A-129-77
Le navire Irving Sea Lion et ses propriétaires et
le navire Irving Maple et ses propriétaires
(Appelants)
c.
Rail & Water Terminal (Quebec) Inc, (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Le
Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, le 16
novembre; Ottawa, le 5 décembre 1977.
Droit maritime — Abordage — Y a-t-il négligence contri-
butive de la part de l'intimée? — Pratique — Parties — Le
propriétaire du navire avarié n'est pas partie à l'action —
Aucune preuve concernant le titre de l'affréteur, mais le dos
sier et la transcription suffisent à établir ce titre — Appel
rejeté — Règle 171 S(2) de la Cour fédérale.
Il s'agit d'un appel d'une décision de la Division de première
instance qui a accordé des dommages-intérêts à l'intimée à la
suite de son action qui découle d'un abordage survenu dans le
fleuve St-Laurent quand la barge Irving Sea Lion a heurté le
Mont St-Martin alors en mouillage. Le pilote du remorqueur
ne pouvait pas voir où il allait puisque la barge lui bloquait
complètement la vue. Les appelants allèguent la négligence
contributive de l'intimée qui n'a pas ancré son navire en dehors
du chenal alors qu'il lui était possible de le faire. Ils ajoutent
que le jugement devrait être infirmé parce que toutes les parties
ne sont pas devant la Cour et parce qu'aucune preuve verbale
ou écrite n'établit le titre de l'affréteur.
Arrêt: l'appel est rejeté. La lecture d'une partie du dossier et
de la transcription indique que, suivant la prépondérance des
probabilités, l'intimée était en possession du navire en mouil-
lage, ce qui suffit à établir son droit au recouvrement. L'argu-
ment—fondé sur la Règle 1715(2)—suivant lequel le jugement
devrait être infirmé parce que le propriétaire du navire en
mouillage n'est pas partie à l'action, est rejeté. Une personne en
possession d'un navire a un droit d'action indépendant de celui
que peut avoir le propriétaire. Enfin, suivant la prépondérance
des probabilités, la position du navire en mouillage avait été
établie et des mesures suffisantes avaient été prises pour signa-
ler sa présence, suffisamment longtemps avant l'abordage pour
qu'on puisse dire que la négligence subséquente dans le pilotage
du remorqueur a été la seule cause effective de l'abordage.
APPEL.
AVOCATS:
C. Tremblay, c.r., pour les appelants.
J. Desgagniers pour l'intimée.
PROCUREURS:
Tremblay, Pinsonnault, Pothier, Morisset &
Associés, Québec, pour les appelants.
Jacques Desgagniers, Montréal, pour l'inti-
mée.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'un appel
d'une décision de la Division de première instance
qui a accordé à l'intimée un montant de $165,000
plus les intérêts au taux de 7% sur une période de
quinze mois à compter du 20 octobre 1975, (tel
que convenu entre les parties) et les dépens.
L'intimée a intenté une action contre les appe-
lants, en Division de première instance, suite aux
dommages résultant d'un abordage survenu lors-
qu'un navire, le Mont St-Martin, qui était en
mouillage dans le fleuve St-Laurent, a été frappé
par la barge Irving Sea Lion, qui était poussée par
le remorqueur Irving Maple.
Il est admis que le pilote du remorqueur ne
pouvait pas voir où il allait puisque la barge lui
bloquait complètement la vue.
Dans l'extrait suivant de ses motifs du jugement,
le juge de première instance révèle suffisamment
ses constatations de fait et conclusions sur la
responsabilité:
La prudence la plus élémentaire exige qu'un navigateur ne
s'aventure pas sur un parcours aussi achalandé que le fleuve
St-Laurent sans au préalable s'assurer d'une pleine visibilité.
Une descente au radar, même secondée d'une vigie sur la
toiture de la timonerie, s'avère trop risquée, surtout quand il
s'agit de pousser une barge aussi considérable que le Irving Sea
Lion et dans un chenal relativement périlleux à certains
endroits.
De plus, c'est le devoir de tout navigateur avisé de la
présence d'un autre vaisseau ancré plus avant sur le parcours,
mouillé au meilleur endroit ou non, de prendre toutes les
mesures nécessaires pour éviter une collision. Non seulement il
doit prévoir les bonnes manoeuvres, mais il doit les effectuer à
temps (The Arran 9 Quebec L.R. 278). S'il devient évident que
les précautions les plus élémentaires n'ont pas été prises, et que
cette omission résulte en une collision frontale avec le navire
ancré, la Cour se doit d'attribuer toute la responsabilité au
navire en mouvement. A moins que le vaisseau en mouillage
n'ait pas de son côté pris les mesures qui s'imposaient, mais le
Mont St-Martin, en avisant le centre de circulation et en
allumant son feu de mouillage et toutes les lumières du pont,
avait suffisamment signalé sa présence dans le chenal pour
permettre aux autres navires de le passer sans difficulté. En
fait, au moins quatre autres navires, dont des transocéaniques,
l'ont évité sans difficulté aucune.
Le Mont St-Martin était visible d'une distance de deux
milles et même s'il était ancré au centre, et non au sud du
chenal, il y avait suffisamment d'espace pour l'éviter. Le der-
nier cri de détresse du capitaine Tremblay de passer au sud n'a
pas causé, ni évité la collision.
La partie III du «FACTUM» des appelants,
expose ainsi le deuxième motif d'appel:
... nous soumettons que la Cour de première instance aurait dû
effectuer un partage de responsabilité de l'ordre d'au moins
50% contre la demanderesse, parce que le navire Mont St-Mar
tin n'a pas pris toutes les précautions nécessaires pour s'ancrer
en dehors du chenal, alors qu'il aurait parfaitement pu le faire
dans les circonstances données et tel que la preuve l'a révélé.
Au sujet de ce moyen d'appel, malgré le très
savant argument de l'avocat des appelants, je ne
suis pas convaincu que le juge de première instance
ait été manifestement dans l'erreur en concluant
que la cause réelle de l'abordage était la négli-
gence admise du remorqueur, qui naviguait en
dépit d'une mauvaise visibilité et sans autre moyen
de déterminer si le navire ancré dans le chenal,
dont la présence lui avait été signalée avant qu'il
s'y engage, était dans le chemin qu'il suivait.
Même si le navire en mouillage avait été négligent
en s'ancrant où il l'a fait, ou dans les mesures qu'il
a prises pour signaler sa présence aux autres navi-
res (et, à ce sujet, je suis porté à croire que la
preuve n'appuie pas les prétentions des appelants)
je crois que, d'après la preuve, la prépondérance
des probabilités est que sa position avait été établie
et que des mesures suffisantes avaient été prises
pour signaler sa présence, suffisamment longtemps
avant l'abordage pour qu'on puisse dire que la
négligence subséquente dans le pilotage du remor-
queur a été la seule cause effective de l'abordage.
Je rejetterais donc ce moyen d'appel.
L'extrait suivant de la partie III du «FACTUM»
des appelants, énonce ainsi le premier moyen
d'appel:
Nous soumettons respectueusement que l'action aurait dû
être rejetée pour les motifs suivants:
a) Toutes les parties ne sont pas devant la Cour, notamment
le propriétaire du navire;
b) Aucune preuve ni verbale ni écrite n'a été faite de la base
même de l'action, soit le titre d'affréteur de la demanderesse,
Rail & Water Terminal (Quebec) Inc.
A l'audience, les appelants n'ont pas insisté sur la
première partie de ce moyen. La prétention por-
tant que le propriétaire du navire en mouillage
aurait dû être partie à l'action est fondée sur la
Règle 1715(2)' et sur le fait que la déclaration
décrit l'intimée comme l'affréteur du navire en
mouillage. A mon avis, une personne en possession
d'un navire a un droit d'action pour la perte
provenant de dommages matériels causés au
navire, qui est indépendant de celui, s'il en est, que
peut avoir le propriétaire du navire pour une perte
résultant dudit dommage, et il est donc douteux
que la Règle 1715(2) soit applicable dans les
circonstances. De toute façon, je crois que si les
appelants désiraient s'appuyer sur la Règle
1715(2), ils auraient dû le faire par demande
préliminaire avant le procès. Lorsqu'une action a
atteint le stade du procès, il faut appliquer la
Règle 1716 2 .
La Règle 1715(2) prévoit:
(2) Lorsque le demandeur dans une action demande un
redressement auquel une autre personne a droit conjointe-
ment avec lui, toutes les personnes ayant ainsi droit à ce
redressement doivent sous réserve des dispositions de toute loi
et sauf permission contraire donnée par la Cour, être consti-
tuées parties à l'action et celle d'entre elles qui ne consent pas
à être codemandeur doit, sous réserve de toute ordonnance
rendue par la Cour au sujet d'une demande de permission
faite en vertu du paragraphe (1), être mise en cause à titre de
codéfendeur.
2 La Règle 1716 prévoit:
Règle 1716. (1) La validité d'une action n'est pas affectée à
cause d'une fausse constitution de partie ou de l'omission de
mettre une partie en cause, et la Cour peut dans toute action
disposer des points ou des questions en litige dans la mesure
où ils touchent aux droits et intérêts des personnes qui sont
parties à l'action.
(2) La Cour peut, à tout stade d'une action, aux conditions
qu'elle estime justes, et soit de sa propre initiative, soit sur
demande,
a) ordonner qu'une personne constituée partie à tort ou
sans nécessité ou qui, pour quelque raison, a cessé d'être
une partie compétente ou nécessaire, soit mise hors de
cause, ou
b) ordonner que soit constituée partie une personne qui
aurait dû être constituée partie ou dont la présence devant
la Cour est nécessaire pour assurer qu'on pourra valable-
ment et complètement juger toutes les questions en litige
dans l'action et statuer sur elles;
toutefois, nul ne doit être constitué codemandeur sans son
consentement notifié par écrit ou de telle autre manière que
la Cour peut juger adéquate dans les circonstances.
(3) Lorsqu'une ordonnance est rendue en vertu de la
présente Règle, la déclaration doit obligatoirement être recti-
fiée en conséquence et on doit obligatoirement y inscrire
a) une mention de l'ordonnance en vertu de laquelle la
rectification est faite, et
b) la date à laquelle la rectification est faite;
Au sujet de la deuxième partie du premier
moyen d'appel, il a été admis, au cours des débats,
que si la preuve établissait que l'intimée était en
possession du navire en mouillage à l'époque qui
nous intéresse, cette preuve suffirait à établir le
droit de recouvrement de l'intimée.
Sur ce dernier point, l'absence de preuve portant
directement sur la question de possession semble
manifeste et une requête pour permission de four-
nir d'autres preuves à ce sujet, à l'audition de
l'appel, a été rejetée au motif qu'aucune «raison
spéciale» ne permettait à la Cour d'user de ses
pouvoirs pour recueillir cette preuve en vertu de la
Règle 1102 3 . Il faut donc décider si, malgré l'ab-
sence de preuve directe sur la question de posses
sion, après examen complet du dossier, la prépon-
dérance des probabilités indique que l'intimée était
en possession du navire en mouillage à l'époque qui
nous intéresse.
et cette rectification doit obligatoirement être faite dans le
délai que spécifie l'ordonnance ou, si aucun délai n'y est
spécifié, dans les 15 jours qui suivent la date à laquelle
l'ordonnance a été rendue.
(4) Lorsqu'une ordonnance est rendue en vertu de la
présente Règle, elle doit contenir des instructions quant aux
plaidoiries ou autres procédures qui en résulteront; et toute
partie intéressée peut demander des instructions supplémen-
taires.
Voir aussi la Règle 302:
Règle 302. Les dispositions suivantes s'appliquent en ce qui
concerne les objections quant à la forme et les défauts
d'observation des exigences des présentes Règles:
a) aucune procédure devant la Cour ne sera annulée pour
simple objection de forme,
b) l'inobservation de n'importe laquelle des présentes
Règles ou de n'importe quelle règle de pratique en vigueur
à l'époque considérée n'entraînera automatiquement la
nullité d'une procédure que si la Cour le déclare mais une
telle procédure peut être annulée en tout ou partie pour
irrégularité, ou peut être rectifiée, ou autrement traitée de
la manière et aux conditions que la Cour jugera à propos,
c) une demande d'annulation d'une procédure pour irrégu-
larité ne doit être reçue que si elle est présentée dans un
délai raisonnable et que si la partie requérante n'a fait
aucune nouvelle démarche depuis qu'elle a eu connaissance
de l'irrégularité,
d) lorsqu'une demande d'annulation d'une procédure pour
irrégularité est présentée, les diverses objections sur les-
quelles le requérant se propose d'insister doivent être énon-
cées dans l'avis de requête.
3 La Règle 1102 prévoit:
Règle 1102. (1) La Cour d'appel pourra, à sa discrétion,
pour des raisons spéciales, recueillir ou compléter la preuve
(Suite à la page suivante)
Au sujet de cette dernière question, soulignons
que bien que la défense n'admette pas le paragra-
phe de la déclaration qui décrit l'intimée comme
l'affréteur du navire, elle plaide expressément que
l'abordage résulte de la négligence de l'intimée et
de ses employés. De plus, pour éviter que l'intimée
ait à établir les dommages, les parties ont déposé
un document, signé par leur procureur respectif,
reconnaissant que les dommages »subis par la
demanderesse» s'élevaient à $165,000. En lisant
ces extraits du dossier avec les notes sténographi-
ques des procédures, je conclus, non sans hésita-
tion, que, d'après la preuve, la prépondérance des
probabilités est que l'intimée était en possession du
navire en mouillage à l'époque qui nous intéresse.
(Les parties ont été informées, au moment où
l'affaire a été prise en délibéré, de la conclusion à
laquelle la Cour en était arrivée sur ce point.)
Pour ces motifs, je suis d'avis que l'appel doit
être rejeté avec dépens.
LE JUGE LE DAIN: Je souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Je souscris.
(Suite de la page précédente)
sur toute question de fait, cette preuve devant être recueillie
par l'interrogatoire en séance, ou sous forme de déposition
écrite, selon que la Cour le prescrit.
(2) Au lieu de recueillir ou compléter la preuve en vertu du
paragraphe (1), la Cour pourra prescrire un renvoi en vertu
de la Règle 500 comme si cette règle et les Règles 501 507
étaient insérées dans la présente Partie dans la mesure où
elles sont applicables_
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