T-2934-76
International Marine Banking Co. Limited
(Demanderesse)
c.
Le pétrolier Dora et Abyreuth Shipping Company
Limited (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Collier—
Montréal, le 7 mars; Ottawa, le 11 mars 1977.
Droit maritime — Requête visant la révision de la taxation
du compte du prévôt — Les Règles de la Cour fédérale
prévoient-elles les droits des prévôts? — Un prévôt employé
par la Fonction publique peut-il percevoir des droits et les
conserver pour lui-même? — Loi sur la Cour fédérale, art.
46(1)1) et 55(5) — Règles 1003(9),(10) et 1007(7),(8) de la
Cour fédérale.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Guy Vaillancourt pour la demanderesse.
Marc Nadon pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Langlois, Drouin, Roy, Fréchette & Gau-
dreau, Québec, pour la demanderesse.
Martineau, Walker, Allison, Beaulieu, Mac -
Kell & Clermont, Montréal, pour les
défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Il s'agit d'une requête de la
demanderesse visant la révision de la taxation du
compte du prévôt. Elle est introduite en vertu de la
Règle 1007(8) dont voici le libellé:
(8) Un officier taxateur doit taxer le compte du prévôt, et il
doit faire rapport du montant qu'il estime devoir être approuvé;
et toute partie ayant des droits sur le produit peut être entendue
sur la procédure de la taxation. On peut, par voie de requête,
demander à la Cour la revison de la taxation de l'officier
taxateur.
La révision demandée porte uniquement sur un
poste du compte du prévôt, soit un montant de
$99,750 que ce dernier réclame à titre de «droits
d'exécution». Après les débats, j'ai réduit à
$15,000 les droits payables au prévôt. J'expose
maintenant mes motifs.
Un exposé des principaux faits s'impose.
Le Dora est un pétrolier d'un port en lourd de
95,000 tonnes. Il a été saisi au port de Québec le
26 juillet 1976, suite à un mandat obtenu au nom
de son capitaine et de son équipage. La demande-
resse, une créancière hypothécaire, a intenté son
action le jour suivant et a obtenu un mandat
qu'elle a exécuté en saisissant le navire. Par la
suite, le Dora a été vendu. La créance hypothé-
caire s'est avérée supérieure au montant réalisé par
la vente. Depuis le 27 juillet 1976, la créancière
hypothécaire et ses procureurs ont pris toute l'ini-
tiative pour faire vendre le navire.
La Règle 1003(9) prescrit que la signification
d'un mandat de saisie
... ne confère au prévôt ou autre personne qui a procédé à la
saisie ni la possession des biens saisis, ni la responsabilité de
leur garde et entretien; cette possession et cette responsabilité
sont laissées aux personnes qui étaient en possession des biens
immédiatement avant la saisie.
Dans la présente affaire, je ne sais pas qui avait
la possession de jure ou de facto immédiatement
avant la saisie du Dora. De fait, entre le 27 juillet
1976 et la date de nomination du prévôt, la deman-
deresse contrôlait certainement sa destinée.
La demanderesse a essayé en vain de faire
nommer des mandataires par la Cour (en fait
rétroactivement) pour assurer l'entretien et la
garde du navire. La demanderesse s'en était déjà
chargé et à ses frais. Le 19 août 1976, le juge en
chef adjoint Thurlow a rejeté cette demande.'
Le 24 août 1976, le juge en chef adjoint s'est
prononcé sur une autre requête de la demanderes-
se 2 visant à obtenir une ordonnance en vue de
vendre le Dora par contrat privé, à un particulier,
pour la somme de $5,900,000. Cette demande a
été rejetée.
La demanderesse a présenté une nouvelle
demande visant à permettre au prévôt de prendre
possession du Dora, de le faire évaluer, de l'annon-
cer et de le vendre de la façon normale. On
demandait également certaines autres directives.
Une difficulté s'est présentée pour déterminer qui
pouvait agir comme prévôt dans le district de
Québec (où se trouvait le navire). Il n'y avait pas
' [1977] 1 C.F. 282.
2 [1977] 1 C.F. 603.
de shérif. La demanderesse avait suggéré qu'une
firme de huissiers soit nommée comme prévôt. La
Cour était d'avis que cela ne convenait pas et pour
résoudre cette difficulté elle a rendu une ordon-
nance spéciale visant ce cas particulier, en vertu du
paragraphe 55(5) de la Loi sur la Cour fédérale.
(Voir les motifs du juge en chef adjoint Thurlow,
en date du 7 septembre 1976.)
M. L. J. Daoust, en l'occurrence, l'administra-
teur de la Cour fédérale pour le district de Mont-
réal, a été nommé. Sa nomination prenait effet le 8
septembre. On lui donnait de vastes pouvoirs et
responsabilités. Il pouvait employer un agent mari
time nommé, pour l'entretien du navire, payer le
salaire des membres d'équipage et les rapatrier; un
courtier d'assurance nommé pour fournir l'assu-
rance nécessaire en attendant la vente; et un cour
tier maritime nommé pour effectuer la vente dudit
navire. On avait fixé à 1% la commission de ce
dernier.
Ce n'est que le 20 septembre 1976 que M.
Daoust a pris possession du navire et a assumé sa
charge. On avait exigé que la demanderesse dépose
une promesse et un cautionnement pour garantir le
paiement des frais ou honoraires du prévôt. Ce
n'est que le 20 septembre que la forme et le
montant de cette garantie ont été approuvés.
Pour terminer ce récit je mentionne que le
navire a été vendu pour $6,650,000. Le prévôt a
remis possession à l'acheteur et ce transfert a pris
effet le 29 octobre 1976. La commission des cour
tiers maritimes s'est élevée à $66,500 et leurs
dépenses se sont chiffrées à $3,907.51. Les agents
maritimes ont réclamé des honoraires de $100 par
jour.
Dans le calcul de ses honoraires, le prévôt a eu
recours à l'article 8 du Tarif A des Règles, que l'on
retrouve sous la rubrique «Shérif». Si cet article est
applicable et obligatoire, on peut dire que le prévôt
pouvait en fait «recevoir» le montant de $99,500.
Voici le libellé de cet article:
8. Dans une province où il n'est pas légalement prévu de
droits d'exécution pour la conversion en espèces, ou de droits
d'exécution sur la somme recouvrée, un shérif peut également
prendre et recevoir ce qui suit: pour les exécutions et les brefs
qui ont un caractère d'exécution, des droits d'exécution sur la
somme recouvrée; ces droits étant de cinq pour cent jusqu'à
$1,000 inclusivement, de deux et demi pour cent pour la
tranche allant de $1,000 $4,000 inclusivement et de un et
demi pour cent sur la tranche en sus de $4,000 (ces droits étant
en sus des frais de route pour aller effectuer la saisie et vendre
et de tous les débours raisonnables et nécessaires qui ont été
réellement effectués pour la garde, le soin et l'enlèvement des
biens).
Dans In re le «Xanadu»: West Line Inc. c. Le
«Xanadu» (T-3709-73, 9 août 1974, non publié),
j'ai examiné la question de savoir si les articles 7 à
9 s'appliquaient aux droits des prévôts. Dans cette
affaire-là le shérif du comté de Vancouver agissait
comme prévôt. Il n'avait jamais été nommé shérif
ou prévôt de la Cour fédérale en vertu du paragra-
phe 13(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Cepen-
dant, en vertu du paragraphe 13(2), il était de
droit shérif de la Cour. Le paragraphe 13(4) édicte
que tout shérif (pas nécessairement le shérif de
droit) est de droit prévôt de la Cour. Et j'ai dit à
cette époque ne pas savoir si le shérif dans l'affaire
Xanadu était devenu de droit prévôt (je l'ignore
toujours). Les parties avaient procédé croyant qu'il
agissait en tout temps comme prévôt. Comme M.
Daoust, il avait calculé ses droits conformément au
Tarif A en adoptant l'indemnité permise en
Colombie-Britannique aux termes de l'article 7,
J'ai jugé que les articles 7 à 9 ne s'appliquaient
pas aux droits que pouvaient réclamer les prévôts:
J'ai conclu que les articles 7 à 9 du Tarif A s'appliquent
seulement aux shérifs et aux personnes agissant en qualité de
shérifs dans des circonstances particulières, et ne s'appliquent
pas aux prévôts ou personnes agissant en tant que prévôts dans
certaines circonstances.
J'ai conclu que les Règles de la Cour fédérale
(par opposition aux anciennes Règles d'Amirauté
à la Cour de l'Échiquier) ne prévoyaient pas la
façon de calculer les droits des prévôts. Mais j'ai
néanmoins conclu que les prévôts étaient fondés à
recevoir des droits: je m'exprime ainsi à la page 10:
Je conclus donc que les seules dispositions applicables en
l'espèce sont les paragraphes 7 et 8 de la Règle 1007. Le
compte du prévôt dont il est fait mention, comprend, à mon
sens, son propre décompte de droits. Il n'y est aucunement
indiqué comment il doit calculer le montant de ces droits.
J'aurais dû ajouter que le paragraphe 55(5) de
la Loi sur la Cour fédérale et la Règle 1003(10)
prévoient que les prévôts ou les personnes agissant
en cette qualité peuvent exiger et recevoir des
droits. L'alinéa 46(1)f) de la Loi sur la Cour
fédérale prévoit l'établissement de règles pour
fixer les droits des prévôts et des shérifs et pour
réglementer leur obligation de rendre compte de
ces droits, ou de leur droit de les conserver pour
eux-mêmes.
L'avocat de la demanderesse, Me Vaillancourt,
s'appuie sur la décision Xanadu dans la mesure où
elle déclare que l'article 8 du Tarif A ne s'applique
pas aux prévôts. En l'espèce, allègue-t-il, en raison
des circonstances exceptionnelles, la Cour par une
ordonnance spéciale rendue en vertu du paragra-
phe 55(5), a fait adresser "... le bref . .. à toute
autre personne ... et une telle personne a le droit
de percevoir et conserver pour elle-même les droits
qui peuvent être prévus par les Règles ou cette
ordonnance spéciale»; M. Daoust est un fonction-
naire de la Cour nommé en vertu de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique; selon la déci-
sion Xanadu les Règles de la Cour ne prévoient
pas les droits des prévôts; l'ordonnance spéciale de
la Cour ne précisait pas les droits que M. Daoust
pouvait percevoir et conserver pour lui-même; en
tant que fonctionnaire il ne pouvait conserver
aucun droit pour lui-même aussi, dans ce cas
particulier, aucun droit ne peut être exigé ou payé.
Je n'admets pas ces affirmations. A mon avis, et
si la décision Xanadu est bien fondée, le fait que
les Règles ne précisent pas actuellement les droits
que peuvent percevoir ou conserver les prévôts, ne
signifie pas qu'aucun droit n'est payable ni que les
droits payables doivent être prévus dans une
ordonnance spéciale. Le pouvoir de fixer les droits
en vertu de l'alinéa 46(1)f) et du paragraphe 55(5)
n'est que facultatif. L'omission de fixer les droits
dans l'un ou l'autre cas ne fait pas perdre à un
prévôt ou à une personne agissant en cette qualité
le droit de les percevoir. La Loi et les Règles
envisagent la possibilité d'exiger des droits pour les
services des prévôts et leur paiement (alinéa
46(1)f), paragraphe 55(5), Règle 1003(10); Règle
1007(7) et (8)).
Je ne crois pas non plus que les dispositions qui
autorisent la Cour à fixer, par règles ou ordonnan-
ces spéciales, les droits que peuvent conserver les
prévôts pour eux-mêmes, ou dont ils doivent rendre
compte à leur ministère ou employeur, influent sur
cette question. Ces dispositions ne traitent pas du
droit d'un prévôt d'exiger des parties au litige le
paiement de droits. Elles ne font qu'établir ce qu'il
advient de ces droits après leur imposition et leur
paiement.
Je suis donc convaincu qu'en l'espèce, le prévôt
est fondé à recevoir des droits; il reste à en établir
le montant.
A ma demande, le prévôt a déposé un affidavit
énonçant brièvement ce qu'il a fait à l'égard de
cette saisie et de cette vente et le temps consacré
par lui-même ou ses employés. J'ai également
permis à la demanderesse de déposer des affidavits
établissant ce qu'elle-même, ses procureurs, les
agents maritimes et les courtiers ont fait. Toute
cette preuve m'a été soumise.
Avant de prendre possession, M. Daoust a
assisté à deux réunions avec des représentants de
la demanderesse et autres qui ont duré environ 6
heures. Les 20 et 21 septembre, il a consacré à
l'affaire deux journées entières incluant un voyage
à Québec. Il a passé deux jours et demi pour le
dépouillement des soumissions, la vente et le trans-
fert des titres et enfin, 24 heures à diverses autres
affaires, pour un total que j'évalue à environ 9
jours et demi.
La demanderesse, ses représentants et ses procu-
reurs ont sans aucun doute consacré beaucoup de
temps à l'affaire depuis la saisie jusqu'au moment
de la vente. Manifestement, beaucoup de travail
fait avant la prise de possession par le prévôt a
profité à ce dernier et incontestablement il a joui
de l'aide et du travail de la demanderesse après la
date de mise en possession.
J'ai tenu compte du fait que, contrairement à
l'habitude fréquente des prévôts, celui-ci n'a pas
joué un grand rôle de publicité pour attirer les
enchérisseurs et obtenir des offres. Ici également,
des agents maritimes d'expérience ont assuré la
possession responsable en entretenant le navire et
son équipage réduit.
Mais il ne faut jamais oublier que seul le prévôt
avait la responsabilité finale et entière. Il aurait à
réparer, juridiquement parlant, les erreurs coûteu-
ses des agents maritimes, des courtiers, des cour
tiers d'assurance et autres personnes employées
par eux. Le temps consacré par le prévôt n'est
qu'un facteur dans l'établissement des droits; d'au-
tres ont également une grande portée: la responsa-
bilité, les risques financiers possibles et le compte
rendu final.
Sans retirer son argument de forme portant
qu'aucun droit n'était exigible, Me Vaillancourt a
proposé un montant de $12,000. Cette évaluation
était assez juste. J'ai décidé que la somme de
$15,000 était raisonnable. Je songeais aux droits
accordés au prévôt dans Xanadu ($25,000). Ce
navire n'avait pas une aussi grande valeur. Sa
vente avait rapporté $1.6 million. Dans cette
affaire-là, les créanciers hypothécaires qui avaient
été à l'origine de la saisie et de la vente avaient
beaucoup aidé le prévôt de Vancouver. Cependant,
ce dernier n'avait pas bénéficié des services d'un
agent maritime, pour entretenir le navire, ni d'un
courtier pour effectuer la vente.
En tenant compte de toutes les circonstances et
en essayant d'obtenir une juste mesure comparati-
vement aux droits dans l'affaire Xanadu, je suis
d'avis que $15,000 est un montant raisonnable à
payer au prévôt.
La décision de l'officier taxateur est modifiée en
conséquence.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.