A-560-76
McCulloch of Canada Limited et McCulloch Cor
poration (Requérantes)
c.
Le Tribunal antidumping (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
Pratte et Le Dain—Ottawa, les 7, 8 et 9 juin 1977.
Examen judiciaire — Demande visant l'annulation d'une
décision du Tribunal antidumping, pour erreur de droit
Accord général sur les tarifs et le commerce — «Proportion
majeure de la production nationale totale» — Le mot
«majeure» signifie-t-il plus de la moitié d'un tout ou impor
tant? — Les requérantes n'importent que les moteurs de scies à
dents articulées — Un moteur dépourvu de barre ou de chaîne
est-il une scie à dents articulée — Loi antidumping, S.R.C.
1970, c. A-I5, art. 16(1),(4) Accord portant sur la mise en
oeuvre de l'Article VI de l'Accord général sur les tarifs et le
commerce, Article 4a).
La demande présentée à la Cour par les requérantes vise
l'annulation, pour erreur de droit, d'une décision du Tribunal
antidumping. Le Tribunal doit tenir compte des dispositions de
l'article 16(4) de la Loi antidumping en rendant sa décision.
On a allégué que le mot «majeure» dans l'expression «une
proportion majeure de la production nationale totale de ces
produits» tirée de l'Article 4a) de l'Accord portant sur la mise
en oeuvre de l'Article VI de l'Accord général sur les tarifs et le
commerce signifie «plus de la moitié» par opposition à «impor-
tant». De plus les requérantes allèguent qu'en ce qui concerne le
préjudice présent ou futur la «décision» est invalide: la conclu
sion dans les motifs du Tribunal suivant laquelle l'objet en
question sans barre et sans chaîne est une scie à dents articulée
constitue une erreur de droit.
Arrêt: la demande est rejetée. Si l'on examine les divers sens
que peut revêtir le mot «majeure», on lui donne à l'Article 4a) le
sens de «important» et non pas le sens mathématique plus précis
de plus de la moitié que peut dans certains cas sous-entendre le
contexte. Accorder la signification mathématique au mot aurait
pour effet de contrecarrer en partie l'intention évidente de la
Loi. Bien qu'on ait allégué que la «décision» du Tribunal
constituait une erreur de droit et était donc invalide, il n'est pas
nécessaire de se prononcer sur ce point, puisque le Tribunal est
parvenu à cette décision en examinant ce qui se passait lorsque
seules les scies à dents articulées complètes étaient importées.
Néanmoins si la conclusion du Tribunal est erronée elle résulte
d'une erreur de fait et non d'une erreur de droit et dans cette
éventualité la Cour n'a aucune compétence.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
John D. Richard, c.r., pour les requérantes.
James L. Shields pour l'intimé.
Robert J. Cowling pour Homelite-Terry &
Desa Industires Ltd.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les
requérantes.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady & Morin, Ottawa, pour l'intimé.
Ogilvy, Cope, Porteous, Montgomery,
Renault, Clarke & Kirkpatrick, Montréal,
pour Homelite-Terry & Desa Industries Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une
demande présentée en vertu de l'article 28 visant
l'annulation d'une «décision» du Tribunal antidum-
ping dont voici le libellé:
Le Tribunal antidumping, après avoir procédé à une enquête
en vertu des dispositions du paragraphe (1) de l'article 16 de la
Loi antidumping, à la suite d'une détermination préliminaire de
dumping faite par le sous-ministre du Revenu national, Doua-
nes et Accise, datée du 12 mai 1976, concernant le dumping au
Canada des scies à dents articulées actionnées par moteur à
essence ayant un déplacement de 2.5 pouces cubes ou moins,
fabriquées par McCulloch Corporation, Los Angeles, Califor-
nie, et Beaird-Poulan, une filiale de Emerson Electric Com
pany, Shreveport, Louisiane, États-Unis d'Amérique, conclut
que le dumping susmentionné au Canada a causé, cause et est
susceptible de causer un préjudice sensible à la production au
Canada de marchandises semblables.
Nous avons jugé opportun de demander à l'avo-
cat des «parties intéressées»' de répondre à deux
prétentions présentées au nom des requérantes.
On a premièrement prétendu qu'en rendant la
décision suivante:
Aux fins d'évaluer si un préjudice sensible est causé à la
production au Canada des scies mentionnées, le Tribunal a jugé
que Desa et Homelite constituent la production nationale au
sens de l'article 4a) du Code antidumping, dont le Tribunal doit
tenir compte en vertu des dispositions de l'article 16(4) de la
Loi antidumping.
le Tribunal a fait une erreur de droit dans sa façon
d'essayer de se conformer à l'article 16(4) de la
Loi antidumping, S.R.C. 1970, c. A-15, dont voici
le libellé:
' Le Tribunal était représenté par un avocat mais seulement
pour la question juridictionnelle, le cas échéant. D'autres par
ties avaient déposé des avis d'intention de participer et étaient
représentées par l'avocat qui a contesté la demande.
(4) Le Tribunal, lors de l'examen de questions relatives à la
production au Canada de marchandises ou à leur mise en
production au Canada, doit entièrement tenir compte des dispo-
;itions de l'alinéa 4a) de l'accord portant sur la mise en oeuvre
le l'Article VI de l'Accord général sur les tarifs et le com
merce, signé à Genève, en Suisse, le 30 juin 1967.
si on le rapproche de l'Article 4a) de l'Accord y
mentionné, dont la partie applicable prévoit:
a) Aux fins de la détermination du préjudice, l'expression
«production nationale. s'entendra de l'ensemble des producteurs
nationaux de produits similaires ou de ceux d'entre eux dont les
productions additionnées constituent une proportion majeure de
la production nationale totale de ces produits ....
A l'appui de la première prétention on alléguait
que le mot «majeure» dans l'expression «une pro
portion majeure de la production nationale totale
de ces produits» implique que la «production natio-
nale» représente plus de la moitié de la production
canadienne.
Puisque je considère cette allégation non fondée,
je n'ai pas à répondre aux nombreuses questions
qui se soulèveraient autrement relativement à l'in-
teraction des paragraphes 16(1) z et (4).
2 L'article 16(1) se lit comme suit:
16. (1) Le Tribunal, dès réception par le secrétaire, en
vertu du paragraphe 14(2), d'un avis d'une détermination
préliminaire du dumping, doit, relativement aux marchandi-
ses auxquelles s'applique la détermination préliminaire du
dumping, faire enquête pour savoir
a) si le dumping des marchandises qui font l'objet de
l'enquête
(i) a causé, cause ou est susceptible de causer un préju-
dice sensible à la production au Canada de marchandi-
ses semblables,
(ii) a retardé ou retarde sensiblement la mise en pro
duction au Canada de marchandises semblables, ou
(iii) eût causé un préjudice sensible à la production au
Canada de marchandises semblables n'eût été le fait
qu'un droit temporaire a été appliqué aux marchandises;
ou
b) dans le cas de marchandises auxquelles s'applique la
détermination préliminaire du dumping,
(i) si
(A) il y a eu une importation considérable de mar-
chandises semblables sous-évaluées, et si ce dumping
a causé un préjudice sensible à la production au
Canada de marchandises semblables, ou eût causé un
préjudice sensible à cette production n'eût été l'appli-
cation de mesures antidumping, ou
(B) l'importateur des marchandises était ou eût dû
être au courant du fait que l'exportateur pratiquait le
dumping et que ce dumping causerait un préjudice
sensible à la production au Canada de marchandises
semblables, et
Je rejette cette allégation parce que, si l'on
examine les divers sens que peut revêtir le mot
«majeure» (major) 3 , à mon avis, on lui donne à
l'Article 4a) le sens de «important» et non pas le
sens mathématique plus précis de plus de la moitié
que peut dans certains cas sous-entendre le con-
texte, par exemple lorsque quelqu'un parle de plus
de la moitié d'un tout. A mon avis, en lisant dans
son ensemble la Loi antidumping, le seul effet que
pourrait avoir la signification attribuée au mot
«majeure» par l'avocat des requérantes serait de
contrecarrer en partie l'intention évidente de la loi.
La deuxième prétention pour laquelle on a fait
appel à l'avocat de partie opposante concerne une
partie de la conclusion du Tribunal qui se lit ainsi:
(ii) si un préjudice sensible a été causé à la production
au Canada de marchandises semblables du fait que les
marchandises entrées constituent une importation mas
sive ou font partie d'une série d'importations de mar-
chandises sous-évaluées au Canada lorsque ces importa
tions sont massives dans l'ensemble et se sont produites
au cours d'une période relativement courte, et si, en vue
d'empêcher qu'un tel préjudice sensible ne se répète,
l'imposition d'un droit sur les marchandises entrées
paraît nécessaire au Tribunal.
' The Concise Oxford Dictionary définit ainsi le mot
«major.:
[TRADUCTION] major 1. a. Le plus important (non suivi de
que) de deux choses ou catégories; qui a atteint l'âge de la
majorité; (dans les écoles) Smith etc.—, l'aînée des deux
Smith ou le premier a commencé l'école; axe principal
(axe focal d'une conique); *ligue majeure, la meilleure
ligue de baseball (au figuré); la plus grande partie, la
majorité (de); la plus importante PLANÈTE, PROPHÈTE;
suite majeure (Bridge) pique ou coeur; ORDRES majeurs.
2. D'une importance exceptionnelle, grave ou considérable
(route ou guerre exceptionnelle); (d'une opération) présen-
tant un certain danger pour la vie du patient. 3. (Logique).
(D'un terme) celui qui sert de prédicat à la conclusion d'un
syllogisme; (d'une prémisse) celle qui contient la majeure.
4. (Mus.) (D'un intervalle) normal ou parfait (voir
MINEUR), comme dans les gammes majeures, (tierce
majeure); (d'une clef) dont la gamme a la tierce majeure;
(d'une gamme) comptant des demis-tons, au-dessus de la
troisième et septième notes. 5. (Mil.) Officier qui dirige la
fanfare (TAMBOUR -major, CORNEMUSE -major, TROM-
PETTE -major); SERGENT -major. 6. n. Personne majeure;
(Logique) terme ou prémisse majeur; *spécialité de l'étu-
diant; *étudiant qui se spécialise dans un domaine (il a une
mention en philosophie). 7. v.i. *(D'un étudiant) entre-
prend une étude ou se spécialise dans une discipline déter-
minée. [anglais moyen du latin magnus grand]
Une autre question qui s'est posée était celle de savoir si
l'expression «scies à dents articulées», employée dans la déter-
mination préliminaire du sous-ministre, pouvait être interpretée
pour viser les sources de puissance de ces scies à dents articu-
lées lorsqu'elles sont importées séparément. McCulloch a fair
observer, dans son exposé public, qu'à partir du 1" avril 1976, il
n'avait importé que le moteur en provenance de McCulloch
É.-U., et avait acheté la lame et la chaîne à un fabricant
canadien. Il a fait valoir que depuis cette date, il n'avait pas
importé une scie à dents articulée «complète» en provenance de
McCulloch É.-U., ni de personne d'autre aux États-Unis, et que
la détermination préliminaire de dumping qu'avait faite le
sous-ministre «ne porte que sur des scies à dents articulées
complètes et non sur des pièces ou des éléments de celles-ci». Le
Tribunal, lors de la séance préalable à l'audience publique, a
invité les parties à présenter des arguments sur le point de
savoir si la description des marchandises dans la détermination
préliminaire pouvait inclure la source de puissance quant elle
est importée séparément. Cette question, comme de raison, a
une importance particulière en ce qui concerne l'examen de
susceptibilité de préjudice sensible.
En examinant ces arguments, le Tribunal a pris note des
prétentions contenues dans l'exposé de McCulloch Canada,
selon lesquelles le moteur pouvait servir .à entraîner des acces-
soires autres que des scies à dents articulées et en particulier,
selon lesquelles ce moteur était identique à celui que McCul-
loch Canada vend au Canada et que McCulloch É.-U. vend aux
États-Unis pour entraîner une perceuse tous usages et une
cisaille à haies. Le procureur de McCulloch à fait valoir que la
détermination préliminaire s'applique aux scies à dents articu-
lées «complètes» seulement. Le procureur de Beaird-Poulan a
également fait valoir que la source de puissance n'est pas une
scie à dents articulée, tout en observant que la preuve n'a pas
établi si le moteur était une source de puissance à usages
multiples.
Le Tribunal note également que l'emploi des moteurs des
scies à dents articulées semble impossible avec tout autre outil
ou accessoire sans une modification sensible. Le mode de
graissage automatique du moteur est par exemple manifeste-
ment conçu pour graisser la chaîne sur la barre de guidage, et
pour aucun autre objet; le frein de la chaîne installé sur le
moteur est de même uniquement conçu pour une scie à dents
articulée; le fonctionnement du moteur est également conçu, à
d'autres égards, uniquement pour une scie à dents articulée, et
des modifications seraient nécessaires pour qu'il soit employé à
toute autre fin. Il convient également d'observer que le prix de
la barre de guidage et de la chaîne représent quelque chose
comme 10% de celui d'une scie articulée complète. De plus, un
témoin pour l'industrie canadienne a déclaré que diverses appli
cations du moteur avaient été essayées, mais sans succès.
McCulloch n'a pas contesté sa déclaration. Le Tribunal consi-
dère également comme important le fait que McCulloch n'a pas
réussi à apporter la preuve qu'il vend en réalité ce moteur au
Canada pour d'autres usages.
Bien que le moteur importé ne puisse certes être utilisé
comme scie articulée tant qu'une barre de guidage et une
chaîne n'y sont pas fixées, le Tribunal est d'avis que des scies
articulées actionnées par moteur à essence ayant un déplace-
ment de 2.5 pouces cubes ou moins, avec ou sans barre de
guidage et chaîne lorsqu'elles entrent au Canada, tombent dans
le champ d'application de la détermination préliminaire. 4
Étant arrivé à cette conclusion (et à la conclusion
susmentionnée concernant la «production») le Tri
bunal a étudié les faits pertinents à la question de
«préjudice» survenus entre 1972 et la fin du pre
mier trimestre de 1976 et est parvenu à la conclu
sion suivante:
L'augmentation de la part du marché que se sont assurée les
exportateurs désignés en 1975 est frappante. L'augmentation
du volume du produit sous-évalué, au cours des trois premiers
mois de 1976 par rapport à la même période de 1975, a presque
constitué un pourcentage massif. En ne tenant pas compte
comme il le fait de l'importance qu'attache en particulier
McCulloch à la supériorité ou à la sûreté alléguée de son
produit, ni de l'incidence d'une nouvelle stratégie de commer
cialisation, le Tribunal conclut que c'est le dumping qui a
provoqué l'état de dépression dans lequel se trouve maintenant
la production nationale. Les ventes, l'emploi, l'utilisation de la
capacité de production et la possibilité de réaliser des bénéfices
ont gravement diminué. Un préjudice sensible a été infligé. De
plus, le dumping au Canada des scies à dents articulées en
question, s'il persiste, est susceptible de causer un préjudice
sensible, que la barre de guidage et la chaîne soient ou non
fixées au moment de leur importation au Canada.
Comme le révélera la lecture de la conclusion
formelle ou de la «décision» citée au début de ces
motifs, la conclusion citée ci-dessus n'altère pas le
libellé de la conclusion réelle du Tribunal qui
mentionne des scies à dents articulées et non des
objets dépourvus de barre ou de chaîne.
En fait, en ce qui concerne le préjudice présent
ou futur (et non le préjudice passé) cette deuxième
prétention porte que la «décision» est invalide parce
que la conclusion dans les motifs du Tribunal
suivant laquelle l'objet en question sans barre et
sans chaîne est une scie à dents articulée constitue
une erreur de droit.
Je suis enclin à croire que si cette conclusion est
erronée elle résulte d'une erreur de fait et non
d'une erreur de droit, et dans cette éventualité la
Cour n'a aucune compétence d'examen. Comparer
° Si je comprends bien, il est admis que, ayant reçu du
sous-ministre la détermination préliminaire, le Tribunal était
tenu, de par la loi, de rendre une décision en vertu de l'article
16, même s'il y avait preuve que l'importation des marchandises
décrites dans la détermination avait cessé et que l'on n'envisa-
geait pas d'en importer d'autres.
l'arrêt Brutus c. Cozens 5 . Cependant je ne vois pas
la nécessité de me prononcer sur ce point parce
que, si je comprends bien les motifs du Tribunal, il
est parvenu à cette décision en examinant ce qui se
passait lorsque seules les scies à dents articulées
complètes étaient importées et en inférant de ces
faits. Autant que j'en puis juger, la conclusion
concernant les scies à dents articulées avec barre et
chaîne ne découle aucunement de la conclusion du
Tribunal que certains objets dépourvus de barre et
de chaîne étaient des scies à dents articulées.
A mon avis, le demande présentée en vertu de
l'article 28 doit être rejetée.
* *
LE JUGE PRATTE y a souscrit.
* * *
LE JUGE LE DAIN y a souscrit.
5 [1973] A.C. 854. Nous n'avions pas devant nous d'exem-
plaire de l'objet en question et j'ai tendance à croire qu'à moins
d'avoir la meilleure preuve devant nous, nous ne pouvons
conclure que le Tribunal, étant spécialisé et possédant des
connaissances générales que cette cour ne possède pas, ne
pouvait raisonnablement juger que le bloc-moteur était contenu
dans une cage fixe et était assorti d'accessoires spécialisés qui
permettent de le classer dans la catégorie relativement nouvelle
des »scies à dents articulées».
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