A-695-76
Le procureur général du Canada (Requérant)
c.
La Commission des relations de travail dans la
Fonction publique (Intimée)
Cour d'appel, les juges Pratte, Ryan et Le Dain—
Ottawa, les 15 et 25 mars 1977.
Examen judiciaire — Décision de la Commission des rela
tions de travail dans la Fonction publique — L'article 100(1)
de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique
prive-t-il la Cour de sa compétence? — Effet des clauses
privatives contenues dans les lois édictées après l'entrée en
vigueur de la Loi sur la Cour fédérale — L'article 92 des
Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. est-il ultra
vires? — Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 19(1)g) et 1), 23, 25, 100
Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P., art. 8(2),
92 — Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. 1-23, art. 36f) —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28.
Demande présentée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale visant l'examen et l'annulation de la décision de
la Commission des relations de travail dans la Fonction publi-
que qui a refusé d'examiner de nouveau une de ses précédentes
décisions au motif que la demande outrepassait les délais.
L'intimée prétend que l'article 100(1) de la Loi sur les rela
tions de travail dans la Fonction publique prive la Cour de sa
compétence en l'espèce puisqu'il a été édicté après l'entrée en
vigueur de la Loi sur la Cour fédérale. Le requérant a demandé
à la Commission d'examiner de nouveau sa précédente décision
même si sa demande outrepassait le délai prévu à l'article 92
des Règlement et règles de procédure de la Commission, soute-
nant que l'article 92 était ultra vires et, en tout état de cause,
inapplicable en l'espèce puisqu'il n'était pas en vigueur au
moment où la décision portée en appel a été rendue. La
Commission a jugé qu'il n'en était pas ainsi et a refusé d'exami-
ner de nouveau sa précédente décision.
Arrêt: la décision de la Commission est annulée et le dossier
lui est retourné pour qu'elle juge de la demande d'examen en
considérant que l'article 92 des Règlement et règles de procé-
dure est invalide. Quant à la compétence de la Cour à entendre
cette demande, l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale
s'applique aux dispositions législatives de toute nature, y com-
pris aux clauses privatives, à moins qu'elles soient de droit
nouveau et qu'elles aient été édictées après l'entrée en vigueur I
de la Loi sur la Cour fédérale. L'article 100(1) de la Loi sur,
les relations de travail dans la Fonction publique, édicté en
1975, n'est pas de droit nouveau au sens de la Loi d'interpréta-
tion. Quant à la validité de l'article 92 des Règlement et règles
de procédure de la C.R.T.F.P., l'article 25 de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique accorde un
pouvoir discrétionnaire que ne peut entraver une règle comme
celle de l'article 92: les articles 19(1)g) et 1) de la Loi ne
donnent pas à la Commission le pouvoir d'édicter une telle règle
parce qu'il ne s'agit pas d'une règle de procédure au sens de
l'article 19(1)g) et que les termes de l'article 19(1)1) sont trop
généraux pour autoriser une telle règle.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
G. W. Ainslie, c.r., et L. S. Holland pour le
requérant.
J. E. McCormick pour l'intimée.
M. W. Wright, c.r., et L. J. Soloway pour R.
J. Kelly.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Commission des relations de travail dans la
Fonction publique pour l'intimée.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady, Morin, Ottawa, pour R. J. Kelly.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit d'une demande, pré-
sentée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale', visant l'examen et l'annulation de la
décision rendue par la Commission des relations de
travail dans la Fonction publique le 10 septembre
1976.
On doit d'abord examiner si la Cour a compé-
tence pour entendre la demande. Ce problème de
compétence a été soulevé par le juge en chef, le 4
janvier 1977, lorsque l'avocat lui a présenté une
requête d'ajournement. Le juge en chef a fait
oralement la déclaration suivante:
Voici le libellé de l'article 28(1):
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute
autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et
juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision
ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de
nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office,
une commission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion
de procédures devant un office, une commission ou un autre
tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le
tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une
erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du
dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu
sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou
sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
[TRADUCTION] Puisqu'il appert qu'on s'interroge sur la
compétence de la Cour à entendre cette demande présentée en
vertu de l'article 28, je juge opportun (voir Westminster Bank
Ld. c. Edwards [1942] A.C. 529, par le vicomte Simon, L.C., à
la page 533) de soulever la question en présence de l'avocat au
dossier en vue de lui donner
a) l'occasion de déposer un exposé supplémentaire à ce sujet,
et
b) l'occasion de présenter sa plaidoirie à ce sujet le jour qui
sera fixé pour l'audition de la demande présentée en vertu de
l'article 28.
Il s'agit de savoir si l'article 100(1) de la Loi sur les relations
de travail dans la Fonction publique édicté par l'article 29 du
chapitre 67 des Statuts de 1975, qui a été sanctionné le 30
juillet 1975, prive la Cour de sa compétence à entendre cette
demande présentée en vertu de l'article 28. Voici le texte de cet
article:
100. (1) Sous réserve de la présente loi, toute ordonnance,
décision arbitrale, directive, décision ou déclaration de la
Commission, d'un arbitre spécial nommé en vertu de l'article
62 ou d'un arbitre est définitive et ne peut être ni remise en
question ni examinée devant un tribunal.
On doit opposer cette disposition à l'article 122(1) du Code
canadien du travail édicté par le chapitre 18 des Statuts de
1972, qui a été sanctionné le 7 juillet 1972. Il se lit ainsi:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la pré-
sente Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est
définitive et ne peut être mise en question devant un tribunal
ni revisée par un tribunal, si ce n'est conformément à l'article
28 de la Loi sur la Cour fédérale.
A ce sujet, on doit mentionner les commentaires relatifs à
l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale énoncés dans
Howarth c. La Commission des libérations conditionnelles
[1976] 1 R.C.S. 453, par le juge Pigeon (prononçant le juge-
ment en son nom et en celui des juges Martland, Judson et
de Grandpré), à la page 475.
Cette déclaration soulève en effet deux questions
distinctes ayant trait à la compétence de la Cour.
La première est celle évoquée par le juge Pigeon
au dernier paragraphe de ses motifs de jugement
dans l'arrêt Howarth ([ 1976] 1 R.C.S. 453, la
page 475) où il a dit:
Parce qu'à mon avis l'art. 28.1 de la Loi sur la Cour fédérale
est inapplicable en raison de la nature dé la décision à exami
ner, il n'est pas nécessaire de considérer si les premiers mots
«Nonobstant D'article 18 ou les dispositions de toute autre loi«
écartent une disposition telle que l'art. 23 de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus ou s'ils visent seulement
des dispositions de la nature de celles que l'on retrouve à
l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale, c'est-à-dire des
dispositions ayant pour objet d'attribuer une compétence à
quelque cour ou tribunal. Il est évident que si l'on interprète ces
mots comme écartant toutes dispositions limitant ou déniant le
contrôle judiciaire des décisions des organismes fédéraux non
compris dans l'exception énoncée, cela signifie- qu'en plus d'un
transfert de compétence il y a eu modification importante du
droit. Sur ce point, je n'exprime pas d'opinion non plus que sur
la question de savoir si, nonobstant l'art. 23 de la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus, il existe quelque voie de
recours devant la Division de première instance de la Cour
fédérale dans un cas comme celui-ci.
Je réponds sans difficulté à cette première ques
tion. A mon humble avis, la signification des mots
utilisés au début de l'article 28 est claire. Dans
leur sens habituel, ces mots, à mon avis, renvoient
aux dispositions législatives de toute nature, y
compris aux clauses privatives, qui pourraient
autrement limiter la compétence de la Cour prévue
à l'article 28. Avec respect, je ne vois aucune
raison de prêter un sens plus limité à ces mots. Je
suis donc d'avis que les premiers mots de l'article
28 ont pour effet d'écarter les clauses privatives
qui existaient au moment de l'adoption de la Loi
sur la Cour fédérale.
La deuxième question soulevée par la déclara-
tion du juge en chef est la suivante: les premiers
mots de l'article 28 ont-ils le même effet sur les
clauses privatives qui, comme celle contenue à
l'article 100 de la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique, ont été édictées après
le 1" juin 1971, date d'entrée en vigueur de la Loi
sur la Cour fédérale.
J'hésiterais certainement avant de répondre à
cette question si l'article 100 de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique,
édicté en 1975, était vraiment de droit nouveau.
Mais, il n'en est pas ainsi. Lorsque la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique a
été édictée pour la première fois en 1967, l'article
100(1) se lisait ainsi:
100. (1) Sauf ce que prévoit la présente loi, toute ordon-
nance, décision arbitrale, directive, décision ou déclaration de la
Commission, du Tribunal d'arbitrage ou d'un arbitre est défini-
tive et ne peut être ni remise en question ni examinée devant un
tribunal quelconque.
En 1975, le Parlement a adopté la «Loi modi-
fiant la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique» (S.C. 1974-75-76, c. 67). Voici
le libellé de l'article 29 de cette loi:
29. L'article 100 de ladite loi est abrogé et remplacé par ce
qui suit:
.100. (1) Sous réserve de la présente loi, toute ordon-
nance, décision arbitrale, directive, décision ou déclaration de
la Commission, d'un arbitre spécial nommé en vertu de
l'article 62 ou d'un arbitre est définitive et ne peut être ni
remise en question ni examinée devant un tribunal.»
Si on lit l'article 29 la lumière de l'article 36f)
de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, il
est clair que l'article 100(1) dans sa forme
actuelle, même s'il a été édicté en 1975, ne doit pas
être considéré comme de droit nouveau. L'article
36f) de la Loi d'interprétation prévoit:
36. Lorsqu'un texte législatif (au présent article appelé
.texte antérieur») est abrogé et qu'un autre texte législatif (au
présent article appelé .nouveau texte») y est substitué,
J) sauf dans la mesure où les dispositions du nouveau texte
ne sont pas, en substance, les mêmes que celles du texte
antérieur, le nouveau texte ne doit pas être réputé de droit
nouveau; il doit s'interpréter comme une codification et une
manifestation de la loi que le texte antérieur renfermait et
avoir l'effet d'une semblable codification et manifestation;
Pour ces motifs, je suis d'avis que la compétence
à examiner la décision en cause, accordée à la
Cour par l'article 28, n'est pas éliminée par l'arti-
cle 100 de la Loi sur les relations de travail dans
la Fonction publique édicté en 1975.
Cette demande présentée en vertu de l'article 28
vise une décision de la Commission des relations de
travail dans la Fonction publique qui rejette une
demande d'examen d'une de ses précédentes
décisions.
Le 17 décembre 1975, la Commission a statué
sur une question de droit soulevée par le Conseil
du Trésor conformément à l'article 23, maintenant
abrogé, de la Loi sur les relations de travail dans
la Fonction publique. Le 23 avril 1976, le Conseil
du Trésor a demandé à la Commission des rela
tions de travail dans la Fonction publique d'exami-
ner de nouveau la décision rendue le 17 décembre
1975. Cette demande a été formulée en vertu de
l'article 25 de la Loi:
25. La Commission peut examiner de nouveau, annuler ou
modifier toute décision ou ordonnance qu'elle a rendue, ou
procéder à une nouvelle audition de toute demande avant de
rendre une ordonnance à son sujet. Toutefois les droits acquis
en raison d'une décision ou d'âne ordonnance ainsi examinée de
nouveau, annulée ou modifiée ne peuvent faire l'objet d'une
modification ou abolition qui prendrait effet avant la date de ce
nouvel examen, de cette annulation ou de cette modification.
Cette demande, qui a été présentée plus de
quatre mois après que le requérant eut été averti
de la décision qu'il cherche à faire examiner de
nouveau, outrepasse clairement les délais puisque
l'article 92 des Règlement et règles de procédure
de la C.R.T.F.P. 2 prévoit que:
92. Lorsqu'une partie demande à la Commission de réviser,
annuler ou modifier une décision ou une ordonnance qu'elle a
rendue, la demande doit être faite, sous réserve du paragraphe
8(2), avant l'expiration de 25 jours à compter du jour où est
signifiée à la partie qui formule la demande une copie
a) de la décision ou de l'ordonnance, ou
b) de l'énoncé des motifs de la décision ou de l'ordonnance,
la date qui est postérieure à l'autre étant à retenir. 3
Cependant, probablement parce que le requé-
rant avait allégué, dans la correspondance échan-
gée avec la Commission, que l'article 92 des
Règles ne pouvait s'appliquer en l'espèce, la Com
mission a ordonné qu'une audience ait lieu, préci-
sant [TRADUCTION] «qu'elle porterait uniquement
sur la question de savoir si la demande d'examen
formulée par l'employeur à l'encontre de la déci-
sion de la Commission du 17 décembre 1975 res-
pectait le délai imparti, eu égard particulièrement
aux dispositions de l'article 92 des Règlement et
règles de procédure de la C.R.T.F.P.0
La Commission a tenu une audience à la suite
de laquelle elle a rendu la décision qu'attaque
maintenant le requérant. Dans cette décision, la
Commission a d'abord rejeté la prétention du
requérant que l'article 92 était ultra vires des
pouvoirs de la Commission, et que, en tout état de
cause, on ne pouvait l'appliquer en l'espèce puis-
qu'il n'était pas en vigueur au moment où a été
rendue la décision qui a soulevé la question de
droit soumise plus tard à la Commission en vertu
de l'article 23. Après avoir rejeté ces deux argu
ments, la Commission a conclu:
10. La nouvelle version du Règlement et règles de procédure de
la C.R.T.F.P. est entrée en vigueur le 22 octobre 1975. L'article
92 dudit règlement devait donc s'appliquer pour toutes les
demandes de révision présentées après cette date. La demande
de révision en instance ayant été présentée par l'employeur plus
de quatre mois après que la Commission lui eut communiqué sa
décision rendue le 17 décembre 1975, elle ne respecte pas le
délai imparti. Par le fait même, elle est rejetée.
11. Nous aimerions ajouter que même si l'audition de cette
affaire n'a porté que sur la question de savoir si la demande de
2 DORS/75-604.
Voici le libellé de l'article 8(2) des Règles auquel réfère
l'article 92:
8. (2) La Commission peut, aux conditions qu'elle juge
opportunes, prolonger le délai prescrit par le présent règle-
ment pour faire toute démarche, signifier toute avis, produire
tout document ou entamer toute procédure et peut le faire
avant ou après l'expiration du délai prescrit.
révision respectait le délai imparti, nous sommes d'avis que les
motifs sur lesquels l'employeur a fondé sa demande vont à
l'encontre des principes que le juge en chef de la Cour d'appel
fédérale a énoncés dans l'affaire de l'Institut professionnel du
Service public du Canada c. le Procureur général du Canada
[1972] C.F. 1316 et de ceux que la Commission a énoncés dans
l'affaire Orton (dossier n°: 172-2-76). De plus, l'avocat de
l'employeur a expliqué clairement que l'objet de la demande en
instance était de présenter d'autres arguments, fondés sur des
précédents qui, aux dires de l'avocat, étaient connus et auxquels
l'employeur aurait pu avoir recours à la première audition
tenue devant la Commission. En substance, l'employeur semble
donc avoir présenté une demande de révision qui soit plutôt une
demande pour obtenir la permission de produire d'autres
arguments.
12. Étant donné les circonstances, même en supposant que la
demande de révision ait été présentée par l'employeur dans le
délai imparti, en raison des pouvoirs discrétionnaires que lui
confère l'article 25, la Commission ne voit aucune raison pour
laquelle elle devrait réviser la décision qu'elle a rendue le 17
décembre 1975 dans cette affaire.
Le requérant prétend que la décision de la Com
mission doit être annulée pour deux motifs:
[TRADUCTION] a) La C.R.T.F.P. a erré en décidant que
l'article 92 des Règlement et règles de procédure de la
C.R.T.F.P. avait été validement édicté par la Commission,
dans l'exercice de son pouvoir de faire des règles de procé-
dure, conformément à l'article 19 de la Loi;
b) La Commission n'a pas observé un principe de justice
naturelle en se prononçant sur le fond de la demande d'exa-
men sans donner au requérant l'occasion de défendre le fond
de sa demande.
A l'égard du second motif soulevé par le requé-
rant, il suffit de dire, à mon avis, qu'une lecture
attentive des trois derniers paragraphes de la déci-
sion montre que la Commission ne s'est pas pro-
noncée sur le fond de la demande. En déclarant au
paragraphe 10 de la décision «[la demande de
révision] ne respecte pas le délai imparti. Par le
fait même, elle est rejetée», la Commission dispo-
sait de la demande d'examen et ce qui est indiqué
après, dans les deux derniers paragraphes, est une
simple indication de la décision que la Commission
aurait rendue si elle n'avait pas rejeté la demande
parce que celle-ci ne respectait pas le délai imparti.
Quant au premier motif du requérant, il est, à
mon avis, bien fondé. L'article 25 de la Loi
accorde à la Commission un pouvoir discrétion-
naire qu'elle est obligée d'exercer, après étude des
faits pertinents de chaque cas particulier, chaque
fois qu'une demande d'examen est formulée par
une personne qui a qualité pour ce faire. Une règle
comme celle de l'article 92 entrave l'exercice de ce
pouvoir discrétionnaire et pour ce motif, elle ne
peut, en l'absence d'une disposition claire de la loi,
être validement adoptée par la Commission. Je n'ai
rien trouvé dans la Loi qui puisse donner à la
Commission le pouvoir d'édicter une telle règle.
Selon moi, les dispositions des articles 19(1)g) et
19(1)1), les seules qui nous ont été mentionnées
par l'avocat, ne donnent pas ce pouvoir à la Com
mission. L'article 19(1)g) autorise simplement la
Commission à établir «des règles de procédure
pour ses auditions»; l'article 92, mon avis, ne
tombe pas dans cette catégorie. Quant à l'article
19(1)1), il lui permet d'établir des règlements con-
cernant «telles autres questions et sujets qui peu-
vent se rattacher ou contribuer aux objets et aux
fins de la Commission, à l'exercice de ses pouvoirs
et à la réalisation des objets de la présente loi»;
j'estime qu'une disposition aussi large et aussi
générale n'est pas suffisante pour permettre à la
Commission d'adopter une règle qui entrave ou
empêche l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire
que la loi lui accorde expressément.
Pour ces motifs, je suis d'avis d'annuler la déci-
sion de la Commission des relations de travail dans
la' Fonction publique et de lui retourner le dossier
pour qu'elle juge de la demande d'examen formu-
lée par le requérant en considérant que l'article 92
des Règlement et règles de procédure de la
C.R.T.F.P. est invalide.
* * *
LE JUGE RYAN: Je souscris.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE MAIN: J'estime en accord avec les
motifs donnés par le juge Pratte, que l'article 92
des Règlement et règles de procédure de la
C.R.T.F.P. est ultra vires. Subsidiairement, il peut
se définir comme une tentative non valable de
limiter le droit formel de faire étudier une
demande d'examen par la Commission'. A mon
avis, l'imposition, par règlement, d'un délai à l'in-
térieur duquel un droit conféré par une loi peut
4 Labour Relations Board of Saskatchewan c. The Queen on
the relation of F. W. Woolworth Co. Ltd. [1956] R.C.S. 82,
par le juge Locke, aux pages 86 et 87, et La Reine c. Alaska
Pine & Cellulose Ltd. (1960) 24 D.L.R. (2') 241 (C.S.C.), par
le juge en chef Kerwin, à la page 245.
être exercé, doit s'appuyer sur une disposition sta-
tutaire expresse. On nous a fait valoir que, indé-
pendamment de l'article 92, le délai constitue une
condition inhérente à l'exercice du pouvoir discré-
tionnaire accordé par l'article 25 de la Loi et que
la décision de la Commission ne devrait donc pas
être infirmée parce qu'elle s'appuie sur l'article 92.
Je reconnais que le délai pourrait valablement être
considéré comme une partie intégrante de l'exer-
cice du pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 25
de la Loi, mais l'article 92 du Règlement a pour
effet de faire d'un délai précis un motif de rejet
d'une demande d'examen sans renvoi au fond de la
question, et c'est de cette façon que l'article a été
appliqué en l'espèce. Je partage l'opinion du juge
Pratte suivant laquelle la Commission ne s'est pas
prononcée sur le fond de la demande mais l'a
rejetée au motif qu'elle n'a pas été présentée dans
le délai fixé à l'article 92.
Puisqu'on attaque en l'espèce la compétence du
tribunal—savoir, si le règlement appliqué est ultra
vires et s'il y a eu violation d'un principe de justice
naturelle—il n'est pas absolument nécessaire, aux
fins de la présente cause, de trancher la question
de savoir si une clause privative comme celle con-
tenue à l'article 100 de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique peut n'avoir
aucun effet sur la portée du pouvoir d'examen
accordé à la Cour par l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale. Il suffirait de s'appuyer sur la
jurisprudence bien établie, qu'il n'est pas néces-
saire de citer, suivant laquelle une telle disposition
ne peut protéger la décision d'un tribunal qui a
outrepassé sa compétence. Néanmoins, une fois
soulevée la question de la clause privative, il appa-
raît nécessaire d'étudier l'interprétation et l'appli-
cation des premiers mots de l'article 28. J'ai
accordé beaucoup d'attention à la suggestion du
juge Pigeon formulée dans l'arrêt Howarth relati-
vement à une interprétation subsidiaire possible
qui limiterait l'application des mots «les disposi
tions de toute autre loi», parce qu'ils sont juxtapo-
sés à la mention de l'article 18, aux dispositions
qui confèrent la compétence aux cours ou aux
tribunaux. En toute déférence, je ne peux conclure
que, dans le contexte de la loi, cela justifie qu'on
impose aux mots ce sens plus limité. Cette inter-
prétation plus large incluant les clauses privatives
entraîne, comme l'estime le juge Pigeon, une
«modification importante du droit». Cependant,
cela est conforme, à mon humble avis, à la nette
intention du Parlement de créer par voie de mesure
législative un nouveau pouvoir d'examen ayant une
plus grande portée que le certiorari. Il me semble
logique que le Parlement ait voulu que cette nou-
velle compétence de portée accrue puisse être exer-
cée malgré les clauses privatives existantes qui
auraient pu autrement avoir pour effet d'empêcher
l'examen des erreurs qui n'ont pas trait à la com-
pétence. Étant donné mon opinion sur l'article 28
et ses premiers mots, je me demande sérieusement
si une clause privative comme celle de l'article 100
de la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique, même s'il était considéré de
droit nouveau parce qu'édicté après la Loi sur la
Cour fédérale, constitue une expression suffisam-
ment claire et explicite de l'intention du Parlement
d'exclure ou de limiter la compétence de la Cour
prévue à l'article 28, mais pour les motifs donnés
par le juge Pratte, il n'est pas nécessaire de formu-
ler d'opinion sur le sujet.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.