T-3159-75
Albin Achorner (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 31 janvier; Ottawa, le 9 février 1977.
Fonction publique — Pratique Action pour renvoi abusif
— Requête en radiation de déclaration — Fardeau de la
preuve Renvoi aux termes de l'art. 27 de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique — Aurait-on pu ou aurait-on dü
suivre la procédure de grief prévue à la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique? — Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art. 24 et 27 — Loi
sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C.
1970, c. P-35, art. 90(1)a)(i) — Règle 419 de la Cour fédérale.
Le demandeur a été renvoyé de son emploi aux Postes
canadiennes conformément à l'article 27 de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique pour prétendu abandon de poste. Le
demandeur prétend qu'il n'est pas retourné au travail parce
qu'il attendait une réponse à la lettre envoyée à ses supérieurs
pour leur dire qu'il craignait pour sa sécurité et pour leur
demander de l'informer de la date à laquelle il pourrait repren-
dre son travail. La défenderesse, dans sa requête en radiation
de la déclaration, prétend qu'elle avait le droit de renvoyer le
demandeur conformément à l'article 24 de la Loi et qu'en tout
état de cause, le demandeur aurait dû se prévaloir de la
procédure de grief prévue à l'article 90(1)a)(i) de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique.
Arrêt: la requête est rejetée. Pour juger si une déclaration
révèle ou non une cause raisonnable d'action, la cour doit
présumer que les faits qu'elle allègue sont exacts; tout doute
quant à ces faits doit être résolu par le juge de première
instance. La défenderesse ne peut invoquer l'article 24 parce
que le licenciement n'a pas eu lieu en vertu de cet article. Il
subsiste quelque doute sur la question de savoir si la procédure
de grief prévue par la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique était accessible au demandeur puisqu'il n'a
pas été renvoyé à la suite d'une mesure disciplinaire mais parce
qu'on prétendait qu'il avait abandonné son emploi, ce qu'il nie.
Arrêt appliqué: Wright c. La Commission des relations de
travail dans la Fonction publique [1973] C.F. 765. Dis
tinction faite avec les arrêts: Hopson c. La Reine [1966]
R.C.E. 608; Zamulinski c. La Reine [1956-60] R.C.É. 175
et Peck c. La Reine [1964] R.C.E. 966.
REQUÉTE en radiation de déclaration.
AVOCATS:
Cyril E. Schwisberg, c.r., pour le demandeur.
R. Cousineau pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Schwisberg, Golt & Benson, Montréal, pour
le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d'une requête présen-
tée par la défenderesse conformément à la Règle
419 pour obtenir une ordonnance de radiation des
plaidoiries du demandeur au motif qu'elles ne
révèlent aucune cause raisonnable d'action. Le
demandeur a déposé le 9 septembre 1975 une
première déclaration où il allègue qu'après avoir
été employé permanent des Postes canadiennes
depuis 1961, il a été renvoyé de son poste par lettre
en date du 15 août 1972 écrite par H. Vallée,
directeur intérimaire du District postal métropoli-
tain de Montréal, et ce conformément à l'article 27
de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique',
pour prétendu abandon de poste. Il allègue que,
suite à son défaut de s'affilier au syndicat et à son
refus de participer à une grève illégale en 1965, il a
été attaqué le 4 ou le 5 juin 1966 par environ 200
hommes qui l'ont battu, lui cassant le nez et les
dents, ce qui l'a obligé à subir des traitements à
l'hôpital. A la suite de cela, il a été transféré à la
sous-section de la recommandation du bureau de
poste principal de Montréal et y a travaillé cinq
ans. En 1971, on a soudainement changé ses
heures de travail et il a été victime de tracasseries
et de menaces alors qu'il travaillait au sein de la
nouvelle équipe de nuit à laquelle il avait été
affecté; cette situation a atteint un point critique le
26 mai 1972, lorsque R. Dagenais lui a ordonné de
fermer avant l'heure prévue les dépêches à expé-
dier par courrier aérien—en d'autres termes, de
travailler délibérément au ralenti afin qu'on puisse
l'accuser de ne pas s'acquitter correctement de sa
tâche. Il a été à nouveau menacé lors de sa sortie
et conséquemment il ne s'est pas présenté au tra
vail le 27 mai 1972; il a écrit une lettre expliquant
qu'il craignait pour sa sécurité et demandant à son
surveillant de l'informer de la date à laquelle il
pourrait reprendre son travail. Le 29 mai 1972, il a
écrit à L. Durocher, directeur du District postal
métropolitain de Montréal, une autre lettre accom-
pagnée d'une copie de celle envoyée à son surveil-
lant, St -Cyr, mais n'a reçu aucune réponse; la
' S.R.C. 1970, c. P-32.
première lettre reçue par lui a été celle de Vallée
en date du 15 août 1972 l'avisant de son renvoi,
conformément à. l'article 27 de la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique. Voici la teneur de cet
article:
27. Lorsqu'un employé s'absente de son poste pendant une
semaine ou davantage, sauf pour des raisons qui, de l'avis du
sous-chef, sont indépendantes de sa volonté, ou sauf en confor-
mité de ce qui est autorisé ou prévu par une loi du Parlement ou
sous son régime, le sous-chef peut, au moyen d'un écrit appro-
prié adressé à la Commission, déclarer que l'employé a aban-
donné le poste qu'il occupait. Cet employé cesse dès lors d'être
un employé.
Il n'est pas nécessaire, aux fins de la présente
requête, d'entrer dans le détail de cette fort longue
déclaration ou des tentatives du demandeur pour
obtenir un redressement en envoyant des lettres
aux députés et au ministre des Postes, non plus que
de sa réclamation pour perte du salaire qu'il aurait
pu espérer gagner à l'âge de la retraite, et pour
perte de pension.
La défenderesse a d'abord présenté une requête
pour décision sur un point de droit. Il s'agissait de
savoir si l'action du demandeur était prescrite. La
Division de première instance a rejeté la requête et
appel a été interjeté de cette décision devant la
Cour d'appel 2 . Après examen de la déclaration, le
juge en chef Jackett a conclu que la défenderesse
avait le choix entre deux solutions, la première
étant de faire juger si la déclaration révélait ou
non une cause d'action et de soulever à ce
moment-là la question de prescription, et la
deuxième étant de laisser l'affaire suivre son cours
jusqu'à l'interrogatoire préalable de façon à clari-
fier les faits, auquel cas la déclaration aurait pu
être modifiée. Il a dit ensuite [à la page 646]:
...je suis tout d'abord frappé par le doute réel que je ressens
après avoir lu la déclaration (que l'appelante a voulu être le
sujet principal de la décision afférente au seul point de droit
proposé) quant à la nature de la cause d'action, s'il y en a une.
J'ai le sentiment que si on laissait l'affaire suivre son cours, au
dernier moment, il surgirait une cause d'action qui n'apparaît
pas à la simple lecture de la déclaration, mais apparaîtrait
peut-être dans sa version modifiée. Je ne pense donc pas, qu'à ce
stade, il soit «opportun» de soumettre le point de droit proposé.
La demanderesse a soumis en temps et lieu une
déclaration amendée donnant plus de détails sur la
prétendue cause d'action et la requête est présen-
t [1977] 1 C.F. 641.
tée pour obtenir la radiation totale de cette
déclaration.
Pour juger une telle requête, la Cour doit présu-
mer que toutes les allégations contenues dans la
déclaration sont vraies et ensuite, ceci admis, dire
s'il existe une cause d'action. S'il subsiste un
doute, la jurisprudence a établi que la décision
devait être laissée au juge de première instance qui
devait avoir l'occasion d'entendre la preuve. Si l'on
applique ce principe en l'espèce, il semble que le
demandeur ait été très mal traité et ait perdu son
emploi parce qu'il avait refusé d'obéir au syndicat
et de participer à une grève illégale. Il semble aussi
qu'il y ait eu incapacité ou mauvaise volonté de ses
supérieurs à assurer sa protection contre les mena
ces et les . voies de faits qu'il a subies et qu'il avait
de bonnes raisons de croire que cela continuerait
s'il ne bénéficiait pas d'une telle protection.
Comme l'a allégué son avocat, il a été renvoyé
pour des raisons de commodité et à cause du désir
de ses supérieurs de ne pas provoquer le syndicat et
causer d'autres conflits, la situation au bureau de
poste de Montréal étant déjà fort tendue. En d'au-
tres termes, le demandeur était une partie inno-
cente sacrifiée pour l'achat de la paix au travail.
Si tel est bien le cas, comme le soutient le
demandeur, il a pu avoir raison de prétendre que
son absence du travail pour une période d'une
semaine ou plus résultait de causes sur lesquelles il
n'avait aucun contrôle et que ses employeurs ne
pouvaient justifier leur décision de se prévaloir de
l'article 27 de la Loi pour déclarer qu'il avait
abandonné son poste et ainsi cessé d'être un
employé.
La question qui soulève le plus d'intérêt à ce
stade des procédures n'est pas de savoir si le
demandeur peut avoir une action valable au fond
lorsque l'on connaît tous les faits, ce qui ne peut
être décidé avant la fin du procès, mais de savoir si
les procédures actuelles constituent une voie de
recours appropriée qu'il a le droit d'utiliser pour
obtenir redressement.
La défenderesse invoque l'article 24 de la Loi,
dont voici la teneur:
24. Un employé occupe sa charge durant le bon plaisir de Sa
Majesté sous réserve de la présente loi et de toute autre loi ainsi
que des règlements établis sous leur régime et, à moins qu'une
autre période ne soit spécifiée, pendant une période
indéterminée.
Je ne crois pas que cet article soit correctement
invoqué puisque le licenciement n'a pas eu lieu en
vertu de cet article de la Loi. Aucun arrêté en
conseil n'a été adopté pour son renvoi, comme
c'était le cas dans l'affaire Hopson c. La Reine'.
L'arrêt Zamulinski c. La Reine', s'il pose en
principe qu'un employé ne peut réclamer de dom-
mages-intérêts pour renvoi s'il détenait son poste
selon le bon plaisir de la Couronne, a cependant
attiré l'attention sur un article des règlements
donnant à l'employé le droit de soumettre son cas à
un agent supérieur nommé par un sous-ministre et
d'être entendu avant son congédiement; et comme
il avait été privé de ce droit, il lui était accordé une
indemnité symbolique de $500.
Une décision semblable a été rendue par mon-
collègue le juge Cattanach dans l'arrêt Peck c. La
Reines, mais aucune indemnité n'a été accordée en
l'espèce parce que le demandeur avait eu la possi-
bilité de faire connaître son point de vue avant son
congédiement.
Dans Rao c. Secretary of State for India 6 , un
article quelque peu semblable à l'article 24 pré-
voyait que l'employé restait en fonction durant bon
plaisir de Sa Majesté. L'en-tête de la décision
publiée est ainsi libellé:
[TRADUCTION] Les termes de l'art. 96B assurent que la durée
d'un emploi, même détenu à titre amovible, ne sera pas sujette
à une action capricieuse ou arbitraire, mais soumise aux règles,
qui sont nombreuses, la plupart minutieuses dans leurs caracté-
ristiques et toutes susceptibles d'être modifiées, mais l'appelant
n'a en vertu de ces règles aucun droit, exécutoire au moyen
d'une action, de détenir son poste et il peut donc être renvoyé,
nonobstant le défaut d'observer la procédure prescrite par les
règles.
L'art. 96B et les règles pourvoient au redressement des
dommages selon une procédure d'ordre administratif.
Cependant, la cause en l'espèce semble soulever
quelques questions dont les suivantes: dans les
circonstances où l'on a estimé, en appliquant l'arti-
cle 27 de la Loi, que le demandeur avait aban-
donné son emploi, aurait-il pu obtenir un redresse-
ment en utilisant une procédure d'ordre
administratif? La défenderesse affirme qu'il -aurait
dû se prévaloir de la procédure de grief prévue aux
3 [1966] R.C.É. 608.
° [1956-60] R.C.É. 175.
5 [1964] R.C.É. 966.
6 [ 1937] A.C. 248.
articles 90 et suivants de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique'. Voici le texte
de l'article 90(1)a)(1):
90. (1) Lorsqu'un employé s'estime lésé
a) par l'interprétation ou l'application à son égard
(i) de quelque disposition d'une loi, d'un règlement, d'une
instruction ou d'un autre instrument établi ou émis par
l'employeur, concernant des conditions d'emploi,
relativement à laquelle ou auquel aucune procédure administra
tive de réparation n'est prévue en vertu d'une loi du Parlement,
il a le droit, sous réserve du paragraphe (2), de présenter ce
grief à chacun des paliers, y compris le dernier palier, que
prévoit la procédure applicable aux griefs établie par la pré-
sente loi.
La défenderesse soutient qu'en vertu de l'article
27, on doit appliquer au demandeur les disposi
tions de l'article 90 de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique et que le deman-
deur, s'il n'était pas satisfait, aurait dû présenter
un grief au lieu de s'adresser à plusieurs fonction-
naires et au ministre des Postes, à son député au
Parlement et à d'autres pour obtenir un redresse-
ment et que, ne s'étant pas prévalu de ce recours, il
n'aurait pas le droit d'intenter les procédures en
cours.
Il semble y avoir quelques doutes, cependant,
sur la question de savoir si la procédure de grief
était accessible au demandeur en l'espèce. Son
renvoi ne constituait pas une mesure disciplinaire
et, au contraire, le demandeur désirait, en fait,
poursuivre son travail conformément aux règle-
ments et s'opposer aux ordres de ses supérieurs qui
l'incitaient à participer à des ralentissements illé-
gaux en vue de retarder la livraison des dépêches.
Il a demandé à son surveillant de lui fournir une
protection et lui a dit qu'il ne pouvait retourner au
travail sans une telle assurance. Au lieu de cela, on
a appliqué l'article 27 son cas, l'accusant d'avoir
abandonné son emploi parce qu'en l'absence d'une
telle assurance, il n'avait pas repris son travail.
Incontestablement, son renvoi ne constituait pas
une mesure disciplinaire, laquelle aurait donné lieu
aux procédures de grief. La Cour d'appel a étudié
de près cette question dans Wright c. La Commis
sion des relations de travail dans la Fonction
publique'. En l'espèce, le juge en chef Jackett a
soigneusement analysé les dispositions des articles
' S.R.C. 1970, c. P-35.
s i1973] C.F. 765.
de la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique ayant trait aux griefs et celles
de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
Même s'il examine le droit d'un arbitre à rendre
un jugement final et non le droit de présenter un
grief, le juge en chef établit une liste des différents
articles de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique en vertu desquels un fonctionnaire pour-
rait perdre son emploi dont, bien sûr, l'article 27
qui s'applique ici. Il affirme à la page 778:
Il convient de remarquer que toutes ces façons de mettre fin à
un emploi peuvent éventuellement donner lieu à des litiges sur
le point de savoir si les mesures nécessaires ont effectivement
été prises et peuvent éventuellement donner lieu à des litiges
quant à l'effet de la loi. Toutefois, ce n'est que dans le cas
«d'une mesure disciplinaire entraînant le congédiement» que la
méthode appropriée pour trancher le litige est le renvoi à
l'arbitrage.
Bien qu'à mon avis il aurait été plus prudent
pour le demandeur de chercher à obtenir un
redressement en utilisant la procédure de grief, on
peut soutenir qu'une telle procédure ne lui était
pas accessible dans le cas d'une décision prise en
vertu de l'article 27 de la Loi l'accusant d'avoir
abandonné son emploi, ce qu'il nie vigoureuse-
ment. Rien dans la loi ou la jurisprudence qui m'a
été citée ne fait mention de l'éventuelle exception
de l'arrêt Rao (précité), selon lequel une partie qui
a la possibilité d'utiliser une autre procédure, celle
de grief, n'a pas de recours devant les tribunaux.
En l'espèce, la déclaration amendée du demandeur
montre qu'il peut avoir contre la défenderesse une
cause d'action valide et exécutoire susceptible de
justifier l'autorisation de poursuivre l'action au
fond, de façon que la défenderesse ait l'occasion de
se défendre et que le juge de première instance
puisse statuer après un exposé complet des faits
par les deux parties.
La requête en radiation de la déclaration est en
conséquence rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.