A-516-76
Hawker Industries Limited (Appelante) (Défen-
deresse)
c.
Santa Maria Shipowning and Trading Company,
S.A. (Intimée) (Demanderesse)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett et les juges
Ryan et Le Dain—Ottawa, le 8 septembre 1977.
Pratique — Demande introduite conformément à la Règle
324 — Erreur fatale — Occasion d'y remédier, le cas échéant
— Règle 324 de la Cour fédérale.
Compétence Demande en vertu de l'art. 52a) visant
l'obtention d'une ordonnance annulant la décision de la Divi
sion de première instance pour défaut de compétence —
Demande présentée avant l'audition de la cause par la Cour
d'appel Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c.
10, art. 52a).
L'appelante, aux termes d'une demande présentée conformé-
ment à la Règle 324, cherche à mettre fin, sous l'autorité de
l'article 52a) de la Loi sur la Cour fédérale, aux procédures
intentées en Division de première instance avant même l'audi-
tion de l'appel. Les procédures devant la Cour d'appel ont été
intentées à la suite d'une décision de la Division de première
instance donnant à l'intimée le droit d'obtenir des dommages-
intérêts en raison de l'inexécution d'un contrat, savoir l'omis-
sion, par l'appelante, d'installer un gouvernail sur son bateau.
L'appelante fait valoir que, compte tenu d'une décision récente
de la Cour suprême du Canada, la Cour fédérale n'avait pas
compétence pour connaître de la réclamation de la demande-
resse (intimée).
Arrêt: la demande est rejetée. La requérante (l'appelante)
cherche à obtenir de la Cour d'appel l'annulation du jugement
de la Division de première instance avant l'audition de l'appel
interjeté de ce jugement et non à mettre fin l'appel lui-même.
Or, l'article 52a) ne prévoit pas ce cas, car la procédure devant
la Cour d'appel consiste en un appel interjeté d'une décision de
la Division de première instance. En l'absence d'une jurispru
dence contraire, la Cour d'appel n'a compétence pour annuler
le jugement dont appel est interjeté qu'après avoir entendu en
appel les deux parties.
DEMANDE.
AVOCATS:
Stewart Mclnnes pour l'appelante (défende-
resse).
Donald A. Kerr, c.r., pour l'intimée (deman-
deresse).
PROCUREURS:
Mclnnes, Cooper & Robertson, Halifax, pour
l'appelante (défenderesse).
Stewart, MacKeen & Covert, Halifax, pour
l'intimée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une
requête écrite présentée conformément à la Règle
324'. L'appelante y sollicite [TRADUCTION] «une
ordonnance mettant fin aux procédures en vertu de
l'article 52a) de la Loi sur la Cour fédérale.»
Les procédures entamées devant la Cour d'appel
fédérale ont débuté par un avis d'appel daté du 21
juillet 1976 aux termes duquel l'appelante interje-
tait appel d'une décision de la Division de première
instance donnant à l'intimée le [TRADUCTION]
«droit d'obtenir de l'appelante des dommages-inté-
rêts en raison de l'inexécution d'un contrat».
A l'appui de la requête en annulation présentée
conformément à la Règle 324, les avocats de l'ap-
pelante ont fait parvenir à l'administrateur de la
Cour une lettre datée du 27 juillet 1977 qui se lit
substantiellement comme suit:
[TRADUCTION] Il s'agit d'une demande présentée conformé-
ment à la Règle 324. L'appelante, Hawker Industries Limited,
sous l'autorité de l'article 52a) de la Loi sur la Cour fédérale,
cherche à mettre fin aux présentes procédures pour défaut de
compétence. La demande est faite conformément à l'avis de
requête qui a été signifié à l'avocat de l'intimée, Donald A.
Kerr, c.r., et dont copie est annexée.
' La Règle 324 se lit comme suit:
Règle 324. (1) La décision relative à une requête pour le
compte d'une partie peut, si la partie le demande par lettre
adressée au greffe, et si la Cour ou un protonotaire, selon le cas,
l'estime opportun, être prise sans comparution en personne de
cette partie ni d'un procureur ou solicitor pour son compte et
sur la base des observations qui sont soumises par écrit pour son
compte ou d'un consentement signé par chaque autre partie.
(2) Une copie de la demande de prise en considération d'une
requête sans comparution personnelle et une copie des observa
tions écrites doivent être signifiées à chaque partie opposante en
même temps que lui est signifiée la copie de l'avis de requête.
(3) Une partie qui s'oppose à une requête présentée en vertu
du paragraphe (1) peut adresser des observations par écrit au
greffe et à chaque autre partie ou elle peut déposer une
demande écrite d'audition orale et en adresser une copie à la
partie adverse.
(4) La Cour ne doit rendre aucune décision au sujet d'une
requête présentée en vertu du paragraphe (1) avant d'être
convaincue que toutes les parties intéressées ont eu une possibi-
lité raisonnable de présenter des observations écrites ou orales,
à leur choix.
Les circonstances qui ont donné lieu à la présente action sont
indiquées dans les plaidoiries qui ont été insérées dans un
dossier d'appel déposé devant la présente cour. Un avis d'appel,
daté du 21 juillet 1976, a été dûment déposé et les parties
attendent encore la transcription de la preuve présentée en
première instance. La décision écrite du juge Bastin fait état
des circonstances qui ont donné lieu à la présente action en
dommages-intérêts, intentée par l'intimée, à la suite d'un con-
trat conclu avec l'appelante aux termes duquel le navire de
l'intimée devait être réparé à Halifax (Nouvelle-Écosse).
L'appelante prétend que la Cour fédérale du Canada n'a pas
compétence pour connaître de la réclamation de la demande-
resse en dommages-intérêts telle qu'énoncée dans sa déclaration
amendée déposée le 20 avril 1975. L'appelante se réfère à la
décision du juge Thurlow dans Sa Majesté la Reine c. Cana-
dian Vickers Limited et La Compagnie générale électrique
Limitée, déposée le 22 juin 1977. Dans cette affaire, le juge en
chef adjoint a décidé qu'un contrat de construction d'un navire
n'était pas un contrat maritime et n'entrait pas dans le champ
de compétence de la Cour fédérale visé à l'article 22(2)n) de la
Loi sur la Cour fédérale. Le contrat en l'espèce vise la répara-
tion du navire et on ne peut faire de distinction entre les
circonstances de l'affaire susmentionnée et les circonstances qui
font l'objet des présentes procédures eu égard à la question de
compétence.
L'appelante sollicite une ordonnance rejetant la réclamation
de l'intimée sans frais pour les parties.
Tenant compte de cette requête, l'avocat de
l'intimée a fait parvenir au greffe une lettre datée
du 2 septembre 1977 qui se lit substantiellement
comme suit:
[TRADUCTION] Je crains qu'il ne soit trop tard pour déposer
une réponse à l'avis de requête de Stewart McInnes visant à
mettre fin aux procédures et à ses observations écrites du 27
juillet. Comme vous le reconnaîtrez, la question de la compé-
tence de la Cour en est une fort compliquée, comme l'ont
démontré les récentes décisions McNamara, Quebec North
Shore, Canadian Vickers et Sivaco. Je comprends que les deux
dernières décisions—et plus spécialement, la décision Canadian
Vickers sur laquelle Me McInnes fonde sa demande—ont été
portées en appel devant la Cour suprême du Canada.
Comme vous le savez peut-être, j'ai également traité de la
question de la compétence de la Cour dans six ou huit autres
causes, le mois dernier. Je pense être dans la même situation
que la plupart des autres avocats qui plaident une affaire de
droit maritime en Cour fédérale, en ce sens que je ne sais pas
quelle réponse sera apportée à cette question.
Pour l'instant, plutôt que de répondre par écrit aux observa
tions de Me McInnes, je demande une audition orale. Je vous
saurais gré de transmettre la présente à l'administrateur par
voie de télécopieur. Je serai dans l'attente de ses directives
quant aux temps et lieu de l'audition.
Il va sans dire qu'il s'agit d'une question vitale pour ma
cliente. De fait, c'est Hawker Industries Limited qui a choisi la
Cour fédérale comme forum de l'action contre le propriétaire
du navire. Pour des raisons qui ont été succinctement énoncées
dans la correspondance versée au dossier, ma cliente a décidé
de ne pas produire de défense à l'action. Au lieu de cela, nous
avons intenté une nouvelle action où Hawker Industries Lim
ited et Bethlehem Steel ont été jointes à titre de codéfenderes-
ses. Nous avons convenu de laisser la première action suivre son
cours jusqu'à ce qu'une décision soit rendue et de faire, quant à
la seconde action, une demande reconventionnelle dont l'objet
serait la somme accordée par le premier jugement.
L'instruction de l'action a duré longtemps. Certains témoins
venaient de Vancouver, des États-Unis, des Bermudes, etc. Ma
cliente a remporté une victoire retentissante: elle a eu gain de
cause sur tous les points. (La somme en litige est d'envirop
$400,000.)
Hawker a déposé un avis d'appel qui portait uniquement sur
le fond de la cause et non sur la question de compétence. Si cet
avis n'avait pas été déposé, l'affaire serait maintenant close et
ma cliente aurait obtenu du juge de première instance des
dommages-intérêts élevés.
Si la Cour devait maintenant, soit après l'instruction et la
décision, se déclarer incompétente, ma cliente subirait une
grave injustice.
Je ne mentionne ces faits que d'une façon préliminaire. Au
moment de l'audition, je ferai valoir, bien entendu, des argu
ments visant à distinguer Canadian Vickers et les autres déci-
sions pertinentes, mais il se pourrait qu'à ce moment, la Cour
suprême ait déposé son jugement final relativement à cette
question.
J'expédie une copie de cette lettre à M' McInnes. Dans
l'attente d'une réponse, je vous prie d'agréer l'expression de mes
sentiments les meilleurs.
Avant d'étudier le fond de cette affaire, j'estime
opportun de dire quelques mots au sujet de la
procédure visée à la Règle 324.
Compte tenu de l'article 16(3) de la Loi sur la
Cour fédérale qui prescrit que «Autant que possi
ble, le juge en chef choisit, pour ... [les] séances
de la Cour d'appel, le lieu qui convient aux par
ties», la disposition de la Règle 324 visant les
requêtes écrites est très utile: elle permet à la Cour
d'expédier les requêtes interlocutoires tout en épar-
gnant la dépense de deniers publics. A mon avis, il
s'agit d'une procédure qui se révèle également, en
plusieurs cas, plus économique pour les parties. Il
existe, bien entendu, des situations où ce type de
requête ne constitue pas la procédure appropriée à
prendre eu égard à la nature de l'objet de la
demande.
Sous réserve de quelques exceptions 2 , une
2 Voir la Règle 1107 concernant les demandes de permission
d'appeler ou de prorogation de délai adressées à la Cour
d'appel.
demande est présentée sous l'autorité de la Règle
324 seulement lorsque le requérant (en l'espèce,
l'appelante) a choisi de faire trancher la demande
de la façon prévue à ladite règle (Règle 324(1)); et
une ordonnance, fondée sur les observations écri-
tes, ne peut être rendue contre la «partie oppo-
sante» si cette partie opte plutôt (Règle 324(3))
pour une «audition orale». De plus, la procédure de
la Cour est d'exiger une audition orale lorsqu'elle
n'est pas convaincue que la question ne peut adé-
quatement être étudiée sur la base des observations
écrites (Règle 324(4)).
En outre, à mon avis, à l'instar de ce qui se
produit lorsqu'une demande est présentée devant
les membres de la Cour, lorsqu'un requérant fait,
sous l'autorité de la Règle 324, une demande
fondée sur des observations auxquelles la partie
opposante n'a pas à répondre, sa demande peut
être rejetée avant que soient présentées ces obser
vations. Comme corollaire, s'il existe une possibi-
lité raisonnable que le requérant puisse répondre à
ce que la Cour considère à première vue, être fatal
pour la demande, la Cour pourra (comme elle le
fait au cours d'une argumentation orale) lui
donner l'occasion d'y répondre.
Comme on le verra ci-après, il s'agit d'une
demande contre laquelle, du point de vue des
prétentions de la requérante, on soulève une objec
tion fatale. Dans les circonstances, j'hésite à
dépenser les deniers publics en vue de tenir une
séance spéciale pour entendre une «argumentation
orale» à moins que la requérante, qui a choisi de
voir sa demande décidée sur la base d'observations
écrites, ne puisse démontrer l'existence d'un argu
ment raisonnablement soutenable en réponse à
cette objection.
Je passe maintenant au fond de la demande.
L'article 52a) autorise la Cour d'appel, notam-
ment, à «mettre fin aux procédures dans les causes
intentées devant elle, lorsqu'elle n'a pas compé-
tence....» La Cour d'appel est saisie, en l'espèce,
d'un appel interjeté de la décision de première
instance. Il est clair, d'après les observations écri-
tes déposées au nom de la requérante (l'appelante)
que celle-ci ne cherche pas à mettre fin à cet appel
mais plutôt à demander à la Cour d'appel de
mettre fin aux procédures entamées en Division de
première instance au motif que la Division de
première instance n'a pas compétence pour connaî-
tre des procédures devant elle 3 . En d'autres mots,
si je comprends bien le sens de l'ordonnance
demandée, la requérante cherche à obtenir de la
Cour d'appel l'annulation de la décision de la
Division de première instance avant l'audition de
l'appel interjeté de ce jugement et ne cherche pas à
mettre fin à l'appel lui-même. Or, l'article 52a) ne
prévoit pas cette procédure.
En l'absence d'une jurisprudence contraire sus
ceptible d'exister, je conclus que la Cour d'appel
n'a compétence pour annuler le jugement dont
appel est interjeté qu'après avoir entendu en appel
les deux parties. Par conséquent, à moins que la
requérante ne cite une jurisprudence à l'appui de
l'ordonnance recherchée aux termes de la requête
présentée conformément à la Règle 324, je suis
d'avis de rejeter ladite requête. Je voudrais, cepen-
dant, être convaincu qu'il n'existe pas une jurispru
dence que la requérante n'aurait pas mentionnée
dans ses allégations et aux termes de laquelle
l'ordonnance pourrait être rendue. Je propose, par
conséquent, de rendre une ordonnance rejetant la
requête présentée conformément à la Règle 324
sous réserve d'observations additionnelles à être
déposées au greffe, par la requérante, dans un
délai de 20 jours à compter de la communication
par le greffe, à l'avocat de la requérante, de l'or-
donnance proposée et de ses motifs, par voie de
courrier recommandé accompagné d'une carte
«A.R.» La Cour pourra, le cas échéant, décider si
ces observations confèrent à la demande présentée
conformément à la Règle 324 un poids suffisant
pour justifier l'«argumentation orale» recherchée
par l'intimée.
La décision proposée relativement à la demande
présentée conformément à la Règle 324 ne signifie
pas que je suis d'avis qu'il est irrégulier pour
l'appelante de demander que son appel soit jugé
sur la question de la compétence sans qu'aient été
préparés les documents nécessaires pour l'audition
de l'appel sur le fond. D'une part, les parties
peuvent fort bien convenir d'une demande con-
jointe d'audition de l'appel fondée uniquement sur
la question de la compétence sous réserve d'une
autre audition si la Cour d'appel conclut que la
Aux termes de ses observations présentées sous l'autorité de
la Règle 324, la requérante cherche à obtenir une ordonnance
«rejetant la réclamation de l'intimée».
Division de première instance avait compétence, ou
encore, si les parties ne peuvent en convenir, l'ap-
pelante peut présenter une demande visant l'obten-
tion d'une ordonnance lui accordant une telle audi
tion, en quel cas la Cour pourrait, après avoir
étudié les exposés des deux parties, juger s'il serait
opportun de procéder de l'une ou l'autre de ces
façons.
* * *
LE JUGE RYAN: Je souscris à ces motifs.
* * *
LE JUGE LE DAIN: Je souscris à ces motifs.
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