T-4383-75
Association des consommateurs du Canada
(Demanderesse)
c.
F. W. Woolworth C" Limitée et Reliable Hosiery
Mills Ltd. (Défenderesses)
Division de première instance, le juge Walsh —
Ottawa, les 20 et 22 septembre 1977.
Pratique — Demande présentée par les défenderesses en
vertu de la Règle 443(3) pour obtenir la suspension de toutes
les procédures — Demande présentée par la demanderesse en
vertu de la Règle 474 pour obtenir une décision sur une
question de principe — Une action a été intentée pour obtenir
une injonction et la remise de certains articles — L'infraction
visée a cessé et la demanderesse a accepté la somme consignée
à la Cour par les défenderesses — Faut-il surseoir aux autres
procédures en injonction? — Règles 443(3) et 474 de la Cour
fédérale.
Dans une action pour obtenir une injonction et la remise de
certains articles les défenderesses ont présenté une demande
visant la suspension de toutes les autres procédures en vertu de
la Règle 443(3) et la demanderesse demande en vertu de la
Règle 474 'une décision sur une question de principe et la
poursuite des procédures. Les défenderesses ont consigné de
l'argent à la Cour en règlement de l'action et la demanderesse a
accepté la consignation «en règlement des causes d'action pour
lesquelles elle a été versée ...b. La demanderesse reconnaît qu'il
n'y avait qu'une cause d'action et admet que toute prétendue
infraction de la part des défenderesses a depuis longtemps
cessé. De plus les défenderesses acceptent de remettre les
articles demandés. Néanmoins la demanderesse désire poursui-
vre le procès pour établir un principe alors que les défenderesses
soutiennent que tout litige étant réglé depuis leur consignation,
il faut surseoir aux procédures.
Arrêt: la requête des défenderesses visant à suspendre toutes
les procédures est accueillie. En l'espèce il n'existe plus de
litige, la prétendue infraction ayant depuis longtemps cessé, de
l'aveu même de la demanderesse. Aucune injonction inutile ne
peut être accordée, c'est là un point de droit fondamental. C'est
également en vertu d'une règle fondamentale qu'aucune action
ne peut donner lieu à procès en l'absence de question litigieuse.
La demanderesse désire obtenir une sorte de déclaration quali-
fiant d'abusif et justiciable de prohibition l'usage que les défen-
deresses ont fait de sa marque de commerce et des conclusions
qu'elle a publiées après ses analyses de produits, mais on ne
devrait pas demander à la Cour de se prononcer dans des
procédures où il ne reste plus de questions litigieuses entre les
parties. Même si on amendait les procédures afin de demander
une telle déclaration, la Cour n'a pas à fixer une date de procès
puisqu'il n'y a nul besoin d'injonction. Il faut donc surseoir aux
présentes procédures.
Distinction faite avec les arrêts: Moon c. Dickinson 63
L.T. 371 et Coote c. Ford [1899] 2 Ch. 93.
DEMANDES.
AVOCATS:
John Morrissey pour la demanderesse.
S. Godinsky, c.r., et J. E. Adamson pour les
défenderesses.
PROCUREURS:
Barrigar & Oyen, Ottawa, pour la demande-
resse.
Greenblatt, Godinsky, Resin, Uditsky &
Gasco, Montréal, et Ivey & Dowler, London,
pour les défenderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: On a présenté et plaidé simul-
tanément deux requêtes. L'une était déposée par
les défenderesses en vertu de la Règle 443(3) de la
Cour pour obtenir la suspension des procédures
intentées contre elles et la permission de passer
outre au délai de deux jours francs requis entre la
date de signification et la date d'audition. Cette
requête a été accueillie sur consentement. L'autre
émanait de la demanderesse; elle visait l'obtention
d'une ordonnance concluant à la poursuite des
procédures, et la permission de solliciter la fixation
de la date et du lieu de la reprise du procès. Les
faits peuvent se résumer ainsi:
La demanderesse a intenté une action pour obte-
nir une injonction interdisant aux défenderesses
d'utiliser la marque de commerce «CAC &
Design» en relation avec la publicité et la promo
tion des ventes d'articles manufacturés (à savoir
des bas-culottes fabriqués et distribués par la
défenderesse «Reliable» et vendus entre autres par
la défenderesse «F. W. Woolworth C'° Limitée») et
de laisser entendre au public que la demanderesse
approuve, certifie ou endosse ladite marchandise.
La demande d'injonction s'accompagnait d'une
réclamation en dommages-intérêts de $200,000
contre la défenderesse Reliable et de $100,000
contre la défenderesse Woolworth. L'action visait
aussi l'obtention d'une ordonnance enjoignant de
détruire tout le matériel publicitaire relatif auxdi-
tes marchandises et se trouvant en possession de
l'une ou l'autre des défenderesses.
Ces dernières ont déposé leurs conclusions en
défense le 28 octobre 1976 et consigné au greffe de
la Cour une somme de $1,000 conformément à la
Règle 441, [TRADUCTION] «à titre de somme con-
signée à la Cour au nom des deux défenderesses en
règlement de la cause d'action pour laquelle la
demanderesse, réclame une ou plusieurs sommes
en règlement de chacune et de toutes ces causes
d'action. Ladite consignation ne constitue nulle-
ment une admission de la cause d'action». On a
signifié à la demanderesse un avis de consignation
à la Cour portant que [TRADUCTION] «ladite
somme de $1,000 est déposée en règlement de
toutes les causes d'action revendiquées par la
demanderesse». En temps et lieu, celle-ci a accepté
ladite consignation dans les termes suivants: [TRA-
DUCTION] «Sachez que la demanderesse accepte la
somme de $1,000 consignée par les défenderesses
en règlement des causes d'action pour lesquelles
elle a été versée et qui font l'objet de l'action
introduite contre les défenderesses».
Les parties s'entendent sur les faits. La deman-
deresse reconnaît qu'il n'y avait qu'une cause d'ac-
tion et admet la déclaration des défenderesses
portant que toute prétendue infraction de leur part
a depuis longtemps cessé. Toutefois les défenderes-
ses n'admettent pas l'existence d'une telle infrac
tion, mais elles acceptent de remettre à la deman-
deresse tout matériel publicitaire qu'elles
posséderaient encore relativement à ces bas-culot
tes.
La demanderesse prétend qu'elle désire poursui-
vre le procès pour établir le principe selon lequel
personne ne peut utiliser sa marque de commerce
CAC ni s'appuyer sur ses essais et rapports pour
insinuer qu'elle endosse le produit en question. De
leur côté, les défenderesses soutiennent que, tout
litige étant réglé entre les parties depuis que la
demanderesse a accepté leur consignation de
$1,000, il faudrait surseoir aux procédures et clore
le dossier.
Le juge en chef adjoint Thurlow a traité de la
question dans une décision rendue en date du 24
août 1977 sur requête unilatérale du demandeur
en fixation d'une date pour le procès, dont la durée
prévue était de trois jours. Aux termes de cette
décision, puisque la déclaration mentionnait une
seule cause d'action à l'égard de laquelle le deman-
deur avait accepté la somme consignée à la Cour,
la Règle 443(3) s'appliquait. Il ne restait donc
audit demandeur qu'à prendre possession de l'ar-
gent, à faire taxer son mémoire et à recouvrer ses
frais. La demande de fixation par ordonnance de
l'heure et du lieu du procès devait être rejetée.
Cependant, dans l'éventualité où l'avocat désirerait
que la question soit tranchée après audition, un
délai de trente jours devrait s'écouler avant le rejet
formel de la demande afin de permettre au deman-
deur de solliciter une décision sur le point en cause
en vertu de la Règle 474, ou aux défendeurs de
présenter une demande de suspension des procédu-
res aux termes de la Règle 443(3). Ici, les deux
demandes ont été déposées, celle de la demande-
resse et celle des défenderesses. Voici le libellé de
la question de droit soumise par la demanderesse
aux termes de la Règle 474:
[TRADUCTION] Sursoit-on à toutes les procédures en cette
action au motif que la demanderesse a accepté l'argent consi
gné à la Cour par les deux défenderesses? En particulier,
sursoit-on aux procédures relatives à la demande de la deman-
deresse pour obtenir a) une injonction contre les deux défende-
resses, b) la remise de certains documents, et c) tout redresse-
ment autre ou supplémentaire que l'honorable Cour peut juger
approprié?
Il peut sembler de prime abord que les Règles
441 et 445 traitant de consignation à la Cour en
règlement d'une réclamation ne s'appliquent
qu'aux actions en recouvrement «d'une dette ou de
dommages-intérêts», selon leurs propres termes. En
l'espèce, il s'agit principalement d'une demande
d'injonction sur laquelle se greffe accessoirement
une réclamation de dommages-intérêts découlant
de la cause d'action qui a amené la demanderesse
à déposer une requête en injonction. Le libellé des
règles en question semble difficilement permettre
d'effectuer une consignation dans une action sans
accepter en même temps un jugement complet, y
compris l'octroi de l'injonction et de l'autre redres-
sement demandé. Lesdites règles évoquent les
«causes d'action» et il est admis que dans le présent
cas il n'y en avait qu'une seule; mais la demande-
resse prétend néanmoins que la consignation ne
satisfait que la réclamation d'ordre monétaire
découlant de la cause d'action, sans trancher les
autres questions et qu'elle a donc le droit de
procéder à l'égard d'icelles. On semble ici établir
un parallèle entre diverses réclamations différentes
découlant d'une cause d'action unique et plusieurs
causes d'action différentes prévues par ces règles.
Néanmoins, dans la situation actuelle, une consi-
gnation a eu lieu et la demanderesse l'a acceptée
sans réserve. On peut, il est vrai, plaider que le
libellé par les défenderesses de la consignation
(mais non celui de l'avis de consignation) semble
établir une distinction précise entre la cause d'ac-
tion à l'égard de laquelle la demanderesse réclame
une ou des sommes d'argent et les autres réclama-
tions, tout en énonçant que le règlement met fin à
toutes les causes d'action et à chacune d'elles. En
tout cas, je ne crois pas que cela puisse être
interprété comme une admission par les défende-
resses de l'existence de plus d'une cause d'action ni
qu'une telle admission lierait la Cour ou la deman-
deresse. Celle-ci admet elle-même l'existence d'une
seule cause d'action, malgré les divers types de
redressements demandés.
Il appert cependant qu'une certaine jurispru
dence anglaise à laquelle on m'a renvoyé, et qui
s'appuie sur des règles passablement semblables,
soulève un doute sur le bien-fondé de cette conclu
sion. The Supreme Court Practice 1976, Vol. 1,
renvoie à la page 364, note marginale 22/1/5, où
l'on dit:
[TRADUCTION] Cette ordonnance s'applique uniquement
aux actions «pour dettes ou dommages-intérêts», et non aux
actions en règlement de compte ... mais elle s'applique aux
actions en réclamation de dettes ou de dommages-intérêts
recherchés conjointement avec d'autres redressements (par ex.
injonction) voir Moon c. Dickinson, 63 L.T. 371. Dans un tel
cas, la consignation ne doit être relative qu'à la demande
d'indemnisation pour que cette règle lui soit applicable.
Dans l'affaire Moon c. Dickinson 63 L.T. 371, il
s'agissait d'une action visant l'obtention de dom-
mages-intérêts et d'une injonction, en raison d'un
acte dommageable. Les défendeurs niaient leur
responsabilité mais avaient consigné de l'argent au
greffe de la Cour relativement à l'action en dom-
mages-intérêts et le demandeur avait accepté la
somme en règlement de cette réclamation. Le
demandeur a alors fait taxer ses frais. Les défen-
deurs ont pour leur part prétendu que le deman-
deur devait payer leurs dépens, dont ceux de la
requête en injonction, au motif que l'acceptation
du demandeur équivalait à un avis d'abandon de
l'action. Il a été statué que, l'argent ayant été
consigné pour la réclamation de dommages-inté-
rêts seulement et accepté uniquement en règlement
d'icelle et donc l'action en cause n'étant pas entiè-
rement éteinte, la règle n'autorisait pas la taxation
des frais. Cependant, on a jugé que la lettre du
demandeur n'était pas un avis d'abandon permet-
tant aux défendeurs de réclamer leurs dépens.'
Dans l'affaire Coote c. Ford [1899] 2 Ch. 93,
auquel on m'a également renvoyé, il s'agissait
d'une action en dommages-intérêts pour violation
de propriété. On cherchait aussi à obtenir une
injonction. Tout en niant sa responsabilité et en
présentant une demande reconventionnelle, le
défendeur avait consigné une somme au greffe de
la Cour en règlement du litige, compte tenu de sa
responsabilité éventuelle. Le demandeur a fait
opposition à la demande reconventionnelle au
motif qu'en effectuant une consignation acceptée
par la partie adverse, le défendeur avait admis
l'entière cause d'action du demandeur. On a statué
qu'aucune admission du défendeur ne l'empêchait
de maintenir sa demande reconventionnelle et
qu'aucune acceptation par le demandeur d'un
règlement n'empêchait celui-ci de maintenir sa
demande d'injonction, la consignation n'ayant trait
qu'à l'action en dommages-intérêts du demandeur.
Aux pages 103-104, M. Lindley, Maître des rôles,
s'exprimait ainsi:
[TRADUCTION] La règle ne concerne que les actions en recou-
vrement de dette ou de dommages-intérêts: elle n'a rien à voir
avec les injonctions ordinaires. Je ne dis pas qu'elle n'a aucune
portée sur cette action, parce qu'en l'espèce, il s'agit d'une
action pour obtenir des dommages-intérêts et une injonction; et
dans la mesure où il s'agit d'une action en dommages-intérêts,
les défendeurs ont le droit de consigner de l'argent à la Cour. Si
le défendeur consigne de l'argent en vertu de la première partie
de cette règle, c'est-à-dire en règlement, il doit être réputé
admettre la réclamation ou la cause d'action pour laquelle la
consignation est faite. Ce n'est pas ce que les défendeurs ont
fait ici, ils ont consigné l'argent en vertu de la partie suivante
de la règle, c'est-à-dire en niant leur responsabilité. Dans ce
cas, la règle ne dit pas si la consignation en règlement doit être
considérée comme une admission de la réclamation ou de la
cause d'action.
et aux pages 104-105:
[TRADUCTION] Mais s'il s'agit d'une demande d'injonction en
même temps que de dommages-intérêts le défendeur ne peut,
par la consignation, s'en libérer, en ce qui a trait à l'injonction.
La question de savoir si le demandeur peut dans cette action,
comme le croyait le juge Stirling, poursuivre avec l'intention
d'obtenir une injonction peut se poser. Je crois qu'il le peut,
parce qu'un paiement judiciaire ne peut être fait en guise de
défense contre une injonction. Une telle consignation doit être
considérée seulement par rapport à l'action qui y a donné lieu,
l'action en dommages-intérêts.
Compte tenu de ces jugements, il semble y avoir
des doutes sur l'impossibilité de consigner judiciai-
rement, en vertu de nos Règles 441 445, une
somme relative à une réclamation de dommages-
intérêts dans des procédures pour injonction,
indemnisation et autres redressements, somme que
le demandeur puisse accepter sans préjudice de son
droit de poursuivre les autres moyens de redresse-
ment demandés. Si une décision définitive s'impo-
sait sur le point soulevé et sur la question de droit
plus générale de savoir si l'acceptation d'une consi-
gnation dans de telles actions entraîne l'arrêt de
tout autre élément de l'action en question, j'hésite-
rais à rendre une telle décision. Cependant, la
question de droit posée dans la présente requête de
la demanderesse est celle de savoir si l'on a sursis
[TRADUCTION] «aux autres procédures de l'ac-
tion». Alors que dans les arrêts anglais mentionnés,
d'importantes questions demeuraient en litige
entre les parties et devaient être tranchées, en
l'espèce il n'existe plus de litige, la prétendue
infraction ayant depuis longtemps cessé, de l'aveu
même de la demanderesse. Aucune injonction inu-
tile ne peut être accordée, c'est là un point de droit
fondamental. C'est également en vertu d'une règle
fondamentale qu'aucune action ne peut donner
lieu à procès en l'absence de question litigieuse. La
demanderesse désire obtenir une sorte de déclara-
tion qualifiant d'abusif et justiciable de prohibition
l'usage que les défenderesses ont fait de sa marque
de commerce et des conclusions qu'elle a publiées
après ses analyses de produits. Mais on ne devrait
pas demander à la Cour de se prononcer dans des
procédures où il ne reste plus de questions litigieu-
ses entre les parties. L'avocat de la demanderesse
propose d'amender les procédures afin de deman-
der une telle déclaration, mais je crois que la Cour
n'a pas à fixer une date de procès puisqu'il n'y a
nul besoin d'injonction. Je suis d'avis, compte tenu
des faits, qu'il faudrait surseoir aux présentes pro-
cédures et en conséquence j'accueillerai donc la
requête des défenderesses, et ce avec dépens. La
requête de la demanderesse visant la suspension
des procédures et la fixation par ordonnance de la
date et du lieu du procès sera rejetée avec dépens.
Puisque les deux requêtes ont été plaidées simulta-
nément, seules les défenderesses auront droit à
leurs dépens pour l'audition des deux requêtes.
ORDONNANCE
La requête des défenderesses visant à suspendre
les procédures de la demanderesse est accueillie
avec dépens. La requête de la demanderesse visant
la non-suspension des procédures et la permission
de solliciter une ordonnance fixant la date et le
lieu du procès est rejetée avec dépens, seules les
défenderesses ayant droit aux dépens pour l'audi-
tion des deux requêtes.
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