A-76-76
Philip Karam et Norma Karam (Appelants)
(Demandeurs)
c.
La Commission de la capitale nationale (Intimée)
(Défenderesse)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Le
Dain et le juge suppléant Kerr—Ottawa, les 13, 14
et 15 juin 1977.
Expropriation — Évaluation — Appel contre le jugement de
première instance — L'effet de la réunion de terrains contigus
n'aurait pas été utilisé pour évaluer le terrain exproprié — On
n'aurait pas tenu compte de l'accès direct, par route, à la ville
satellite envisagée «L'usage le plus rémunérateur et le plus
rationnel» du terrain exproprié a été défini, mais le tribunal
aurait fondé la valeur du terrain sur une autre conception de
cet usage Preuve relative aux rapports d'évaluation dans
des affidavits Règle 482 de la Cour fédérale.
Il s'agit d'un appel interjeté par un propriétaire exproprié
contre un jugement de la Division de première instance, au
motif que le juge se serait trompé en concluant qu'on ne peut
évaluer le bien-fonds exproprié d'après les sommes payées par
une corporation publique pour des terrains compris dans un
projet déterminé de réunion de terres et choisis pour y faire une
ville satellite. Le juge aurait également oublié les effets d'un
accès direct, par la route, à la ville satellite envisagée. Ses
conclusions sont contestées aussi bien que ledit oubli. De plus,
le juge a conclu que «l'usage le plus rémunérateur et le plus
rationnel» du bien-fonds exproprié serait l'aménagement à des
fins domiciliaires, et a, cependant, utilisé comme fondement de
sa propre évaluation, celle d'un expert qui estimait que ledit
usage serait l'achat pour des fins spéculatives. On a mis en
doute la logique de cette méthode, qui pourrait entraîner une
évaluation plus basse.
Arrêt: l'appel est rejeté. Il n'y a aucun fondement pour
infirmer les conclusions du juge de première instance sur les
effets de la réunion projetée des terres, car il était de notoriété
publique que le bien-fonds exproprié n'y devrait pas être inclus.
L'opération n'aurait donc sur celui-ci qu'un effet marginal.
L'effet marginal de la route sur la valeur marchande des terres
situées en dehors de la ville envisagée est tellement vague et
lointain qu'il n'altère en rien la décision du juge. L'expression
«l'usage le plus rémunérateur et le plus rationnel» s'applique en
cas de propriété susceptible de deux utilisations différentes et
lorsqu'il y a des preuves indiquant que ladite propriété aurait
deux valeurs différentes, selon l'usage pris comme fondement
de l'évaluation. Il n'y a aucun fondement évident pour l'appli-
cation de la prétendue règle relative à «l'usage le plus rémuné-
rateur et le plus rationnel» dans la présente espèce. L'affidavit
de l'expert devrait contenir de plus amples renseignements
concernant son raisonnement et il ne faudrait pas permettre
aux parties de faire des dépositions verbales sans un affidavit
supplémentaire.
APPEL.
AVOCATS:
Hyman Soloway, c.r., et James L. Shields
pour les appelants.
Eileen Mitchell Thomas, c.r., et M. Senzilet
pour l'intimée.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady & Morin, Ottawa, pour les appe-
lants.
Le conseiller juridique de la Commission de
la capitale nationale, Ottawa, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'un appel
logé par un ancien propriétaire à l'encontre d'un
jugement de la Division de première instance rela-
tivement à la valeur accordée à une propriété
expropriée en vertu de la Loi sur l'expropriation,
S.R.C. 1970 (1°r Supp.), c. 16.
Un examen très attentif de l'habile argument de
l'avocat des appelants ne me convainc pas que le
savant juge de première instance a commis une
erreur en ne concluant pas, d'après la preuve qui
lui était soumise, et selon la prépondérance des
probabilités, que la propriété expropriée avait, au
moment de l'expropriation, une valeur supérieure
au montant qu'il a fixé.
Je ne vois aucune raison d'intervenir relative-
ment à la conclusion du savant juge de première
instance portant qu'on ne peut évaluer la propriété
expropriée d'après les montants payés par l'Onta-
rio Housing Corporation, pour des propriétés
acquises dans un secteur contigu défini, pour la
construction, dans une vingtaine d'années, d'une
ville satellite. Compte tenu de la parution d'un avis
public, quelque 18 ou 19 mois avant l'expropria-
tion, décrétant que l'opération d'achat en question
se limitait à un secteur qui excluait ladite pro-
priété, je suis d'avis que le juge de première ins
tance pouvait conclure que la connaissance de
cette opération d'achat ne se répercuterait sur le
marché que si la propriété expropriée se situait
dans le secteur périphérique qu'il a défini. De plus
je ne vois pas de différence entre l'impact qu'au-
raient les achats de l'Ontario Housing Corporation
sur le marché au moment de l'expropriation de la
propriété en question, si ces ventes étaient anté-
rieures à la date de l'avis et celui qu'ils auraient si
les ventes étaient postérieures. Depuis la date de
l'avis, c'était un fait connu sur le marché que
l'Ontario Housing Corporation ne désirait pas
acheter de propriétés à l'extérieur du secteur dési-
gné pour le projet de ville satellite et le marché à
évaluer se situait 18 ou 19 mois après cette date.
En ce qui concerne le fait que le juge de pre-
mière instance
a) a conclu que l'usage le plus rémunérateur et
le plus rationnel de la propriété expropriée, à
l'époque de l'expropriation, était l'aménagement
à des fins domiciliaires, et
b) a ensuite utilisé comme fondement de sa
propre évaluation, l'évaluation d'un expert qui
estimait que l'usage le plus rémunérateur et le
plus rationnel était l'achat pour fins spéculati-
ves,
cette méthode ne m'apparaît pas logiquement
mauvaise compte tenu de la preuve qui lui a été
présentée; de toute façon, il me semble que cette
preuve ne permet pas de conclure que le recours à
cette méthode a entraîné une évaluation plus basse
que celle qui aurait résulté d'une approche plus
directement reliée à ce que le juge de première
instance a jugé être l'usage le plus rémunérateur et
le plus rationnel de la propriété expropriée.
Sous ce rapport, il est significatif que les rensei-
gnements relatifs aux ventes «comparables» sur
lesquelles se sont appuyés les experts paraissent
provenir principalement de copies d'actes de trans
port ou de contrats sans aucune indication sur les
circonstances qui ont entouré ou motivé les achats.
Ceci étant, il est impossible de dire que les valeurs
établies reposaient sur des fins agricoles, spéculati-
ves ou de lotissement. Aussi ne peut-on prétendre
que la valeur utilisée par le juge n'était pas la
valeur aux fins de lotissement ni, de toute façon,
qu'elle était inférieure à la valeur relative à ces
fins.'
L'avocat a critiqué le raisonnement du juge de
première instance sous d'autres aspects. A l'excep-
tion d'une erreur de fait dont conviennent les
avocats des appelants et de l'intimée je crois que
les appelants n'ont fait que souligner leur désap-
probation quant à l'évaluation globale de la preuve
par le juge de première instance ou quant au poids
qu'il a accordé à certains faits ou opinions. L'oubli
manifeste concernant la voie élevée qui traverse la
route 417 et relie directement la propriété expro-
priée et l'emplacement de la future ville satellite
me rend bien sûr perplexe, mais l'importance que
le juge y accorde dans son raisonnement soit
l'importance du défaut des experts de la défende-
resse de tenir compte de l'effet périphérique du
projet de ville satellite sur la valeur marchande à
l'extérieur du secteur proposé pour ladite ville—est
tellement vague et lointaine que je conclus que le
résultat aurait été le même si le juge de première
instance n'avait pas fait cet oubli en évaluant la
valeur marchande du terrain à l'époque de
l'expropriation.
Pour les raisons susmentionnées, je suis d'avis
que l'appel doit être rejeté avec dépens.
Je désire ajouter que la lecture de certains des
affidavits produits par les experts me porte à croire
que certains avocats ne s'en remettent, si tant est
qu'ils ne le fassent, qu'à la lettre et non à l'esprit
1 0n a tendance, je crois, à abuser de l'expression «l'usage le
plus rémunérateur et le plus rationnel» et à fausser sa significa
tion. Si je comprends bien elle s'applique lorsque la propriété à
évaluer peut servir à deux fins différentes et que, suivant
l'usage pour lequel on l'évalue, la preuve établit deux valeurs
distinctes. Par exemple la preuve peut établir qu'une ferme
située aux limites d'une ville en pleine expansion a une valeur
agricole de $500 l'acre mais qu'elle a atteint, en raison de
l'urbanisation progressive, une valeur de lotissement domici-
liaire s'élevant à $1,000 l'acre. Dans un tel cas (mis à part les
facteurs amélioration et trouble de jouissance) la Cour doit
évaluer la propriété d'après «l'usage le plus rémunérateur et le
plus rationnel». En l'espèce, si je comprends bien la preuve, les
experts appuient leurs témoignages sur des ventes comparables
de terrains incultes ou non aménagés sans renseignements
quant aux mobiles de l'achat. Ainsi, les témoignages ne sem-
blent pas offrir de fondement pour l'application de ce qu'on
appelle la règle de «l'usage le plus rémunérateur et le plus
rationnel».
de la Règle 482. 2 Je crois effectivement que le
résultat est beaucoup moins satisfaisant qu'à l'épo-
que où l'on échangeait volontairement les rapports
d'évaluation. Je suggère fortement que lorsque
l'affidavit d'un expert ne contient pas un exposé
suffisamment détaillé de son raisonnement pour
permettre à la Cour, en l'absence de contestation,
de l'adopter et de s'en inspirer pour décider de la
question y relative, on ne devrait pas permettre à
la partie de compléter cette preuve par un témoi-
gnage verbal avant la production d'un affidavit
supplémentaire à cette fin et avant que la Cour et
l'autre partie n'aient eu la possibilité de l'étudier.
(Si cela entraîne des remises, la partie fautive
devrait en assumer les frais.)
* * *
LE JUGE LE MAIN y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR y a souscrit.
2 Voici un extrait de la Règle 482:
Règle 482. (1) Aucune preuve sur l'examen en chef d'un
expert ne doit être reçue à l'instruction (sauf ordre contraire
donné par la Cour dans un cas particulier) au sujet d'une
question à moins
b) qu'un exposé complet de la preuve sur examen en chef
que l'expert entend établir n'ait été fait dans un affidavit
dont l'original a été déposé et dont une copie a été signifiée
à l'autre ou aux autres parties 10 jours au moins avant le
début de l'instruction, et
(2) Sous réserve de se conformer au paragraphe (1), la
preuve sur examen en chef d'un expert cité comme témoin
peut être présentée à l'instruction
a) par la lecture de toute la déposition de l'expert, conte-
nue à l'affidavit mentionné au paragraphe (1), ou d'un ou
de plusieurs extraits de cet affidavit que la partie décide
d'utiliser à l'instruction (à moins que la Cour, avec le
consentement de toutes les parties, ne permette de considé-
rer le texte comme déjà lu), et,
b) si la partie le désire, par déposition orale de l'expert,
(i) expliquant ou démontrant ce qu'il a exprimé dans
l'affidavit ou dans le ou les passages d'affidavit qui ont
ainsi été présentés comme preuve, selon le cas, et
(ii) autrement, par permission spéciale de la Cour aux
conditions qui, le cas échéant, semblent justes.
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