T-1246-72
Omark Industries, Inc. et Omark Canada, Ltd.
(Demanderesses)
c.
Sabre Saw Chain (1963) Limited (Défenderesse)
Division de première instance, le juge en chef
adjoint Thurlow—Ottawa, les 10 et 15 mars 1977.
Brevets — Pratique — Demande visant l'obtention d'une
ordonnance afin de déclarer inapplicable à des articles détenus
par un tiers à titre de garantie une injonction décernée anté-
rieurement interdisant la vente de ces articles — Demande
présentée conformément à la Règle 1909 visant un «quelque
autre redressement» et sous le régime du pouvoir inhérent de
la Cour de préciser ses décisions — Fardeau de prouver la
nécessité du redressement sollicité — Dilemme né de la dualité
des fonctions du séquestre, soit celle de mandataire de la tierce
partie et celle de séquestre de la défenderesse — Loi sur les
banques, S.R.C. 1970, c. B- I, art. 88 — Règle 1909 de la Cour
fédérale.
Aux termes d'une décision antérieure de la Division de
première instance statuant que la défenderesse avait usurpé les
droits brevetés des demanderesses, il a notamment été enjoint à
la défenderesse de s'abstenir de toute autre infraction à ces
droits résultant de la vente de ses chaînes de sûreté à scies. La
Cour suprême de l'Ontario a subséquemment transféré à un
séquestre, mandataire de la Banque canadienne impériale de
commerce, tous les biens de la défenderesse affectés à la
garantie créée par l'émission de certaines obligations par la
défenderesse à la banque. Par les présentes, la défenderesse
sollicite une ordonnance déclarant que l'injonction ne peut
s'appliquer à une quantité de chaîne en la possession du séques-
tre agissant en sa qualité de mandataire de la banque, qui est
maintenant propriétaire de ladite chaîne; elle fonde sa demande
sur l'expression «quelque autre redressement» de la Règle 1909
ou sur le pouvoir inhérent de la Cour de préciser sa décision à
l'égard de questions qui n'avaient pas été prévues au moment
où le jugement a été rendu. Aux termes de la Règle 1909 la
défenderesse cherche à obtenir, subsidiairement, une ordon-
nance qui lui permette de vendre la chaîne en question suite au
dépôt, en cour, d'une redevance sur le produit de la vente. En
dernier lieu, la défenderesse sollicite une ordonnance déclarant
que son mandataire, soit le séquestre, ne soit pas requis de
remettre la chaîne actuellement en sa possession.
Arrêt: la demande est rejetée. En ce qui concerne cette cour,
seuls les droits et obligations de la défenderesse sont impor-
tants, et non ceux de la banque. L'ordonnance rendue par la
Division de première instance serait violée si la défenderesse
participait à la vente de la chaîne. Aucun des moyens invoqués
à l'appui du redressement ne justifient la décision recherchée: la
défenderesse sollicite effectivement une décision statuant
qu'elle n'est pas propriétaire de la chaîne; une telle décision est,
cependant, en dehors des voies de redressement sur lesquelles se
fonde la défenderesse. Il n'y a aucune raison de permettre à la
défenderesse de vendre une quelconque quantité de chaîne,
puisque celle-ci n'est pas périssable; les seules difficultés sus-
ceptibles de naître en gênant le cours de l'injonction seraient
celles subies par les demanderesses au moment d'évaluer leurs
dommages. La dernière demande de la défenderesse contredit
ce qui est allégué dans l'avis de requête relativement à la
possession de la chaîne et cherche à faire infirmer ou modifier
cette décision. C'est là une demande dont la Division de
première instance ne peut connaître.
Arrêts appliqués: Poisson c. Robertson (1902) 50 W.R.
260; Yat Tung Investment Co. Ltd. c. Dao Heng Bank Ltd.
[1975] A.C. 581; Laboratoire Pentagone Limitée c. Parke,
Davis & Company [1968] R.C.S. 269 et Cristel c. Cristel
[1951] 2 K.B. 725.
DEMANDE interlocutoire.
AVOCATS:
George E. Fisk pour les demanderesses.
Joseph A. Day pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les
demanderesses.
Sim & McBurney, Toronto, pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT THURLOW: Par
jugement en date du 13 septembre 1976, rendu
dans la présente cause, il a été statué et ordonné,
notamment:
[TRADUCTION] (l) que la défenderesse, en fabriquant et ven-
dant des chaînes de sûreté à scies, de marque Sabre AVS, avait
usurpé le brevet n° 652,529 des demanderesses;
(2) qu'il soit enjoint à la défenderesse de s'abstenir de toute
autre infraction résultant de la fabrication ou de la vente de
cette chaîne;
(3) qu'il y aurait lieu de procéder à un renvoi afin de détermi-
ner, au choix des demanderesses, le montant des dommages
subis par celles-ci en raison de cette usurpation de marque ou le
montant des profits qu'une telle usurpation a fait réaliser à la
défenderesse; et,
(4) que la défenderesse remette aux demanderesses toutes les
chaînes de sûreté à scies, de marque Sabre AVS, qu'elle a en sa
possession ou sous sa surveillance.
Sur demande de la défenderesse, le renvoi visant
à évaluer les dommages et les profits et l'ordon-
nance lui enjoignant de remettre les articles en
cause ont été suspendus jusqu'à l'issue de l'appel.
Le savant juge de première instance a refusé de
suspendre l'injonction. L'appel interjeté par la
défenderesse contre cette ordonnance a été rejeté
le 3 novembre 1976'.
La Cour suprême de l'Ontario, par ordonnance
rendue le 19 novembre 1976, a transféré à un
séquestre, mandataire de la Banque canadienne
impériale de commerce, tous les biens de la défen-
deresse affectés à la garantie créée par certaines
obligations émises par la défenderesse à la Banque.
La défenderesse présente maintenant une
demande afin d'obtenir une ordonnance:
[TRADUCTION] Déclarant que l'injonction dont fait mention le
jugement en date du 13 septembre 1976, ci-inclus, ne peut
s'appliquer aux 65,000 pieds de chaîne à scies fabriquée par la
défenderesse et actuellement en possession du mandataire de la
Banque canadienne impériale de commerce, conformément à
l'art. 88 de la Loi sur les banques, S.R.C. 1970, c. B-1.
C'est un fait reconnu que les 65,000 pieds de
chaîne évoqués violent le brevet et correspondent à
la quantité de chaîne visée dans l'ordonnance de
remise.
Le motif avancé pour justifier la demande était
que le séquestre, également mandataire de la
Banque, était fort embarrassé pour interpréter le
jugement de la présente cour.
A mon avis, le jugement ne présente aucune
ambiguïté et l'embarras du séquestre provient uni-
quement de la dualité de ses fonctions, à savoir
celle de séquestre des biens de la défenderesse et
celle de mandataire de la Banque. Les droits et
obligations découlant de ces fonctions ne sont pas
identiques. Ce sont uniquement les droits et obli
gations de la défenderesse qui nous préoccupent en
l'espèce. La Banque n'est pas partie à l'action et
rien de ce que je dirai ne portera atteinte à ses
droits et obligations. L'injonction enjoint à la
défenderesse de s'abstenir de vendre les chaînes
qui violent le brevet et il me semble parfaitement
évident que le fait pour la défenderesse de partici-
per à la vente des articles en cause, ou d'y être
impliquée, qu'elle agisse par l'intermédiaire du
séquestre ou autrement, constituerait une violation
de l'injonction.
Mais ma conclusion n'est pas fondée unique-
ment sur ce motif. Ce que la défenderesse sollicite,
c'est une décision déclarant que l'injonction ne
[1977] 1 C.F. 614.
s'applique pas à une quantité précise de chaîne,
parce que celle-ci a été donnée à la Banque à titre
de garantie aux termes de l'article 88 de la Loi sur
les banques. Le fondement de cette demande, c'est
que la Banque, et non la défenderesse, est par
conséquent propriétaire de ladite quantité de
chaîne. A l'appui de la demande, l'avocat a cher-
ché à faire valoir qu'elle visait «quelque autre
redressement» à l'encontre d'un jugement, au sens
où l'entend la Règle 1909 2 , ou d'une demande
présentée en vertu du pouvoir inhérent de la Cour
de préciser sa décision à l'égard de questions qui
n'avaient pas été prévues au moment où le juge-
ment a été rendu 3 .
A mon avis, ni la Règle 1909 ni l'argument du
pouvoir inhérent ne peuvent justifier la décision
recherchée. Ce que la défenderesse recherche
effectivement, c'est une décision déterminant le
droit de propriété en ce qui concerne la chaîne ou,
plus précisément, une décision déclarant qu'elle
n'a aucun droit sur celle-ci et, à mon avis, ceci est
en dehors du redressement demandé à l'encontre
du jugement au sens où l'entend la Règle 1909 et
du pouvoir de la Cour de préciser les effets du
jugement °.
La défenderesse a cherché à obtenir, subsidiaire-
ment, une ordonnance aux termes de la Règle
1909 la libérant du jugement afin de lui permettre
de vendre la chaîne. Elle a déclaré qu'il s'agissait
d'une quantité relativement faible de chaîne prête
à être vendue et que cette vente ne causerait pas de
dommages sérieux aux demanderesses. La défen-
deresse consentait également à déposer en cour,
pour l'usage de l'invention brevetée, une redevance
raisonnable sur le produit de la vente.
Je doute fort que la défenderesse puisse soulever
cette question dans la présente demande, une déci-
sion ayant déjà été rendue dans une affaire où
2 Règle 1909. Une partie contre laquelle a été rendu un
jugement ou une ordonnance peut demander à la Cour la
suspension de l'exécution du jugement ou de l'ordonnance ou
quelque autre redressement à l'encontre de ce jugement ou de
cette ordonnance, et la Cour peut, par ordonnance, accorder le
redressement qu'elle estime juste, aux conditions qu'elle estime
justes.
3 22 Halsbury's Laws, 3' éd., 783.
4 Voir Poisson c. Robertson (1902) 50 W.R. 260.
cette question aurait pu être soulevées. Mais, en
présumant qu'elle puisse le faire, je ne vois rien en
l'espèce qui puisse justifier une telle ordonnance.
Le tribunal a enjoint à la défenderesse de s'abste-
nir de vendre la chaîne qui viole le brevet des
demanderesses et elle n'a pas le droit de violer de
nouveau le brevet. Bien que l'ordonnance soit sus-
pendue jusqu'à l'issue de l'appel, le jugement
ordonne aussi à la défenderesse de remettre la
quantité de chaîne qu'elle a en sa possession. La
chaîne n'est pas périssable et, à mon avis, le fait de
ne pas la vendre ne causera aucun dommage irré-
parable à la défenderesse. A vrai dire, si l'injonc-
tion était supprimée afin de permettre cette vente,
les inconvénients seraient plus grands pour les
demanderesses puisque l'étendue de leurs domma-
ges pourrait être plus difficile à évaluer que tout
dommage que pourrait subir la défenderesse du
fait de l'interdiction de vendre. Selon les faits il
appert, d'ailleurs, que la défenderesse est insolva
ble et que rien de plus que la redevance proposée
ne pourrait vraisemblablement être récupéré. Dans
une demande de ce genre, le fardeau du deman-
deur est plus lourd que celui d'une partie sollici-
tant une injonction interlocutoire 6 mais, même
compte tenu de ce motif, il me semble que tout
concorde, en l'espèce, à faire pencher la balance en
faveur du rejet de la demande.
La troisième ordonnance sollicitée dans la
demande était:
[TRADUCTION] que le mandataire (et séquestre des biens de la
défenderesse) ne soit pas requis de remettre à la demanderesse
lesdits 65,000 pieds de chaîne actuellement en sa possession.
Cela, on peut le constater, contredit ce qui est
allégué dans le premier paragraphe de l'avis de
requête portant sur la question de la propriété des
65,000 pieds de chaîne. A mon avis, la défende-
resse cherche à faire infirmer ou modifier le juge-
ment lui-même; or, il s'agit d'une demande dont la
Division de première instance ne peut connaître'.
ORDONNANCE
La demande est rejetée avec dépens.
5 Voir Yat Tung Investment Co. Ltd. c. Dao Heng Bank Ltd.
[1975] A.C. 581 la page 589 et ss.
6 Le juge Martland, dans l'arrêt Laboratoire Pentagone
Limitée c. Parke, Davis & Company [1968] R.C.S. 269 la
page 272.
Voir Cristel c. Cristel [1951] 2 K.B. 725.
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