A-319-76
Northern Telecom Limitée (auparavant Northern
Electric Company Limited) (Requérante)
c.
Les Travailleurs en communications du Canada
(Intimé)
et
David P. Thompson et al. (Intervenants)
et
Le Conseil canadien des relations du travail
(Tribunal)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Pratte et le juge suppléant MacKay — Toronto,
les 25 et 26 janvier 1977.
Examen judiciaire — Accréditation de syndicat —
Demande d'annulation du certificat émis par le Conseil cana-
dien des relations du travail — Le Conseil a-t-il outrepassé sa
compétence? — Le Conseil a-t-il erré en droit ou en fait? —
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 2, 108,
118(1)p) et 126(1) (dans sa forme modifiée par S.C. 1972, c.
18) — Acte de l'Amérique du Nord britannique, art. 91 et
92(10).
La requérante prétend que le Conseil canadien des relations
du travail n'avait pas compétence pour décider d'accréditer
l'intimé comme agent négociateur parce que la preuve soumise
au Conseil ne révélait pas que les intéressés tombaient dans une
des catégories mentionnées au paragraphe (10) de l'article 92
de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. La requérante
prétend également qu'en rendant sa décision, le Conseil a erré
en droit en déterminant le statut de la majorité et qu'il a erré
également en ne décidant pas que les membres de l'unité
accréditée étaient des personnes qui participent à la direction.
Arrêt: la demande est rejetée. L'allégation que le Conseil a
outrepassé sa compétence a pour base l'hypothèse que, comme
condition préalable à l'exercice de ses fonctions, le Conseil doit
disposer de preuves démontrant que les faits sont tels qu'ils lui
permettent de conclure qu'il a compétence pour accorder la
demande d'accréditation. La question de savoir si une décision
demeure dans les limites de la compétence d'un tribunal ne
dépend pas de ce que le tribunal constate relativement aux faits
déterminant la compétence; si les faits sont tels qu'ils donnent
compétence au tribunal, une décision rendue dans les limites de
cette compétence est valide même s'il n'y avait aucune preuve
de ces faits devant le tribunal au moment où il a rendu sa
décision. L'article 118(1)p) du Code canadien du travail donne
au Conseil le pouvoir de trancher les questions qui peuvent se
poser à l'occasion d'une procédure engagée «devant lui» mais ne
lui donne pas le pouvoir de déterminer si une cause particulière
est légalement engagée «devant lui».
Quant aux allégations d'erreurs commises par le Conseil,
même si le Conseil doit être convaincu que la majorité des
employés de l'unité veut que le syndicat les représente à comp-
ter de la date d'accréditation, on n'a produit aucune preuve
démontrant que le Conseil ne l'était pas. Il n'y a également
aucune preuve convaincante que le Conseil a commis une
erreur en décidant que les membres de l'unité accréditée étaient
des personnes «qui participent à la direction».
Arrêt appliqué: Empire Stevedoring Company Ltd. c. Le
syndicat international des débardeurs et magasiniers, con-
tremaîtres de navire et de quai, section locale 514 [1974]
2 C.F. 742.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
Paul F. Renault, c.r., et Robert Monette pour
la requérante.
Aubrey E. Golden et Maurice A. Green pour
l'intimé.
Personne n'a comparu pour les intervenants.
M. Huart pour le tribunal.
PROCUREURS:
Ogilvy, Cope, Porteous, Montgomery,
Renault, Clarke & Kirkpatrick, Montréal,
pour la requérante.
Golden, Levinson, Toronto, pour l'intimé.
Aikins, MacAulay & Thorvaldson, Winni-
peg, pour les intervenants.
Le Conseil canadien des relations du travail
pour le tribunal.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés â l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une
demande présentée en vertu de l'article 28 aux fins
d'annuler une décision du Conseil canadien des
relations du travail accréditant un agent négocia-
teur conformément à la Partie V du Code cana-
dien du travail.
Le premier motif invoqué par la requérante,
dans la présente demande en vertu de l'article 28,
pour obtenir l'annulation de la décision déjà men-
tionnée accordant l'accréditation, est, en fait, que
le Conseil a outrepassé sa compétence en rendant
cette décision. Nous avons indiqué aux avocats de
l'intimé qu'il n'était pas nécessaire de les entendre
à ce sujet.
En fait, ce motif était basé sur la prétention
voulant que la preuve soumise au Conseil ne révèle
pas [TRADUCTION] «que la requérante et les per-
sonnes visées par les procédures, leurs travaux et
(ou) entreprises tombent dans une des catégories
prévues à l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique ou dans une des catégories men-
tionnées au paragraphe 10 de l'article 92 dudit
Acte.»' Voir l'article 108 du Code canadien du
travail dans sa forme modifiée par le chapitre 18
des Statuts de 1972 et l'article 2 du Code canadien
du travail, S.R.C. 1970, c. L-1.
Cette prétention avait pour base l'hypothèse
que, comme condition préalable à l'exercice de sa
compétence à accorder une demande d'accrédita-
tion, le Conseil doit disposer de preuves démon-
trant que les faits sont tels qu'ils lui permettent de
conclure qu'il a compétence pour accorder la
demande. Je n'accepte pas cette hypothèse. A mon
avis, la question de savoir si une décision demeure
dans les limites de la compétence d'un tribunal, en
l'absence d'un pouvoir spécial accordé pour déter-
miner les faits lui donnant compétence, ne dépend
pas de ce que le tribunal constate relativement aux
faits déterminant la compétence ni de la preuve
soumise au tribunal, s'il y a lieu, des faits détermi-
nant la compétence. Si les faits, tels qu'ils sont
présentés à une cour de révision, sont tels qu'ils
donnent compétence au tribunal, une décision
rendue dans les limites de cette compétence doit
être jugée valide même s'il n'y avait aucune preuve
de ces faits devant le tribunal au moment où il a
rendu sa décision. Inversement, si les faits, tels
qu'ils sont présentés à une cour de révision, sont
tels qu'ils montrent que le tribunal n'a pas compé-
tence pour rendre une décision, on doit annuler
cette décision même si, au moment où le tribunal a
rendu sa décision, on lui avait soumis une preuve
qui semblait établir des faits qui lui auraient donné
compétence pour rendre la décision.
En conséquence, lorsqu'un requérant cherche à
obtenir qu'une cour de révision annule une décision
au motif qu'elle outrepasse sa compétence, il doit
s'assurer que la preuve des faits nécessaire au
soutien de la demande a été soumise à la Cour.
(La question de savoir si une cour de révision peut,
en l'absence d'entente, se baser sur la preuve sou-
mise au tribunal, si la question a été traitée en fait
comme une question en litige devant le tribunal,
n'a pas besoin d'être examinée maintenant parce
que les faits déterminant la compétence n'ont pas
' Voir les paragraphes 7 et 10 de l'exposé de la requérante à
la présente Cour.
été contestés devant le Conseil même si la requé-
rante s'est réservée le droit de discuter ultérieure-
ment la question de compétence.)
En l'espèce, pour que la requérante réussisse sur
la question de compétence, la Cour doit disposer
de preuves sur lesquelles elle peut s'appuyer pour
décider si le Conseil a outrepassé sa compétence en
accordant l'accréditation; il faut également que la
requérante s'assure que de tels faits ont été présen-
tés devant la présente cour. La requérante n'a pas
cherché à produire de preuve sur ce point et s'est
abstenue de soulever la question devant le Conseil.
En conséquence, il n'y a aucune preuve sur
laquelle la présente cour peut conclure que le
Conseil a outrepassé sa compétence.
Je n'ai pas oublié la référence faite par l'avocat
de la requérante aux articles 118(1)p) et 108 du
Code canadien du travail. A mon avis, l'article
118(1)p) donne au Conseil le pouvoir de trancher
toute question qui peut se poser à l'occasion d'une
procédure engagée «devant lui» mais ne lui donne
pas le pouvoir de déterminer si une cause particu-
lière est légalement engagée «devant lui». En con-
séquence, cet article ne peut être considéré comme
faisant implicitement d'une telle décision du Con-
seil une condition préalable à l'exercice de sa
compétence à accorder une accréditation.
Je n'ai pas oublié non plus l'existence d'une
preuve soumise au Conseil relativement aux ques
tions qui ont été soulevées devant lui et qui, en
elle-même, nous amène à tirer quelques conclu
sions sur la nature de la partie des activités com-
merciales de la requérante visées en l'espèce. A
mon avis, puisque les parties n'ont pas reconnu
qu'elle trace une image fidèle des activités de la
requérante pouvant avoir une incidence sur la
compétence et puisqu'elle a été faite devant le
Conseil dans un but tout à fait différent, cette
preuve ne peut être utilisée par la présente cour, en
tant que cour de révision, pour déterminer des faits
en rapport avec la question de compétence. Selon
moi, en l'absence d'une entente ou de circonstances
spéciales, il n'est pas logique d'utiliser une preuve
soumise relativement à une question se rapportant
à une audition pour tirer des conclusions sur une
question qui n'est pas en cause 2 . J'ajouterais qu'à
mon avis, les faits soulèvent une difficile question
de compétence et de constitutionnalité sur laquelle
la présente cour ne doit pas se prononcer sans une
étude complète des faits ayant trait à la question
de compétence et de constitutionnalité comme
telle. 3
Il y a un second motif invoqué par la requérante
que les avocats de l'intimé n'ont pas été appelés à
discuter. Ce motif est exposé par la requérante de
la façon suivante:
[TRADUCTION] 21. En rendant sa décision, le Conseil a aussi
erré en droit en déterminant le statut de la majorité, s'il y a
lieu, de l'intimé au moment du dépôt de la demande d'accrédi-
tation et non au moment où il a rendu sa décision, soit
exactement deux (2) ans plus tard et plus d'un an après la
dernière audition;
Ce motif est basé sur la prétention que le Code
canadien du travail requiert, comme condition
préalable à l'accréditation (article 126(1)), que le
Conseil soit convaincu que la majorité des
employés de l'unité veut que le syndicat les repré-
sente à compter de la décision accordant l'accrédi-
tation et non au moment de la formulation de la
demande. En admettant, sans trancher la question,
que cette prétention est fondée, je suis d'avis que la
requérante n'a pas démontré que la décision accor-
dant l'accréditation devait être annulée pour ce
motif. Peu importe le moment où la volonté de la
majorité doit être constatée, c'est un lieu commun
que la décision doit être basée sur des faits précé-
dant ce moment. Il est vrai que la seule documen
tation pertinente sur la question de la volonté des
employés dont il est fait mention au dossier, est
basée sur des faits qui ont précédé la demande; il
2 Ceci est démontré dans la présente cause par le fait que la
requérante s'est appuyée en partie sur l'allégation que le Con-
seil avait pris en considération des faits établis dans une autre
procédure où la question de compétence, qui nous préoccupe
actuellement, était en litige; apparemment, ces faits n'ont pas
été établis devant le Conseil. A mon avis, il était tout à fait
juste que le Conseil prenne en considération d'autres procédu-
res pour décider de la position à adopter relativement à la
question de savoir s'il devait agir en supposant qu'il avait
compétence. Cela n'est pas du tout la même chose que d'exer-
cer une compétence (qu'il n'avait pas) pour décider s'il avait
compétence pour accorder l'accréditation.
'La preuve des faits sur lesquels le tribunal n'a pas statué
mais qui sont pertinents à la question de compétence ou à
d'autres questions qui n'avaient pas été soumises au Conseil
mais qui sont soulevées par la demande présentée en vertu de
l'article 28, aurait pu être ajoutée au dossier soumis à la
présente cour conformément à la Règle 1404(2).
est également vrai qu'il s'est écoulé plus de deux
ans avant que l'ordonnance d'accréditation ne soit
rendue. D'un autre côté, rien ne montre que le
Conseil n'a pas pris en considération les modifica
tions qui ont été portées à son attention et on n'a
fait au Conseil aucune demande d'enquête sur
d'autres changements possibles 4 . Même si un délai
de plus de deux ans peut sembler un peu long, le
sujet est l'un de ceux, parmi tant d'autres, dont le
Conseil doit s'occuper; et à mon avis, rien ne peut
amener la présente, cour à conclure que ce délai
particulier permet d'établir que l'ordonnance d'ac-
créditation découlait d'une interprétation de l'arti-
cle 126 différente de celle défendue par la
requérante.
Quant à la dernière question, à savoir: si le
conseil a erré en ne décidant pas que les membres
de l'unité accréditée par l'ordonnance du conseil
actuellement en cause sont des personnes «qui
participent à la direction», on ne m'a pas con-
vaincu que, compte tenu des opinions émises par la
présente cour dans Empire Stevedoring Company
Ltd. c. Le syndicat international des débardeurs et
magasiniers, contremaîtres de navire et de quai,
section locale 514, 5 le Conseil a commis une
erreur de principe en tirant sa conclusion.
En conséquence, je suis d'avis que la demande
présentée en vertu de l'article 28 doit être rejetée.
* * *
LE JUGE PRATTE y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY y a souscrit.
4 A ce sujet, on doit noter que les calculs mathématiques
contenus dans l'exposé de la requérante à la présente cour,
dépendent, en partie, de renseignements qui n'étaient pas au
dossier déposé devant le Conseil.
5 [1974] 2 C.F. 742.
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