A-861-76
La Compagnie de chemins de fer nationaux du
Canada (Appelante)
c.
McPhail's Equipment Company Ltd. (Intimée)
Cour d'appel, les juges Pratte, Heald et Urie—
Vancouver, le 17 mai; Ottawa, le 2 juin 1977.
Expropriation — Document exempt de communication en
action — Dépôt du plan d'expropriation — Rapport d'évalua-
tion reçu après le dépôt — Conseil juridique minimal sur ce
point — Plusieurs mois de négociation avant le commencement
de l'action — Le rapport d'évaluation est-il exempt de
communication?
Le 5 novembre 1974, l'appelante déposa un plan d'expropria-
tion et, le 17 décembre 1974, reçut un rapport d'évaluation
estimant la valeur des terrains. Jusqu'à ce stade, le fonction-
naire responsable de l'expropriation avait reçu l'aide juridique
minimale. Après plusieurs mois de négociations, l'action fut
intentée pour déterminer la valeur des terrains expropriés.
L'appelante allègue que le rapport d'évaluation est exempt de
communication parce que le document a été préparé en prévi-
sion du litige.
Arrêt: l'appel est rejeté. On peut sans doute affirmer que
toutes les expropriations, dont la présente, sont d'éventuelles
sources de litige et, donc, que le rapport d'évaluation en cause
avait peut-être été rédigé en prévision d'un litige; pourtant
l'évaluation avait seulement pour but de fixer la valeur du
terrain de l'intimée et d'aider l'appelante à se faire une idée sur
cette question. Le simple fait que l'appelante savait que son
opinion pourrait être contestée ne l'autorisait pas en soi à
demander l'exemption de communication. L'appelante devait
d'abord utiliser le rapport dans le but de se faire une opinion
sur la valeur du terrain avant l'apparition d'un éventuel litige
en matière d'expropriation. L'attribution de l'exemption de
communication à l'appelante dans la présente affaire équivau-
drait à accorder une exemption générale aux documents rédigés
à l'occasion de la quasi-totalité des expropriations, bien qu'il
soit reconnu que, sans doute, la plupart des cas sont réglés à
l'amiable entre le propriétaire et l'administration expropriante.
Arrêt approuvé: Alfred Crompton Amusement Machines
Ltd. c. Commissioners of Customs and Excise (N° 2)
[1973] 2 All E.R. 1169.
APPEL.
AVOCATS:
Edward C. Chiasson et Vincent R. K.
Orchard pour l'appelante.
D. Barry Kirkham pour l'intimée.
PROCUREURS:
Ladner, Downs, Vancouver, pour l'appelante.
Owen, Bird, Vancouver, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: L'appelante n'a pas établi le
bien-fondé de sa demande visant à exempter de
communication le rapport d'évaluation daté du 17
décembre 1974 et rédigé par Cunningham and
Rivard Appraisals Limited (ci-après appelé l'«éva-
luation de Cunningham»). Elle n'a pas démontré
qu'un litige était «prévisible». L'appelante n'avait
fondé sa demande que sur cet argument.
Les faits à l'origine de ce litige sont assez sim-
ples. La ligne principale du chemin de fer de
l'appelante se trouve sur la rive sud de la rivière
Fraser, près de New Westminster (C.-B.). La pro-
priété expropriée est située près du sud de la ligne
principale de l'appelante et à l'est du pont Port
Mann qui franchit la rivière Fraser. L'une des
principales gares de triage de l'appelante se trou-
vait à l'ouest du pont Port Mann et la compagnie
envisageait, en 1974, d'étendre cette gare à l'est du
pont Port Mann. Cet agrandissement impliquait
l'acquisition d'une grande étendue de terrain adja-
cente à la ligne de chemin de fer existante. L'inti-
mée détenait une partie de ce terrain.
Le 17 juin 1974, certains cadres de l'appelante
ont tenu une réunion pour étudier l'achat éventuel
du terrain nécessaire, y compris la partie apparte-
nant à l'intimée. Leur recommandation faite aux
cadres supérieurs visait l'achat du terrain en cause
par le chemin de fer. Ces derniers ont donné leur
approbation définitive très peu de temps avant la
date de l'expropriation (5 novembre 1974). Le 2
octobre 1974, le service immobilier de l'appelante,
sous la surveillance de son directeur, Ronald A.
MacDonald, a établi une prévision budgétaire inti-
tulée [TRADUCTION] «Affectation de fonds, année
1974». Ce document recommandait l'achat du ter
rain nécessaire au prix estimatif de quatre millions
de dollars. A cette date, l'appelante n'avait pas fait
visiter la propriété par ses propres employés et elle
n'avait pas fait estimer la valeur respective des
parcelles en cause (il y avait environ six propriétai-
res différents). Le document du 2 octobre visait,
d'après les instructions de ses auteurs, à estimer,
pour les fins du budget, le coût probable de l'achat
du terrain nécessaire à l'est du pont Port Mann. Le
12 novembre 1974, MacDonald a demandé l'éva-
luation de Cunningham afin de faciliter l'évalua-
tion du terrain pour les fins du budget. A ce
moment-là, MacDonald n'avait pas encore con
sulté d'avocat sur la question'. Par la suite, à une
date que ne précisent pas les dépositions, mais
probablement vers le 30 décembre 1974, une troi-
sième page a été ajoutée au mémoire du 2 octobre
1974. Cela a eu pour conséquence de réduire de
quatre millions à deux millions de dollars la prévi-
sion budgétaire pour l'achat du terrain, laquelle
était fondée en partie sur les résultats des deux
évaluations indépendantes, celle de Cunningham et
celle de Penny.
Comme je l'ai déjà dit, le plan du terrain expro-
prié a été déposé le 5 novembre 1974. L'appelante
et l'intimée ne se sont pas du tout consultées
pendant plusieurs mois. L'appelante a introduit la
présente action afin de fixer l'indemnité payable à
l'intimée, le 1" octobre 1975.
Sur la foi des deux évaluations indépendantes et
d'une évaluation interne, le 30 décembre 1974,
MacDonald a conseillé au_ cadre préposé au budget
de l'appelante de réviser les crédits alloués à l'ac-
quisition de terrain, en conformité avec les rensei-
gnements fournis par les deux évaluateurs indépen-
dants et par l'évaluateur de la compagnie et en
conformité avec la page 3 du mémoire du 2 octo-
bre susmentionné.
Selon MacDonald, il a demandé les évaluations
indépendantes dans le but de l'aider à se faire une
idée de la valeur du terrain de l'intimée, à obtenir
une affectation de crédits, puis à négocier l'achat
du terrain avec l'intimée 2 .
La preuve n'établit pas la date de la première
consultation du contentieux de l'appelante à
propos de la présente action mais on peut à juste
titre déduire de la preuve que cette consultation a
eu lieu très peu de temps avant le 1" octobre 1975,
date de l'introduction de l'action. Le contentieux
de l'appelante n'a été consulté qu'une seule fois en
1974 sur cette affaire. L'un des procureurs de
l'appelante à Vancouver a étudié le plan de la
propriété et il l'a fait enregistrer. Personne n'a
prétendu que cet avocat avait été consulté au sujet
d'un litige éventuel ni que l'évaluation de Cunning-
ham lui avait été soumise. La seule preuve à
l'appui de la demande de l'appelante relative à
' Dossier d'appel, aux pp. 46 et 47.
2 Dossier d'appel, [annexe] p. 148 et pp. 179 à 180.
l'exemption de communication est fournie par l'af-
fidavit de MacDonald. D'après ce document, l'ap-
pelante, a priori, voit toujours une source de litige
dans les expropriations et elle a élaboré au cours
des ans une série de règles en la matière, qui
consiste, entre autres, à demander des évaluations
indépendantes dans des cas de la nature de l'expro-
priation en cause.
Étudions maintenant les principes de droit appli-
cables à une telle situation de fait. Les renseigne-
ments échangés entre une partie et un mandataire
qui n'est pas un avocat sont seulement exempts de
communication, selon moi, s'ils sont donnés à la
fois—(l) pour être transmis à un avocat dans le
but d'obtenir un conseil ou de lui permettre d'in-
tenter des poursuites, de présenter une défense ou
de préparer un dossier, et (2) pour les fins d'un
procès actuel ou prévisible à ce moment-là.
L'exemption de communication est sujette à ces
deux conditions 3 . A la page 916 de Williston and
Rolls, l'auteur dit:
[TRADUCTION] Tous les documents et toutes les copies des
documents rédigés dans le but, mais pas nécessairement dans le
seul et unique but, d'aider une partie ou ses conseillers juridi-
ques dans un litige actuel ou éventuel sont dispensés de
production.
Il ajoute à la page 917:
[TRADUCTION] Les documents antérieurs au litige et qui n'ont
pas été rédigés dans le but d'obtenir un conseil juridique ne sont
pas exemptés ... même s'ils sont entre les mains d'un avocat en
vue d'un procès.... L'exemption de production ne peut exister
que si l'éventualité d'un litige est réelle. [C'est moi qui
souligne.]
En l'espèce, l'évaluation de Cunningham a été
demandée le 12 novembre 1974 et elle a été reçue
le 17 décembre 1974. Selon les dépositions, l'éva-
luation avait pour but de permettre à l'appelante
de se faire une opinion bien documentée sur la
valeur du terrain pour établir une prévision budgé-
taire et pour ensuite négocier l'achat du terrain de
l'intimée. L'expropriation n'avait eu lieu que le 5
novembre 1974. Le service immobilier de l'appe-
lante n'avait pas consulté le contentieux. Les négo-
ciations n'avaient pas commencé et l'appelante
n'avait pas pris contact avec l'intimée. D'après les
faits, on ne pouvait raisonnablement prévoir le 5
novembre 1974 qu'il y aurait matière à litige. Tant
3 Voir: Williston and Rolls, The Law of Civil Procedure,
1970, vol. 2, à la p. 827, citant Halsbury's Laws of England,
(3e éd.), vol. 12, p. 45.
que l'appelante ne s'était pas faite une opinion
réaliste et objective sur la valeur du terrain et ne
disposait pas des fonds nécessaires pour négocier,
elle ne pouvait pas entrer en contact avec l'intimée
pour commencer les négociations. L'appelante ne
pouvait connaître la réaction de l'intimée à son
offre qu'après le début des négociations. Il se
pouvait que l'intimée accepte l'offre de l'appelante
en premier lieu ou que les parties concluent un
accord après plusieurs mois de longues négocia-
tions. On ne pouvait prévoir l'uéventualité d'un
litige» qu'après l'échec de toutes les tentatives de
règlement. De fait, en l'espèce, les négociations ont
duré plusieurs mois car l'instance n'a été introduite
que le 1" octobre 1975.
Je m'appuie, en l'espèce, sur la décision de la
Chambre des Lords dans Alfred Crompton
Amusement Machines Ltd. c. Commissioners of
Customs and Excise (NO2) 4 . Dans cette affaire-là,
les Commissaires voulaient exempter de communi
cation (1) des lettres et des rapports, etc., échangés
entre les Commissaires et leurs fonctionnaires, pré-
posés et agents; ces documents avaient été rédigés
dans le but d'obtenir des renseignements pour un
arbitrage à un moment où, selon les Commissaires,
l'arbitrage était envisagé ou en instance; et (2) des
documents confidentiels envoyés par des tiers qui
contenaient des renseignements et devaient servir
en preuve lors de l'arbitrage. Il a été statué qu'au-
cune des catégories de documents n'était exempte
de communication parce que les documents
avaient, en fait, une seule fin générale, savoir la
fixation du prix de gros des marchandises de l'ap-
pelante. Les documents avaient pour seul but
immédiat d'aider les Commissaires à fixer le prix
réel. Le simple fait que les Commissaires savaient
que leur avis pourrait être contesté ne les autorisait
pas en soi à prétendre que les documents étaient
exempts de communication. Les Commissaires
devaient d'abord utiliser les documents pour être
en mesure de se faire une opinion sur le prix avant
que ne naisse la possibilité d'un arbitrage et avant
que leur procureur ne les utilise afin de défendre
leur opinion lors de l'éventuel arbitrages.
4 [1973] 2 All E.R. 1169.
S Voir les motifs du lord Cross, particulièrement aux pp. 1182
à 1184, où il analyse la jurisprudence contradictoire.
On peut sans doute affirmer ici que toutes les
expropriations, dont la présente, sont d'éventuelles
sources de litiges et, donc, que le rapport d'évalua-
tion en cause avait peut-être été rédigé en prévi-
sion d'un litige; pourtant, l'évaluation avait seule-
ment pour but de fixer la valeur du terrain de
l'intimée et d'aider l'appelante à se faire une idée
sur cette question. Le simple fait que l'appelante
savait que son opinion pourrait être contestée ne
l'autorisait pas en soi à demander l'exemption de
communication. L'appelante devait d'abord utili-
ser le rapport dans le but de se faire une opinion
sur la valeur du terrain avant l'apparition d'un
éventuel litige en matière d'expropriation.
Dans l'affaire Crompton (précitée), lord ]Cil-
brandon, qui a souscrit au jugement de lord Cross,
dit à la page 1185:
[TRADUCTION] A mon avis, il faut cesser de coter "confiden-
tiel» tous les documents, surtout s'ils portent, comme ils le font
normalement, sur des demandes de règlement de dommages
accidentels.
Je souscris à cet avis et je n'hésite pas, en l'appli-
quant en l'espèce, à affirmer que l'attribution de
l'exemption de communication à l'appelante dans
la présente affaire équivaudrait à accorder une
exemption générale aux documents rédigés à l'oc-
casion de la quasi-totalité des expropriations bien
qu'il soit reconnu que, sans doute, la plupart des
cas sont réglés à l'amiable entre le propriétaire et
l'administration expropriante.
Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel
avec dépens.
*:
LE JUGE PRATTE: Je souscris à ce jugement.
*:
LE JUGE URIE: Je souscris à ce jugement.
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