T-1342-77
Penthouse International Ltd. (Requérante)
c.
Le ministre du Revenu national et le sous-ministre
du Revenu national pour les douanes et l'accise
(Intimés)
Division de première instance, le juge Cattanach—
Ottawa, les 12 et 18 avril 1977.
Douanes et accise — Brefs de prérogative — Exemplaires
du périodique de la requérante classés comme produits
prohibés — Entrée au Canada refusée — Les intimés et leurs
agents ont-ils outrepassé leur compétence en interdisant l'en-
trée des périodiques? — Y a-t-il eu erreur dans la classifica
tion des produits? — Un ..périodique» est-il jugé comme
inclus sous le numéro tarifaire 99201-1? — Le bref de prohi
bition est-il accessible à la requérante? — Demande rejetée
— Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, c. C-40, art. 46 48, 50
— Tarif des douanes, S.R.C. 1970, c. C-41, numéro tarifaire
99201-1 — Loi sur la Cour fédérale, art. 18.
DEMANDE de bref de prohibition.
AVOCATS:
A. E. Golden pour la requérante.
D. Friesen pour les intimés.
PROCUREURS:
Golden, Levinson, Toronto, pour la requé-
rante.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Il s'agit d'un avis intro-
ductif de requête sollicitant, conformément à l'ar-
ticle 18 de la Loi sur la Cour fédérale, un bref de
prohibition aux fins d'interdire aux intimés, à leurs
fonctionnaires, agents, receveurs, appréciateurs et
mandataires d'appliquer ou de prétendre appliquer
le numéro 99201-1 du Tarif des douanes (S.R.C.
1970, c. C-41) à tous les exemplaires, environ
674,000, du numéro du mois de mai du périodique
Penthouse publié par la requérante à Des Moines,
Iowa, États-Unis d'Amérique et importé au
Canada par Metro Toronto News et vendu en gros
et au détail par consignation. A mon avis, la
propriété des biens n'a aucune incidence sur les
points en litige soulevés en l'espèce et cette opinion
est partagée par les deux parties.
La requérante sollicite un bref de prohibition
aux motifs que les intimés, en interdisant l'impor-
tation de Penthouse au Canada, ont outrepassé
leur compétence et que, comme je l'interprète,
accessoirement à l'allégation d'absence de compé-
tence ou liée à celle-ci si étroitement qu'on ne peut
les disjoindre, le numéro 99201-1 de la liste «C» du
Tarif des douanes ne s'applique pas aux périodi-
ques, ce que le numéro de mai de Penthouse est
sans contredit.
Elle prétend également que la procédure d'appel
prévue à la Loi sur les douanes (S.R.C. 1970, c.
C-40) va à l'encontre de la Déclaration canadienne
des droits lorsqu'on l'applique dans le cas d'un
périodique parce qu'elle la prive de la possession de
ses biens sans une application régulière de la loi.
La requérante a renoncé à invoquer ce motif.
Un bref de prohibition, comme tous les brefs de
prérogative, constitue un recours extraordinaire et
doit être utilisé avec beaucoup de circonspection,
mais les circonstances d'un cas particulier peuvent
permettre son utilisation pour assurer la bonne
application de la justice et une certaine commodité
lorsque aucun recours habituel ne peut le faire.
Les articles 46, 47 et 48 de la Loi sur les
douanes prévoient qu'un appel suit la hiérarchie
du ministère, soit du receveur à l'appréciateur,
ensuite au sous-ministre et à la Commission du
tarif, un tribunal administratif, et en dernier lieu à
la Cour fédérale du Canada. Par une heureuse
coïncidence, l'article 50 prévoit justement la procé-
dure d'appel à suivre lorsque l'importation d'effets
a été refusée à la frontière pour le motif que les
effets sont des produits prohibés comme les dési-
gne le numéro tarifaire 99201-1, ce qui est le cas
en l'espèce. La procédure habituelle est donc con-
tournée et l'appel doit être interjeté devant un juge
d'une cour de comté ou de district, les modifica
tions pertinentes devant être faites dans le cas de
la province de Québec. J'aimerais ajouter entre
parenthèses que le juge étant une persona desi-
gnata, il semblerait possible de demander à la
Cour d'appel fédérale d'examiner et d'annuler sa
décision.
Cependant, l'importateur et non l'exportateur
peut se prévaloir de cette procédure d'appel. Il est
admis que la requérante n'est pas l'importateur
mais l'exportateur des effets: il s'ensuit que la
procédure d'appel établie par la loi ne lui est pas
accessible.
Personne ne met en doute que la requérante, en
tant qu'exportateur des effets, a un intérêt fonda-
mental et réel en l'espèce.
On peut concevoir que l'exportateur, ou dans le
présent cas la requérante, peut inciter le sous-
ministre à déterminer de nouveau la classification
tarifaire de ses biens conformément à l'article
46(4)d). En vertu de cet article, le sous-ministre
peut déterminer de nouveau une classification tari-
faire «en tout ... cas où il juge opportun de le
faire» avant l'expiration du délai prescrit. Cette
nouvelle détermination de classification relève du
pouvoir discrétionnaire du sous-ministre qui peut
l'exercer s'il le juge opportun et l'article n'accorde
pas à l'exportateur un droit d'appel au sous-
ministre.
A la lumière de telles circonstances, je suis
d'avis que la requérante n'est pas tenue d'épuiser
les droits d'appel établis par la loi auprès des
autorités administratives avant de s'adresser à la
présente cour pour obtenir un bref de prohibition.
En outre, selon Une jurisprudence bien établie
me semble-t-il, lorsqu'il appert, au vu du dossier,
que le tribunal que l'on cherche à empêcher d'agir
n'a pas compétence, la cour supérieure n'a aucun
pouvoir discrétionnaire. Elle doit émettre un bref
de prohibition qui empêche le tribunal d'instance
inférieure d'agir dans une matière sur laquelle il
n'a pas compétence.
D'autre part, je crois également qu'un principe
dégagé par une abondante jurisprudence veut que,
lorsque l'absence de compétence du tribunal d'ins-
tance inférieure n'est pas aussi apparente au vu du
dossier, l'octroi d'un bref de prohibition soit alors
discrétionnaire, que ce pouvoir discrétionnaire soit
de nature judiciaire et qu'il ne doive être exercé
que conformément aux principes établis.
En l'espèce, l'avis de requête allègue que les
intimés ont excédé la compétence qu'il leur avait
été accordée par l'article 14 du Tarif des douanes.
La Loi sur les douanes et le Tarif des douanes
ont pour objectif général que l'importateur d'effets
fasse entrer ses effets au pays conformément à la
loi.
Le receveur des douanes ou un autre fonction-
naire compétent doit déterminer la classification
des effets qu'on cherche à importer. Il doit les
classer dans la liste A, la liste B ou la liste C du
Tarif des douanes et en tant que listes de la Loi,
elles en font partie et constituent des mesures
législatives comme n'importe qu'elle autre partie
de la Loi.
La liste A touche les produits frappés de droits
et les produits admis en franchise. Si le receveur
classe les effets dans la liste A, il doit déterminer
s'ils sont admis en franchise ou estimer leur valeur
imposable si le Tarif de préférence britannique, le
Tarif de la nation la plus favorisée ou le Tarif
général leur est applicable et établir en consé-
quence le droit indiqué.
De même, il peut classer les effets dans la liste B
comme produits admis au bénéfice du drawback
pour consommation intérieure ou dans la liste C
qui énumère les effets dont l'importation au
Canada est prohibée.
Dans l'exécution des devoirs et obligations que
lui imposent les deux lois précitées qui sont in pari
materia, le receveur des douanes a classé les effets
que la requérante a exporté au Canada dans la
liste C, particulièrement sous le numéro tarifaire
99201-1 qui se lit:
Livres, imprimés, dessins, peintures, gravures, photographies ou
reproductions de tout genre, de nature à fomenter la trahison
ou la sédition, ou ayant un caractère immoral ou obscène.
L'avocat de la requérante allègue que les effets
en question, qui sont sans contredit des périodi-
ques, ont été incorrectement classés sous le numéro
99201-1 parce que le mot «périodique» n'y apparaît
pas et que plusieurs numéros des listes A, B et C
utilisent le mot «périodique». En conséquence, il
allègue que l'importation des effets de la requé-
rante n'est pas prohibée puisque ce numéro ne
contient pas le mot «périodique» qui décrit ses
effets.
Ceci met fortement en relief ce que je considère
être le noeud de la question. On peut simplement
énoncer ainsi l'importante question en litige: le
receveur des douanes, en classant les effets comme
il l'a fait, a-t-il agi dans les limites de sa compé-
tence et a-t-il appliqué erronément la loi à une
matière relevant de sa compétence ou, formulée
autrement avec l'insistance nécessaire, a-t-il erro-
nément jugé d'un point sur lequel repose sa compé-
tence ou a-t-il erronément jugé d'un point relevant
de sa compétence?
Dans le premier cas, le bref de prohibition doit
être accordé mais dans ce dernier cas, il doit être
refusé.
Après avoir attentivement étudié ce qui me
semble être en l'espèce la question importante que
je viens tout juste de signaler et étant donné la
conclusion indiquée précédemment que les deux
lois ont pour objet d'obliger les fonctionnaires
compétents des douanes à classer les effets impor
tés et de leur accorder cette compétence, il s'ensuit
que les intimés ont agi dans les limites de leur
compétence et ont rendu une décision relevant en
droit de leur compétence.
Étant donné cette conclusion, il n'est pas essen-
tiel, aux fins de la présente requête, de déterminer
si la décision rendue dans les limites de la compé-
tence était erronée ou non et je ne statuerai pas
là-dessus, mais j'aimerais ajouter que cette ques
tion est discutable.
Puisqu'il s'agit d'un périodique, je présume qu'il
reproduit sur certaines pages des photographies
accompagnées d'un court texte mais aucune
preuve ne m'a été soumise à cet égard et si cette
hypothèse est exacte, alors les termes du numéro
tarifaire 99201-1 visent une partie de l'ensemble
de ces effets et une telle partie, en raison de la
nature des effets, ne peut être séparée du tout.
Pour ces motifs, il s'ensuit que la demande est
rejetée avec dépens aux intimés.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.