A-35-77
Juan Jose Fourment Lugano (Requérant)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Le Dain et le juge suppléant MacKay—Toronto, le
28 avril 1977.
Examen judiciaire — Immigration — Rejet par la Commis
sion d'appel de l'immigration de la requête visant la réouver-
ture de l'appel interjeté contre l'ordonnance d'expulsion afin
que la Commission puisse entendre une nouvelle preuve — La
Commission est-elle compétente pour annuler sa propre déci-
sion et rouvrir les procédures? — Loi sur la Commission
d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. 1-3, dans sa forme
modifiée par S.C. 1973-74, c. 27, art. 11 — Loi sur la Cour
fédérale, art. 28.
Distinction faite avec l'arrêt: Grillas c. M.M.&l. [1972]
R.C.S. 577.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
R. J. Gathercole pour le requérant.
G. R. Carton pour l'intimé.
PROCUREURS:
Student's Legal Aid Society, Toronto, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés â l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une
demande formulée en vertu de l'article 28 aux fins
d'annuler une décision de la Commission d'appel
de l'immigration qui rejette une requête présentée
par le requérant [TRADUCTION] «visant la réouver-
ture de son `appel initial' aux motifs que la Com
mission ne disposait pas de certaines preuves lors-
qu'elle a décidé de `refuser que l'appel suive son
cours', que ces preuves ne pouvaient être obtenues
à ce moment et qu'elles sont de nature à fournir
`des motifs suffisants pour reconsidérer la première
décision'».
La Commission a décidé de rejeter la requête
aux motifs qu'elle n'avait pas compétence pour
l'accorder. La seule question que cette cour doit
trancher est celle de savoir si la Commission a eu
tort ou raison en décidant qu'elle n'avait pas l'au-
torité d'accorder la requête de «réouverture».
Le requérant, de même que ses trois enfants, a
fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion rendue le
23 octobre 1975. Un avis d'appel a été déposé le 24
octobre 1975, en vertu de l'article 1 I (1) de la Loi
sur la Commission d'appel de l'immigration, tel
qu'édicté par le chapitre 27 des S.C. de 1973-74,
dont voici un extrait:
II. (I) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), une per-
sonne frappée d'une ordonnance d'expulsion, en vertu de la Loi
sur l'immigration, peut, en se fondant sur un motif d'appel qui
implique une question de droit, une question de fait, ou une
question mixte de droit et de fait, interjeter appel devant la
Commission, si au moment où l'ordonnance d'expulsion est
prononcée contre elle, elle est
c) une personne qui prétend être un réfugié que protège la
Convention; ou
L'avis d'appel contenait une «déclaration» comme
l'exige l'article 11(2), qui se lit comme suit:
(2) Lorsqu'un appel est interjeté devant la Commission con-
formément au paragraphe (1) et que le droit d'appel se fonde
sur l'une des prétentions visées par les alinéas (1)c) ou d), l'avis
d'appel présenté à la Commission doit contenir une déclaration
sous serment énonçant
a) la nature de la prétention;
b) un énoncé suffisamment détaillé des faits sur lesquels se
fonde la prétention;
e) un résumé suffisamment détaille des renseignements et de
la preuve que l'appelant entend présenter à l'appui de la
prétention lors de l'audition de l'appel; et
d) tout autre exposé que l'appelant estime pertinent en ce
qui concerne la prétention.
Conformément à l'article 11(3), qui se lit comme
suit:
(3) Nonobstant toute autre disposition de la présente loi,
lorsque la Commission reçoit un avis d'appel et que l'appel se
fonde sur une prétention visée par les alinéas (1)c) ou d), un
groupe de membres de la Commission formant quorum doit
immédiatement examiner la déclaration mentionnée au para-
graphe (2). Si, se fondant sur cet examen, la Commission
estime qu'il existe des motifs raisonnables de croire que le
bien-fondé de la prétention pourrait être établi s'il y avait
audition de l'appel, elle doit permettre que l'appel suive son
cours; sinon, elle doit refuser cette autorisation et ordonner
immédiatement, l'exécution aussi prompte que possible de l'or-
donnance d'expulsion.
la Commission d'appel de l'immigration a rendu,
le 13 novembre 1975, un jugement dont le corps se
lit comme suit:
[TRADUCTION] La déclaration des appelants en date du
2 4'è"'° jour d'octobre 1975, déposée conformément au paragra-
phe (2) de l'article I I de la Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration a été examinée le I2'' jour de novembre 1975,
et les mémoires versés au dossier après lecture;
LA COMMISSION ORDONNE que les appels de l'ordonnance
d'expulsion rendue contre les appelants le 23 1 è"" jour d'octobre
1975 soient par les présentes rejetés;
ET ORDONNE? DE PLUS que l'ordonnance d'expulsion soit
exécutée le plus tôt possible.
La présente demande fondée sur l'article 28 a
été plaidée d'après la question en litige à savoir si,
ayant déjà rendu son jugement, la Commission a
1:autorité, expresse ou implicite, en vertu de la loi,
d'annuler ce jugement, de rouvrir les procédures
pour recevoir des affidavits qui compléteraient la
déclaration déposée en vertu de l'article 11(2), et
de rendre une autre décision en vertu de l'article
11(3) en se fondant sur un examen de la première
déclaration ainsi complétée.
A mon avis, on se rend compte, à la lecture de
l'article 11(3), que la Commission n'a pas une telle
autorité. Aux termes de cette disposition, un
groupe de membres de la Commission, formant
quorum doit «immédiatement examiner la déclara-
tion mentionnée au paragraphe (2)» et si, «se fon
dant sur cet examen», la Commission en vient à
une certaine conclusion, elle doit «permettre que
l'appel suive son cours» et, dans tout autre cas, elle
doit «refuser cette autorisation» et «ordonner
immédiatement, l'exécution aussi prompte que
possible de l'ordonnance d'expulsion.»
Si je comprends bien l'article 11(3),
a) il faut qu'un groupe de membres de la Com
mission formant quorum agisse «immédiate-
ment», et
b) en agissant immédiatement, il doit
(i) examiner la déclaration mentionnée à l'ar-
ticle 11(2) (c'est la déclaration qui était con-
tenue dans l'avis d'appel), et
(ii) en se fondant sur cet examen,
(A) permettre que l'appel suive son cours,
ou
(B) refuser cette autorisation et ordonner
l'exécution aussi prompte que possible de
l'ordonnance d'expulsion.
Si la Commission refuse de permettre que l'appel
suive son cours, comme elle l'a fait en l'occurrence,
à mon avis, l'article 11(3) est formulé de façon à
exclure tout examen subséquent de l'appel. Selon
moi, cette interprétation est appuyée du fait qu'il
est expressément mentionné, à l'article 11(1), que
le droit d'appel, créé par cet article, existe «Sous
réserve des paragraphes (2) et (3)». A mon avis, en
lisant parallèlement les articles 11(1) et 11(3), il
ressort que la décision rendue termine l'appel.
A mon avis, tout droit que la Commission aurait
de rouvrir les procédures et de compléter la décla-
ration prévue à l'article 11(2) pendant une période
illimitée dans le futur serait contraire au but évi-
dent du législateur, qui prescrit, à l'article 11(2),
que la «déclaration» doit être contenue dans l'avis
d'appel, lequel doit être déposé dans un délai d'au
plus six jours de la date à laquelle est rendue
l'ordonnance d'expulsion.' Cette exigence, ajoutée
à la disposition de l'article 11(3) visant l'examen
«immédiat» fondé sur la déclaration suivi du règle-
ment de la question de savoir si l'appel doit immé-
diatement se terminer, est tout à fait incompatible,
à mon avis, avec la prétention du requérant selon
laquelle la question peut être considérée comme un
prolongement de la procédure en vertu duquel on
peut faire une demande pour obtenir une nouvelle
audition et y présenter une nouvelle preuve à
n'importe quel moment.
Une fois qu'un appel est terminé par une déci-
sion rendue en vertu de l'article 11(3), je suis
d'avis qu'il le demeure tant que cette décision n'est
pas annulée; et, en l'absence d'une disposition
législative expresse, un tribunal ne peut annuler ses
propres décisions. Si je comprends bien, la Cour
suprême du Canada a décidé, dans Grillas c.
qu'il existait une compétence prolon-
gée permettant d'accorder le redressement prévu à
l'article 15, compétence à laquelle on n'avait pas
mis fin par un refus antérieur.' 11 ne s'agissait pas
d'annuler une décision antérieure de la Commis
sion. Ce qu'on a décidé, en fait, c'est que même si
le redressement avait été refusé quant à un ensem-
Voir la Règle 4(2) de la Commission d'appel de
l'immigration.
2 [1972] R.C.S. 577.
J Voir l'article 26(3) de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970,
c. I-23, qui prévoit:
(3) Quand un pouvoir est conféré ou un devoir imposé, le
pouvoir peut Mtre exercé et le devoir doit être accompli i
l'occasion selon que les circonstances l'exigent.
ble de preuves, il existait encore une compétence
pour l'accorder quant à d'autres preuves.
Bien que le point soulevé dans la présente cause
ne soit pas tout à fait le même que ceux qui sont
soulevés dans des décisions antérieures de cette
cour au sujet de l'article 11 de la Loi sur la
Commission d'appel de l'immigration, à leur lec
ture, ma conclusion découle logiquement du rai-
sonnement qu'on retrouve dans ces causes.
Quant à la Déclaration canadienne des droits, je
ne suis pas persuadé que mon interprétation de
l'article 11 soit incompatible avec les exigences de
cette loi. Lorsqu'une personne vient au Canada en
tant que réfugiée—i.e. une personne qui «craignant
avec raison d'être persécutée ... se trouve hors du
pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du
fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la
protection de ce pays» 4 —ou devient réfugiée après
son arrivée au pays et avant qu'une ordonnance
d'expulsion soit rendue contre elle, il semble rai-
sonnable de s'attendre à ce qu'elle connaisse les
faits sur lesquels elle fonde sa demande de statut
de réfugiée au moment où l'ordonnance d'expul-
sion est rendue ou l'avis d'appel déposé. Ceci étant
dit, on ne peut affirmer, à mon avis, que la procé-
dure établie par l'article 11, telle que je la conçois,
empêche un «réfugié» authentique de faire valoir sa
demande. En fait, le législateur a exclu les deman-
des fondées sur des faits inconnus du réclamant au
moment où il prétend pour la première fois être un
réfugié, et il ne semblerait pas que cela soit incom
patible avec la nature de la demande.
Je suis d'avis que la demande formulée en vertu
de l'article 28 soit rejetée.
• * *
LE JUGE LE DAIN y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY y a souscrit.
[Voir l'Article I°' de la Convention des Nations Unies
relative au statut des refugiés- -Éd.l
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.