A-623-76
Arthur J. Stewart (Requérant)
c.
La Commission des relations de travail dans la
Fonction publique (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett et les juges
Pratte et Le Dain—Ottawa, le 10 juin 1977.
Examen judiciaire — Fonction publique — Demande visant
l'annulation d'une décision de la Commission des relations de
travail dans la Fonction publique — S'agit-il d'une erreur de
droit? — Acte justifiant une mesure disciplinaire — Le rap
port direct entre les actes d'un employé et la diminution
directe de son efficacité ou une autre action propre à nuire à
son activité constitue-t-il un motif suffisant? — Loi sur la
Cour fédérale, art. 28 — Loi sur les relations de travail dans
la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 23 — Décla-
ration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44.
Le requérant, un fonctionnaire, a été suspendu pour avoir
critiqué le Ministre et la gestion de son ministère dans la presse.
Il présente en l'espèce une demande d'examen judiciaire de la
décision de la Commission des relations de travail dans la
Fonction publique qui a accueilli la décision de l'arbitre qui a
confirmé la suspension du requérant par son sous-ministre, au
motif que la décision de l'arbitre contenait une erreur de droit.
Il-a été allégué qu'on ne peut conclure dans le secteur public ou
privé, que l'employé a eu une mauvaise conduite et la sanction-
ner par une mesure disciplinaire, à moins de prouver l'existence
d'un rapport direct entre les actes de l'employé et la diminution
de son efficacité d'employé ou toute autre action propre à nuire
à son activité et que, lorsque l'arbitre a conclu à la mauvaise
conduite sans prouver raisonnablement l'existence d'un tel rap
port, la conclusion était entachée d'une erreur de droit.
Arrêt: la demande est rejetée. Dans toute collectivité d'em-
ployés, il faut avant tout qu'il y ait une direction, c'est-à-dire un
chef auquel les membres du groupe doivent se soumettre dans
leur travail sous peine de voir tous leurs efforts sombrer dans le
chaos. Lorsqu'un membre important du groupe conteste l'auto-
rité du chef légitime, il nuit d'abord au fonctionnement du
groupe; si l'on prouve qu'il a ainsi défié l'autorité, on a alors
une présomption de fait de mauvaise conduite. La Déclaration
canadienne des droits protège la liberté d'expression du citoyen
et celle-ci n'est pas menacée lorsque le citoyen accepte une
restriction, de son plein gré, lors de son entrée en fonction ou
lors de la signature d'un contrat de travail.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
John P. Nelligan, c.r., pour le requérant.
A. M. Garneau et L. S. Holland pour
l'intimée.
PROCUREURS:
Nelligan, Power, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une
demande présentée en vertu de l'article 28 visant à
annuler une décision qu'a rendue la Commission
des relations de travail dans la Fonction publique à
propos d'un renvoi aux termes de l'article 23 de la
Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique, S.R.C. 1970, c. P-35, dont voici un
extrait:
23. Lorsqu'une question de droit ou de compétence se pose à
propos d'une affaire qui a été renvoyée au tribunal d'arbitrage
ou à un arbitre, en conformité de la présente loi, le tribunal
d'arbitrage ou l'arbitre, selon le cas, ou l'une des parties peut
renvoyer la question à la Commission, pour audition ou
décision ....
Il ressort du rapprochement de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
c. 10, et de l'article 23 de la Loi sur les relations
de travail dans la Fonction publique qu'en l'es-
pèce, la Cour doit décider de l'annulation éven-
tuelle de la décision de la Commission en raison
d'une erreur de droit contenue dans la décision de
l'arbitre. En fait, il s'agit de savoir si le requérant
a prouvé que la décision de l'arbitre était erronée
par suite d'une erreur de droit.
Le requérant conteste la décision de l'arbitre au
seul motif que celui-ci avait commis une erreur de
droit en confirmant la décision de son sous-minis-
tre fédéral de le suspendre pour avoir critiqué le
Ministre et la gestion de son ministère dans la
presse.
Je souscris aux motifs invoqués par l'arbitre et
par la Commission et je pense qu'il est inutile, à
vrai dire, d'en ajouter d'autres. Cependant, vu
l'importance de la question et par égard pour le
plaidoyer oral exceptionnel de l'avocat, je me pro
pose d'expliquer mes motifs sur les principaux
points en cause aussi brièvement que possible.
Si j'ai bien compris, l'avocat du requérant pré-
tend qu'on ne peut conclure dans le secteur public
ou privé, que l'employé a eu une mauvaise con-
duite et la sanctionner par une mesure discipli-
naire, à moins de prouver l'existence d'un rapport
direct entre les actes de l'employé et la diminution
de son efficacité d'employé ou toute autre action
propre à nuire à son activité. Selon l'avocat du
requérant, lorsque l'arbitre a conclu à la mauvaise
conduite sans prouver raisonnablement l'existence
d'un tel rapport, sa conclusion était entachée d'une
erreur de droit.
Je ne pense pas que la loi impose une telle
condition pour conclure à la mauvaise conduite.
Les cas où l'on peut conclure à la mauvaise con-
duite de la part d'un employé sont si variés que, à
ce qu'il me semble après le meilleur examen possi
ble de la question, l'on peut seulement dire qu'une
conclusion est entachée d'erreur (faute de règles
contractuelles ou statutaires précises) quand elle
n'était pas raisonnable, compte tenu des renseigne-
ments disponibles.
•
Sans toutefois m'engager sur ce point, je ne
doute pas, d'après les faits tels qu'ils sont apparus
à l'arbitre, que ce dernier ait eu raison de conclure
à la mauvaise conduite. A mon avis, le présent
extrait de ses motifs constitue une opinion raison-
nable et il est clair qu'elle s'appliquait aux faits
soumis à l'arbitre:
[TRADUCTION] ... la plupart des employés savent parfaite-
ment que la dénonciation publique de leurs directeurs ou de
leurs supérieurs n'est pas conforme aux relations de travail,
qu'elle doit être considérée comme une «mauvaise conduite» et
qu'elle ne doit pas être tolérée bien longtemps par l'employeur,
qu'il s'agisse d'une compagnie, d'un syndicat ou du gouverne-
ment.
Quant à l'importance que l'avocat attache à la
preuve de l'incidence néfaste ou préjudiciable à
l'activité de l'employé, je considère que dans toute
collectivité d'employés, il faut avant tout qu'il y ait
une direction, c'est-à-dire un chef auquel les mem-
bres du groupe doivent se soumettre dans leur
travail sous peine de voir tous leurs efforts sombrer
dans le chaos. Il s'ensuit que lorsqu'un membre
important du groupe conteste l'autorité du chef
légitime, il nuit d'abord au fonctionnement du
groupe; si l'on prouve qu'il a ainsi défié l'autorité,
on a alors une présomption de fait de mauvaise
conduite.
L'avocat du requérant a beaucoup insisté sur le
fait que le requérant était un dirigeant du syndicat
et agent négociateur de son unité de négociation.
Cependant, à mon sens, il a fait une conclusion de
fait en disant que les faits reprochés ne s'étaient
pas produits lorsque le requérant agissait comme
agent négociateur pour le compte du syndicat; il
n'est pas question de savoir quel intérêt prévau-
drait en cas de conflit entre un acte qui serait à la
fois
a) une mauvaise conduite de la part d'un fonc-
tionnaire et
b) un acte du fonctionnaire dans l'exercice de
ses fonctions à titre d'agent négociateur du
syndicat.
Je n'approuve pas le requérant dans la mesure
où il a fondé ses arguments sur la Déclaration
canadienne des droits. A mon avis, la Déclaration
canadienne des droits protège la liberté d'expres-
sion du citoyen et celle-ci n'est pas menacée lors-
que le citoyen accepte une restriction, de son plein
gré, lors de son entrée en fonction ou lors de la
signature d'un contrat de travail.
A mon avis, la demande présentée en vertu de
l'article 28 doit être rejetée.
* * *
LE JUGE PRATTE y a souscrit.
* * *
LE JUGE LE DAIN y a souscrit.
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