de la
bande Red Bank ont cédé de façon absolue la terre
en question dont la propriété a été dévolue à la
province du Nouveau-Brunswick, libre de tout
intérêt indien.
Par ailleurs, la demanderesse prétend que l'arrêt
St. Catherine's ne s'applique pas en l'espèce. Elle
allègue que la cession de 1895 était conditionnelle
et non absolue et n'éteint pas le titre indien tant
que les conditions ou modalités de la fiducie ne
sont pas remplies. Dans les modalités de la cession
6 [1903] A.C. 73.
7 (1959-60) 43 M.P.R. 197.
on lit: [TRADUCTION] «Pour posséder et détenir.. .
en fiducie... et à la condition que tout argent
provenant de la vente nous soit. ..crédité...». La
demanderesse fait valoir que, n'ayant jamais été
vendue, la propriété en question est encore assujet-
tie à la fiducie et que le titre indien n'a pas été
éteint.
A l'appui de cette proposition la demanderesse
invoque l'arrêt St. Ann's Island Shooting and
Fishing Club Ltd. c. Le Roi 8 rendu en 1950 par la
Cour suprême où on a jugé qu'il n'y avait pas de
cession totale et définitive à la Couronne. On
voulait faire une cession qui permette une location
valide à des fiduciaires [TRADUCTION] «aux
termes et conditions» que peut approuver le surin-
tendant général.
La demanderesse s'appuie également sur un
arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britanni-
que rendu en 1970, Corporation of Surrey c. Peace
Arch Enterprises Ltd. and Surfside Recreations
Ltd. 9 , où on a jugé que la «cession» n'était pas
finale et complète mais simplement conditionnelle.
D'où, les terres demeuraient des «terres réservées
aux Indiens» au sens du paragraphe 91(24) de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 et
le Parlement du Canada conservait sur les terres la
compétence législative exclusive. Certaines terres
de la réserve indienne Semiahmoo ont été cédées
aux conditions suivantes:
[TRADUCTION] Pour que Sa Majesté la Reine, ses héritiers
et successeurs possèdent et détiennent lesdites terres en fiducie
pour les louer à la personne ou aux personnes et aux conditions
que le gouvernement du Canada jugera les plus favorables pour
notre bien-être et celui de notre peuple.
Et à la condition que 90% de l'argent provenant de leur
location soient distribués aux locataires et les 10% restant
déposés au compte de revenu de la bande.
Le juge d'appel Maclean disait aux pages 384 et
385:
[TRADUCTION] A mon avis la cession en l'espèce, une cession
à Sa Majesté «en fiducie pour les louer à la personne ou aux
personnes et aux conditions que le gouvernement du Canada
jugera les plus favorables pour notre bien-être et celui de notre
peuple» tombe dans la catégorie des cessions restreintes ou
conditionnelles.
En vertu de cette forme de cession, «en fiducie» et pour un
objet particulier, soit «les louer», il me semble qu'on ne peut
dire que l'intérêt de la tribu dans ces terres s'est éteint. En toute
8 [1950] R.C.S. 211. -
9 (1970) 74 W.W.R. 380.
déférence, je suis d'avis que le savant juge de première instance
a commis une erreur en concluant que la cession était «sans
condition».
Et plus loin, à la page 385, après avoir cité
l'arrêt St. Ann's Island Shooting and Fishing Club
il ajoute:
[TRADUCTION] A mon avis la «cession» en vertu de la Loi sur
les Indiens n'est pas une cession au sens où l'entendrait un
notaire. On interdit en effet aux Indiens de louer ou de céder
les terres de la réserve indienne, et, le cas échéant, seul un
fonctionnaire du gouvernement peut le faire: voir l'art. 58(3) de
la Loi sur les Indiens. Par là, on vise manifestement la protec
tion des Indiens. De plus, il faut remarquer que la cession est en
faveur de Sa Majesté «en fiducie». Cela signifie manifestement
en fiducie pour les Indiens. Le titre que Sa Majesté la Reine
reçoit en vertu de cette entente est vide.
Il conclut à la page 387:
[TRADUCTION] Il se pourrait fort bien (mais il n'est pas
nécessaire que j'en décide) que si les Indiens ont effectué une
cession absolue en vertu de la Loi sur les Indiens et que cette
cession ait été suivie d'un transfert par le gouvernement du
Canada à un acheteur, la terre cesserait d'être une réserve en
vertu de la Loi sur les Indiens et cesserait également d'être
«une terre réservée aux Indiens» en vertu de l'art. 91(24) de
l'A.A.N.B., 1867, mais ce n'est pas le cas ici.
Je conclus que le Parlement du Canada conserve la compé-
tence législative exclusive sur la terre en question et que les lois
provinciales (y compris les règlements municipaux) qui édictent
des règles relatives à l'usage de ces terres sont inapplicables.
A mon avis la cession de 1895 n'était pas une
cession définitive, finale consentie par la bande
Red Bank à la Couronne, mais simplement une
cession conditionnelle qui ne devenait absolue
qu'après la vente et le dépôt de l'argent au crédit
de la bande. Quoi qu'il en soit, la question de
savoir si les terres indiennes du Nouveau-Bruns-
wick appartiennent maintenant à la province ou au
Canada a été tranchée en 1958 par la convention
Canada-Nouveau-Brunswick de cette même
année. (An Act to Confirm an Agreement between
Canada and New Brunswick respecting Indian
Reserves, S.N.-B. 1958, c. 4.)
La convention règle tous les problèmes en sus-
pens relatifs aux réserves indiennes dans cette
province et transfère au Canada tous les droits de
la province dans les terres de réserve pouvant
représenter un intérêt en l'espèce. Voici les disposi
tions pertinentes:
[TRADUCTION] A CES CAUSES, LA PRÉSENTE CONVENTION
FAIT FOI QUE les parties aux présentes, en vue de régler tous les
problèmes en cours relatifs aux réserves indiennes dans la
province du Nouveau-Brunswick, et de permettre au Canada de
prendre à l'avenir des mesures efficaces à l'égard des terres
faisant partie desdites réserves, sont convenues, sauf approba
tion du Parlement du Canada et de la Législature de la
province du Nouveau-Brunswick, de ce qui suit:
1. Dans la présente convention, à moins que le contexte
n'exige une interprétation différente,
b) l'expression «terres de réserve» désigne les réserves,
dans la province, dont fait mention l'appendice de la
présente convention;
3. Le Nouveau-Brunswick transfère par les présentes au
Canada tous les droits et intérêts de la province dans les
terres de réserve, sauf celles qui se trouvent sous les routes
publiques, et les minéraux.
Et l'annexe comprend:
[TRADUCTION]:
[RESERVE N° 7] Dans la paroisse de Southesk avec une petite
RED BANK partie dans le coin nord-est de la paroisse de
Northesk. Au nord de la rivière Little South
west Miramichi, en face de la réserve
indienne n° 4 de Red Bank.
Le double objet de la convention était tout
d'abord de régler tous les problèmes en suspens
relatifs aux réserves et deuxièmement de permettre
au Canada de prendre à l'avenir des mesures
efficaces à l'égard des terres faisant partie desdites
réserves, y compris, bien sûr, les terres cédées mais
non transférées. Afin de prendre des mesures effi-
caces à l'égard de ces terres la Reine du chef du
Canada peut légitimement déposer une réclama-
tion devant cette cour au nom des Indiens en vertu
de la Loi sur les Indiens. Mais pour réussir, une
réclamation doit s'appuyer sur un droit non éteint.
Les droits d'occupation dont on ne fait pas usage
ne durent pas indéfiniment.
J'étudierai maintenant le moyen de défense
fondé sur la possession acquisitive.
L'obligation d'établir la possession acquisitive
incombe à la partie qui soulève ce moyen. Le
défendeur doit établir qu'il a eu une possession
réelle, publique, exclusive, non interrompue et pai-
sible. La possession nécessaire pour acquérir un
titre par possession acquisitive doit être telle
qu'elle sera jugée raisonnable et convenable selon
la nature du bien-fonds. Elle doit être considérée
dans chaque cas selon les circonstances particuliè-
res.
Dans la province du Nouveau-Brunswick nul ne
peut engager de procédure en recouvrement de
bien-fonds après un délai de vingt ans 10 et la
Couronne ne peut réclamer de bien-fonds après
une possession acquisitive non interrompue de
soixante ans ". En vertu de la Loi sur les conces
sions de terres publiques' 2 , fédérale, nul n'acquiert
par prescription un droit ou intérêt dans des terres
publiques. En vertu de la Nullum Tempus Act" le
droit de la Couronne est périmé après soixante ans.
Les deux parties admettent que si la possession
acquisitive est un moyen de défense en l'espèce, la
règle de soixante ans s'applique, que la Nullum
Tempus Act ou l'Act Respecting Limitation of
Actions in respect to Real Property du Nouveau-
Brunswick soit applicable.
Le défendeur n'ayant lui-même acquis la pro-
priété en question qu'en 1952 ne peut bien sûr
établir une possession acquisitive de soixante ans.
Alors, la possession acquisitive, s'il en est, doit
avoir été établie par Mutch ou ses prédécesseurs en
occupation, ou par la possession cumulée continue
de ces derniers et du défendeur, non interrompue
par le détenteur du titre.
La possession de biens-fonds a toujours été une
pierre angulaire du droit; si le propriétaire vérita-
ble ne vient pas réclamer son droit pendant la
période prévue, son droit s'éteint et le titre passe
au possesseur et à ses héritiers. Il est parfois bien
difficile de décider de la possession de fait et le
propriétaire véritable ajoute à la difficulté lorsqu'il
laisse écouler plusieurs années avant de faire valoir
son titre.
En l'espèce, on a permis la preuve verbale pour
essayer d'évaluer le large passé historique de la
région en vue de déterminer quels actes particu-
liers de possession ont été accomplis concernant la
propriété en question.
Il est significatif que la preuve littérale aboutisse
inévitablement aux droits d'occupation des Indiens
alors que la preuve verbale révèle que la région de
la rivière Little Southwest Miramichi, ou les terres
sur ses rives, y compris la propriété en question,
ont été occupées et exploitées par des non-Indiens
durant plus d'un siècle. Selon le professeur W. D.
10 Act Respecting Limitation of Actions in respect to Real
Property, L.R.N.-B. 1903, c. 139, art. 3.
" Act Respecting Limitation of Actions in respect to Real
Property, L.R.N.-B. 1903, c. 139, art. 1.
12 S.R.C. 1970, c. P-29, art. 5.
13 9 Geo. III, c. 16.
Hamilton de l'université du Nouveau-Brunswick,
un témoin ayant une connaissance étendue de l'his-
toire locale, la «région», ainsi désignée, a été colo
nisée par des non-Indiens dans les années
1830-1840.
Le professeur Smith a mené des recherches et
des études poussées sur l'histoire et la généalogie
du peuple de la région, et en particulier de la
propriété d'Isaac Mutch et d'Ebenezer Travis qui
a été touchée par les événements suivants, posté-
rieurs à la création de la province du Nouveau-
Brunswick en 1784.
En 1808, le Conseil exécutif du Nouveau-Bruns-
wick a accordé un permis d'occupation aux [TRA-
DUCTION] «Indiens du comté de Northumberland
en général».
Le 10 août 1820, les membres de la famille
indienne Julian ont loué l'herbe sauvage sur un
lopin de terre, comprenant la propriété en ques
tion, à un nommé Richard McLaughlin, marchand
de bois, pour une période de six ans. Ensuite, dans
les années 1830, les Julian ont loué la propriété en
lotissements de ferme à des colons non indiens, et
en particulier à un nommé Ebenezer Travis
(c1794-f1871), vers 1838.
Une pétition d'Ebenezer Travis en date du 25
octobre 1841, démontre qu'il réclamait la terre qui
comprend maintenant la propriété en question.
Dans son «Reports on Indian Settlements»,
Journal of Assembly, Fredericton, 1842, Moses H.
Perley, commissaire aux Indiens, relate la visite
qu'il a effectuée en 1841 dans la région qu'il décrit
comme «Little South West Tract». Il écrit que
Barnaby Julian, chef de la nation Micmac, rési-
dant au village de Red Bank, en vertu d'une
commission de Son Excellence Sir Archibald
Campbell, en date du 20 septembre 1836, s'est
approprié le droit de vendre et de louer la plus
grande partie de la réserve de 10,000 acres sur le
Little South West et [TRADUCTION] «a depuis
reçu presque 2,000 livres en argent et en biens de
diverses personnes en considération d'actes et de
baux et pour rentes. ... pourtant je le trouve
tellement gêné par ses affaires pécuniaires, qu'il
n'ose pas venir à Newcastle, sauf le dimanche, par
crainte d'être arrêté par le shérif.»
Le rapport parle ensuite des colons non indiens.
[TRADUCTION] «Ils se situent en général bien au-
delà des colons sans titres ... [au point Indien]
tant par leur caractère que par leur situation. Il
était très étrange de comparer ces personnes, qui
croyaient avoir un bon titre, avec celles qui
n'avaient pas l'ombre d'un droit et de remarquer la
différence entre le colon sans titre, désordonné, et
le colon honnête et travailleur.»
Suite à une étude approfondie et à une analyse
des documents concernant toutes les propriétés des
deux côtés de la rivière Little Southwest Mirami-
chi, le professeur Hamilton prétend que la pro-
priété d'Isaac Mutch, comme telle, existe depuis
un arpentage fait par William E. Fish en 1901
lequel a réduit la grandeur de la propriété origi-
nale de la famille Ebenezer Travis dont elle avait
fait partie pendant environ 63 ans.
Il semble qu'à ce moment le gouvernement du
Canada faisait pression pour que les résidents
achètent leur propriété à un prix déterminé l'acre,
et qu'ils ont refusé. Ebenezer Travis en particulier
qui avait vécu sur cette terre toute sa vie, a refusé,
tel qu'il ressort d'un document de 1898 du minis-
tère des Affaires indiennes, dont voici un passage:
[TRADUCTION] «M. Travis m'affirme qu'ils ont eu
leur propriété de Jared Tozer qui l'avait eue des
Indiens il y a soixante ans. Ils prétendent qu'elle
leur appartient de droit.»
Selon la tradition qui est parvenue au professeur
Hamilton, natif de la région, dont le grand-père
était un beau-frère d'Isaac Mutch et qui travaillait
également comme chaîneur de l'arpenteur Fish,
une dispute s'est produite entre ce dernier et
Travis suite à laquelle Fish est parti en furie,
laissant son équipement sur la ligne, mais est
revenu le lendemain pour agir à sa guise et créer
en même temps la propriété Isaac Mutch.
Le professeur Hamilton est d'avis qu'il existait
un titre indien localement reconnu, de caractère
forain et indéfini, dans ces terres, depuis environ
40 ans seulement, ou approximativement la pre-
mière partie du dix-neuvième siècle. Il oppose ce
titre à l'occupation par des non-Indiens à partir de
1830.
La plupart des personnes qui ont témoigné sur la
possession acquisitive étaient des non-Indiens cités
par le défendeur. Le seul Indien cité par la deman-
deresse sur ce point (amené à la Cour par un
mandat d'arrêt lancé en cours d'audience) a admis
au contre-interrogatoire qu'en autant qu'il puisse
se souvenir, cette lisière le long de la rivière n'avait
jamais été occupée par des Indiens. Le témoin est
âgé de soixante-six ans et vit dans le village de Red
Bank, l'agglomération indienne, depuis l'âge de
trois ans.
Il ressort manifestement de la preuve orale, que
la lisière de terre divisant les deux réserves indien-
nes, les réserves Red Bank n® 7 et n° 4, a été
paisiblement colonisée par des non-Indiens au
siècle dernier et considérée par les Indiens et les
non-Indiens comme une colonisation non indienne.
Certains témoins déclarent n'avoir vu aucun
Indien dans cette région de toute leur vie. Les
Indiens habitent le village de Red Bank, une
agglomération organisée sur le côté sud, alors que
la terre en question est sise dans l'agglomération
non indienne de Lyttieton sur le côté nord de la
rivière Little Southwest Miramic à quelques 5 1 / 2
milles en amont de Red ; ank.
Depuis 1952 le défendeur a manifestement
occupé lui-même le terrain en y exerçant une
possession acquisitive avec apparence de droit. H a
obtenu un titre de bonne foi et a payé pour l'avoir.
Il a construit un chalet peu après l'achat et a vécu
là avec sa famille presque tous les étés. Il a acheté
deux lots additionnels à Mutch pour agrandir son
achat initial, payant au total $1,600 pour les trois
lopins. Il a dépensé de l'argent pour améliorer la
construction, il a vendu du gravier d'une carrière
de gravier située entre le chalet et la route princi-
pale. Il a payé les taxes provinciales chaque année,
environ $100 annuellement sur le terrain et la
construction. Bien qu'il n'ait 1. s été lui-même
pêcheur, il a eu des invités au chalet qui pêchaient
le saumon dans l'étang public près de la propriété.
Il a l'intention de se retirer là-bas. Les voisins
considèrent que la propriété en question lui
appartient.
Selon la preuve, Isaac Mutch a acheté l'an-
cienne école Sillekars avoisinante en juillet 1904 et
l'a déménagée où elle se trouve aujourd'hui, du
côté nord de la route principale, directement en
face de la propriété qu'il a prétendu vendre au
défendeur en 1952. Il a transformé l'école en
maison où il a vécu et élevé une famille. H avait
une ferme et des animaux sur le côté nord de la
route.
Du côté sud de la route principale jusqu'à la
rivière, se trouvent les 26 acres de terrain vendus
au défendeur. Le chalet du défendeur est sis sur
une falaise près de la berge de la rivière et un
chemin de gravier relie le chalet à la route princi-
pale. Mutch utilisait ce chemin pour se rendre à la
rivière où il faisait de la draye au printemps.
Mutch était un marchand de bois qui coupait
occasionnellement des arbres de chaque côté de la
route principale. Selon son fils il y avait des sapins
et des épinettes sur le côté sud qui étaient vendus
pour la pulpe de bois. On coupait également des
arbres de Noël à l'endroit où se trouve maintenant
le chalet du défendeur.
Mutch était également fermier. Il cultivait le
foin, la patate, l'avoine sur une petite île, appelée
Hay Island, située dans la rivière face à la pro-
priété en question. Il devait traverser la propriété
pour se rendre à l'île. A l'occasion il cultivait
également une petite étendue clôturée, appelée
«interval», parfois partiellement submergée près de
la rive sur la propriété en question. Il conduisait
ses chevaux et ses camions à partir de la grange de
l'autre côté de la route principale, descendant le
chemin de gravier jusqu'à l'«interval» et l'île. Il a
payé les taxes provinciales sur ces terres toute sa
vie. Pendant plusieurs années antérieurement à
1960, Mutch a vécu dans une autre maison de
ferme appelée Sommer's Farm à environ un demi
mille de là. La maison des Mutch était alors louée
à d'autres personnes. Il est mort en 1965 laissant
la propriété à sa femme qui l'a transférée à leur
fils Weldon Vincent Mutch.
Selon la preuve, Mutch a eu la terre de son père
Edmond qui l'avait eue de James, le grand-père. Il
faut se souvenir qu'en 1898 l'occupant du lot n° 6
était inscrit sous le nom de James Mutch dans le
rapport du représentant des Affaires indiennes.
Une bonne partie de cette preuve vient de témoins
qui habitent la région depuis longtemps et dont la
mémoire remonte jusqu'à 70 ans. Pendant toute
cette période la ferme voisine a été occupée par
William Mutch, autre fils d'Edmond et frère
d'Isaac.
La sorte de possession nécessaire pour établir la
possession acquisitive varie selon le type de terre
possédée, le vrai critère étant d'établir les actes
que le propriétaire véritable accomplirait normale-
ment s'il était en possession. Voir Jackson c.
Cumming 14 , Levy c. Logan 15 , Wallace c. Potter 16 ,
Le procureur général du Canada c. Krause".
Pour établir la possession dans des régions à
moitié incultes du début du siècle, on n'exige pas la
même preuve que pour les lots des villes modernes
ou les terres de village ou les régions cultivées. Les
actes accomplis par Mutch avant la vente de la
propriété en question au défendeur me paraissent
être le type d'actes qu'accomplirait normalement
et convenablement un marchand de bois fermier à
cette époque sur la rivière Miramichi.
Comme je l'ai déjà mentionné, un représentant
des Affaires indiennes a visité la terre en question
en 1898. En 1919, Buoy, l'inspecteur forestier et
Isaac Mutch ont discuté du prix l'acre. Ensuite, il
n'est question de rien avant les années 1970. Bien
que ce point ne soit pas en litige, la déposition de
quelques témoins indique que l'intérêt soudain
dans la propriété en question aurait été éveillé par
l'exploitation de la carrière de gravier, située près
du chalet du défendeur, et les revenus qu'elle
produit.
Le 24 février 1919 Isaac Mutch a écrit au
ministère des Affaires indiennes pour obtenir ces
sion de sa propriété. Voici le libellé de sa lettre:
[TRADUCTION] Je vis sur une parcelle de terre indienne
située entre le côté nord de la rivière Lyttle South West, le côté
est du lot n° 6, mesurant 42 perches de largeur, bornée à l'ouest
par une terre réclamée par Ebenezar Traviss et j'aimerais en
obtenir la concession.
Le savant avocat de la demanderesse prétend
que la lettre est [TRADUCTION] «le meilleur élé-
ment de preuve fourni sur le statut de la terre et
l'état d'esprit d'Isaac Mutch et constitue une
reconnaissance du titre de la Couronne, ce qui
interrompt la période de prescription».
La lettre soulève manifestement des difficultés.
Il ressort clairement de décisions antérieures (voir
Hamilton c. Le Roi", Sanders c. Sanders 19 ) que
lorsqu'un titre est établi en vertu d'une loi et que le
droit d'un propriétaire antérieur est éteint, le titre
14 (1917) 12 O.W.N. 278.
15 (1976) 14 N.S.R. (2') 80.
16 (1913) 10 D.L.R. 594.
17 [1956] O.R. 472.
18 (1917) 54 R.C.S. 331, la p. 346.
19 (1881-82) 19 Ch. D. 373, la p. 382.
ne peut être annulé par une reconnaissance posté-
rieure de ceux qui ont acquis ce titre établi en
vertu de la loi. Mais une reconnaissance en bonne
et due forme pourrait interrompre une possession
acquisitive incomplète.
La Nullum Tempus Act ne contient aucune
mention de reconnaissance, mais elle prévoit
qu'une interruption par entrée ou loyer, arrêtera la
prescription. Dans Hamilton c. Le Roi la Cour
suprême du Canada a dit à la page 344 que
[TRADUCTION] ail serait un peu audacieux pour la
Cour d'ajouter un autre fait ou incident à ceux que
la Loi Nullum Tempus mentionne expressément
comme constituant une interruption de prescrip
tion contre la Couronne.»
Dans cette même décision le juge en chef Fitz-
patrick a également dit aux pages 339-340:
[TRADUCTION] La Couronne a permis aux défendeurs ou à
leurs prédécesseurs en titre de conserver la possession paisible
pendant 58 ans avant de prendre une action en 1890 et, au
cours des 24 années suivantes, n'a pris aucune mesure pour
faire respecter le jugement obtenu. Pendant ce long délai toutes
les parties concernées sont décédées. Le type de gouvernement
du pays a maintes fois changé et le By-town d'alors, nouvelle-
ment fondé et sans importance, est devenu une grande ville, la
capitale du Dominion du Canada. Dans ces circonstances, je
crois que les cours peuvent exiger la preuve la plus rigoureuse
d'un droit à l'éviction des défendeurs. A défaut de quoi, je crois
que justice inhérante et une justice fondée sur la loi auront été
faites si on ne trouble pas la possession qu'ils ont eu depuis si
longtemps.
La loi du Nouveau-Brunswick concernant la
prescription contient cependant une disposition au
sujet de la reconnaissance de titre: l'article 45
actuel, l'ancien article 14 de l'Act Respecting
Limitation of Actions in respect to Real Property,
c. 139, Consolidated Statutes of New Brunswick
1903. Il prévoit:
45. Lorsqu'une reconnaissance écrite du titre de propriété
d'une personne ayant droit à tout bien-fonds est signée par la
personne qui se trouve en possession du bien-fonds ou en reçoit
les profits, ou par son représentant autorisé à cet égard, et a été
donnée à cet ayant droit ou à son représentant avant que son
droit d'engager des procédures en recouvrement du bien-fonds
ait été prescrit par les dispositions de la présente loi, la posses
sion ou la perception des profits par la personne qui a donné
cette reconnaissance est alors réputée, conformément au sens de
la présente loi, avoir été celle exercée ou effectuée par la
personne à laquelle, ou au représentant de laquelle, cette recon
naissance a été donnée à la date de sa remise, et le droit de
cette dernière personne ou de tout ayant droit de cette dernière
d'engager des procédures est réputé avoir initialement pris
naissance exactement à la date à laquelle la reconnaissance, ou
la dernière de ces reconnaissances, s'il en a plusieurs, a été
donnée.
Dans l'affaire Hamilton une lettre de 1871 avait
été produite à titre de reconnaissance. Dans son
jugement (46 ans plus tard), le juge Idington était
réticent à accorder beaucoup d'importance à ce
document. Il a dit à la page 350:
[TRADUCTION] Je suis peu disposé à accorder beaucoup
d'importance à un tel document (s'il en a) sans recevoir au
moins de la Couronne, le plus de détails possibles sur ce que la
teneur d'une telle réclamation implique, et sans savoir comment
on peut la considérer comme une reconnaissance éteignant les
droits acquis en vertu de la loi.
En l'espèce, la Couronne ayant attendu plus de
50 ans après la prétendue reconnaissance pour
intenter cette action peut difficilement établir
maintenant ce que la lettre de 1919 signifiait. En
gardant à l'esprit que la terre en question est située
dans une agglomération non indienne, la descrip
tion «terre indienne» utilisée par le colon signifiait
probablement une terre située à l'extérieur de la
réserve indienne, terre sur laquelle il vivait et pour
laquelle il désirait «obtenir» une concession de la
Couronne, un document officiel confirmant son
propre titre. La preuve montre qu'il n'a pas payé
pour ce titre, donc on peut présumer qu'il n'atta-
chait pas beaucoup de valeur à ce document.
Je ne peux accepter que la lettre de Mutch est
une reconnaissance suffisante pour éteindre la pos
session acquisitive déjà accumulée à l'époque, soit
quelque 15 ans par Isaac Mutch sur ce lopin de
terre précis et au moins un demi-siècle par ses
prédécesseurs sur toute la région, y compris le lot
6. De plus la lettre n'était pas adressée à la
province, la personne alors en titre, mais à un
ministère fédéral.
Si la Couronne avait agi à l'époque et intenté
des procédures, les témoins auraient été disponi-
bles, y compris Isaac Mutch, pour déterminer avec
plus de certitude la teneur de la lettre et la durée
de la possession acquisitive. Il serait manifeste-
ment injuste que l'inaction d'une partie devienne la
ruine de l'autre. [TRADUCTION] «Les droits long-
temps inexercés sont souvent plus cruels que la
justice qu'ils abritent.» 20
La demanderesse prétend également que la con
vention de 1958 transférant tous les droits et inté-
rêts provinciaux dans la réserve au gouvernement
fédéral a mis fin à la prescription. La Loi sur les
20 A'Court c. Cross (1825) 3 Bing. 329, la p. 332, 130 E.R.
540, la p. 541, le juge en chef Best.
concessions de terres publiques mentionnée plus
tôt, prévoit qu'on ne peut acquérir par prescription
aucun droit dans des terres publiques, mais on ne
peut en déduire que la Loi éteindra rétroactive-
ment une possession acquisitive déjà établie.
En bref, après la création de la province du
Nouveau-Brunswick en 1784, la province a
accordé aux Indiens en 1808 un permis d'occupa-
tion, qu'ils ont négligé d'exercer sur le lopin de
terre longeant la rivière Little Southwest Mirami-
chi. De 1830 jusqu'à la cession de 1895, les Indiens
ont perdu leur droit d'occupation en raison de la
possession acquisitive. La cession de 1895 ne pou-
vait évidemment pas transférer à la Couronne du
chef du Canada ce que les cédants avaient déjà
perdu et la possession acquisitive au cours de cette
période jouait contre la Couronne du chef de la
province, la personne alors en titre, jusqu'à la
convention de 1958. Cette convention ne pouvait
pas porter préjudice à une possession acquisitive
déjà établie. La loi fédérale interdisant la prescrip
tion, la Loi sur les concessions de terres publiques,
ne pouvait bien sûr s'appliquer à la terre en ques
tion avant la convention de 1958 et, à ce
moment-là, la possession acquisitive avait été éta-
blie et les droits des propriétaires antérieurs
étaient éteints.
Sur cette lisière de terrain longeant la rivière
Little Southwest Miramichi se trouve l'aggloméra-
tion non indienne actuelle de Lyttleton on se situe
le lopin de terre que possédait Ebenezer Travis en
1838. En 1898, James Mutch occupait manifeste-
ment le lot 6 de ce lopin. Son petit-fils Isaac a
construit sur ce lot en 1904 et, en 1952, 1958 et
1959, en a vendu au défendeur les parties qui
composent la propriété maintenant réclamée dans
la présente dénonciation.
Pendant toute cette période, de 1838 à la date
de cette dénonciation en 1973, soit pendant 135
ans, la possession acquisitive n'a été effectivement
interrompue par aucune des parties ayant droit de
le faire, soit la province du Nouveau-Brunswick de
1838 à 1958, le gouvernement du Canada de 1958
à 1973 et la bande Red Bank pour ce qui touche
leur propre droit d'occupation pendant la période.
Je conclus donc que le défendeur et ses prédé-
cesseurs ont établi la possession acquisitive sur la
propriété en question à l'encontre de tous et je
rejette l'action de la demanderesse avec dépens.
Les deux parties ont fait témoigner des experts
pour établir la valeur marchande de la propriété en
question. Dans l'éventualité où mes conclusions sur
la question deviendraient utiles dans des procédu-
res ultérieures, voici mes conclusions sur la valeur
marchande de la propriété de Gilbert A. Smith:
terre et améliorations de l'emplacement $12,000;
constructions $16,000; carrière de gravier $8,000.
Total $36,000.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.