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A-740-75
Shell Canada Limited (Shell Canadian Tankers (1964) Limited) (Appelante) (Défenderesse)
c.
L'Administration de pilotage des Laurentides (Intimée) (Demanderesse)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge suppléant Marquis—Québec, les 28 et 29 juin 1977.
Droit maritime Droits de pilotage Deux pilotes sont affectés à la conduite du navire Suivant les règlements de l'administration de pilotage l'appelante est-elle responsable pour les droits de deux pilotes ou pour ceux d'un seul pilote? Loi sur le pilotage, S.C. 1970-71-72, c. 52, art. 43 Règlement général de la circonscription de pilotage de Québec DORS/57-51, art. 6. dans sa forme modifiée par DORS/72-5, art. 1; DORS/72-388, art. 3 dans sa forme modifiée par DORS/73-135, art. 1 Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art. 36 . 1),g) et h) Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, art. 307 et 330.
L'appelante est propriétaire d'un navire qui a effectué plu- sieurs voyages dans une zone de pilotage obligatoire venant sous la juridiction de l'intimée. Lors de ces voyages, l'intimée a exigé que le navire prenne à son bord non pas un mais deux pilotes et elle a ensuite réclamé le double des droits de pilotage prévus au tarif. L'appelante prétend ne pas devoir de sommes additionnelles parce que le règlement qui impose le double tarif a été abrogé et elle a payé seulement la moitié du montant réclamé. L'intimée l'a poursuivie pour le surplus. La Division de première instance a fait droit à cette action et a décidé que, suivant les règlements alors en vigueur, l'intimée avait le droit de réclamer le double des droits de pilotage prévus. L'appelante attaque cette décision.
Arrêt: l'appel est accueilli. La décision du juge de première instance voulant que l'article 6(1) se réfère à la nouvelle annexe C de même qu'à l'annexe A devenue inexistante est fondée sur l'article 36 de la Loi d'interprétation. L'annexe A de l'ancien règlement a été abrogée purement et simplement, et rien n'est venu la remplacer comme annexe de ce règlement. On ne peut donc se fonder sur la Loi d'interprétation pour rejeter la prétention de l'appelante que les modifications apportées . au nouveau règlement en 1973 et l'abrogation au même moment de l'annexe A de l'ancien règlement ont eu pour conséquence de rendre sans effet l'article 6(1) de l'ancien règlement. Puisque le but principal de l'article 6(1) était d'imposer l'obligation de payer les droits fixés à l'annexe A et non pas de consacrer le principe de la rémunération du double pilotage, l'argument voulant que l'article se réfère au tarif existant et à l'annexe A abrogé a beaucoup moins de force. La référence à l'annexe A dans l'article 6(1) n'était donc pas une redondance, c'était une partie essentielle de cette disposition qui a cessé d'avoir effet lorsque l'annexe A a cessé d'exister.
APPEL.
AVOCATS:
Jacques A. Laurin pour l'appelante.
Guy P. Major et Michel Bourgeois pour
l'intimée.
PROCUREURS:
McMaster, Minnion, Patch, Hyndman, Legge, Camp & Paterson, Montréal, pour l'appelante.
Guy P. Major, Montréal, pour l'intimée.
Voici les motifs du jugement prononcés à l'au- dience en français par
LE JUGE PRATTE: L'appelante est propriétaire d'un navire qui a effectué, en 1973, plusieurs voyages dans une zone de pilotage obligatoire située dans la région que la Loi sur le pilotage, S.C. 1970-71-72, c. 52, place sous la juridiction de l'intimée. Lors de ces voyages, l'intimée a exigé que le navire prenne à son bord non pas un mais deux pilotes et elle a ensuite réclamé - à l'appelante le double des droits de pilotage prévus à son tarif. L'appelante, prétendant ne rien devoir de plus en raison de ce qu'on avait affecté deux pilotes plutôt qu'un à la conduite de son navire, a payé seule- ment la moitié du montant réclamé. L'intimée l'a alors poursuivie pour le surplus. La Division de première instance a fait droit à cette action et décidé' que, suivant les règlements alors en vigueur, l'intimée avait le droit de réclamer le double des droits de pilotage prévus dans les cas deux pilotes étaient affectés à un navire. C'est cette décision qui est attaquée par l'appelante.
Les services de pilotage qui ont donné naissance à cette réclamation ont été fournis peu de temps après la mise en vigueur de la Loi sur le pilotage. A cette époque, le pilotage était régi par la nou- velle loi et, aussi, par des règlements. Certains de ces règlements avaient été adoptés en vertu de la Loi nouvelle (articles 14 et 22) par les Administra tions de pilotage établies par cette loi; d'autres règlements avaient été adoptés avant la mise en vigueur de la Loi nouvelle, en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9. Ces derniers règlements, suivant l'article 43 de la Loi nouvelle, devaient rester en vigueur pour une période de deux ans à moins d'être annulés par les nouvelles Administrations de pilotage.
1 [1976] 2 C.F. 102.
Les frais de pilotage réclamés par l'intimée ont été encourus dans ce que l'on appelait autrefois la circonscription de pilotage de Québec au cours des mois d'avril, mai, juin et juillet 1973. Pour connaî- tre la réglementation applicable en l'espèce et, aussi, pour être en mesure de comprendre le pro- blème que soulève cette cause, il faut connaître la réglementation applicable avant la mise en vigueur de la Loi sur le pilotage, le ler février 1972, et les modifications qui y ont été apportées par la suite.
Lors de l'entrée en vigueur de la Loi sur le pilotage, le pilotage dans la circonscription de Québec était régi par un règlement général qui avait été adopté en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada. Ce règlement, intitulé «Règlement général de la circonscription de pilo- tage de Québec», contenait un grand nombre de dispositions d'ordre administratif relatives au pilo- tage et, en plus, à l'article 6(1), imposait l'obliga- tion de payer les droits de pilotage. Cet article 6(1) se lisait ainsi:
6. (I) Sauf tout cas d'exemption prévu par la Loi ou par le présent règlement, les droits de pilotage établis à l'annexe A doivent être payés pour les services de chaque pilote dont les services sont retenus pour un navire.
L'annexe A du règlement, à laquelle référait cet article, contenait le tarif des droits de pilotage.
Après la mise en vigueur de la Loi sur le pilotage, ces dispositions réglementaires restèrent en vigueur en vertu des dispositions de droit transi- toire contenues à l'article 43.
Le 18 septembre 1972, l'intimée adopta un règlement sur les tarifs. Ce règlement ne concer- nait cependant pas la circonscription de pilotage de Québec, mais seulement le reste du territoire soumis à la juridiction de l'intimée. Si j'en men- tionne l'existence, c'est parce que l'intimée l'a modifié le 8 mars 1973 de façon à en étendre la portée à la région qui nous intéresse. Ce jour-là, en effet, on a amendé ce règlement en y ajoutant une annexe C contenant un nouveau tarif des droits de pilotage pour la circonscription de Québec, et en ajoutant à l'article 3 du règlement un paragraphe (3) imposant l'obligation de payer les droits établis à l'annexe C. Ce paragraphe, au lieu d'être rédigé de façon similaire à l'article 6(1) de l'ancien règle- ment, se lisait comme suit:
3.. .
(3) Les droits établis à l'annexe C sont prescrits comme
droits de pilotage payables à l'Administration pour les services de pilotage accomplis à partir de la date d'entrée en vigueur du présent paragraphe.
Le jour même ces amendements étaient adop tés, l'intimée, agissant en vertu de l'article 43(6) de la Loi, annulait l'annexe A de l'ancien «Règle- ment général de la circonscription de pilotage de Québec». 2 Ce règlement, cependant, continuait à contenir l'article 6(1) que j'ai déjà cité qui faisait désormais référence à une annexe A devenue inexistante.
Le premier juge a décidé que ces dispositions réglementaires imposaient à l'appelante, dont le navire avait été conduit par deux pilotes, l'obliga- tion de payer le double des droits de pilotage prévus au tarif contenu à l'annexe C du nouveau règlement. Suivant lui, puisque «l'article 6(1) auto- risant le paiement du deuxième pilote n'a jamais été abrogé, il demeure en vigueur et réfère mainte- nant à la nouvelle annexe C.» Cette conclusion, le juge l'a fondée, semble-t-il, sur l'article 36f),g) et h) de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23. Cette argumentation ne me convainc pas. L'article 36 s'applique «Lorsqu'un texte législatif ... est abrogé et qu'un autre texte législatif ... y est substitué». Ici, contrairement à ce qu'a affirmé l'avocat de l'intimée, rien de pareil n'est arrivé. L'annexe A de l'ancien règlement a été abrogée purement et simplement, et rien n'est venu la remplacer comme annexe de ce règlement. On ne peut donc se fonder sur la Loi d'interprétation pour rejeter la prétention de l'appelante que les modifications apportées au nouveau règlement en 1973 et l'abrogation au même moment de l'annexe A de l'ancien règlement ont eu pour conséquence de rendre sans effet l'article 6(1) de l'ancien règlement.
Le principal argument de l'avocat de l'intimée était différent. Il a affirmé que les circonstances dans lesquelles les textes réglementaires dont j'ai parlé avaient été adoptés et modifiés, (notamment, le fait qu'on se soit abstenu d'abroger l'article 6(1) de l'ancien règlement) révélaient l'intention de conserver le principe de ce qu'il a appelé «la rému- nération du double pilotage» que consacrait l'arti- cle 6(1). Il en a conclu qu'il fallait interpréter les règlements de façon à donner effet à ce principe
2 L'appelante n'a pas contesté la validité de cette annulation.
ou, en d'autres mots, qu'il fallait interpréter l'arti- cle 6(1) de l'ancien règlement comme s'il référait non pas seulement à l'annexe A mais, plutôt, au tarif existant. Cet argument aurait beaucoup de force si le but de l'article 6(1) avait été unique- ment ou principalement d'énoncer la règle de la rémunération du double pilotage. On aurait peut- être pu alors considérer la référence à l'annexe A dans cet article comme étant, en fait, une simple redondance. Mais il arrive que le but principal de l'article 6(1) n'était pas de consacrer le principe de la rémunération du double pilotage. C'était d'im- poser l'obligation de payer les droits fixés à l'an- nexe A. L'article 6(1) jouait, dans l'ancien règle- ment, le même rôle à l'égard de l'annexe A que celui que joue l'article 3(3) du nouveau règlement à l'égard de l'annexe C. La référence à l'annexe A dans l'article 6(1) n'était donc pas une redon- dance, c'était une partie essentielle de cette dispo sition qui a, en conséquence, cessé d'avoir effet lorsque l'annexe A a cessé d'exister.
L'avocat de l'intimée a soutenu subsidiairement que, abstraction faite de l'ancien règlement, l'obli- gation de payer le double des droits de pilotage résultait du texte même de l'annexe C du nouveau règlement. Cela, a-t-il dit, parce que dans plusieurs paragraphes de cette annexe on utilise le mot «pilote» au singulier plutôt qu'au pluriel. Je com- prends mal la portée de cet argument. Suivant l'article 26(7) de la Loi d'interprétation «Les mots écrits au singulier comprennent le pluriel ....» Il ne faut donc pas attacher trop d'importance à l'emploi du singulier dans le tarif. D'autre part, comme les services de pilotage sont habituellement fournis par un seul pilote, il ne me paraît pas anormal que l'auteur du tarif, voulant référer à ces services, ait utilisé le mot pilote au singulier plutôt qu'au pluriel.
Pour ces motifs, je ferais droit à l'appel, je casserais la décision de la Division de première instance et je rejetterais l'action de l'intimée avec dépens tant en première instance qu'en appel.
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LE JUGE LE DAIN y a souscrit.
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LE JUGE SUPPLÉANT MARQUIS y a souscrit.
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