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T-3250-73
Philrick Limited (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge suppléant Sweet—Toronto, les 20 et 21 décembre 1976 et le 28 mars 1977.
Impôt sur le revenu Déductions «Entretien de chevaux de course. par la demanderesse Le Ministre a rejeté la déduction des pertes provenant de l'exploitation agricole L'exploitation agricole en combinaison avec la seule autre source de revenu de la demanderesse constitue-t-elle sa prin- cipale source de revenu? Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 13(1), 139(1)p).
La demanderesse fait «l'entretien de chevaux de course» au sens l'entend l'article 139(1)p) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Elle a subi des pertes importantes provenant de cette entreprise pendant les années d'imposition 1967 1970. Pour la même période, sa seule autre entreprise, celle de promoteur- constructeur immobilier, a produit un revenu net variant entre $18,000 et $69,000. La demanderesse a voulu déduire de son revenu imposable ses pertes provenant de son exploitation agricole. Le Ministre a rejeté la déduction. Il a aussi imputé à l'exploitation agricole la moitié du salaire versé à R., le proprié- taire bénéficiaire de la demanderesse, et l'a alors refusé comme déduction de la principale source de revenu.
Arrêt: les appels sont accueillis. Les nouvelles cotisations sont renvoyées au Ministre aux fins de modification. L'exploita- tion agricole ne cesse pas d'être une source de revenu pendant une année pour la seule raison qu'elle ne rapporte pas un profit au cours de ladite année. Quand il n'y a que deux sources de revenu, dont l'une est l'exploitation agricole, alors une «combi- naison de l'agriculture et de quelque autre source» devient la seule source de revenu et l'article 13(1) ne s'applique pas. Pour qu'il puisse y avoir une «combinaison de l'agriculture et de quelque autre source», il n'est pas nécessaire qu'il y ait un rapport entre les deux. Sur le second point, il est raisonnable d'imputer la moitié du salaire de R. à l'entreprise agricole, compte tenu du temps que celui-ci lui a consacré, mais cette mesure n'a aucun effet sur le règlement de la première question.
Arrêt suivi: Brown c. La Reine 75 DTC 5433. Distinction faite avec l'arrêt: Moldowan c. La Reine [1976] 1 C.F. 355.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
R. E. Anka et G. J. Corn pour la demanderesse.
J. S. Gill pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Shibley, Righton & McCutcheon, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SWEET: Il s'agit ici d'un appel des nouvelles cotisations de la demanderesse établies pour ses années d'imposition 1967, 1968, 1969 et 1970. Il peut être divisé en deux parties.
L'une consiste en sa réclamation selon laquelle, dans le calcul de son revenu imposable pour lesdi- tes années, toutes les pertes provenant de son exploitation agricole auraient être déduites puisque l'exploitation agricole a été l'une de ses entreprises. La Couronne, elle, adopte la position suivante: la principale source de revenu de la demanderesse pendant ces années n'a été ni l'ex- ploitation agricole ni une combinaison de l'agricul- ture et de quelque autre source, au sens de l'article 13(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu' (la Loi) et les pertes déductibles provenant de son exploita tion agricole égalent seulement le moindre des chiffres déclarés dans les alinéas a) et b) dudit article.
L'article 13(1) de la Loi est rédigé dans les termes suivants:
13. (1) Lorsque le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition ne provient principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source, son revenu pour l'année est considéré comme n'étant pas infé- rieur à son revenu obtenu de toutes sources autres que l'agricul- ture, moins le plus faible des deux montants suivants:
a) ses pertes provenant de son exploitation agricole pour l'année, ou
b) $2,500 plus le moindre des chiffres suivants:
(i) la moitié du montant par lequel ses pertes provenant de son exploitation agricole, pour l'année, excèdent $2,500, ou
(ii) $2,500.
L'autre partie de l'appel vise le rejet par le Ministre (je cite la déclaration) [TRADUCTION] «de la moitié du salaire versé à M. Richards pour le motif qu'il est imputé aux pertes provenant de l'exploitation agricole». Il s'agit ici de H. W. Richards, alors président de la demanderesse et
' S.R.C. 1952, c. 148.
propriétaire bénéficiaire de toutes ses actions émises.
On s'accorde à dire que pendant les années pertinentes, l'une des entreprises de la demande- resse a été l'exploitation agricole et l'autre, l'immobilier.
Le texte suivant est extrait de l'exposé de la défense:
[TRADUCTION] Dans son calcul le ministre du Revenu national a invoqué entre autres, les constatations et les allégations de faits suivantes:
a) il a invoqué les faits ci-dessus admis;
b) à toutes les époques pertinentes, la demanderesse a exploité deux entreprises: celle de promoteur-constructeur immobilier et celle d'éleveur de chevaux de course standard -bred;
c) selon les états financiers de la demanderesse, le revenu net qu'elle a tiré de son entreprise de promotion et de construction immobilières s'établit comme suit:
1967—$43,314.00 1968— 18,206.00 1969— 45,541.00 1970— 68,949.00
d) selon les états financiers de la demanderesse, ses pertes provenant de son exploitation agricole s'établissent comme suit:
1967—(15,196.00) 1968—(18,252.00) 1969—(25,142.00) 1970—(53,704.00)
e) la demanderesse n'a jamais réalisé de profits sur son exploitation agricole.
Il ressort clairement de l'état actuel du droit que l'exploitation agricole ne cesse pas d'être une source de revenu pour une année donnée, au sens l'entend l'article 13 (1) de la Loi, pour la seule raison qu'elle ne rapporte pas de bénéfices pendant cette période.
Dans Moldowan c. La Reine [1976] 1 C.F. 355, le juge Pratte déclare [aux pages 357-8]:
L'article 13 présuppose que l'agriculture peut constituer la principale source de revenu d'un contribuable pour une année d'imposition en dépit du fait que celui-ci peut avoir subi une perte provenant d'une exploitation agricole au cours de cette année. Une entreprise ne cesse pas d'être une entreprise durant une année (et une source de revenu ne cesse pas d'être une source de revenu durant une année) pour la seule raison qu'elle n'a pas rapporté de bénéfices au cours de ladite année. L'article 13(1) ne parle pas de la «principale source du revenu du contribuable» mais de la «principale source de revenu du contri- buable». A mon avis, tant que le contribuable exploite une entreprise agricole, l'agriculture demeure une de ses sources de revenu sans égard au fait que l'entreprise agricole peut, certai-
nes années, opérer à perte et sans égard au fait que le contri- buable peut n'avoir aucun espoir raisonnable d'exploiter son entreprise agricole à profit pendant les années en question.
Dans la même affaire, le juge Urie, (qui est dissident) déclare la page 365]:
Il faut maintenant se référer à l'article 139(1a)a). Cet article, lu en corrélation avec l'article 3, permet de conclure qu'on doit considérer toute entreprise comme une source de revenu, qu'elle produise ou non un revenu brut ou net au cours de n'importe quelle année.
L'avocat de l'intimée a soutenu que, puisque l'article 4 de la Loi définit le revenu comme étant le bénéfice, l'expression «source de revenu» employée dans l'article 13 signifie «source de bénéfice». En toute déférence, je ne partage pas ce point de vue.
Et le juge Ryan déclare la page 369]:
Je suis aussi d'accord avec le point de vue que l'agriculture ou l'agriculture en combinaison avec quelque autre source [de revenu] peut constituer une source de revenu aux fins de l'article 13, même si le contribuable a subi une perte d'exploitation durant l'année d'imposition. S'il n'en était pas ainsi, il serait difficile de donner une signification à cet article.
Dans Brown c. La Reine 75 DTC 5433, qui a été jugé après Moldowan, le juge Cattanach déclare:
Dans diverses affaires, il a été décidé qu'une source peut être une source de revenu pour une année d'imposition donnée, même si au cours de cette année le contribuable subit une perte. Ceci étant, la simple comparaison mathématique des revenus nets provenant de deux sources n'est pas un critère décisif pour déterminer laquelle des deux est la source principale. Pour ce faire, on peut avoir recours à d'autres critères.
Bien qu'une exploitation agricole qui subit des pertes pour une année d'imposition donnée puisse être une «source de revenu» pour ladite année, au sens l'entend l'article 13 (1) de la Loi, cela, en soi, laisse sans réponse la question de savoir si une combinaison de cette exploitation agricole et d'une autre source constitue la «principale source de revenu» du contribuable pour ladite année d'impo- sition et dispense le contribuable de la limite qu'il impose aux déductions afférentes aux pertes prove- nant d'une exploitation agricole. Trois aspects ici sont à considérer:
1. Le cas il n'y a que deux sources de revenu, l'une d'elles étant l'exploitation agricole.
2. Les caractéristiques (autres que le «rapport») permettant d'inclure l'exploitation agricole dans «une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source», au sens de l'article 13(1) de la Loi, comme l'indique l'arrêt Moldowan c. La Reine (précité) pourtant il y avait plus de deux sour ces de revenu.
3. Doit-il y avoir un «rapport» entre l'exploita- tion agricole et l'autre source de revenu?
J'examine d'abord la question de savoir si pen dant les années d'imposition pertinentes, la deman- deresse a eu deux sources de revenu ou plus.
A l'instance, personne n'a déclaré qu'elle avait plus de deux sources de revenu, à savoir l'exploita- tion agricole et l'immobilier. Dans l'exposé de la défense, la défenderesse, comme je l'ai déjà indi- qué, a plaidé qu'«à toutes les époques pertinentes, la demanderesse a exploité deux entreprises: celle de promoteur-constructeur immobilier et celle d'éleveur de chevaux de course standard -bred». Toutefois, les copies des états financiers, déposés comme pièce, laissent apparaître un revenu de placement, bien que cela ne soit pas très clair. En conséquence, j'estime que je me dois d'examiner cette possibilité. Les bilans reportent des investis- sements comme actif. Pour les exercices financiers prenant fin le 28 février 1967, 1968, 1969 et 1970, ils indiquent respectivement $7,000, $12,467, $8,001 et $1,001. Je ne trouve dans les états financiers aucun poste indiqué comme revenu pro- venant d'un placement de titres. Si ce genre de revenu existe, je pense qu'il doit être relativement faible. Dans les états des bénéfices non distribués pour les années se terminant le 28 février 1969 et le 28 février 1970, je relève des pertes afférentes à la vente de titres qui s'élèvent à $259 et à $7,000.
Après avoir considéré tous les faits et notam- ment l'imprécision (pour ne pas dire l'absence) de preuve concernant l'éventualité d'un revenu de pla cement, j'en arrive à la conclusion que pour juger la présente action, il ne convient pas de donner à cette éventualité une importance quelconque et qu'il faut partir du principe qu'au cours des années pertinentes, la demanderesse n'a eu que deux sour ces de revenu: l'exploitation agricole et l'im- mobilier.
En lisant l'article 13(1) de la Loi, je constate que la phrase «Lorsque le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition ne provient principa- lement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source» signifie simplement que l'article ne se réfère qu'aux cas il y a plus de deux sources de revenu. Je pense que le terme «principalement» le montre clairement.
Pour que la combinaison de l'agriculture et de quelque autre source soit la «principale source», à distinguer de la «seule source», il faudrait, selon moi, qu'il y ait une ou plusieurs autres sources que cette combinaison. J'en arrive ici à la conclusion que la combinaison de l'agriculture et de l'immobi- lier était la seule source de revenu de la demande- resse. En conséquence, j'estime que l'article 13(1), avec les limites qu'il prévoit pour les déductions afférentes aux pertes provenant d'une exploitation agricole, ne s'applique pas et ne gouverne pas cette cause.
Le juge Urie a traité cet aspect de la question dans Moldowan c. La Reine (précité) il déclare [aux pages 365-6]:
On doit examiner les diverses sources de revenu du contribua- ble, s'il en a plusieurs, pour s'assurer que le revenu agricole, combiné avec le revenu provenant d'une autre source, repré- sente sa principale source de revenu. Naturellement, s'il n'a qu'une seule autre source, sa principale source est nécessaire- ment l'agriculture combinée avec l'autre source, auquel cas l'article 13(1) ne s'applique évidemment pas au contribuable. Il va sans dire qu'il en est de même si sa seule source de revenu est l'agriculture.
Dans Brown c. La Reine (précité), le juge Catta- nach déclare:
Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis arrivé sur cette question de fait en l'espèce, il n'y a pas lieu pour moi d'examiner la question de savoir si «la source principale de revenu» du demandeur était «une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source». Si j'avais à le faire, je ne manque- rais pas de signaler qu'en l'espèce il n'y a que deux sources de revenu. Ceci étant, il s'ensuit, me semble-t-il que le revenu total du demandeur, provenant de ces deux sources, doit être une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source de revenu. On pourrait retenir d'autres considérations s'il y avait plus de deux sources de revenu entraînant alors la possibilité de combinaisons différentes.
Si les conclusions que je viens de formuler sont exactes, alors la question est réglée. L'article 13(1) ne s'applique pas ici et il faut accueillir l'appel de la demanderesse en ayant à l'esprit les commentai- res suivants que le juge Pratte fait dans Moldowan c. La Reine la page 356]:
L'article 13 prévoit que, dans certaines circonstances, un contribuable, exploitant agricole, n'a pas le droit, dans le calcul de son revenu de toute provenance, de déduire la totalité des pertes qu'il peut avoir subies [dans] son exploitation agricole. On doit souligner qu'en dehors de cet article, les règles généra- les gouvernant le calcul du revenu permettent au contribuable, exploitant agricole, dans le calcul de son revenu de toute provenance d'une année, de déduire ses pertes agricoles de ses profits de toute autre source.
Si mes conclusions sont erronées et si, pour que la demanderesse échappe aux limites imposées par l'article 13 (1) aux déductions afférentes aux pertes provenant d'une exploitation agricole, il faut que son entreprise présente au moins certaines des caractéristiques indiquées dans Moldowan (où il y avait plus de deux sources de revenu), le résultat sera néanmoins le même. J'estime que son entre- prise agricole possède assez de ces caractéristiques pour constituer une «combinaison de l'agriculture et de quelque autre source de revenu», au sens l'entend l'article 13(1) de la Loi. Je ne suis pas ici en train d'examiner s'il doit y avoir ou non un rapport entre l'agriculture et l'autre source pour pouvoir inclure l'agriculture dans la combinaison. Cet aspect de la question est traité dans les com- mentaires ci-dessous.
Dans Moldowan, le juge Pratte déclare [aux pages 358-9]:
Mais, et c'est peut-être la question décisive, comment détermine-t-on la valeur relative des diverses sources de revenu du contribuable?
Pour parvenir à une décision en l'espèce, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de donner une réponse exhaustive à cette ques tion. A mon avis, il me suffit de dire que:
1. l'importance d'une source de revenu ne peut pas être entièrement séparée de l'importance du revenu qu'elle pro- duit normalement ou qu'on espère qu'elle produira à l'avenir;
2. une source de revenu qui, pour un contribuable, a toujours été et sera, d'après ses prévisions, marginale ne peut pas être considérée, tant qu'elle demeure marginale, comme la princi- pale source de revenu du contribuable.
Les commentaires suivants sont extraits du juge- ment du juge Urie et concernent la même affaire [aux pages 365-6]:
Le fait de s'assurer, en se fondant sur la preuve, que le prétendu agriculteur a «une expectative raisonnable de profit» au sens de cette expression dans l'article 139(1)ae)(i), peut, me semble-t-il, constituer un indice dans le cheminement du raison- nement permettant d'établir qu'en fait une personne s'adonne à l'agriculture. A mon avis, on doit souligner qu'il ne s'agit que d'un indice parmi d'autres, dont la valeur dépendra des preuves produites dans chaque cas.
et
Sans prétendre d'aucune manière envisager toutes les possibili- tés, il y a, parmi les critères qu'on pourrait retenir: les montants du capital investi dans chacune des sources, l'expectative rai- sonnable du profit pour chacune d'elles, le montant des revenus bruts et nets provenant de chaque source, le temps que le contribuable a consacré chaque jour à chacune des sources et le montant de revenu produit dans le passé par chacune des
sources. Si, en se fondant sur toutes les preuves, on ne pouvait déclarer que l'agriculture et une autre source ont constitué la principale source de revenu, l'article 13(1) serait alors applicable.
Traitant du même sujet dans la même affaire, le juge Ryan déclare [aux pages 369-70]:
... s'il est vrai qu'une source peut être une source de revenu pour une année donnée même si elle ne rapporte aucun bénéfice au cours de l'année en question, il me paraît néanmoins oppor- tun, pour déterminer la principale source du revenu d'un contri- buable pour une année, d'examiner chacune de ses sources du point de vue de son aptitude à produire des bénéfices pour le présent ou pour l'avenir ou pour les deux à la fois. Il me semble que l'importance relative des sources, en tant que source de revenu, est largement fonction de leur aptitude à produire des bénéfices. A mon avis, l'un des moyens adéquats de résoudre ce problème difficile consiste à examiner soigneusement, d'un point de vue pratique et commercial, les activités lucratives courantes du contribuable et à déterminer ainsi laquelle de ces sources de revenu, dans le cours normal de ses affaires,— compte tenu de ses plans et des mesures prises pour les réali- ser—est la principale en matière de rentabilité normale et (ou) prévisible. Dans la recherche d'une réponse, on pourra tenir compte du revenu brut, du revenu net, du capital investi, des bénéfices avant amortissement, des engagements personnels et d'autres facteurs.
D'après ses états financiers, l'actif total de la demanderesse et les montants consacrés aux che- vaux seuls (sans inclure aucun autre actif afférent à l'exploitation agricole) étaient les suivants:
28 fév. 28 fév. 28 fév. 28 fév.
1967 1968 1969 1970
Total: $106,246 $107,132 $180,452 $153,444
Chevaux: 13,202 8,600 22,538 43,525
Je récapitule maintenant quelques éléments du témoignage de Richards en rapport avec les activi- tés agricoles de la demanderesse.
En 1964, celle-ci a décidé d'acheter des installa tions pour les chevaux. Le choix s'est porté sur une ferme située à cinq milles à l'est de Markham, qu'elle a achetée et enregistrée à son nom. La superficie de cette ferme était de 23 1 / 2 acres. Elle comportait une maison Richards et sa famille sont allés habiter. La demanderesse a installé 14 boxes, une grange et une sellerie et construit une piste sommaire. Elle y a amené environ huit che- vaux. Elle a ensuite engagé un entraîneur, qui est resté jusqu'au début du printemps 1967. Richards voulait en finir avec l'immobilier, car il s'intéres- sait aux chevaux. Vers 1966 ou 1967, il était fort bien installé pour se livrer à cette entreprise.
Parmi les pièces produites, figure la copie d'un bail en date du 15 mai 1969 intervenu entre la demanderesse et Audrey M. Downing et afférent à la ferme en question.
Selon Richards, la demanderesse a loué une autre ferme, de l'autre côté de la route, d'une superficie de 100 acres pour un loyer de $1,200 par mois, comportant une écurie et une piste. Selon Richards, la demanderesse a loué cette ferme parce qu'elle avait besoin de la piste. Dans son témoignage, il déclare que cette location a eu lieu en 1971 ou 1972. Je pense qu'il a se tromper sur la date parce que le bail susmentionné est du 15 mai 1969.
J'ai l'impression que la demanderesse a employé ou engagé un montant important de son actif dans son exploitation agricole.
Je conclus que vers 1967, Richards s'intéressait personnellement beaucoup plus aux chevaux de course qu'à l'immobilier. A partir de ce moment-là, il y a consacré plus de temps qu'à son autre entreprise. Je crois qu'il a nourri de grands espoirs pour l'élevage et l'entraînement des che- vaux de course. Il a dit qu'il a eu [TRADUCTION] «une malchance incroyable», mais qu'il n'a aucune raison de douter de son entreprise. Je pense qu'il le croit réellement bien que l'expérience prouve que pendant les années pertinentes au moins, il s'est montré trop optimiste. En outre, il faut admettre que l'élevage des chevaux est hasardeux. Le Parle- ment l'a si bien reconnu qu'il a inclus dans la définition du terme «agriculture», «l'entretien de chevaux de course». (Article 139(1 )p).)
Je conclus que l'exploitation agricole de la demanderesse a constitué une branche importante de ses affaires, en dépit des pertes qui en ont résulté.
Je passe maintenant à la question de savoir s'il doit y avoir un «rapport» entre l'agriculture et l'autre source pour qu'elle constitue la «combinai- son de l'agriculture et de quelque autre source», dont parle l'article 13(1), qui permet au contribua- ble d'éviter la limite que ce texte impose aux déductions afférentes aux pertes provenant d'une exploitation agricole.
Dans Moldowan c. La Reine, le juge Pratte déclare la page 359]:
Je ne partage pas le point de vue selon lequel la principale source de revenu d'un contribuable peut être «une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source» même s'il n'y a aucun «lien» quelconque entre les activités agricoles du contri- buable et son autre source de revenu. A mon avis, le terme «combinaison» désigne plus qu'une «addition», il traduit un certain degré d'association ou d'intégration. C'est seulement si deux sources de revenu sont, d'une certaine façon, intégrées ou liées que l'on peut dire que leur combinaison constitue une source unique de revenu.
En outre, si le terme «combinaison» ne signifiait qu'«addi- tion», l'article _ 13 n'aurait aucun effet puisque le contribuable qui exploite une entreprise agricole et qui a aussi d'autres sources de revenu plus importantes pourrait toujours soutenir (en ajoutant «l'agriculture» à sa plus importante source de revenu) que sa principale source de revenu est «une combinai- son de l'agriculture et de quelque autre source de revenu».
Dans Moldowan, le juge Urie se réfère à Dorf- man c. M.R.N. [1972] C.T.C. 151 et James c. M.R.N. [1973] C.F. 691, ont été énoncés plu- sieurs principes qu'il approuve et accepte. Voici l'un d'eux [voir page 363]:
Aucun lien n'est nécessaire entre l'agriculture et l'entreprise qui est combinée avec elle pour constituer une source de revenu.
Il mentionne aussi les conclusions formulées par le juge Gibson dans l'affaire James la page 700], à savoir:
... je ne trouve aucun texte législatif à l'appui de l'argument qu'il faut, pour pouvoir décider en vertu de l'article 13 de la loi si la principale source de revenu dans une année d'imposition est une «combinaison» de l'agriculture et de quelque autre source de revenu, qu'il existe un «rapport» entre l'agriculture et l'entreprise qui constitue cette autre source de revenu.
Puis, le juge Urie continue ainsi la page 363]:
Je partage ce point de vue et me contente simplement d'ajouter que si le législateur avait voulu que l'agriculture fut liée de quelque manière avec l'autre source de revenu avec laquelle elle pourrait être combinée, il aurait pu facilement exprimer cette intention en termes clairs. Cependant, il a préféré utiliser le mot «combinaison». The Shorter Oxford Dictionary, éd. définit ainsi le mot «combinaison»:
[TRADUCTION] 1. L'action de combiner deux ou plusieurs choses distinctes. 1613
2. État ou nature de ce qui est combiné; conjonction 1597
3. Concr. un groupe de choses réunies en un tout 1532.
Ces définitions n'impliquent nullement la nécessité d'un rapport entre les choses qui sont combinées. En fait ce serait plutôt le contraire. Pour faire une telle implication, il faudrait lire dans l'article des mots qui n'y sont pas et ce serait faire violence à la signification normale d'un terme. L'un et l'autre résultat ne sont pas souhaitables. Je conclus donc que ni l'historique de la
législation ni les définitions des dictionnaires n'exigent qu'il y ait un rapport entre les entreprises ou sources de revenu entrant dans la combinaison.
Le juge Ryan déclare [aux pages 370-1]:
A mon avis, la décision sur la question de savoir si la combinai- son de l'agriculture et de quelque autre source de revenu constituait la principale source de revenu du contribuable implique un jugement de fait sur la question de savoir si effectivement la combinaison constituait la principale source. Je ne pense pas que l'on puisse répondre à la question en disant simplement que l'on peut combiner l'agriculture et l'autre source la plus importante de revenu du contribuable—quelle qu'elle soit—et conclure, sans plus de façon, que la combinai- son constitue la principale source.... Pour déterminer si l'agri- culture seulement est la principale source, comme pour déter- miner si l'agriculture combinée avec une autre source est la principale source, il faut porter un jugement de fait et, à mon avis, il faut le faire par analogie avec le critère approprié, utilisé pour déterminer si l'agriculture seulement est la principale source.
En lisant le contexte, il ne me semble pas que lorsque le juge Ryan dit:
Je ne pense pas que l'on puisse répondre à la question en disant simplement que l'on peut combiner l'agriculture et l'autre source la plus importante de revenu du contribuable—quelle qu'elle soit—et conclure, sans plus de façon, que la combinai- son constitue la principale source.
il conclut qu'outre la simple combinaison, il doit y avoir quelque rapport entre l'agriculture et l'autre source. Si je comprends bien la déclaration de Sa Seigneurie dans ce contexte, le «rapport» n'est pas une condition requise.
Mais si mon interprétation des commentaires du juge Ryan est inexacte et si, dans Moldowan c. La Reine, il n'y a pas eu plus de deux points de vue exprimés sur la question, alors il me faudra régler ce point, car j'estime qu'à tous les égards, l'exploi- tation agricole de la demanderesse satisfait à toutes les exigences et constitue la combinaison de l'agriculture et de quelque autre source mention- née dans l'article 13(1), qui échappe à la limite que ledit article impose aux déductions afférentes aux pertes provenant de l'exploitation agricole.
A mon humble avis, pour qu'il y ait une «combi- naison de l'agriculture et de quelque autre source» au sens de l'article 13(1), il n'est pas nécessaire qu'il y ait un rapport entre l'agriculture et l'autre source de revenu. L'article 13 (1) n'en parle absolu- ment pas et, en toute déférence, je ne pense pas qu'il le sous-entende.
J'estime donc que, dans le calcul du revenu imposable de la demanderesse pour ses années d'imposition 1967, 1968, 1969 et 1970, les déduc- tions afférentes aux pertes provenant de son exploitation agricole ne sont pas limitées par l'arti- cle 13 de la Loi, qui ne s'applique pas en l'espèce.
Je passe maintenant à la partie de l'appel qui vise le rejet par le Ministre «de la moitié du salaire versé à M. Richards pour le motif qu'il est imputé aux pertes provenant de l'exploitation agricole».
La Couronne semble admettre que le salaire de Richards est en règle, mais soutient que la moitié doit être imputée à l'exploitation agricole. Dans les déclarations des états financiers afférentes au revenu, sous la rubrique «dépenses» figurent des postes intitulés «salaire de la direction». Celui de Richards y est probablement inclus. Donc, dans sa comptabilité, la demanderesse ne semble avoir imputé aucune partie du salaire de Richards à l'exploitation agricole.
Si l'on tient compte du temps que Richards a consacré aux activités agricoles pendant les années pertinentes, je suis d'avis que la demanderesse ne peut avoir d'objection valable à une allocation de 50% du salaire de Richards comme dépenses effec- tuées à ce titre.
Toutefois, en tenant compte du règlement de l'autre partie de l'appel et de l'objection de la Couronne qui se limite apparemment à l'alloca- tion, j'estime que le résultat sera le même quelle que soit la répartition du salaire entre les deux entreprises. Au lieu d'imputer la totalité à l'entre- prise immobilière, le fait d'imputer la moitié à l'exploitation agricole, comme la Couronne l'a fait, augmente naturellement les bénéfices tirés de l'im- mobilier et, du même coup, les pertes provenant de l'exploitation agricole.
Néanmoins, ce point peut devenir important, au cas cette décision serait révisée. J'estime qu'il ne faut pas modifier l'allocation de 50% du salaire de Richards à l'exploitation agricole effectuée par la Couronne. Autrement, je pense que, pendant les
années pertinentes, tout le salaire de Richards pouvait être déduit à juste titre.
J'accueille les appels de la demanderesse.
Je renvoie au ministre du Revenu national les cotisations de la demanderesse pour les années 1967, 1968, 1969 et 1970, afin qu'il les modifie sur la base énoncée dans les présents motifs du jugement.
La défenderesse paiera les frais de la demande- resse afférents à la présente action.
Les deux parties peuvent préparer un projet de jugement approprié pour entériner les conclusions de la Cour et demander que le jugement soit rendu en conséquence, conformément aux Règles et aux ordonnances de la Cour.
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