T-2285-71
Penn Central Transportation Company (Débitrice)
c.
Robert W. Blanchette et al., fiduciaires des biens
de la Penn Central Transportation Company
(Requérants)
In re Canada Southern Railway Company
(Requérante)
Division de première instance, le juge Walsh—
Ottawa, les 9 et 17 novembre 1976.
Chemins de fer — Vente projetée d'actions de la Canada
Southern par Penn Central — Projet approuvé par la Cour en
vertu de la Loi sur les chemins de fer — Demande d'obtention
d'une ordonnance enjoignant à Penn Central de ne retirer du
Canada aucun des produits de la vente projetée, ou de nomi
nation d'un séquestre jusqu'au règlement du litige — Compé-
tence de la Cour — Conflit de lois possible — Pouvoir de la
Cour d'accorder les redressements demandés — Loi sur les
chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, art. 95 — Regional
Railway Organization Act (1973, É.-U.) — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 3, 23 et 64 —
Règles 2004 et 2405 de la Cour fédérale.
La requérante, Canada Southern Railway Company,
demande une injonction ou une ordonnance enjoignant aux
fiduciaires de Penn Central de ne pas transférer du Canada aux
États-Unis le produit de sa vente d'actions de la Toronto,
Hamilton and Buffalo Railway Company. La requérante
demande, à titre de solution de rechange, la nomination d'un
séquestre pour garder ledit produit jusqu'au règlement du
litige. La requérante prétend que si les fonds sont versés
inconditionnellement aux fiduciaires de Penn Central, ils seront
transportés aux É.-U. Cette prétention est appuyée par l'opi-
nion du doyen des avocats des fiduciaires de la Penn Central,
lequel considère que l'ordonnance d'un juge de la Cour de
district de l'est de la Pennsylvanie aux États-Unis, autorisant la
vente des actions à la condition que les produits soient détenus
par fidéicommis, signifie que les fonds doivent être détenus en
fidéicommis aux États-Unis, bien que l'ordonnance ne le dise
pas expressément.
Arrêt: la demande de nomination d'un séquestre est accueil-
lie. Il est évidemment préférable que les fonds demeurent au
Canada afin d'éviter le préjudice irréparable que pourrait subir
la requérante; et l'avantage est nettement de son côté, puisque
aucun créancier n'en souffrira, même si les fiduciaires devaient
éventuellement transférer lesdits fonds aux États-Unis suite à
un jugement définitif du tribunal compétent. La Cour est
compétente pour rendre une ordonnance en l'espèce, puisqu'il
s'agit d'un incident des procédures impliquant l'approbation
par elle d'un projet de concordat pour les créanciers de la
compagnie au Canada, en vertu de l'article 95 de la Loi sur les
chemins de fer. La seule mesure efficace en l'espèce est la
nomination d'un séquestre et l'article 3 de la Loi sur la Cour
fédérale qui fait de celle-ci un tribunal d'equity donne pouvoir
à la Cour de rendre une ordonnance en ce sens.
Distinction faite avec l'arrêt: Canadien Pacifique Liée c.
Quebec North Shore Paper Company (1976) 9 N.R. 471.
DEMANDE de redressement interlocutoire.
AVOCATS:
Duncan Finlayson, c.r., pour les fiduciaires
des biens de la Penn Central Transportation
Company.
Gerald C. Hollyer, c.r., pour les fiduciaires
des biens de la Michigan Central Railroad
Company.
John D. McElwain, c.r., et J. Edgar Sexton
pour la Canada Southern Railway Company.
B. K. Laird pour Albert D. Segal et certains
actionnaires minoritaires de la Canada South
ern Railway Company.
M. S. Bistrisky pour Canadien Pacifique
Limitée.
PROCUREURS:
Lafleur & Brown, Montréal, pour les fiduciai-
res des biens de la Penn Central Transporta
tion Company.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d'une demande pré-
sentée au nom de la Canada Southern Railway
Company pour:
1. obtenir une ordonnance enjoignant aux fiduciai-
res des biens de la Penn Central Transportation
Company, Robert W. Blanchette, Richard C.
Bond et John H. McArthur, de ne rien soustraire
du produit de la vente projetée des actions de la
Toronto, Hamilton and Buffalo Railway Company
au Canadien Pacifique Limitée de l'Ontario, con-
formément à l'ordonnance du juge Addy en date
du 27 septembre 1974.
2. ou une ordonnance nommant un séquestre judi-
ciaire pour gérer ledit produit jusqu'au règlement
du litige qui oppose la Canada Southern Railway
Company et la Penn Central Transportation
Company.
3. ou pour obtenir une injonction enjoignant aux
fiduciaires de la Penn Central Transportation
Company, Robert W. Blanchette, Richard C.
Bond et John H. McArthur, de ne rien soustraire
du produit de la vente proposée des actions de la
Toronto, Hamilton and Buffalo Railway Company
au Canadien Pacifique Limitée de l'Ontario.
4. ou pour obtenir une injonction interdisant à la
Canadien Pacifique Limitée de payer les actions
de la Toronto, Hamilton and Buffalo Railway
Company à l'extérieur de l'Ontario.
Les demandes 1 et 3 visent en ce sens le même
recours.
Pour des raisons de commodité et parce que
certains des renseignements pertinents se trouvent
dans d'autres dossiers, la demande a été entendue
en même temps et sur la même preuve et les
mêmes plaidoiries que la demande portant le
numéro de dossier 76-T-615, présentée par la
Canada Southern Railway Company contre Doug-
las Campbell, fiduciaire des biens de la Michigan
Central Railroad Company, demande visant un
redressement semblable. Ce deuxième dossier com-
portait également une requête présentée par Albert
D. Segal, actionnaire minoritaire de la Canada
Southern Railway Company, qui, semble-t-il, déte-
nait 43 procurations d'autres actionnaires désireux
de s'opposer à la nomination d'un séquestre devant
gérer le produit de la vente proposée des actions de
la Toronto, Hamilton and Buffalo Railway Com
pany par Douglas Campbell, en sa qualité de
fiduciaire des biens de la Michigan Central Rail
road Company, au Canadien Pacifique Limitée,
jusqu'au moment où se terminerait l'arbitrage
entre la Canada Southern Railway Company et la
Michigan Central Railroad Company; et ce à
moins que l'arbitrage ne survienne entre les parties
jugées appropriées, soit Canada Southern Railway
Company et Consolidated Rail Corporation of
America (Con. Rail), plutôt qu'entre Canada
Southern Railway Company et Michigan Central
Railroad Company.
Une autre demande présentée sur un bref avis,
concluant au même redressement, portant le
numéro de dossier T-4367-76 et opposant la
demanderesse Canada Southern Railway Com
pany et les défendeurs, Robert W. Blanchette,
Richard C. Bond, John H. McArthur, fiduciaires
des biens de la Penn Central Transportation Com
pany, Douglas Campbell, fiduciaire des biens de la
Michigan Central Railroad Company et du Cana-
dieu Pacifique Limitée, a été présentée au même
moment, sur la même preuve et les mêmes plaidoi-
ries. Cette dernière demande contenait certains
vices de formes, mis à part le bref avis, mais les
procureurs des parties représentées à l'audience
ont déclaré ne pas s'opposer à sa présentation,
écartant lesdits vices sans toutefois reconnaître le
bien-fondé de la demande. Il est très important que
ce dossier soit également devant la Cour puisqu'il
est le seul à contenir la déclaration énonçant les
motifs pour lesquels la demanderesse, en l'espèce
Canada Southern Railway Company, cherche à
obtenir le redressement qu'elle réclame dans ses
nombreuses demandes. L'avocat de Canada South
ern Railway Company admet que cette procédure
remplacera en fait la procédure antérieure portant
le numéro 76-T-615, introduite à la dernière
minute et qui cherchait d'abord à obtenir une
ordonnance ex parte. Aucune déclaration ne figu-
rait dans cette procédure qui se bornait à deman-
der un redressement contre Douglas Campbell,
fiduciaire des biens de la Michigan Central Rail
road Company, alors que l'action portant le
numéro de dossier T-4367-76 était dirigée non
seulement contre lui, mais également contre les
fiduciaires de la Penn Central Transportation
Company et le Canadien Pacifique. C'est la
demande sur laquelle il veut poursuivre.
Pour expliquer le dépôt d'une demande sembla-
ble dans le présent dossier, numéro T-2285-71, qui
ne concerne que la Penn Central Transportation
Company, on invoque que c'est dans cette affaire
que le juge Addy a rendu son ordonnance du 27
septembre 1974 confirmant le projet de concordat
de la requérante pour ses créanciers au Canada en
vertu des articles 95 et suivants de la Loi sur les
chemins de fer'. Il a fallu présenter une demande
distincte contre le fiduciaire des biens de la Michi-
gan Central Railroad Company le même jour dans
le dossier portant le numéro 76-T-615 susmen-
tionné, pour lequel aucun projet de concordat
n'avait jamais été présenté ni accepté au Canada.
Ce processus peut s'avérer très sage, puisqu'on a
soulevé l'importante question de la compétence de
cette cour à l'égard du fiduciaire de la Michigan
Central Railroad Company et il semble y avoir une
différence entre cette dernière et la Penn Central
' S.R.C. 1970, c. R-2.
Transportation Company dont le projet de concor-
dat a été homologué par cette cour, alors que celui
de la Michigan Central Railroad Company ne
nécessitait aucune reconnaissance au Canada.
J'examinerai d'abord la demande de M. Segal
visant l'autorisation d'intervenir dans le dossier
numéro 76-T-615. L'avocat de Canada Southern
Railway Company nous a laissé entendre qu'il
envisageait de garder ce dossier en attente sans
désistement formel pour l'instant, et de procéder
plutôt dans l'action portant le numéro T-4367-76;
et ce, supposant que M. Segal essaierait sans doute
d'intervenir en temps opportun dans ces dernières
procédures, puisque ses allégations affectent non
seulement les actions détenues par la Michigan
Central Railroad Company, mais aussi celles déte-
nues par la Penn Central Transportation Company
dans la Toronto, Hamilton and Buffalo Railway
Company. Dans ce cas, toute ordonnance rendue
dans le dossier 76-T-615 aurait très peu d'effet
pratique et serait superflue si une ordonnance était
subséquemment rendue dans le dossier numéro
T-4367-76. De plus, bien que je ne me prononce
pas sur cette question puisqu'il n'est pas nécessaire
de le faire dans les procédures actuelles, il existe
un doute sérieux quant à savoir si un actionnaire
minoritaire ou un groupe d'actionnaires minoritai-
res peuvent intervenir pour faire opposition à une
action intentée par la compagnie dont ils sont
actionnaires, au motif que l'action aurait dû être
intentée contre un défendeur différent. M. Segal
prétend qu'elle aurait dû l'être par la Canada
Southern Railway Company contre la Consolidat
ed Rail Corporation of America (Con. Rail), en sa
qualité de locataire des biens de la Canada South
ern Railway Company depuis le 25 juin 1976, date
à laquelle cette dernière a présenté sa demande,
plutôt que contre les fiduciaires de la Michigan
Central Railroad Company et Penn Central Trans
portation Company respectivement, et que cela n'a
pas été fait parce que la Canada Southern Railway
Company est contrôlée par la Con. Rail. Il se peut
fort bien que les actionnaires minoritaires aient
quelque recours contre la compagnie ou ses admi-
nistrateurs, mais cette question n'a pas à être
tranchée dans les présentes demandes qui visent la
rétention au Canada, pour le bénéfice des créan-
ciers canadiens, du produit de la vente proposée
d'actions de la Toronto, Hamilton and Buffalo
Railway Company par les fiduciaires respectifs de
la Michigan Central Railroad Company et de la
Penn Central Transportation Company, au Cana-
dien Pacifique. La demande de M. Segal dans le
dossier numéro 76-T-615 sera donc rejetée sans
frais puisqu'elle ne peut ni ne doit être réglée
maintenant.
Les faits sur lesquels s'appuie la déclaration de
la Canada Southern Railway Company montrent
qu'elle détient certains biens ferroviaires en Onta-
rio, dont une voie principale entre Welland et
Windsor, deux embranchements entre Welland et
Fort Érié, Welland et Niagara Falls ainsi que le
pont de la rivière Niagara réunissant le Canada et
les États-Unis, par l'intermédiaire d'une filiale de
la Niagara River Bridge Company qui lui appar-
tient entièrement; tous ces dits biens font l'objet
d'un bail conclu en juin 1903, ratifié et confirmé
en 1904 z par une loi du Parlement. Le locateur est
Michigan Central. Le bail portait également sur
des intérêts majoritaires dans d'autres compagnies
de chemins de fer en exploitation aux États-Unis.
Avant le l er avril 1976, les fiduciaires de la Penn
Central Transportation Company et celui de la
Michigan Central Railroad Company détenaient
107,163 actions de la Canada Southern Railway
Company, ce qui totalisait environ 71.4% de son
capital souscrit et à cette date, conformément au
Regional Railway Organization Act de 1973
modifié par le Congrès des États-Unis, ces actions
ont été transférées à la Con. Rail Corporation,
dûment constituée en vertu de la loi de la Pennsyl-
vanie. Le bail prévoyait l'arbitrage en cas de
désaccord entre les parties, chaque compagnie
devant nommer un arbitre. Les arbitres devaient
choisir le troisième arbitre qui, à défaut d'un tel
choix, serait désigné par un juge d'une Haute cour
de l'Ontario. Les parties seraient liées par l'arbi-
trage et toute sentence arbitrale pourrait être sanc-
tionnée par un tribunal de l'État du Michigan ou
de la province d'Ontario. La déclaration men-
tionne certaines créances «déterminées» recouvra-
bles de la Penn Central et la Michigan Central et
comprenant des revenus payés à tort à Penn Cen
tral sur le produit des ventes des terrains loués de
1963 à 1975 moyennant un loyer de $1,486,-
116.05, des sommes dues pour l'aliénation d'ac-
2 4 Edward VII, c. 55.
tions amortissables totalisant $13,000,000, et une
réclamation de $3,100,000 provenant du fait que
la Michigan Central a, de façon inappropriée,
amené la Canada Southern à transférer les actions
et obligations de la Toledo, Canada Southern and
Detroit Railway Company pour une contrepartie
insuffisante, une réclamation de $3,560,000 contre
la Penn Central et la Michigan Central résultant
de l'usage qu'ils ont fait dans le passé de l'alloca-
tion du coût en capital accordée à la Canada
Southern en vertu de la Loi de l'impôt sur le
revenu au Canada de même que d'autres réclama-
tions subsidiaires désignées par réclamations indé-
terminées, telle une reddition de compte à l'égard
d'actions et d'actifs de diverses filiales.
Le 25 juin 1976, la Canada Southern a invoqué
la clause d'arbitrage mais la Penn Central et la
Michigan Central l'ont informé qu'afin de nommer
un arbitre elles devaient être autorisées par la
«Reorganization Court» des États-Unis à partici-
per à l'arbitrage, mais qu'elles n'ont pas encore
décidé de demander cette autorisation. de mets
sérieusement en doute la validité de cette position,
du moins en ce qui concerne les fiduciaires de la
Penn Central, qui agissent au Canada en vertu
d'un projet de concordat approuvé par la Cour.
L'arbitrage envisagé est prévu par une clause d'un
bail approuvé au Canada et portant sur des che-
mins de fer situés principalement au Canada. Des
discussions ont eu lieu relativement aux modalités
de l'arbitrage; on s'est borné à convenir qu'il se
tiendrait à Toronto et que la loi de l'Ontario
s'appliquerait.
La Canada Southern Railway Company déclare
peu probable que l'on applique cette sentence arbi-
trale dans l'État du Michigan, puisque les actifs de
la Penn Central et de la Michigan Central dans
l'État sont assujettis aux importantes réclamations
de la «Reorganization Court». Les seuls actifs que
les fiduciaires de la Penn Central conservent
encore au Canada sont 20,120 actions de la
Toronto, Hamilton and Buffalo Railway, et les
seuls actifs que la Michigan Central conserve au
Canada sont 11,180 actions de ladite compagnie;
par une transaction en date du 27 mai 1976 devant
se compléter à Hamilton, ces deux compagnies se
sont engagées à vendre les actions susmentionnées
au Canadien Pacifique Limitée pour des sommes
respectives de $3,400,280 et $1,995,890. La requé-
rante désire que les fiduciaires retiennent en Onta-
rio les produits de la vente au Canadien Pacifique
jusqu'à l'aboutissement des procédures d'arbitrage,
mais aucune garantie n'en a été donnée et elle
prétend que si ces sommes sont versées incondi-
tionnellement aux fiduciaires, elles seront trans-
portées aux États-Unis et assujetties aux réclama-
tions de tous les créanciers de ce pays. Ces
réclamations se chiffrant à plusieurs milliards de
dollars, ce transfert causerait auxdits créanciers un
préjudice irréparable. Voilà pourquoi elles cher-
chent à obtenir le redressement demandé en atten
dant l'aboutissement des procédures d'arbitrage.
Il faut mentionner ici l'ordonnance du juge
Addy en date du 27 septembre 1974, qui homolo-
gue, en vertu des articles 95 et suivants de la Loi
sur les chemins de fer, le projet de concordat pour
les créanciers de Penn Central Transportation
Company au Canada. A la page 3 des motifs de
son ordonnance, il s'exprime ainsi au sujet des
fiduciaires:
[TRADUCTION] Aux États-Unis ils peuvent aussi agir
comme séquestres en équité et toutes les saisies de biens
appartenant à la compagnie ou étant en sa possession sont
limitées, sauf en ce qui a trait au droit des propriétaires de
matériel roulant d'en prendre possession en vertu de leur con-
trat de matériel.
Il est bien évident que la réorganisation du chemin
de fer, homologuée par la «Reorganization Court»
des États-Unis, n'aurait pas de portée extra-terri-
toriale, de façon à prévenir une saisie de biens au
Canada, pas plus qu'un jugement d'un tribunal
canadien n'aurait d'effet extra-territorial à l'égard
de biens situés aux États-Unis. Au paragraphe 5
de son ordonnance, le juge Addy donne aux fidu-
ciaires le pouvoir de [TRADUCTION] «vendre, céder
ou louer les biens situés au Canada qui ne sont pas
nécessaires aux activités de la compagnie». Au
paragraphe 6, il accorde aux fiduciaires au
Canada à peu près les mêmes pouvoirs que ceux
attribués par la «Reorganization Court», y compris
le droit de [TRADUCTION] «se défendre dans toutes
actions, procédures ou poursuites pendantes contre
la compagnie ou les fiduciaires pouvant être soute-
nues ou intentées devant quelque cour, officier,
ministère, commission ou tribunal, auxquelles sont
ou seront parties au Canada la compagnie ou les
fiduciaires, de les mener à fin, de les régler ou de
transiger».
Il évoque le projet de concordat pour les créan-
ciers de Penn Central Transportation Company au
Canada et suggère à la page 7 le règlement suivant
pour les réclamations exigibles de tous les créan-
ciers de la compagnie au Canada:
[TRADUCTION] 1. Les réclamations courantes et futures des
créanciers de la compagnie, provenant des opérations continues
de l'entreprise de chemins de fer de celle-ci, au Canada, après
le 21 juin, seront payées à l'échéance en totalité.
2. Dans un délai de six mois (ou s'il s'agit d'une créance dont le
montant est indéterminé, le délai additionnel requis pour la
rendre liquide) du jugement final de la Cour fédérale du
Canada (la «Cour fédérale») confirmant le projet conformé-
ment à la Loi sur les chemins de fer du Canada (la «Loi sur les
chemins de fer») ou pendant le délai supplémentaire prescrit
par la Cour fédérale, les fiduciaires devront payer en entier les
créances desdits créanciers de la compagnie au Canada, prove-
nant de l'exploitation de l'entreprise de chemins de fer de
celle-ci avant le 22 juin 1970 ou des obligations contractées par
la compagnie et à sa charge, qui sont dues et exigibles (mais ce
sans intérêt après le 21 juin 1970), et qui ont une ou plusieurs
des particularités suivantes:
e) obligations découlant de baux portant sur des biens des
chemins de fer canadiens.
Il est intéressant de noter qu'à la clause 3 des
pages 8 et 9 du jugement, il traite des obligations
de la compagnie (c.-à-d. Penn Central) envers des
créanciers au Canada, obligations contractées
avant le 22 juin 1970 suite aux activités commer-
ciales de la compagnie ou des créanciers canadiens
à l'extérieur du Canada, et aux États-Unis en
particulier, et soulignant que, puisque ces réclama-
tions n'ont pas été [TRADUCTION] «encourues à
l'égard de l'exploitation de chemins de fer cana-
diens, elles doivent être jugées dans la `Cour de
district' des États-Unis siégeant dans l'est de la
Pennsylvanie (la 'Reorganization Court'), et
devraient y recevoir un traitement égal et propor-
tionnel à celui reçu par les autres créanciers de
même catégorie de la compagnie, quels que soient
leur résidence ou domicile». Réciproquement, il est
évident que les réclamations de créanciers cana-
diens encourues au Canada seront payées à même
les actifs canadiens et qu'à l'égard de ces actifs, les
créanciers canadiens ne recevraient pas dans la
«Reorganization Court» un traitement [TRADUC-
TION] «égal et proportionnel à celui reçu par les
autres créanciers de même catégorie de la compa-
gnie, quels que soient leur résidence ou domicile».
Voici d'autres documents pertinents pour per-
mettre de trancher cette question:
Les ordonnances n° 2506 concernant la Penn
Central Transportation Company et n° 75 con-
cernant la Michigan Central Railroad Company
rendues par le juge John P. Fullam, de la «Cour
de district» de l'est de la Pennsylvanie, en date
du 17 août 1976, autorisant les fiduciaires des
deux compagnies de chemins de fer à vendre
leurs actions dans la Toronto, Hamilton and
Buffalo Railway Company au Canadien Pacifi-
que Limitée pour un montant de $169 l'unité,
totalisant la somme de $5,396,170. Voici le
libellé de la clause 2 de cette ordonnance:
[TRADUCTION] Les produits nets de la susdite vente seront
détenus par fidéicommis, sous réserve des privilèges qui s'y
rattachent et de toute réclamation sur les produits d'icelle,
pouvant résulter de la vente, et ce jusqu'à nouvel ordre de la
Cour.
L'ordonnance n'indique pas où les fonds doivent
être détenus en fidéicommis, mais selon les fidu-
ciaires, la Cour pensait aux États-Unis, lieu de
résidence desdits fiduciaires et d'investissement des
autres actifs des deux compagnies de chemins de
fer. Telle est certainement l'interprétation de M.
Siembieda, avocat doyen des fiduciaires de la Penn
Central Transportation Company, qui dit au troi-
sième paragraphe de son affidavit être d'avis que
le juge Fullam a homologué la vente [TRADUC-
TION] «à la condition que les produits en soient
détenus par fidéicommis aux États-Unis sous
réserve des privilèges qui s'y rattachent et de toute
réclamation éventuelle, et ce jusqu'à nouvel ordre
de la 'Reorganization Court'». Par ailleurs rien
dans l'ordonnance ne semble interdire aux fidu-
ciaires de détenir en fidéicommis les fonds au
Canada. L'affidavit de M. Siembieda mentionne
également deux autres ordonnances du juge
Fullam, l'ordonnance 343 en date du 23 juillet
1971 et l'ordonnance 713 en date du 16 mai 1972,
permettant respectivement aux fiduciaires d'orga-
niser le dépôt et le paiement des réclamations des
créanciers canadiens, et d'amender leur projet de
concordat. Les deux ordonnances font mention de
l'approbation du projet de concordat établi pour
les créanciers canadiens et permettent aux fidu-
ciaires [TRADUCTION] «sur approbation de la Cour
fédérale du Canada, de mettre à exécution et
d'appliquer les dispositions du projet de concor-
dat». On a ajouté cependant: [TRADUCTION] «La
Cour se réserve le pouvoir de ratifier tout change-
ment important apporté au projet de concordat».
Manifestement, le juge Fullam veut, dans la
mesure du possible, donner effet audit projet de
concordat à homologuer au Canada pour les créan-
ciers canadiens. La requérante craint cependant
que si les fonds allaient aux États-Unis, l'applica-
tion de la loi américaine vienne contrecarrer les
réclamations prioritaires des créanciers canadiens
sur des actifs canadiens, au bénéfice d'autres récla-
mations pouvant avoir priorité aux États-Unis.
Il ne s'agit pas là d'une crainte futile, comme il
appert à la lecture du paragraphe 9 de l'affidavit
de M. E. Roger Frisch, avocat principal de la
requérante Canada Southern Railway Company
aux États-Unis, portant que ladite compagnie a
déclaré un dividende de 60 $É.-U. par action le 29
mars 1976, suite auquel des dividendes totalisant
la somme de 5,465,315 $É.-U. ont été payés à la
Penn Central Transportation Company et à la
Michigan Central Railroad après retenue de 15%
d'impôt canadien et mise en fiducie de comptes
aux Etats-Unis pour permettre à la Canada South
ern Railway d'établir ses réclamations et de cher-
cher à se faire payer sur lesdits comptes. Cepen-
dant, le paragraphe 10 révèle que d'autres
réclamations relatives à ces fonds ont été présen-
tées par d'autres créanciers, dont une de $50,000,-
000 par les États-Unis d'Amérique une autre par
Wilington Trust Company pour le plein montant
en fidéicom m is et une par la banque de New York
pour tout le montant en fidéicommis. Sans décider
de la validité de ces réclamations, ce qui relève des
tribunaux américains, je dirai que la réclamation
des États-Unis d'Amérique peut être d'ordre fiscal
et donc pourrait bien avoir préséance sur les récla-
mations des créanciers ordinaires. Les ordonnances
susmentionnées du juge Fullam en date du 17 août
1976 traitent des fonds déposés en fidéicommis
[TRADUCTION] «sous réserve des privilèges qui s'y
rattachent» et la réclamation fiscale, si telle est sa
nature, pourrait créer un privilège si les fonds
étaient déposés en fidéicommis aux États-Unis; les
réclamations supposément prioritaires des créan-
ciers canadiens seraient ainsi compromises. Je par-
tage donc entièrement l'avis de la requérante
Canada Southern Railway Company selon lequel
il est préférable que les fonds demeurent au
Canada en attendant l'aboutissement de ses procé-
dures contre les fiduciaires des deux compagnies
de chemins de fer, Penn Central Transportation
Company et Michigan Central Railway Company,
et je crois que s'il n'en est pas ainsi, la requérante
pourrait subir un préjudice irréparable. A tout
prendre, l'avantage est nettement de son côté puis-
que si les fonds sont retenus au Canada dans un
compte productif d'intérêts, aucun créancier n'en
souffrira, même si les fiduciaires devaient éven-
tuellement transférer lesdits fonds aux États-Unis
suite à un jugement définitif de la Cour compé-
tente. La difficulté cependant est de savoir com
ment réussir à garder les fonds au Canada.
Avant d'étudier cette question, je dois tout
d'abord considérer l'objection des avocats des fidu-
ciaires, qu'appuie l'avocat de Canadien Pacifique,
relativement à la compétence de cette cour en
l'espèce. L'action intentée par la Canada Southern
Railway Company dans le dossier numéro
T-4367-76 résulte de la location, en 1903, de biens
ferroviaires par la Canada Southern à la Michigan
Central et de la sous-location en 1930 par cette
dernière à sa compagnie mère, la New York Cen
tral Railroad Company, ancêtre de la Penn Cen
tral. Bien que ce bail ait, comme requis, été homo-
logué en 1904 par une loi du Parlement, je ne crois
pas que la demande de redressement ait ladite loi
pour origine au sens de l'article 23 de la Loi sur la
Cour fédérale. Voici le libellé de l'article 23:
23. La Division de première instance a compétence concur-
rente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans
tous les cas où une demande de redressement est faite en vertu
d'une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière de
lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est
partie aux procédures, d'aéronautique ou d'ouvrages et entre-
prises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà
des limites d'une province, sauf dans la mesure où cette compé-
tence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
On a cependant allégué que le bail concernait
les «ouvrages et entreprises reliant une province à
une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une
province». En effet, bien qu'au Canada les voies en
question se situent en Ontario seulement, elles sont
prolongées aux États-Unis par la Canada and
Michigan Bridge and Tunnel Company, et le bail
comportait également certaines lignes reliées entre
elles et exploitées aux États-Unis. Cependant, l'ar-
rêt récent de la Cour suprême du Canada Cana-
dien Pacifique Ltée c. Quebec North Shore Paper
Company' établit bien que l'article 23 ne peut être
interprété comme attribuant une compétence. En
prononçant le jugement de la Cour, le juge en chef
Laskin s'exprime ainsi aux pages 9 et 10 de son
jugement:
Le juge Addy n'a pas étudié l'effet de l'art. 101 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique sur l'art. 23 de la Loi sur la
Cour fédérale. Il semble avoir présumé qu'il avait compétence
si l'entreprise prévue dans l'accord relevait du pouvoir législatif
fédéral. Comme je l'ai déjà souligné, il lui fallait d'abord
conclure que la demande de redressement était faite «en vertu
d'une loi du Parlement du Canada ou autrement». En Cour
d'appel fédérale, le jugement rendu par le juge Le Dain, rédigé
en son nom et au nom du juge Ryan, le juge Thurlow (tel était
alors son titre) ayant rendu des motifs concomitants, formule
également la question en litige sans tenir compte de l'expression
susmentionnée:
Il s'agit donc de trancher la question de savoir si la demande
de redressement en l'espèce se rattache à une matière tom-
bant dans la catégorie des «ouvrages et entreprises reliant une
province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une
province».
Cependant, le juge Le Dain examine alors le sens des termes
«ou autrement» qui signifient à son avis «toute autre loi faisant
partie des `lois du Canada' au sens de l'art. 101 de l'Acte de
l'A.N.B.». Puis vient un passage sur lequel se fonde l'avocat des
intimées:
Il dit ceci à la page 11:
Si la loi est en elle-même valide et applicable, comme c'est de
toute évidence le cas pour la loi du Québec en l'espèce (les
parties ont en effet convenu que leur contrat serait régi par les
lois du Québec), elle ne constitue pas une loi fédérale et ne peut
être transposée dans le droit fédéral afin de donner compétence
à la Cour fédérale. Il y a compétence en vertu de l'art. 23 si la
demande de redressement relève du droit fédéral existant et non
autrement.
On a allégué que la situation présente se différen-
cie de celle examinée dans ledit jugement parce
que la Loi de 1904 homologuant le bail accordé
par la Canada Southern Railway Company 4 ,
énonce à son article 4 que «l'entreprise de la
compagnie dite Leamington and St. Clair Railway
Company est déclarée être à l'avantage général du
Canada». La Loi accorde à la Canada Southern
Railway Company les concessions, pouvoirs, auto-
risations, droits et privilèges de la Leamington
Company. A mon avis, le fait que les entreprises
3 (1976) 9 N.R. 471.
4 4 Edward VII, c. 55.
d'une compagnie de chemins de fer constituent aux
termes même de la Loi, des ouvrages à l'avantage
général du Canada, et compte tenu de l'interpréta-
tion par la Cour suprême de l'article 23 de la Loi
sur la Cour fédérale dans l'arrêt Quebec North'
Shore Paper Company, ce fait ne donne pas à la
Cour fédérale compétence sur toutes les procédu-
res, quelle que soit leur nature, intentées par cette
compagnie de chemins de fer, lorsque celles-ci sont
nettement de nature civile et relèvent de la compé-
tence des cours provinciales. Or la réclamation
introduite contre la Michigan Central Railroad
Company en vertu du bail semble être une récla-
mation civile pour bris de contrat.
Relativement à la compétence de la Cour sur le
redressement demandé ici contre Penn Central
Transportation Company, la situation diffère
cependant complètement puisqu'il s'agit d'un inci
dent des procédures engagées devant cette cour
depuis 1971 et qui implique l'approbation par le
juge Addy, en date du 27 septembre 1974, du
projet de concordat établi pour les créanciers de la
compagnie au Canada en vertu des articles 95 et
suivants de la Loi sur les chemins de fer, loi
fédérale valide. L'avocat des fiduciaires et du
Canadien Pacifique allègue que la simple approba
tion du projet par cette cour ne donne pas compé-
tence à cette dernière sur des actions, par ailleurs
purement civiles, intentées par des créanciers
contre les fiduciaires, et qu'une telle homologation
entraînerait la multitude d'actions semblables que
le projet de concordat cherchait à prévenir; mais je
ne crois pas qu'il en soit ainsi dans les procédures
actuelles portant le numéro du greffe T-2285-71. Il
se peut que cette prétention s'applique aux procé-
dures intentées dans le dossier numéro T-4367-76,
mais la question ne m'est pas soumise relativement
à la présente demande, aussi je ne me prononcerai
pas sur icelle. Cependant, j'ai devant moi une
demande qui vise essentiellement l'obtention d'un
même redressement que celui pour lequel le juge-
ment du juge Addy a été rendu. Je crois que la
demande visant à conserver au Canada les produits
de la vente proposée, par les fiduciaires de la Penn
Central Transportation Company, des actions que
cette dernière détient dans la Toronto, Hamilton
and Buffalo Railway, au Canadien Pacifique pour
un montant de $3,400,280, est accessoire à l'or-
donnance du juge Addy et constitue une suite
raisonnable et prévisible de celle-ci, nécessaire
pour lui donner plein effet. Si les créanciers au
Canada doivent être payés (dans la mesure où les
fonds canadiens le permettent) avant les créanciers
aux États-Unis, à même les actifs disponibles au
Canada pour ce paiement, il est désirable de con-
server lesdits fonds au Canada pour s'assurer que
le paiement se fera en conformité de l'ordonnance
du juge Addy.
A l'appui de sa prétention selon laquelle cette
cour a compétence pour statuer sur la réclamation
de Canada Southern contre Penn Central Trans
portation Company et Michigan Central Railroad,
l'avocat de Canada Southern Railway a invoqué
l'article 64(1) de la Loi sur la Cour fédérale, selon
lequel les articles 26 à 28 de la Loi sur la Cour de
l'Echiquier ne sont pas abrogés. Il s'appuie ensuite
sur l'article 26 de la Loi sur la Cour de l'Échi-
quier pour attribuer compétence à la Cour mais, à
mon avis, la lecture de cet article indique claire-
ment sa non-application en l'espèce, puisque la
réclamation ne porte pas sur_la vente d'un chemin
de fer ou de matériel roulant, mais sur la dé-
chéance à la demande d'un créancier hypothé-
caire.
Je conclus donc que dans le présent procès por-
tant le numéro T-2285-71, la Cour a juridiction
sur le produit de la vente des actions de Toronto,
Hamilton and Buffalo Railway, qui appartiennent
à Penn Central Transportation Company mais non
pas sur les produits de la vente des actions qui
appartiennent à Michigan Central Railroad Com
pany. Cela ne signifie pas que la Cour suprême de
l'Ontario n'est pas compétente dans de telles pro-
cédures, mais il est évident que cette cour ne peut
accorder d'injonction ou autre redressement affec-
tant la disposition des fonds provenant de la vente
des biens de Michigan Central Railroad Company
contre qui la Canada Southern Railway Company
a une créance non liquidée qui doit être soumise à
un autre tribunal. J'ajouterai ceci: bien que la
déclaration, dossier numéro T-4367-76, qualifie la
réclamation de Canada Southern de liquide,
comme le fait un passage de l'affidavit de M.
Frisch, je suis d'avis qu'elle demeurera incertaine
quant à son montant et à sa validité d'ici l'aboutis-
sement des procédures d'arbitrage que la Canada
Southern Railway Company veut intenter en
Ontario, ou d'ici le prononcé du jugement définitif
d'un tribunal compétent.
Cependant, je n'hésite pas à conclure, comme je
le faisais observer plus haut, que les sommes
reçues par les fiduciaires de la Penn Central
Transportation Company et provenant de la vente
de ses actions à la Toronto, Hamilton and Buffalo
Railway Company devraient être conservées au
Canada par les fiduciaires afin de donner plein
effet au jugement du juge Addy homologuant le
projet de concordat relatif à ce chemin de fer au
Canada. Il s'agit de décider de la meilleure façon
d'atteindre ce but. Certes si le juge Fullam modi-
fiait ses ordonnances n°$ 2506 et 75 en date du 17
août 1976 concernant la Penn Central Transporta
tion Company et la Michigan Central Railroad
Company et permettait aux fiduciaires de ces che-
mins de fer respectifs de déposer les fonds en
fidéicommis, s'il déclarait que lesdits fonds peu-
vent être ainsi déposés en fidéicommis au Canada,
et si suite à ces modifications les fiduciaires s'en-
gageaient à déposer les fonds en fidéicommis au
Canada plutôt qu'aux États-Unis, l'effet voulu par
la requérante serait obtenu et tous les créanciers
canadiens en bénéficieraient puisque les fonds
seraient protégés jusqu'à règlement de leurs récla-
mations éventuelles contre ces fonds. Bien que tout
porte à croire que le juge Fullam accepterait de
modifier son ordonnance, puisqu'il a permis aux
fiduciaires de conclure le projet de concordat au
Canada, lequel projet a par la suite été homologué
par le juge Addy, les termes actuels de l'ordon-
nance peuvent signifier, comme l'alléguait M.
Siembieda, que les fiduciaires devraient déposer
les produits de la vente des actions en fidéicommis
aux États-Unis malgré les dangers susmentionnés
à l'égard des requérants et des autres créanciers
canadiens. Il va sans dire que cette cour ne peut ni
ne doit indiquer les prochaines étapes que pourrait
suivre le juge Fullam pour assurer la protection
des intérêts des créanciers au Canada en vertu de
l'ordonnance du juge Addy; il est certain qu'il
désire qu'on s'y conforme entièrement et rien ne
permet de penser que les fiduciaires ne s'y confor-
meront pas. Cependant si les fonds sont transférés
aux États-Unis on peut facilement prévoir le grand
danger qu'ils soient assujettis aux privilèges des
créanciers américains, dont le gouvernement amé-
ricain, ce qui entraînerait tout au moins de longs
procès là-bas, sinon un préjudice définitif pour la
créance du requérant dans les procédures actuelles
et celles d'autres créanciers canadiens. On pour-
rait, bien sûr, émettre une injonction contre Mes
sieurs Robert W. Blanchette, Richard C. Bond et
John H. McArthur en leur qualité de fiduciaires
des biens de la Penn Central Transportation Com
pany, leur enjoignant de ne pas retirer les fonds du
Canada avant l'aboutissement des procès et des
procédures d'arbitrage au Canada, mais il n'est
pas certain qu'on obtiendrait ainsi l'effet voulu. A
moins que l'ordonnance du juge Fullam soit modi-
fiée avant que ne s'effectue la vente des actions,
pour permettre aux fiduciaires de déposer les fonds
en fidéicommis au Canada, et qu'ils s'engagent à
agir ainsi, ils pourraient fort bien se trouver dans
une situation difficile. D'une part ils seraient assu-
jettis à une injonction de cette cour leur interdisant
de retirer les fonds du Canada, et d'autre part leur
propre avocat, M. Siembieda, les informerait
qu'aux termes de l'ordonnance actuelle du juge
Fullam les fonds doivent être déposés en fidéicom-
mis aux États-Unis. Au moment de l'approbation
du projet de concordat au Canada aucune garan-
tie, sous forme de cautionnement ou autre, n'a été
demandée aux fiduciaires. Ils résident aux États-
Unis et une fois effectués les transferts des fonds
en ce dernier pays, la Cour n'aurait aucun contrôle
réel sur ces fonds ni sur les fiduciaires. L'injonc-
tion pourrait très bien devenir inefficace. Un con-
flit de lois surviendrait certainement et il est préfé-
rable de l'éviter.
Le seul recours efficace semblerait être la nomi
nation d'un séquestre. C'est là l'une des solutions
proposées par Canada Southern Railway Com
pany. Mais ai-je le pouvoir de procéder à cette
nomination? Aucune disposition des Règles de la
Cour fédérale ne m'y autorise expressément. La
Règle 2405 traite de la nomination d'un séquestre
judiciaire aux fins d'une exécution en juridiction
d'equity, mais en l'espèce Canada Southern Rail
way n'a aucun jugement à faire exécuter contre les
fiduciaires. Aussi ne peut-on parler de juridiction
d'equity. La Règle 2004 porte sur les brefs de
séquestration, mais elle se trouve au chapitre C des
Règles, lequel traite des brefs d'exécution, ce qui
sous-entend l'existence d'un jugement. La Règle 5,
connue parfois sous le nom de «Règle d'échappe-
ment», prévoit ce qui suit:
Règle 5. Dans toute procédure devant la Cour, lorsque se pose
une question non autrement visée par une disposition d'une loi
du Parlement du Canada ni par une règle ou ordonnance
générale de la Cour (hormis la présente règle), la Cour déter-
minera (soit sur requête préliminaire sollicitant des instruc
tions, soit après la survenance de l'événement si aucune requête
de ce genre n'a été formulée) la pratique et la procédure à
suivre pour cette question par analogie
a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou
b) avec la pratique et la procédure en vigueur, pour des
procédures semblables devant les tribunaux de la province à
laquelle se rapporte plus particulièrement l'objet des
procédures.
selon ce qui, de l'avis de la Cour, convient le mieux en l'espèce.
L'objet des procédures actuelles relève de la pro
vince d'Ontario et les règles de pratique de l'Onta-
rio ne prévoient pas la nomination d'un séquestre
judiciaire ni la saisie avant jugement (contraire-
ment au Code de procédure du Québec qui a de
telles dispositions aux articles 733 et suiv.) pour
protéger les intérêts d'un créancier d'une réclama-
tion non liquidée, ayant de bonnes raisons de croire
que celle-ci sera mise en péril par l'usage que l'on
veut faire des fonds, à moins qu'ils ne soient
confiés à un séquestre ou gelés jusqu'à l'aboutisse-
ment du procès par lequel il essaie d'établir sa
réclamation.
Cependant, en l'absence d'une règle précise,
l'article 3 de la Loi sur la Cour fédérale dont voici
le libellé, m'enhardit:
3. Le tribunal de common law, d'equity et d'amirauté du
Canada existant actuellement sous le nom de Cour de l'tchi-
quier du Canada est maintenu sous le nom de Cour fédérale du
Canada, en tant que tribunal supplémentaire pour la bonne
application du droit du Canada, et demeure une cour supé-
rieure d'archives ayant compétence en matière civile et pénale.
l'article établit donc que la Cour fédérale est un
tribunal d'equity. On peut alors recourir à des
décisions anglaises en equity. Traitant de la loi
anglaise sur ce sujet, Kerr on Receivers, 14e éd.,
s'exprimait ainsi à la page 6:
[TRADUCTION] La deuxième catégorie d'arrêts inclut ceux
dans lesquels une nomination est faite pour protéger les biens
en attendant l'aboutissement du procès qui déterminera les
droits des parties, ou préviendra une dispute entre les ayants
droit, tout comme le cas de la nomination de séquestre dans
l'attente d'une homologation ou d'une administration, ou pour
assurer la protection des incapables, ou lorsqu'il y a danger de
détérioration ou dissipation des biens par ceux qui détiennent
un titre légal sur cesdits biens, tels que les exécuteurs, fiduciai-
res ou usufruitiers perpétuels, ou par les détenteurs d'un intérêt
partiel sur lesdits biens, tels les partenaires, ou les personnes
ayant autorité, tels les dirigeants d'une compagnie en désaccord
sur l'exercice des pouvoirs également partagés. Pour tous les
cas de la deuxième catégorie, il est nécessaire d'alléguer et de
prouver du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Celle-ci agit
prudemment dans l'exercice de ce pouvoir et est régie par
l'ensemble des circonstances. Nulle règle positive et constante
ne peut être rétablie pour déterminer si la Cour interviendra ou
non dans cette protection intérimaire des biens.
On a également fait mention de l'arrêt Oldfield c.
Cobbett, 4 L.J. Ch. 271 où le Maître des rôles
déclare à la page 272:
[TRADUCTION] Il s'agit de savoir s'il n'est pas du devoir de la
Cour d'empêcher que les biens passent aux mains de ce défen-
deur: et je suis d'avis que les circonstances autorisent ici la
Cour à mettre ces dits biens en lieu sûr.
Il est vrai que dans cette affaire l'exécuteur avait
mauvaise réputation, ayant déjà donné lieu à plu-
sieurs jugements et condamnations, alors que rien
ici ne permet de douter de l'excellente réputation
et de la probité des fiduciaires, mais en dépit de
cela, il semble que les circonstances permettent à
la Cour de retenir les fonds en vue de leur distribu
tion aux créanciers canadiens détenteurs d'un
jugement.
De plus The Judicature Act 5 de l'Ontario con-
tient un article qui prévoit entre autres:
[TRADUCTION] 19.—(1) Un mandamus ou une injonction
peuvent être accordés ou un séquestre judiciaire peut être
nommé par une ordonnance interlocutoire de la Cour, dans tous
les cas où la Cour est d'avis qu'il serait juste et convenable de le
faire, et si une demande d'injonction est présentée avant ou
après l'audition de toute affaire ou cause, visant à prévenir
toute perte ou violation de propriété, l'injonction peut être
accordée, que la personne concernée soit ou non en possession,
en vertu d'une réclamation de titre ou autre, ou si elle n'est plus
possesseur, qu'elle réclame ou non le droit de poser l'acte qu'on
veut lui refuser de faire en s'appuyant sur un droit non vérifié,
et que la propriété réclamée par les parties ou l'une d'entre elles
soit légale ou en equity.
Des séquestres ont été nommés en Ontario avant
l'aboutissement du procès dans Gooderham c.
Toronto and Nipissing Railway Co. (1880) 8
Ontario Appeal Reports 685, General Host Corp.
c. Chemalloy Minerals Ltd. [1972] 3 O.R. 142 et
Wahl c. Wahl [N° 2] [1972] 1 O.R. 879 (voir les
pages 889-891).
5 S.R.O. 1970, c. 228.
Bien que j'hésite à ordonner que l'on retire aux
fiduciaires de la Penn Central Transportation
Company le produit de la vente des actions, détenu
par cette dernière, pour le confier à un séquestre
judiciaire qui sera désigné, cela s'impose à moins
que les fiduciaires ou autres personnes intéressées
n'obtiennent une modification de l'ordonnance du
juge Fullam de façon à la préciser, de sorte qu'elle
leur permette de garder les fonds en fidéicommis
au Canada, et qu'ils acceptent de le faire, ou, s'ils
décidaient de les transporter aux États-Unis, qu'ils
fournissent un cautionnement de $3,400,280
approuvé par cette cour pour satisfaire à toutes
réclamations des créanciers canadiens confirmées
par jugement ou arbitrage ou admises par les
fiduciaires et approuvées par cette cour.
J'invite les parties à se prononcer sur la nomina
tion d'un séquestre judiciaire convenable et sur les
conditions à établir, ladite nomination devant se
faire au plus tard le 26 novembre 1976, date à
laquelle a été reportée la vente des susdites actions.
Les dépens de la demande suivront le sort de la
cause.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.