T-2025-76
Les propriétaires, capitaine et équipage du navire
Walther Herwig, le Bundesminister fuer Ernaeh-
rung, Landwirtschaft und Forsten, Bonn, ministre
du Gouvernement de la République fédérale d'Al-
lemagne (propriétaires), et le capitaine Theodor
Frerichs, de Hambourg, République fédérale d'Al-
lemagne (commandant de bord), en leur nom
propre et pour le compte des membres de l'équi-
page du navire Walther Herwig (Demandeurs)
c.
Fishery Products Limited et le navire Zambezi
(Défendeurs)
Division de première instance, le juge Marceau—
Ottawa, les 16 et 25 mai 1977.
Droit maritime — Sauvetage — Le navire sauveteur appar-
tient au gouvernement étranger — Ce propriétaire peut-il
réclamer une indemnité de sauvetage? — Un intérêt est-il
payable sur cette indemnité — Loi sur la marine marchande
du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, art. 531(1).
Le propriétaire, capitaine et équipage du navire, Walther
Herwig, un navire de recherche appartenant au Gouvernement
de la République fédérale d'Allemagne, réclament une indem-
nité pour le sauvetage du navire Zambezi en 1973. Tout en
reconnaissant que le capitaine et l'équipage ont droit à une part
de l'indemnité, les défendeurs contestent le droit du propriétaire
de réclamer sa part. La question de savoir si le propriétaire a
droit à une indemnité, celle de savoir si un intérêt est payable
sur la somme allouée, à quelle date et à quel taux, sont
soumises à la Cour pour adjudication aux lieu et place du
procès.
Arrêt: le Gouvernement de la République fédérale d'Allema-
gne a droit à sa part, et un intérêt est payable depuis la date du
dépôt de la déclaration, au taux de base depuis le sauvetage. La
règle générale veut que le propriétaire d'un navire appelé à
rendre des services de sauvetage ait droit de réclamer et
d'obtenir un dédommagement. Les défendeurs s'appuient sur la
restriction relativement aux services de sauvetage rendus par
des navires canadiens et sur le principe de l'immunité étatique.
La doctrine de l'immunité n'a rien à voir avec la question
soulevée ici. Il n'y a aucune raison pour laquelle les navires
d'etat seraient exclus de l'application de la règle générale et
empêchés de réclamer une indemnité équitable et bien méritée
pour des services de sauvetage. En principe, les sauveteurs n'ont
droit à aucun intérêt puisque les services sont rendus volontaire-
ment et non en exécution d'une obligation contractuelle préexis-
tante ou de quelque devoir officiel dont le propriétaire du bien
sauvé aurait été créancier. Mais si, sans que les sauveteurs
soient en faute, une longue période s'est écoulée entre l'époque
où les services ont été rendus et celle où l'indemnité est
accordée, il faudrait tenir compte de ce délai. Considérant que
les services ont été rendus il y a plus de trois ans mais
qu'aucune preuve n'a été faite relativement à la cause du
retard, l'intérêt couru depuis la date de production de la
déclaration est accordé.
ADJUDICATION.
AVOCATS:
R. G. Chauvin, c.r., pour les demandeurs.
P. J. Lewis, c.r., pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Chauvin, Marier & Baudry, Montréal, pour
les demandeurs.
Lewis & Sinnott, St-Jean, pour les défen-
deurs.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE MARCEAU: Le demandeur, Bundes-
minister fuer Ernaehrung, Landwirtschaft und
Forsten, de Bonn, ministre du Gouvernement de la
République fédérale d'Allemagne (ci-après appelé
le «Bundesminister demandeur») et les défendeurs
se sont entendus pour exposer, en les admettant,
les faits qui ont donné lieu à leur litige et pour
formuler les questions qu'ils soulèvent dans un
énoncé spécial de cause soumis pour adjudication
aux lieu et place du procès.
Il s'agit d'une action en indemnité de sauvetage.
En octobre 1973, alors qu'il traversait l'Atlanti-
que, de la Norvège à Terre-Neuve, le Zambezi, un
navire de la compagnie défenderesse, perdit sa
force propulsive et devint en grand danger de
sombrer. Il fut alors secouru et sauvé par le capi-
taine et l'équipage du navire Walther Herwig, un
navire de pêche de recherche qui appartenait au
demandeur en sa qualité de ministre du Gouverne-
ment de la République fédérale d'Allemagne. Du
20 au 25 octobre, le Walther Herwig a remorqué le
Zambezi, d'abord à travers les eaux internationa-
les, puis dans les eaux canadiennes, jusqu'à son
port de destination. Le propriétaire du Walther
Herwig, ainsi que le capitaine et l'équipage, récla-
mèrent par la suite une indemnité de sauvetage.
De longues négociations s'en suivirent; elles n'ap-
portèrent aucun résultat positif. Le Bundesminis-
ter, le capitaine et l'équipage intentèrent finale-
ment la présente action.
Depuis que l'action a été prise, le litige opposant
les parties s'est simplifié. L'indemnité a été fixée à
$58,050 et il a été convenu que la somme devait
être attribuée pour un tiers au capitaine et à son
équipage et pour les deux tiers au propriétaire du
navire. Tout en contestant le droit du Bundes-
minister de réclamer sa part de l'indemnité, les
défendeurs ont reconnu que le capitaine et l'équi-
page avaient droit d'être rémunérés pour leurs
services: ils ont fait des offres réelles de $19,350,
près le tribunal, en règlement définitif de la partie
de la demande qui s'y rapportait. Le capitaine et
l'équipage ont accepté les offres, sans admettre
que l'intérêt couru sur la somme versée puisse leur
être dénié et sans préjudice des droits ou recours
du propriétaire.
La première question en litige formulée par les
parties dans leur exposé de cause est donc la
suivante:
[TRADUCTION] Le Bundesminister, demandeur à titre de pro-
priétaire du navire RWALTHER HERWIG», a-t-il droit à une
indemnité, et à jugement en conséquence, pour les services de
sauvetage exposés ci-dessus, indemnité devant être établie, si
droit il y a, à $38,700.00?
Les défendeurs contestent le droit du Bundes-
minister (à titre de propriétaire) à quelque indem-
nité que ce soit pour les services de sauvetage
rendus, au motif que, le Walther Herwig apparte-
nant à un gouvernement et n'étant pas un navire
de commerce mais un navire de pêche de recher-
che, son propriétaire n'a pas droit à une indemnité
de cette nature. En vertu des usages internatio-
naux, disent-ils, les navires d'État ne peuvent
réclamer récompense pour services de sauvetage.
Quel serait le fondement d'une si importante
exception à la règle générale voulant que le pro-
priétaire d'un navire appelé à rendre des services
de sauvetage ait droit de réclamer et d'obtenir un
dédommagement (articles 515 et suivants de la Loi
sur la marine marchande du Canada, S.R.C.
1970, c. S-9)? L'avocat des défendeurs, si je com-
prends bien son argumentation, s'appuie sur la
toile de fond, si l'on peut dire, que suggère la
restriction qui a existé en Angleterre, et existe
toujours ici (article 531(1) de la Loi sur la marine
marchande du Canada'), relativement aux servi
ces de sauvetage rendus par des navires apparte-
nant à Sa Majesté et il invoque d'autre part le
principe bien connu de l'immunité étatique admis
internationalement, et spécialement par nos tribu-
naux. Pourtant, je ne vois pas comment la restric
tion dont il est fait état—abolie en Angleterre
depuis plus de trente ans par le Crown Proceedings
Act, 1947, c. 44, art. 8(2), prouverait l'existence
d'une norme obligatoire du droit international;
d'autre part, à mon avis, la théorie de l'immunité
étatique qui concerne la possibilité de mettre en
cause un souverain étranger devant les tribunaux
d'un pays n'a rien à voir avec la question soulevée
ici. Je ne puis comprendre pourquoi les navires
d'État seraient exclus de l'application de la règle
générale et empêchés de réclamer une indemnité,
équitable et bien méritée, pour des services de
sauvetage qu'ils ont été appelés à rendre.
Je réponds donc par l'affirmative à la première
question.
Voici la deuxième question:
[TRADUCTION] Le Bundesminister, demandeur, a-t-il droit,
advenant qu'il soit habilité à recevoir l'indemnité de sauvetage
évoquée à la question précédente, à l'intérêt couru sur ladite
somme de $38,700.00 et, si tel est le cas, à compter de quelle
date et à quel taux?
Le droit du sauveteur à une indemnisation pour
services de sauvetage rendus, quoique reconnu for-
mellement par la Loi sur la marine marchande du
Canada, est un droit bien particulier que régissent
les règles d'Amirauté traditionnelles. Il importe de
se rappeler que les services pour lesquels récom-
' 531. (1) Lorsque des services de sauvetage sont rendus par
un navire appartenant à Sa Majesté, qui n'est pas un navire
spPcialement muni d'appareils de renflouement ni un remor-
queur, ou par le commandant ou l'équipage de ce navire,
aucune réclamation n'est admise pour les pertes, avaries ou
risques occasionnés au navire ou à ses approvisionnements, son
outillage de chargement ou ses accessoires, ni pour l'emploi
d'approvisionnements ou d'autres articles appartenant à Sa
Majesté et fournis afin de rendre ces services, ni pour toutes
autres dépenses ou pertes subies par Sa Majesté par suite de ces
services; et aucune réclamation en indemnité de service de
sauvetage, faite par le commandant, l'équipage ou une partie de
l'équipage d'un navire appartenant à Sa Majesté, ne doit faire
l'objet d'une décision définitive, sauf preuve du consentement
du gouverneur en conseil à la poursuite de cette réclamation; ce
consentement peut être donné en tout temps avant la décision
définitive.
pense est réclamée ont été rendus volontairement
et non en exécution d'une obligation contractuelle
préexistante ou de quelque devoir officiel dont le
propriétaire du bien sauvé aurait été créancier.
Qu'en principe les sauveteurs n'aient pas droit à
des intérêts, cela se comprend facilement (affaire
Le «De Bay» (1883) 8 App. Cas. 559). Il est admis
toutefois que si, [TRADUCTION] «sans que les sau-
veteurs soient en faute, une longue période s'est
écoulée entre l'époque où les services ont été
rendus et celle où l'indemnité est accordée, il
faudrait tenir compte de ce délai» (Kennedy, Civil
Salvage, 4 e éd., p. 224). Partant de là, considérant
que les services ont été rendus il y a plus de trois
ans mais qu'aucune preuve n'a été faite relative-
ment à la cause du retard à engager l'action, je
suis prêt à accorder l'intérêt couru depuis le 27
mai 1976, date de production de la déclaration, au
taux de 8.25%, taux qui est, de l'avis des parties
elles-mêmes, le «taux de base» demandé par les
établissements de crédit à leurs clients, entre 1973
et 1977.
Quant à la troisième question posée, je répon-
drai que je ne vois aucune raison de priver la
demanderesse de ses dépens dans la présente
action.
Jugement sera rendu en conséquence.
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