The British Yukon Railway Company (Demande-
resse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Dubé—
Vancouver, les 18, 19 et 21 avril 1977.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Méthode de
répartition du revenu tiré d'un réseau international de trans
port par chemins de fer entre trois compagnies subsidiaires
dont deux canadiennes et une américaine — Ni l'art. 406 du
règlement canadien, ni le règlement 1.863-4 des États-Unis ne
sont impératifs ou applicables — Les règles qui régissent
habituellement les entreprises et le commerce s'appliquent —
Règlements de l'impôt sur le revenu, art. 406(1).(3).
La demanderesse est une filiale d'une compagnie de chemins
de fer qui opère entre le Canada et les États-Unis; elle possède
et exploite la ligne du Yukon. Le revenu de 1970 de la
demanderesse a été cotisé à nouveau par le Ministre en 1974.
La formule comptable utilisée par les compagnies pour répartir
le revenu du réseau attribue une part plus basse aux compa-
gnies canadiennes que la formule utilisée par le Ministre.
Arrêt: l'appel de l'avis de nouvelle cotisation émis par le
Ministre en 1974 au sujet de la répartition du revenu de 1970
est accueilli. Ni le règlement 1.863-4 des États-Unis, ni l'article
406 du règlement canadien ne sont impératifs ni même directe-
ment applicables en l'espèce. Puisqu'il n'existe aucune disposi
tion précise dans la Loi, le revenu doit être fixé conformément
aux règles qui régissent habituellement les entreprises et le
commerce. On doit utiliser une formule qui donne une juste
idée du revenu du contribuable. La formule du Ministre est
fautive d'abord en ce qu'elle compte deux fois les immeubles du
contribuable et, en second lieu, parce qu'elle fausse davantage
la répartition en utilisant les pourcentages moyens plutôt que le
montant réel des frais et de la répartition des biens. D'autre
part, la méthode de répartition du contribuable est conforme à
de saines pratiques comptables et donne une juste idée du
revenu du contribuable.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
John G. Smith pour la demanderesse.
W. Hohmann pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Russell & DuMoulin, Vancouver, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DUBS: La présente affaire et l'affaire
British Columbia-Yukon Railway Company c. La
Reine, T-3633-75, ont été entendues sur preuve
commune, et les mêmes motifs de jugement s'ap-
pliquent aux deux cas. La principale question en
litige est la répartition du revenu entre deux com-
pagnies de chemins de fer canadiennes et une
compagnie de chemins de fer américaine pour
l'année d'imposition 1970.
La compagnie demanderesse (ci-après appelée
«B.Y.R.») et quatre autres filiales propriétés exclu
sives de White Pass and Yukon Corporation Lim
ited, dont British Columbia-Yukon Railway Com
pany (ci-après appelée «B.C.Y.R.») et Pacifie and
Arctic Railway and Navigation Company (ci-
après appelée «P.A.R.N.»), compagnie américaine,
fournissent un service intégré de transport par
chemins de fer, navires et camions de Whitehorse
(Yukon) à Skagway (Alaska, É.-U.), en traversant
la Colombie-Britannique.
La route connue sous le nom de «White Pass and
Yukon Route» compte 110.8 milles, dont 90.4 en
territoire canadien et 20.4 en Alaska. B.Y.R. pos-
sède et exploite la ligne du Yukon, de Whitehorse
à la frontière de la Colombie-Britannique,
B.C.Y.R. le tronçon de chemins de fer qui traverse
la Colombie-Britannique et P.A.R.N. la ligne
reliant la frontière de l'Alaska aux installations de
Skagway, sur la côte du Pacifique, où se trouvent
également les installations d'entretien de tout le
réseau ainsi qu'un quai pour les marchandises
générales et une tête de ligne pour les cargaisons
en vrac.
Pour l'année d'imposition 1970, B.Y.R.,
B.C.Y.R. et P.A.R.N. ont utilisé une méthode de
répartition des revenus groupant d'une part les
deux compagnies canadiennes et d'autre part
P.A.R.N.: cette méthode est décrite ainsi dans
l'exposé des faits concédés:
[TRADUCTION] 4.1 Les frais engagés étaient imputés en attri-
buant à chaque poste de dépense une identification précise
lorsque cela était possible ou, en cas contraire, au prorata;
4.2 Les biens utilisés étaient répartis en fonction de l'emplace-
ment dans le cas des immeubles, et du temps passé dans chaque
pays pour les biens meubles reliés aux chemins de fer (36.4%
pour la compagnie américaine et 63.6% pour les compagnies
canadiennes);
4.3 23.6% de la valeur globale du fonds de roulement des trois
compagnies était affecté au réseau de transport, selon la répar-
tition des recettes brutes; cette répartition entre les compagnies
canadiennes et la compagnie américaine était fondée sur leurs
frais généraux respectifs;
4.4 Un taux de rendement de 8% était calculé sur les sommes
déterminées en vertu des paragraphes 4.2 et 4.3 et les montants
suivants ont ainsi été obtenus:
compagnies compagnie
canadiennes américaine
Frais généraux $2,890,553 $2,472,701
Revenu des biens 949,980 613,640
Revenu du fonds
de roulement 31,852 27,352
$3,872,385 $3,113,693
Pourcentage 55.4% 44.6%
4.5 Ces pourcentages étaient utilisés pour répartir les revenus
nets d'exploitation entre les compagnies canadiennes et la
compagnie américaine en fonction de la ventilation du total:
1. des frais,
2. du revenu des biens„
3. du revenu du fonds de roulement.
Dans la nouvelle cotisation dont il a donné avis
le 23 mai 1974, le Ministre a utilisé une répartition
différente fondée sur la moyenne des pourcentages
de ces trois postes:
1. les frais d'exploitation tels que répartis par la
demanderesse
2. un revenu de 8% sur les biens
3. le nombre ajusté de milles de voies ferrées
La méthode utilisée par le Ministre attribuait
65.46% du revenu aux compagnies canadiennes et
34.54% à la compagnie américaine, tandis que
celle utilisée par les compagnies de chemins de fer
imputait 55.4% du revenu aux compagnies cana-
diennes et 44.6% à la compagnie américaine.
La nouvelle cotisation du Ministre entraînait
une augmentation de l'impôt sur le revenu de
$41,196.22, plus les intérêts, dans le cas de B.Y.R.
et de $8,946.86, plus les intérêts, dans celui de
B.C.Y.R. Les deux compagnies de chemins de fer
canadiennes ont interjeté appel des nouvelles coti-
sations du Ministre. Les motifs d'appel sont énon-
cés au paragraphe 9 de la déclaration.
[TRADUCTION] La demanderesse prétend que la procédure
de répartition adoptée par le ministère du Revenu national est
en désaccord avec les règles qui régissent habituellement les
entreprises, le commerce ou la comptabilité, ainsi qu'avec ledit
règlement 1.863-4 des États-Unis et qu'en tenant compte addi-
tionnellement du nombre ajusté de milles de voies ferrées, elle
fausse la répartition en faveur du Canada, la plus grande partie
desdites voies se trouvant dans ce pays. Elle prétend également
qu'une répartition logique devrait être fondée sur: a) l'investis-
sement dans les immeubles, aussi bien au Canada qu'aux
États-Unis, et: b) la qualité, le nombre et le coût des services
rendus au Canada et aux États-Unis. Le premier critère donne
sa juste importance au fait que le Canada compte plus de milles
de voies ferrées et que les installations portuaires et d'entretien
sont situées aux États-Unis. Le second tient compte de l'entre-
tien des voies et des frais généraux au Canada et, en même
temps, des frais occasionnés par le quai et l'entretien du
matériel aux États-Unis. Introduire dans ces deux répartitions
un autre facteur de pondération pour le nombre ajusté de milles
de voies ferrées met en relief uniquement la prépondérance
canadienne; établir ensuite des pourcentages moyens favorise
davantage encore le Canada. La méthode utilisée par le minis-
tère du Revenu national fausse donc d'une manière déraisonna-
ble le revenu imputé au Canada sans se fonder sur aucune des
règles qui régissent habituellement les entreprises, le commerce
et la comptabilité, de sorte que la nouvelle cotisation ne res-
pecte pas les articles 3 et 4, ou tout autre article, de l'ancienne
Loi de l'impôt sur le revenu.
La formule du nombre ajusté de milles utilisée
par le Ministre, de concert avec la répartition
fondée sur les frais généraux et le revenu de 8%
tiré des biens, repose sur les paragraphes 406(1) et
(3) des Règlements de l'impôt sur le revenu dont
voici le libellé:
406. (1) Nonobstant les paragraphes (3) et (4) de l'article
402, le montant de revenu imposable qui est censé avoir été
gagné pendant une année d'imposition dans une province parti-
culière par une corporation de chemins de fer est, sauf applica
tion du paragraphe (2), la moitié de l'ensemble
a) de la proportion du revenu imposable de la corporation
pour l'année que le nombre ajusté de milles de voie de la
corporation dans la province représente par rapport au
nombre ajusté de milles de voie de la corporation au Canada,
et
b) de la proportion du revenu imposable de la corporation
que !es tonnes-milles brutes de la corporation pour l'année
dans la province représentent par rapport aux tonnes-milles
brutes de la corporation pour l'année au Canada.
(3) Pour l'application du présent article, «le nombre ajusté
de milles de voie» dans un endroit spécifié signifie l'ensemble
a) du nombre de milles de la première voie principale,
b) de 80 p. 100 du nombre de milles d'autres voies principa-
les, et
c) de 50 p. 100 du nombre de milles de voies de gare de
triage et de voies d'évitement,
dans cet endroit.
Les deux parties reconnaissent que ni le règle-
ment 1.863-4 des États-Unis, ni l'article 406 du
règlement canadien ne sont impératifs ni même
directement applicables en l'espèce, puisque le pre
mier s'applique à un contribuable [TRADUCTION]
«... exploitant un service de transport entre des
lieux situés les uns aux États-Unis et les autres à
l'extérieur», et que le dernier vise les compagnies
exploitant un chemin de fer entre des provinces
canadiennes. La répartition en litige ici a trait au
revenu, au Canada, de deux compagnies de che-
mins de fer canadiennes et au revenu, aux États-
Unis, d'une compagnie de chemins de fer améri-
caine. Les deux avocats n'ont trouvé aucun précé-
dent et ni la Loi de l'impôt sur le revenu ni les
Règlements ne prévoient de formule directement
applicable à la situation présente.
Puisqu'il n'existe aucune disposition précise dans
la Loi, le revenu doit être fixé conformément aux
règles qui régissent habituellement les entreprises
et le commerce.
La formule utilisée par les compagnies de che-
mins de fer leur avait été suggérée par leur comp-
table, la firme Clarkson, Gordon & Co. Celui des
associés qui s'occupait des chemins de fer dans
cette firme, Kenneth L. Ingo, expert comptable, a
été cité comme témoin. Quelques extraits de son
mémoire de répartition du revenu d'exploitation,
déposés comme pièces justificatives, méritent
d'être reproduits.
[TRADUCTION] La méthode utilisée par les compagnies en
1970 est fondée sur la formule de répartition du revenu d'un
contribuable exploitant un service de transport entre des lieux
situés les uns aux États-Unis et les autres à l'extérieur de ce
pays, formule prévue au paragraphe 1.863-4 des règlements du
Internal Revenue Code américain. On peut trouver le texte
intégral de ce règlement à l'annexe A au présent mémoire et un
bref résumé ci-dessous.
Le règlement prévoit essentiellement que le revenu est réparti
en fonction du total:
1. des frais engagés dans le service de transport,
2. du revenu des biens utilisés pour ledit service de transport,
et
3. du revenu du fonds de roulement utilisé pour ledit service
de transport.
De façon à établir la répartition du revenu conformément à
ces dispositions, les renseignements nécessaires ont été groupés
autour des jalons suivants:
1. Chaque catégorie de frais des compagnies a été répartie
entre le Canada et les États-Unis à la suite d'une identifica
tion précise ou au prorata. Puisque l'état interne des frais
généraux des compagnies comporte à la fois des fonds améri-
cains et des fonds canadiens, il fallait d'abord convertir ces
postes en fonds canadiens. L'annexe B contient le détail de
ces répartitions et conversions.
2. Les biens utilisés pour le service de transport ont été
répartis entre les deux pays en fonction:
a) de l'emplacement, dans le cas d'immeubles, et
b) du temps passé dans chaque pays, dans le cas des biens
meubles reliés aux chemins de fer (soit 36.4% aux États-
Unis et 63.6% au Canada).
La valeur des actifs consignée en fonds américains dans les
comptes des compagnies a été fixée à nouveau en fonds
canadiens en utilisant le cours moyen du change pour
l'année.
3. Une partie de la valeur globale du fonds de roulement des
compagnies a été imputée aux services de transport par
chemins de fer en fonction des recettes brutes, selon la
formule:
Recettes brutes provenant du service de transport par
chemins de fer x 100% Recettes brutes totales
Il s'ensuit qu'une proportion de 23.6% de la valeur globale du
fonds de roulement des compagnies a été imputée au service
de transport par chemins de fer. Cette somme a ensuite été
répartie entre les deux pays en fonction des frais généraux
imputés précédemment au pays considéré.
4. Le revenu tiré des biens et la valeur du fonds de roulement
utilisés pour le service de transport par chemins de fer ont été
calculés en utilisant un taux de 8% et en l'appliquant aux
montants déterminés aux paragraphes 3 et 4. Ceci constitue
le taux de rendement dont fait mention le règlement précité.
Un expert comptable américain, Karl H.
Loring, associé à la firme Ernst & Ernst de Los
Angeles, spécialisée dans les usages internationaux
en matière fiscale, a témoigné à titre d'expert au
nom de la demanderesse. Ces deux paragraphes de
sa déclaration exposent son opinion au sujet des
deux méthodes de répartition:
[TRADUCTION] J'ai examiné la méthode de répartition des
revenus et déductions exposée dans le mémoire de Clarkson,
Gordon & Co., dont copie est jointe et qui est également décrite
dans l'exposé des faits concédés déposé en l'espèce. C'est une
méthode conforme, de façon générale, aux exigences du règle-
ment 1.863-4 et cette répartition, à mon avis, serait jugée
acceptable par l'Internai Revenue Service.
J'ai examiné aussi la méthode de répartition du revenu décrite
dans l'exposé des faits concédés et utilisée par le ministre du
Revenu national pour établir la nouvelle cotisation. Elle ne
semble pas conforme aux exigences du règlement 1.863-4 et y
déroge tellement qu'à mon avis, elle ne serait pas jugée accepta
ble par l'Internat Revenue Service. En particulier, il semble peu
probable que cette administration accepte une formule qui tient
compte deux fois des biens corporels, incluant les immeubles à
la fois dans la répartition des frais et dans le calcul du revenu
du capital; même chose pour les milles de voies, particulière-
ment lorsque le rapport des milles de voies dans les deux pays
est si disproportionné.
Les comptables n'ont certes pas à juger le litige.
Il existe de plus une présomption légale voulant
que la cotisation ait été validement établie, et le
contribuable qui l'attaque a la charge de prouver
qu'elle est erronée. Mais, comme l'a énoncé le
président Thorson dans Publishers Guild of
Canada Limited c. M.R.N. [1956-60] R.C.É. 32
aux pages 49-50, et cité par le juge Walsh dans
Mandel c. La Reine': [TRADUCTION] «Mais si la
Cour ne doit pas perdre de vue ce principe, elle
doit aussi, dans son effort d'appliquer la loi avec
objectivité, garder un oeil vigilant sur les affirma
tions arbitraires du fisc.» Lorsque la Loi de l'impôt
sur le revenu ne prévoit pas un mode précis de
comptabilité, on doit utiliser une formule qui
donne une juste idée du revenu du contribuable.
Le critère des milles de voies ne permet pas, par
lui-même, d'établir le véritable rapport qui existe
en l'espèce. Le tronçon de vingt milles qui traverse
l'Alaska part du niveau de la mer et atteint une
altitude de 2,885 pieds à White Pass, à la frontière
de l'Alaska et de la Colombie-Britannique. De là,
l'altitude n'augmente que de trente pieds et la voie
sillonne plus ou moins un plateau en descendant
vers Whitehorse, à 2,080 pieds du niveau de la
mer. Ce tronçon était le plus difficile à construire
et demeure le plus onéreux à entretenir avec ses
tunnels, ses ponts, et les abondantes chutes de
neige. Il faut cinq ou six locomotives pour tirer un
train jusqu'à White Pass et ces locomotives,
comme la plus grande partie du matériel roulant et
toutes les installations d'entretien, sont propriété
de la compagnie de chemins de fer américaine et
situées en Alaska.
Il est donc évident qu'établir simplement un
rapport entre les milles de voies ne serait ni juste ni
équitable. Mais le Ministre ne fonde pas sa répar-
tition uniquement sur le nombre de milles de voies.
Il superpose le rapport entre les milles de voies à
une autre formule qui tient déjà compte du rapport
entre le nombre de milles. Bien sûr, cela accentue
exagérément la prépondérance du Canada au titre
des milles de voies.
En outre, la formule utilisée par le Ministre
fausse davantage la répartition du revenu en ajou-
tant les pourcentages au lieu des montants réels.
Cette méthode accorde la même valeur proportion-
nelle à des montants inégaux. Par exemple, les
frais ($2,472,701) encourus par la compagnie
américaine sont quatre fois supérieurs au montant
($613,640) imputé aux immeubles américains et
pourtant on n'a enregistré qu'un pourcentage pour
ces deux postes. En d'autres termes, la formule du
1 [1977] 1 C.F. 673, la page 702.
Ministre est fautive d'abord en ce qu'elle compte
deux fois les immeubles du contribuable et, en
second lieu, parce qu'elle fausse davantage la
répartition en utilisant les pourcentages moyens
plutôt que le montant réel des frais et de la
répartition des biens. D'autre part, la méthode de
répartition du contribuable est conforme à de
saines pratiques comptables et donne une juste
idée du revenu du contribuable.
L'appel est accueilli et la nouvelle cotisation
d'impôt de la demanderesse pour 1970 est ren-
voyée au Ministre pour qu'il établisse une nouvelle
cotisation conformément aux présents motifs, avec
dépens en faveur de la demanderesse.
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