T-1789-75
Green Forest Lumber Limited (Demanderesse)
c.
General Security Insurance Company of Canada
(Défenderesse)
Division de première instance, le juge Addy—
Toronto, les 18, 19, 20 et 21 mai, 7, 8 et 9 juin
1976; Ottawa, le 18 janvier 1977.
Droit maritime Assurance Contrat entre la demande-
resse et l'Agence canadienne de développement international
représentant une compagnie étrangère La défenderesse
était-elle obligée d'assurer la demanderesse et d'émettre une
police à son nom? — La demanderesse avait-elle un intérêt
assurable? La perte réputée totale autorisait-elle la
demanderesse à donner un avis de délaissement? — Effet de
l'art. 23 de The Marine Insurance Act de l'Ontario — The
Marine Insurance Act, S.R.O. 1970, c. 260, art. 22, 23 et 24.
La demanderesse a passé avec l'Agence canadienne de déve-
loppement international, agissant pour le compte d'une compa-
gnie étrangère, un contrat afférent à une exportation de bois
d'oeuvre en deux cargaisons. Elle a acheté et chargé le bois
d'oeuvre et contracté une assurance par l'entremise de ses
courtiers pour laquelle la défenderesse a émis une note de
couverture. Le navire s'est échoué et un peu d'eau a pénétré à
l'intérieur. La demanderesse a adressé à la défenderesse un avis
de délaissement de la cargaison, que celle-ci a rejeté. Elle
prétend qu'elle était bien fondée à délaisser la cargaison et
réclame, outre l'assurance, les frais afférents au dépôt d'un bon
de cautionnement pour éviter que l'affréteur du navire saisisse
le bois d'oeuvre, à l'assurance provisoire du bois d'oeuvre et au
coût de transbordement, de rechargement et de main-d'oeuvre.
La défenderesse nie toute responsabilité envers la demande-
resse, vu que celle-ci n'avait aucun intérêt dans la police
d'assurance, qu'elle n'était pas l'assurée ni n'avait l'intention de
l'être. La défenderesse n'a émis aucune police au nom de la
demanderesse et n'était pas obligée d'en émettre une. Elle nie,
en outre, qu'il y ait eu perte réputée totale de la cargaison
justifiant son délaissement; la perte a été négligeable et la
demanderesse a négligé de la minimiser.
Arrêt: l'action est rejetée. Bien que la défenderesse ait reçu
une police d'assurance de la demanderesse par l'entremise de
courtiers agissant à tous les moments pertinents comme ses
agents, la police a été prise en conformité des exigences de
l'ACDI et il a été convenu que ni le nom de la demanderesse ni
la protection complémentaire cachée offerte par les clauses de
la Timber Trade Federation ne figureraient sur la police ni sur
le certificat. La demanderesse n'a donc pas réussi à établir que
la défenderesse avait l'obligation d'émettre une police en sa
faveur. Quant à savoir si la demanderesse avait ou non un
intérêt assurable aux termes du contrat passé avec ses fournis-
seurs, il est certain qu'elle en avait un dans le bois arrimé à
bord. Quant à la nature et au montant de la perte, il n'y a perte
réputée totale que lorsque la chose assurée, sans être totalement
perdue, a beaucoup de chances de l'être par la suite à cause de
l'improbabilité, de l'impraticabilité ou des frais de réparation
ou de recouvrement. Il s'agit là d'une question de fait que
l'assuré ne peut pas trancher unilatéralement en choisissant de
délaisser la cargaison. La demanderesse n'a pas réussi à établir
qu'il y avait eu perte réputée totale, mais si l'action n'était pas
rejetée, elle aurait droit à une indemnité de $10,000 représen-
tant le coût de remplacement du bois d'oeuvre détérioré ou
détruit par la tempête et le déchargement, plus le coût d'assu-
rance du nouveau chargement, plus le coût de transbordement
et du rechargement de la cargaison sauvée sur un autre navire.
La demanderesse aurait aussi droit à une indemnité pour toute
responsabilité que les affréteurs établiraient contre elle.
Arrêts appliqués: Bhugwandass c. Netherlands India Sea
and Fire Insurance Company of Batavia (1889) 14 App.
Cas. 83; Royal Exchange Assurance Corporation c. Tod
(1891-92) 8 T.L.R. 669; Mowat c. Goodall (1915) 24
D.L.R. 781 (C.A.); Colonial Insurance Company of New
Zealand c. Adelaide Marine Insurance Company (1887)
12 App. Cas. 128 (P.C.); J. Aron and Co. (Incorporated) c.
Miall (1928-29) 34 Comm. Cas. 18; York -Shipley, Inc. c.
Atlantic Mutual Insurance Company (1973) 474 F.2d 8;
Assicurazioni Generali c. SS. Bessie Morris Co., Limited
[1892] 1 Q.B. 571; Goss c. Withers (1758-1761) 2 Burr.
683, 97 E.R. 511; Anderson c. Wallis (1813-14) 2 M. & S.
240, 105 E.R. 372; Doyle c. Dallas (1831) 1 M. & Rob.
48, 174 E.R. 17 et Robertson c. Stairs (1875) 10 N.S.R.
345 (C.A.).
ACTION.
AVOCATS:
P. F. M. Jones et N. H. Frawley pour la
demanderesse.
V. M. Prager pour la défenderesse.
PROCUREURS:
McMillan, Binch, Toronto, pour la demande-
resse.
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE ADDY: La demanderesse, exportatrice
de bois d'oeuvre, a passé avec l'Agence canadienne
de développement international (ci-après appelée
«ACDI»), représentant l'«Office du Commerce de
la Tunisie», un contrat afférent à la vente c.i.f.
ports tunisiens, de diverses tailles et quantités de
bois d'oeuvre. La confirmation de l'ordre d'achat,
du 22 mai 1974, spécifiait comme essences de l'Est
canadien: l'épinette, le pin et le sapin, qualité
construction, depuis le bois séché au four et à l'air
ou partiellement à l'air, jusqu'au bois vert, et
entièrement traité par le procédé anti -coloration
au fur et à mesure des conditions atmosphériques
favorables. Elle précisait aussi que les livraisons
commenceraient en juillet et en août 1974 et se
termineraient vers décembre 1974. Le paiement
serait effectué contre la remise des documents
suivants: connaissement maritime, facture, certifi-
cat d'emballage, certificat d'assurance et certificat
d'inspection.
La demanderesse a passé un contrat avec James
Richardson Co. Limited, de Cap Chat (Québec) et
exécuté un ordre d'achat, en date du 3 octobre
1974, couvrant l'expédition de diverses tailles et
quantités' de bois d'oeuvre à bord du navire Elar-
kadia, de Grande Vallée. Elle a contracté par
télex, par l'entremise de ses agents Marsh &
MacLennan Limited (ci-après appelés «les cour
tiers»), une assurance et ordonné qu'elle comporte
les conditions appelées Lloyd's Institute Cargo
clauses (f.a.p.). A la suite de cet ordre, la défende-
resse a émis une note de couverture portant le
numéro 801581. James Richardson Co. Limited a
été chargée d'embarquer environ 1,194,000 pieds-
planche de diverses tailles de bois d'oeuvre sur le
Elarkadia, à Grande Vallée (Québec). Le charge-
ment a commencé le 25 novembre et le matin du
26, environ 559 blocs représentant 997,045 pieds-
planche se trouvaient déjà à bord lorsque le navire,
secoué par une forte tempête, a rompu ses amarres
et, incapable de naviguer en eaux sûres hors du
port, s'est échoué à une faible distance du quai de
chargement. Une fois là, il a continué à être frappé
par de fortes vagues pendant le reste de cette
tempête et à nouveau, les 2 et 3 décembre 1974,
par une autre tempête du nord-est. Un peu d'eau a
pénétré à l'intérieur du navire.
La demanderesse a donné verbalement avis de
l'échouage du navire à Canadian Marine Under
writers Limited, à Toronto, que la défenderesse
autorise à recevoir ce genre d'avis. Les assureurs
ont alors envoyé à Grande Vallée un expert mari
time, un certain Matheson, de la société Universal
Marine Consultants Limited de Montréal, afin
d'enquêter sur l'affaire et de les conseiller sur le
sauvetage du bois d'oeuvre.
Du 6 au 9 décembre 1974, le bois a été enlevé
du navire et amené dans les locaux de James
Richardson Co. Limited.
Par lettre du 15 décembre 1974, les agents de la
demanderesse ont notifié la défenderesse par l'en-
tremise de Canadian Marine Underwriters Limi
ted, du délaissement du bois. L'avis de délaisse-
ment a été rejeté par lettre du 16 décembre 1974.
La demanderesse a remplacé le bois d'oeuvre
initial par un autre qu'elle a acheté à Lacroix
Lumber Limited, de Carleton-sur-mer (Québec).
Ce bois a été chargé sur le navire John M. Rehder,
qui a quitté Carleton-sur-mer le 22 décembre
1974. La défenderesse a également émis un certifi-
cat d'assurance n° 801586 pour le couvrir. L'ACDI
a payé le bois de remplacement à la demanderesse.
La demanderesse prétend qu'en l'occurrence,
elle était bien fondée à donner un avis de délaisse-
ment, car le bois d'oeuvre, tout en n'étant pas
matériellement détruit, représentait une perte
réputée totale, son exposition à l'eau de mer
l'ayant rendu inutilisable pour les fins recherchées,
c'est-à-dire pour son exportation en tant que bois
vert traité par le procédé anti -coloration. Elle sou-
tient aussi que les frais afférents à sa remise en
état (en admettant que celle-ci soit possible) et à
sa réexpédition ne manqueraient pas d'excéder sa
valeur, une fois arrivé à son lieu de destination.
La demanderesse revendique donc le droit à la
valeur de la police, moins un crédit qu'elle a reçu
de James Richardson Co. Limited pour le rachat
et la revente du bois d'oeuvre débarqué du Elakar-
dia échoué, dont elle s'est acquittée.
En outre, la demanderesse a rejeté une réclama-
tion afférente au fret émanant de Matthew Ship
Chartering Limited. Elle a donc été obligée de
déposer un bon de cautionnement pour éviter la
saisie du bois d'oeuvre, ainsi que de contracter pour
ce dernier une assurance provisoire. Elle réclame
aussi à la défenderesse un montant complémen-
taire pour les mesures conservatoires afférentes à
ces dépenses.
La défenderesse nie toute responsabilité de sa
part envers la demanderesse. Elle fait valoir, entre
autres, que cette dernière n'avait aucun intérêt
dans la police d'assurance, qu'elle n'était pas l'as-
surée ni le bénéficiaire désigné dans les comman-
des; la défenderesse ajoute qu'elle n'a émis aucune
police en sa faveur et qu'elle n'est pas obligée d'en
émettre une. Elle nie aussi qu'il y ait eu, en
l'occurrence, perte réputée totale ou même perte
tout court parce que le traitement anti -coloration
n'a pas été plus altéré par l'eau de mer, qui a
atteint le bois d'oeuvre lors de l'échouage, qu'il
l'est normalement, à cette époque de l'année, dans
toute traversée de l'Atlantique où le bois est
arrimé sur le pont. Elle ajoute ensuite que s'il y a
eu dommage, il a été minime et que la demande-
resse a négligé de prendre les mesures requises
pour le minimiser et qu'en tous cas, elle (la défen-
deresse) a toujours offert de payer au lieu et place
des assurés pour la perte de 5,000 pieds-planche,
pour le coût du transbordement de l'entière cargai-
son de Grande Vallée (Québec) à Carleton
(Québec) et pour le chargement sur un autre
navire, ainsi que pour la réclamation afférente au
fret formulée contre l'assurée par les propriétaires
du Elarkadia. La défenderesse prétend aussi se
soustraire à toute responsabilité parce qu'il n'existe
pas de police officielle portant son sceau
corporatif.
La jurisprudence britannique interdisant l'in-
demnisation lorsqu'il n'y a pas de police repose sur
le fait qu'un tel acte enfreint la Stamp Act britan-
nique, de 1891. Pour les affaires où ce principe a
été appliqué, voir Motor Union Insurance Com
pany, Limited c. Mannheimer Versicherungs
Gesellschaft' et English Insurance Company
Limited c. Official Receiver and Liquidator of
National Benefit Assurance Company, Limited 2 .
Les dispositions de la Stamp Act mises à part, il
n'y a jamais eu aucune raison pour ne pas autori-
ser l'exécution pure et simple d'une convention
relative à l'émission d'une police. Voir British
Shipping Laws, par Arnould, volume 9, The Law
of Marine Insurance and Average 1 3 ; Bhugwan-
dass c. Netherlands India Sea and Fire Insurance
Company of Batavia 4 ; et Royal Exchange Assur
ance Corporation c. Tod 5 invoquées ici, les deux
affaires traitant du droit des assurances, tel qu'il
existait avant l'adoption de la Stamp Act. Bien
entendu, au Canada, il n'existe aucune loi du
même genre et je ne vois vraiment aucune raison
d'appliquer la jurisprudence britannique, qui
repose essentiellement sur ce texte législatif.
1 [1933] 1 K.B. 812.
2 [1929] A.C. 114.
3 Par Kendal et Bailhache, à la page 49.
4 (1889) 14 App. Cas. 83.
5 (1891-92) 8 T.L.R. 669.
Le fait est qu'aucune police officielle portant le
sceau de la compagnie n'a été émise; néanmoins, la
défenderesse avait l'obligation d'en émettre une et
elle pourrait être poursuivie en exécution pure et
simple. L'equity considère comme fait ce qui doit
être fait (14, Halsbury's Laws of England, 3e éd.,
page 532) et l'affaire doit être jugée comme si la
police avait réellement été émise. (Voir Westmin-
ster Woodworking Co. c. Stuyvesant Ins. Co. 6 )
Toutefois, la défenderesse prétend qu'en l'es-
pèce, l'article 23 de The Marine Insurance Act',
de l'Ontario, constitue un obstacle statutaire pour
l'indemnisation.
Les parties s'accordent à reconnaître que ladite
loi de l'Ontario s'applique à la présente action et
c'est fort opportun, étant donné le situs de la
convention relative à l'émission d'une police ou au
moins d'une note de couverture. Les articles perti-
nents de cette loi sont rédigés dans les termes
suivants:
[TRADUCTION] 22. Un contrat d'assurance maritime est
réputé conclu lorsque l'assureur accepte les propositions de
l'assuré, que la police ait été établie ou non; et afin d'indiquer
la date d'acceptation des propositions, il est possible de se
référer à la fiche de souscription, à la note de couverture ou à
toute autre note habituelle du contrat.
23. Un contrat d'assurance maritime est irrecevable comme
preuve à moins de faire partie d'une police maritime conforme
aux dispositions de la présente loi, laquelle police peut être
signée et établie au moment de la conclusion du contrat ou
ultérieurement.
24. Une police d'assurance maritime doit indiquer
a) le nom de l'assuré ou le nom de la personne souscrivant
l'assurance pour le compte de l'assuré;
b) la chose assurée ou le risque couvert;
c) le voyage ou la durée, ou les deux, suivant le cas, couverts
par l'assurance;
d) la ou les sommes assurées;
e) le ou les noms des assureurs.
25. (1) Une police d'assurance maritime doit être signée par
l'assureur ou en son nom; cependant, dans le cas d'une corpora
tion, le sceau corporatif peut suffire mais rien dans le présent
article ne doit être interprété comme exigeant l'apposition du
sceau sur la souscription d'une corporation.
L'article 23 de The Marine Insurance Act pré-
voit qu'un contrat d'assurance maritime est irrece-
vable comme preuve, à moins de faire partie d'une
police maritime conforme aux dispositions de
6 (1915) 25 D.L.R. 284, la p. 287.
7 S.R.O. 1970, c. 260.
ladite loi, mais il faut le lire conjointement avec
l'article 22, qui déclare qu'un contrat d'assurance
est réputé conclu lorsque l'assureur accepte les
propositions de l'assuré (que la police ait été éta-
blie ou non), avec l'article 24 qui énonce les condi
tions d'une police d'assurance, et aussi avec l'arti-
cle 25 qui prescrit que la police doit être signée par
l'assureur ou en son nom, mais n'exige pas l'appo-
sition de son sceau corporatif.
Dans la présente action, je n'ai pas de mal à
conclure que le certificat d'assurance qui a été
émis, contient tous les éléments énumérés dans
l'article 24 et a été dûment exécuté au nom de
l'assureur sur son autorisation expresse. Il consti-
tue donc une police aux fins de l'article 23 et, en
tant que telle, est recevable comme preuve.
Sur ce point et indépendamment de la preuve
relative à l'existence d'une police, la défenderesse,
à plusieurs reprises dans son exposé de défense, en
reconnaît nettement l'existence. Cette admission,
la partie plaidante l'a faite à l'encontre de son
intérêt et elle doit donc être considérée comme une
preuve péremptoire. J'admets donc que la police
existe, même si son existence en tant que telle n'a
pas été établie en preuve.
Le certificat d'assurance afférent à la cargaison
émis par la défenderesse, a été produit à l'instance
sous la cote P-75. Il indique que les assurés sont
l'ACDI et l'Office du Commerce de la Tunisie (les
destinataires) et que la perte est payable à l'ACDI.
La défenderesse refuse d'émettre un certificat au
nom de la demanderesse et de la mentionner de
quelque façon que ce soit sur la police ou le
certificat.
Quelle était donc la véritable convention entre
les parties? La défenderesse avait-elle envers la
demanderesse l'obligation d'émettre une police en
son nom où elle figure comme assurée et bénéfi-
ciaire des paiements afférents à la perte et qui
permette à l'equity de considérer la police comme
ayant été émise?
A l'instance, la défenderesse a soutenu le con-
traire; néanmoins, j'estime qu'il ressort de la
preuve que la demanderesse a payé la prime et que
la défenderesse est réputée avoir reçu ce paiement.
La déposition de Doherty est non contestée. Il y
déclare que l'assurée a payé la prime à son courtier
(voir pièce P-20). Or, les assureurs et les courtiers
d'assurance considèrent depuis longtemps que le
paiement effectué par l'assuré à son courtier le
décharge de toute autre obligation et complète son
contrat avec l'assureur. Le courtier devient alors le
débiteur de l'assureur pour le paiement du mon-
tant de la prime. (Voir Mowat c. Goodall 8 et
Marine Insurance 9 par Arnould.)
Je constate qu'à toutes les époques afférentes au
litige, les courtiers se sont comportés en mandatai-
res de la demanderesse et jamais en mandataires
de la défenderesse.
Je constate aussi que, conformément au témoi-
gnage de Lawrence Doherty, vice-président des
courtiers, ils avaient dans le passé, cherché à assu-
rer la demanderesse avec une police flottante con-
tractée chez une compagnie d'assurance suisse. Or,
la demanderesse leur avait demandé de contracter
une police d'assurance chez une compagnie cana-
dienne pour couvrir les risques encourus dans cette
affaire, car cette condition est exigée par l'ACDI
pour tous les achats qu'elle finance. Le témoin
Doherty a déclaré qu'à ce moment-là, il ne con-
naissait pas les vraies conditions du contrat si ce
n'est que l'ACDI exigeait de la demanderesse une
facture, un connaissement et une police d'assu-
rance. Il tenait ses instructions de la demanderesse
à qui il devait s'adresser pour se faire payer, mais
il savait que l'ACDI était quelque peu engagée
dans l'affaire.
A la suite de l'ordre de la demanderesse, il est
entré en contact avec les agents de la défenderesse
et leur a demandé d'émettre une police avec «cou-
verture moyenne» qu'il estimait suffisante pour
couvrir la lettre de crédit et le consignataire, car
elle couvrait les cinq principaux risques de base:
l'échouage, la submersion, l'incendie, l'abordage et
le gros temps. Il a aussi déclaré qu'il avait verbale-
ment demandé une couverture plus large au profit
de sa cliente comprenant les «Timber Trade Fede
ration (ou T.T.F.) clauses,» clauses approuvées et
exigées par les membres de la British Federation
of Timber Trade Merchants. Il a ajouté que ces
clauses sont bien connues tant dans le secteur des
assurances que dans celui du commerce du bois de
8 (1915) 24 D.L.R. 781 (C.A.).
9 14e éd., art. 107, 108, aux pp. 132 et 133.
construction et qu'il voulait que la demanderesse
bénéficie de cette couverture particulière. Il a donc
prié la défenderesse de la lui fournir.
Quand les courtiers ont reçu les instructions
relatives aux exigences de l'ACDI, ils ont pu cons-
tater que la demanderesse n'était ni l'assuré dési-
gné nommément ni l'assuré mentionné sur la police
comme étant l'une des parties ayant un intérêt
assurable ou à qui serait payée toute perte éven-
tuelle. La page 4 de la confirmation de l'ordre
d'achat émanant de l'ACDI, du 22 mai 1974,
produite à l'instance sous la cote P-5, contient à
propos des polices d'assurance le paragraphe
suivant:
[TRADUCTION] 11 vous incombera d'obtenir une couverture
adéquate pour les marchandises embarquées. L'Agence cana-
dienne de développement international/Office du Commerce de
la Tunisie doit figurer comme bénéficiaire. Toutes les sommes
d'argent payables sur réclamation devront revenir à l'ACDI
pour qu'elle procède à d'autres achats. L'assurance doit être
contractée auprès d'une compagnie canadienne. Avant de fixer
la couverture, le nom et l'adresse de l'assureur doivent être
communiqués à l'ACDI.
Lorsque leur cliente, la demanderesse, les a
avisés de ces exigences, les courtiers ont indiqué
aux assureurs par l'entremise de leur syndicat de
garantie que la demanderesse ne devait pas figurer
sur la police. Les seules communications écrites
entre les courtiers et les assureurs concernant l'as-
suré et le genre de couverture proposés consistent
en deux télex déposés à titre de pièces. Le premier,
qui date du 24 octobre 1974, a été produit sous la
cote P-60. Il est rédigé dans les termes suivants:
[TRADUCTION] CONDITIONS D'ASSURANCE AVEC AVARIES
(A.A.) POUR DESTINATAIRE À APPARAITRE SUR CERTIFICAT
MAIS CONDITIONS TIMBER TRADE FEDERATION INSCRITES
POUR GREEN FOREST.
Le témoin Doherty a déclaré qu'il avait envoyé
ce télex parce qu'il voulait que l'assurance soit
émise au nom de la demanderesse et ce, avant de
connaître les exigences de l'ACDI. Au début, il
savait seulement que cette dernière était engagée
dans l'affaire. A l'instance, lorsque je l'ai ques-
tionné, il a déclaré que lorsqu'il avait su qu'en
raison des ordres de l'ACDI, aucune police ne
devait être émise au nom de la demanderesse, il
avait conclu avec les assureurs une convention
particulière pour que Green Forest Lumber Limi-
ted soit protégée, quelle que soit la rédaction de la
police. Il voulait qu'elle bénéficie des clauses
Timber Trade Federation, à titre de couverture
tacite, et ne pensait pas qu'une preuve était néces-
saire pour établir cette couverture. Il a donc
demandé que sa cliente ne figure pas sur la police.
Le second télex (pièce P-62), en date du 22
novembre 1974, est rédigé dans les termes
suivants:
[TRADUCTION] DÉTAILS SECONDE EXPEDITION NAVIRE
`ARKADIA' CONSTRUIT 1958 TONNAGE 5109 NET 2506 EX
`IRENES FAITH' DÉPART 23 NOVEMBRE 1974 DE GRANDE
VALLÉE/CARLETON QUEBEC À SFAX TUNISIE VALEUR
APPROXIMATIVE BOIS DOLLARS 1,100,000.
CONDITIONS ASSURANCE E/P F A P
S/P A A ET G G E ET M P
(EN PONTÉE F.A.P.—SOUS PONT/AVEC COUVERTURE AVARIES
ET GUERRE, GRÈVES, ÉMEUTES ET MOUVEMENTS POPULAI-
RES.) [C'est moi qui ajoute les mots entre parenthèses.]
Il convient de noter que ce télex ne mentionne
aucunement que la demanderesse est assurée avec
la couverture T.T.F. ou autrement. Ce point est
d'autant plus important que, le 12 décembre, le
témoin Doherty a confirmé à sa cliente, la deman-
deresse, par télex (pièce 66) que, le 22 novembre
1974, il avait adressé un ordre de placement à
Canadian Marine Underwriters. Au cours de sa
déposition, Doherty a aussi confirmé que les pièces
62 et 66 se rapportaient aux conditions qui
devaient figurer sur le certificat d'assurance.
Je constate donc que les courtiers ont d'abord
demandé oralement que la demanderesse bénéficie
des clauses T.T.F. et qu'après avoir pris connais-
sance des exigences de l'ACDI, ils ont fait modi
fier les conditions, de manière que la couverture
offerte par la police soit conforme au contenu du
second télex et qu'il a été finalement convenu que
ni le nom de la demanderesse ni les clauses T.T.F.
ne figureraient sur la police ou sur un certificat.
Je dois donc conclure que non seulement la
demanderesse n'a pas réussi à établir que la défen-
deresse avait l'obligation d'émettre une police en
sa faveur, mais encore que la déposition du témoin
susmentionné, cité par elle, a prouvé exactement le
contraire. Le certificat produit à l'instance sous la
cote 75 représente tout ce que la défenderesse était
obligée d'émettre. L'engagement oral de souscrire
les clauses T.T.F. au profit de la demanderesse
n'est pas entériné dans la police et il n'a pas été
convenu qu'il le serait par la suite au moyen d'une
convention orale ou autrement; il ne peut donc pas
être recevable comme preuve en raison de l'article
23 de la Loi. En l'espèce, ledit article 23 constitue
un obstacle irrévocable au droit de recouvrement
de la demanderesse, sinon il serait totalement
dénué de sens.
Je rejette donc l'action avec dépens.
Toutefois, au cas où ma décision serait portée
devant la Division d'appel et serait renversée sur ce
point, il est utile que je commente brièvement les
deux autres points suivants: la demanderesse avait-
elle un intérêt assurable? Et quelles sont la nature
et l'importance de la perte?
Sur le premier point, il ressort clairement de la
preuve que le risque afférent à chaque morceau de
bois d'oeuvre, jusqu'à ce qu'il soit arrimé sur le
bateau, incombait au fournisseur, James Richard-
son Co. Limited, le contrat passé entre lui et la
demanderesse étant «f.o.b. arrimé à bord du
navire.» Voir Colonial Insurance Company of New
Zealand c. Adelaide Marine Insurance
Company 10 .
Quant aux destinataires tunisiens, le contrat
intervenu avec eux était c.i.f. (coût, assurance et
fret). Ce type de contrat permet de passer le risque
quand l'expédition est prête et au moment du
transfert des documents, le vendeur étant en
mesure d'obtenir le paiement des marchandises
avant qu'elles arrivent à leur lieu de destination et
même lorsqu'elles se perdent en transit. Le risque
afférent à l'expédition passe à l'acheteur, bien qu'il
ait encore le droit de rejeter les marchandises à
leur arrivée si elles ne sont pas conformes aux
modalités du contrat.
Toutefois, à mon sens, dans certaines circons-
tances, on peut établir une distinction entre l'ache-
teur qui passe un contrat c.i.f. pour une expédition
de marchandises ou un chargement déterminé, et
celui qui en passe un pour l'achat c.i.f. d'une
certaine quantité de marchandises qui peuvent être
expédiées en autant de chargements que le vendeur
le désire. Dans le premier cas, le risque ne passe à
10 (1887) 12 App. Cas. 128 (P.C.).
l'acheteur que lorsque le navire est complètement
chargé et que la cargaison faisant l'objet du con-
trat est complète, tandis que, dans le second cas,
on peut très bien juger que le risque passe à
l'acheteur au fur et à mesure que les tranches de
marchandises sont chargées sur le navire pour lui
être expédiées.
En l'espèce, pour trancher ce point litigieux, il
n'est pas nécessaire de déterminer à quel moment
la propriété du bois d'oeuvre est passée à l'ache-
teur. En général, la propriété et le risque passent
simultanément, mais cela ne s'applique pas aux
contrats c.i.f. Il a été déjà jugé que, lorsque la
police est cédée à l'acheteur, celui-ci peut poursui-
vre, bien qu'il n'ait pas d'intérêt assurable dans les
marchandises au moment où le dommage s'est
produit. Voir J. Aron and Co. (Incorporated) c.
Miall". D'autre part, le vendeur c.i.f. ne peut pas
poursuivre après l'expédition parce qu'il n'a pas
d'intérêt assurable dans les marchandises. Voir
York -Shipley, Inc. c. Atlantic Mutual Insurance
Company 12 . Lorsque le vendeur n'achète pas les
marchandises à flot pour les expédier au destina-
taire, il doit passer avec le transporteur un contrat
d'affrètement et la cargaison est expédiée par le
vendeur lorsqu'elle est chargée sur le navire et
c'est le transporteur qui remet au destinataire les
documents d'embarquement.
En l'espèce, le contrat passé avec les acheteurs
tunisiens prévoyait que la quantité de bois d'oeuvre
commandée serait fournie «en deux tranches», ce
qui signifie en deux blocs ou en deux parties. Dans
le contexte du contrat, vu que le bois en question
devait être transporté par bateau, les termes «en
deux tranches» ne peuvent signifier qu'«en deux
expéditions» ou «en deux envois par mer», en d'au-
tres termes «en deux chargements». La première
expédition ayant déjà eu lieu, tout le reliquat
devait donc être chargé sur le Elarkadia. Jusqu'à
ce que la totalité du bois d'oeuvre soit à bord du
navire, le chargement ne constituait pas une expé-
dition et le risque ne passait pas à l'acheteur. La
demanderesse conservait donc, tant que la cargai-
son n'était pas complète, un intérêt assurable dans
le bois arrimé à bord, qui de ce fait n'était plus aux
risques et périls du fournisseur, James Richardson
Co. Limited.
" (1928-29) 34 Comm. Cas. 18.
2 (1973) 474 F.2d 8.
Enfin, je désire examiner la nature et l'impor-
tance de la perte.
La demanderesse prétend avoir droit à une
réclamation pour perte réputée totale. Il s'agit là
d'une notion propre à l'assurance maritime, où la
perte est considérée comme effective, même si la
chose assurée n'est pas totalement perdue, mais a
beaucoup de chances de l'être par la suite à cause
de l'improbabilité, de l'impraticabilité ou des frais
de réparation ou de recouvrement. (Voir Assicura-
zioni Generali c. SS. Bessie Morris Co.,
Limited 13 .)
Contrairement à la perte totale réelle, qui est
une perte en droit et en fait, la perte réputée totale
est une perte totale en droit, même si elle ne l'est
pas en fait. Un avis de délaissement en bonne et
due forme, donné dans des conditions qui le justi-
fient, autorise l'assuré à revendiquer une perte
totale auprès de son assureur.
Toutefois, il est bien évident que les conditions
doivent justifier ledit avis et, si les faits ne rendent
pas improbable le recouvrement des marchandises
par l'assuré ou si les marchandises ne sont pas
détériorées au point que leur réparation dépasse
leur valeur ou s'il est possible d'éviter que leur
destruction soit absolue ou leur perte irréparable,
l'assuré ne peut pas transformer une perte, qui au
moment du délaissement n'est que moyenne, en
une perte totale, simplement en donnant un avis de
délaissement. (Voir Goss c. Withers' 4 ; par lord
Mansfield à la page 697 et aussi Anderson c.
Wallis 15 par lord Ellenborough.)
La perte réputée totale se produit lorsque les
faits sont tels qu'un propriétaire prudent non
assuré, obéissant à un jugement très sûr, vendrait
la cargaison dans l'état où elle est plutôt que
d'essayer de la sauver ou de la réparer. Toutefois,
il faut que le coût de sauvetage et de réparation
dépasse la valeur de la chose réparée dans une telle
proportion qu'aucun homme raisonnable ne puisse
s'interroger sur l'opportunité de vendre au lieu de
13 [1892] 1 Q.B. 571.
'^ (1758-1761) 2 Burr. 683, 97 E.R. 511.
15 (1813-14) 2 M. & S. 240, 105 E.R. 372.
réparer. (Voir Morris c. Robinson 16 ; Irwin c.
Hine 17 et Doyle c. Dallas 18 .)
En l'espèce, le bois d'oeuvre ne représentait cer-
tainement pas une perte totale, car il ressort nette-
ment de la preuve que, plus tard, tout le charge-
ment a été vendu sur le marché libre au prix
marchand régulier et sans que les qualités spéci-
fiées dans le contrat initial aient été modifiées,
sauf pour une très petite quantité qui a été vendue
dans une qualité inférieure. Lorsqu'il n'y a pas
perte totale réelle, bien entendu, le fardeau de la
preuve pèse sur l'assuré qui doit établir qu'il y a eu
perte réputée totale. (Voir Robertson c. Stairs 19 .)
Les deux parties adverses ont produit de nom-
breux témoignages d'experts quant à l'importance
des dommages que les deux tempêtes ont causés au
bois d'oeuvre chargé sur le Elarkadia. Les experts
cités par la demanderesse et ceux cités par la
défenderesse ont exprimé des vues non seulement
contradictoires mais même, dans une grande
mesure, diamétralement opposées et qui condui-
sent à des résultats nettement différents. Pour
cette raison, les circonstances dans lesquelles les
experts ont procédé à leurs inspections revêtent
une importance particulière.
Les experts en bois d'oeuvre n'ont procédé à
aucune inspection avant le déchargement et les
inspections qu'ils ont pratiquées après, ont été fort
limitées et inégales en partie à cause du mauvais
temps, mais surtout je crois, parce qu'après avoir
été enlevé du navire, le bois a été transporté sur le
chantier de scierie et déposé au petit bonheur sans
que l'on se soit donné la peine de le mettre en pile
et de le séparer. Pourtant, sur le navire, il se
trouvait réparti dans quatre cales différentes et il
ressort nettement de la preuve que son degré de
détérioration dû à l'échouage et à l'eau de mer a
été très différent dans chacune de ces quatre cales.
Au moment du déchargement ainsi qu'immédiate-
ment avant et après les inspections, le temps a été
exceptionnellement mauvais et glacial. Le bois
entreposé dans le chantier de scierie, a été recou-
vert de neige et de glace avant l'arrivée des
experts.
i6 (1824-5) 3 B. & C. 196, 107 E.R. 706.
" [1950] 1 K.B. 555.
18 (1 83 1 ) 1 M. & Rob. 48, 174 E.R. 17.
19 (1875) 10 N.S.R. 345 (C.A.).
A mon sens, il ressort de la preuve que le bois
d'oeuvre a été débarqué et déposé au hasard sur le
chantier, sans qu'on ait essayé de le séparer, prin-
cipalement (sinon entièrement) parce que la
demanderesse, sans envoyer pour inspecter la car-
gaison quelqu'un connaissant le traitement anti -
coloration, a pris sur elle d'informer par téléphone
à Grande Vallée, l'expert maritime Matheson, que
la totalité de la cargaison n'était plus en état d'être
expédiée en Tunisie, en tant que bois d'oeuvre
traité par le procédé anti -coloration. Si tel avait
été le cas, il aurait été probablement plus coûteux
de défaire les blocs, de laver le bois, de l'abriter, de
refaire les blocs et de transporter le bois en vue de
sa réexpédition, que de faire faire un autre traite-
ment anti -coloration. Le délaissement aurait alors
été justifié. Or, j'estime que la demanderesse a
transmis des renseignements parfaitement inexacts
à Matheson, qui n'avait aucune connaissance par-
ticulière en matière de traitement anti -coloration
et de bois, et ne s'est soucié que du sauvetage. Le
bois qui se trouvait dans la cale n° 1 est resté
intact, celui de la cale n° 3 a été simplement exposé
aux embruns. Tout au plus, l'eau a-t-elle pénétré
dans les cales n° 2 et n° 4 et, si on en croit le
témoin B. R. Johnson, seulement dans la cale n° 4.
En tous cas, même à marée haute, l'eau, dans ces
deux cales, n'a jamais dépassé cinq pieds, et il n'a
pas été établi que le bois qui s'y trouvait ait été
activement lavé ou fortement soumis aux courants
d'eau de mer.
Le navire échoué accusait une inclinaison de 3°
et j'accepte en preuve que les vagues ne couvraient
pas le pont, mais qu'un fort embrun provenant de
leur brisement, balayait le navire. La neige souf-
flait aussi sur les ponts.
Je conclus que la demanderesse n'a pas réussi à
établir qu'une grande partie du bois arrimé dans
les cales n° 2 et n° 4 ou qu'une partie de celui
arrimé dans les deux autres cales ont été plus
exposés à l'eau de mer que dans n'importe quelle
traversée où ils auraient été expédiés comme car-
gaison de pont. Il ressort nettement de la preuve
qu'il avait d'abord été question d'adopter cette
formule pour une partie du bois. Or, il est mani-
feste que toute cargaison en pontée sur un navire
qui traverse l'Atlantique à cette époque de l'année,
risque fort d'être exposée à l'eau de mer provenant
d'embruns et du brisement des vagues.
La demanderesse a téléphoné aux fournisseurs
américains du procédé chimique anti -coloration et
leur a demandé si ledit procédé résistait lorsque le
bois se trouvait exposé à l'eau de mer sur un navire
naufragé pendant une tempête, et si le bois pouvait
toujours être expédié à ses destinataires en Tunisie
à titre de bois traité par le procédé anti -coloration.
De toute évidence, si l'agent du fournisseur, qui ne
connaissait pas exactement le degré d'exposition
du bois à l'eau de mer et se voyait interrogé par
quelqu'un qui ignorait les faits, n'avait pas
répondu négativement, il aurait fait preuve d'im-
prudence. Toute autre réponse l'aurait exposé
éventuellement à une action en dommages-intérêts,
car il ne fait aucun doute que le lavage du bois par
l'eau de mer dissout dans une certaine mesure le
traitement anti -coloration et le rend moins efficace
s'il vient d'être appliqué et n'a pas eu le temps de
former avec lui un lien chimique assez puissant.
En l'occurrence, le fait d'avoir avisé l'expert
maritime que, selon l'avis des experts, le traite-
ment anti -coloration de toute la cargaison n'était
plus efficace et que le bois d'oeuvre n'était plus en
état d'être expédié en Tunisie, ne dénote certaine-
ment pas chez son propriétaire un esprit prudent et
un jugement solide. La demanderesse n'aurait pas
pris cette décision si elle s'était considérée comme
non assurée.
Je constate donc que la demanderesse a présumé
à tort que la totalité de la cargaison n'était pas en
état d'être expédiée sans prendre les précautions
normales qu'on attend d'un propriétaire non assuré
et prudent, à savoir faire examiner les marchandi-
ses sur place par une personne bien informée, ou
bien que, témérairement et parce qu'elle se consi-
dérait assurée, elle a choisi arbitrairement de con-
damner et de délaisser la totalité de la cargaison.
La conclusion est évidente: la demanderesse n'a
nullement réussi à établir une perte réputée totale.
Quant à l'importance de la perte, les témoigna-
ges des experts relatifs aux effets de l'eau de mer
sur le bois d'oeuvre traité par le procédé anti -colo
ration, revêtent une importance considérable.
Tous les experts ont été désavantagés du fait
qu'ils n'ont vu le bois d'oeuvre qu'après qu'il a été
déposé dans le chantier de scierie et n'ont pas pu
l'examiner tel qu'il était sur le navire ni observé
jusqu'à quel point il a été réellement lavé par l'eau
de mer. Sur ce dernier point, deux des experts cités
par la demanderesse, M. Nagel et le Dr Goulet, se
sont principalement basés sur la saleté, les impure-
tés et le sable qu'ils ont observés à l'extérieur de
certains blocs de bois et sur des planches à l'inté-
rieur de deux blocs. Ils ont déduit de cette présence
que pour avoir pénétré dans les blocs de bois au
point de salir les planches, il a fallu que la mer et
la vase fassent un lavage considérable.
Toutefois, il ressort de la preuve que certains
blocs se sont ouverts en les déchargeant et que les
morceaux de bois se sont répandus dans la saleté,
le sable et la boue du chemin d'accès et de la
rampe que les sauveteurs ont construits avec des
bulldozers pour pouvoir amener des camions et des
machines jusqu'au navire et décharger le bois. Ces
planches détachées ont été ensuite liées à nouveau
en blocs, sans être lavées ni rincées, et déposées
dans le chantier de scierie avec les blocs intacts.
J'accepte la déposition du témoin Matheson, qui a
surveillé le déchargement lorsqu'il mentionne la
rupture de certains blocs de bois ainsi que leur
réajustage, et indique qu'en fin de compte il y
avait après le déchargement 534 blocs au lieu des
559 chargés primitivement et ce, bien que tout le
bois ait été déchargé. J'accepte aussi son témoi-
gnage suivant lequel il n'y avait ni saleté ni vase
dans les cales du Elarkadia.
Je constate donc, d'après la prépondérance des
probabilités, que la saleté observée par les témoins
Nagel et Goulet à l'intérieur de certains blocs de
bois s'explique par ce que je viens d'exposer et non
pas par la pénétration de l'eau de mer véhiculant
de la saleté et des impuretés dans les cales n° 2 et
n° 4, ainsi que dans le bois. En tous cas, la
demanderesse n'a pas réussi à prouver que les deux
seuls blocs à l'intérieur desquels ils ont observé de
la saleté, ne se trouvaient pas parmi ceux qui se
sont ouverts au cours du déchargement.
Quand on considère la souillure du bois, il ne
faut pas perdre de vue qu'avant le déchargement,
la demanderesse a avisé Matheson que la totalité
de la cargaison n'était plus en état d'être livrée,
pour la raison que je viens de donner. J'ai déjà
commenté la nature erronée des renseignements
qu'elle lui a transmis. Il n'est donc pas illogique de
supposer qu'il aurait traité le bois avec plus de
soin, lors du déchargement, s'il avait eu en vue son
réembarquement immédiat et s'il avait été con-
vaincu que le bois convenait toujours aux fins pour
lesquelles le destinataire l'avait acheté. Toutefois,
la défense n'ayant produit aucune preuve sur ce
point, il me faut présumer que la souillure du bois
n'est pas imputable aux renseignements erronés
transmis par la demanderesse.
A l'instance, on a beaucoup parlé de la souillure
du bois, mais lorsqu'on examine la preuve, on
s'aperçoit qu'en fait très peu de blocs ont été
souillés à l'extérieur ou à l'intérieur. A vrai dire,
très peu de blocs aussi ont été examinés. Cette
omission est due en partie au moins aux conditions
atmosphériques qui sévissaient au moment de l'ins-
pection et à la quantité de neige tombée avant
l'arrivée des experts au chantier de scierie. Bien
entendu, il incombe à la demanderesse d'établir le
degré de souillure. Il faut aussi considérer ce
manque de preuve en fonction de la revente de la
totalité de la cargaison, qui a eu lieu sans baisse de
qualités, sauf pour une très petite quantité de bois.
Quant à l'action de l'eau salée sur le bois traité
par le procédé anti -coloration, j'accepte le témoi-
gnage de Baikowitz, de préférence à l'opinion des
experts cités par la demanderesse. Selon lui, les
trois chlorophénols contenus dans le procédé anti -
coloration, le Permatox 120D, qui a été utilisé
pour traiter ce bois, réagissent avec les acides du
bois et, après trois jours, forment une substance
chimique insoluble à l'eau, la penta ou le tetrachlo-
rophénol. Il est peu ou point probable que l'eau de
mer l'ait enlevée de la surface du bois. J'accepte
aussi son opinion lorsqu'il déclare que les atomes
chloriques non ioniques contenus dans la substance
protectrice ne risquent pas d'être enlevés avec le
filtrage par l'eau. Il est intéressant de noter ici que
le manufacturier a indiqué qu'il faut protéger le
bois d'oeuvre contre l'eau lorsqu'il est fraîchement
traité, mais n'a pas mentionné cette précaution à
prendre lorsque le traitement n'est pas frais.
Le témoignage du Dr Goulet, cité par la deman-
deresse, relatif à la quantité de chlore détectée
dans l'analyse des morceaux de bois contaminés
par l'eau de mer n'apporte pas grande aide, lors-
qu'on considère le reste de sa déposition. Selon lui,
le procédé chimique anti -coloration serait aussi
filtré par l'eau. Le même élément, c'est-à-dire le
chlore, se trouve dans les chlorophénols, qui consti
tuent le procédé chimique anti -coloration. Contrai-
rement à l'expert de la défense, il n'a prélevé ni
analysé aucun échantillon de contrôle du bois
traité par le procédé anti -coloration qui n'a pas été
exposé à l'eau de mer ni effectué aucun test du
degré de salinité de l'eau de mer à Grande Vallée,
en dépit du fait que cet élément varie considérable-
ment d'un point de l'océan à l'autre. En outre, il
n'a été pratiqué aucun test sur le taux réel d'ab-
sorption de sel marin par le bois de la catégorie
considérée ici ou de tout autre bois d'oeuvre. J'es-
time donc que la présence de chlore n'apporte pas
grande aide en la matière, sauf si sa source et le
taux de sel marin sont déterminés.
Je conclus que la demanderesse a droit à une
indemnité pour le remplacement d'une quantité
relativement petite du bois d'oeuvre arrimé dans
les cales n° 2 et n° 4 détérioré par suite de l'enlève-
ment possible d'une partie du traitement anti -colo
ration, et d'une certaine quantité de bois souillé
pendant le déchargement, ainsi que d'environ
2,000 pieds-planche qui ont été détruits.
En l'espèce, il est très difficile de calculer le
montant réel du dommage causé au bois d'oeuvre,
vu que tous les éléments de preuve produits par la
demanderesse convergent vers l'établissement
d'une perte réputée totale en raison de la destruc
tion du traitement anti -coloration par la plus
légère exposition à l'eau de mer et non pas vers la
détermination de l'importance réelle de la perte ou
du dommage causé au bois par la souillure ni vers
la quantité de bois réellement lavé par la marée.
Vu les circonstances, j'estime que le montant de
$10,000 représenterait une juste indemnité pour le
coût de remplacement du bois d'oeuvre détérioré
ou détruit par la tempête et le déchargement, en
raison du mauvais temps et du dispositif de fortune
installé à cet effet.
A ce montant, j'ajouterais le coût de l'assurance
couvrant le nouveau chargement, soit $5,554. Je
retiendrais aussi les frais afférents au transport par
camion d'environ 977,045 pieds-planche de
Grande Vallée à Carleton-sur-mer à $20 par mille
pieds-planche, soit $19,540 et des frais supplémen-
taires d'environ $2,000 pour le déchargement des
camions et de $5,000 pour le rechargement du bois
sur le navire John M. Rehder, tous ces postes
totalisant $42,094.
Je passe maintenant à la réclamation de $93,000
pour le fret, qui a fait l'objet d'une autre action
engagée par les affréteurs du Elarkadia contre la
demanderesse, qui l'a contestée en justice. La res-
ponsabilité de cette dernière n'a pas été clairement
établie à l'audience et il reste toujours quelque
doute à cet égard. Par contre, une chose est cer-
taine: si la défenderesse avait assuré la demande-
resse au titre de la police en litige, avec le bénéfice
des clauses T.T.F. que celle-ci revendique, elle
aurait été tenue d'indemniser sa cliente et de la
mettre à couvert contre toute réclamation de cette
nature, y compris bien entendu les frais de contes-
tation en justice. La demanderesse aurait donc été
en droit de réclamer jugement à cet effet.
Pour les raisons que j'ai déjà mentionnées quant
à l'effet de l'article 23 de The Marine Insurance
Act de l'Ontario, appliqué aux faits de l'espèce, je
rejette l'action avec dépens et le jugement sera
rendu en conséquence.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.