A-64-77
Francesco Caccamo (Appelant)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Le
Dain et le juge suppléant MacKay—Toronto, le 28
avril; Ottawa, le 30 mai 1977.
Immigration — Brefs de prérogative — Appel du rejet d'une
demande visant à obtenir une ordonnance qui aurait interdit la
tenue d'une enquête spéciale par toute personne associée au
Ministère et une ordonnance qui aurait enjoint au Ministre de
nommer un juge pour mener l'enquête conformément à l'art.
10(1)c) de la Loi sur l'immigration — Commentaires publics
d'un fonctionnaire du Ministère, avant l'enquête, sur la situa
tion de l'appelant Y a-t-il suspicion raisonnable de partia-
lité? — Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 10(1),
18(I)a) et 25.
Le directeur de l'information au ministère de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration aurait déclaré dans une interview
citée par The Globe and Mail que la Cour suprême du Canada
avait statué que l'appelant était un membre de la Mafia et que
le Ministère devait adopter l'opinion que la Mafia est une
organisation vouée au renversement. L'appelant soutient que
par suite de cette déclaration toute personne directement ou
indirectement associée au Ministère, qui pourrait être appelée à
mener une enquête spéciale sur la question de savoir si l'appe-
lant est une personne décrite à l'article 18(1)a) de la Loi sur
l'immigration, serait inhabile. La Division de première instance
a rejeté la demande de bref de prohibition.
Arrêt: l'appel est rejeté. Les déclarations qui auraient été
faites pourraient être associées autant à un enquêteur spécial
du Ministère qu'à une personne choisie à l'extérieur du Minis-
tère parce qu'un enquêteur spécial est un fonctionnaire du
Ministère relevant du Ministre et qu'une personne venant de
l'extérieur du Ministère serait choisie par le Ministre. Si le
principe s'applique comme règle absolue ainsi que le veut
l'appelant, toute personne qui, en vertu d'un texte législatif, a le
droit de mener une enquête, serait inhabile. Même lorsqu'il
existe un cas de partialité réelle prenant la forme d'un intérêt
pécuniaire dans l'objet du litige, la loi doit s'appliquer nonob-
stant l'inhabilité pouvant toucher tous les arbitres aptes à être
désignés. Si c'est la règle à appliquer lorsqu'il existe un cas de
partialité réelle, c'est aussi la règle lorsqu'il n'existe qu'une
«probabilité» ou suspicion raisonnable découlant de l'impact
créé sur le public par des déclarations regrettables. Même en
considérant comme admis tous les autres facteurs favorables à
l'appelant, parce qu'il, est nécessaire d'appliquer les prescrip
tions de la loi, un enquêteur spécial n'est pas inhabile à agir en
raison des circonstances établies dans cette cause.
Et arrêt par le juge Le Dain et le juge suppléant MacKay:
Les circonstances de l'espèce ne donnent pas lieu à une suspi
cion raisonnable de partialité. La déclaration ne constitue
qu'une simple explication des motifs qui ont incité le Ministère
à entamer des procédures d'expulsion. La déclaration fait état
de cette initiative de la part du Ministère et non du résultat de
l'enquête.
Arrêt appliqué: The Judges c. Attorney -General for Sas-
katchewan (1937) 53 L.T.R. 464.
APPEL.
AVOCATS:
Edward L. Greenspan pour l'appelant.
P. Evraire pour l'intimé.
PROCUREURS:
Greenspan, Gold & Moldaver, Toronto, pour
l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Appel est interjeté
d'une décision rendue par la Division de première
instance [[1977] 2 C.F. 438] rejetant une
demande de bref de prohibition et autre redresse-
ment.
L'appel a été entendu à Toronto, le jeudi 28
avril et, à la suite de la plaidoirie par l'avocat de
l'appelant, a été rejeté sans que la Cour entende
l'avocat de l'intimé, sous promesse que les motifs
du jugement soient rendus par écrit et déposés à
une date ultérieure. Voici donc mes motifs.
Il est reconnu que le 8 octobre 1976, un fonc-
tionnaire à l'immigration a rédigé, conformément
à l'article 18(1)a) de la Loi sur l'immigration,
S.R.C. 1970, c. 1-2, un rapport défavorable à
l'appelant. L'article 18(1)a) de la Loi est libellé
comme suit:
18. (1) Lorsqu'il en a connaissance, le greffier ou secrétaire
d'une municipalité au Canada, dans laquelle une personne
ci-après décrite réside ou peut se trouver, un fonctionnaire à
l'immigration ou un constable ou autre agent de la paix doit
envoyer au directeur un rapport écrit, avec des détails complets,
concernant
a) toute personne, autre qu'un citoyen canadien, qui se livre
au renversement, par la force ou autrement, du régime, des
institutions ou des méthodes démocratiques, tels qu'ils s'en-
tendent au Canada, ou qui préconise un tel renversement, ou
qui est un membre ou associé d'une organisation, d'un groupe
ou d'un corps quelconque qui se livre à un renversement de ce
genre ou le préconise;
et voici un passage de ce rapport:
[TRADUCTION] ... je dois déclarer que Francesco Caccamo,
autrefois d'Italie, est une personne autre qu'un citoyen cana-
dien qui se livre au renversement, par la force ou autrement, du
régime, des institutions ou des méthodes démocratiques, tels
qu'ils s'entendent au Canada, ou qui préconise un tel renverse-
ment, ou qui est un membre ou associé d'une organisation, d'un
groupe ou d'un corps quelconque qui se livre à un renversement
de ce genre ou le préconise.
De même, il est reconnu d'une part, qu'une direc
tive a été émise, conformément à l'article 25 de
ladite loi, enjoignant à un enquêteur spécial de
tenir une enquête fondée sur ce rapport et, d'autre
part, que l'appelant a reçu un avis le sommant de
se présenter le 21 octobre 1976 devant l'enquêteur
spécial L. Stuart.
Le mercredi 20 octobre 1976, soit la journée
précédant celle fixée pour l'audition de l'enquête,
un journal torontois, The Globe and Mail, a publié
un article relatif à cette affaire; en voici un
passage:
[TRADUCTION] La Cour d'appel de l'Ontario et la Cour
suprême du Canada ont subséquemment confirmé la décision
du juge Moore. Les deux cours d'appel ont statué qu'il s'agis-
sait d'un document authentique émanant de la Mafia et que
Caccamo, parce qu'il avait ce document en sa possession, était
membre de l'«honorable société» de Calabre.
B. M. Erb, directeur de l'information au ministère de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigration, a confirmé le fait que le
gouvernement fédéral avait entamé des procédures d'expulsion
contre Caccamo, les procédures judiciaires étant maintenant
terminées.
M. Erb a déclaré qu'aux termes d'une ordonnance, Caccamo
doit se présenter devant un enquêteur spécial, demain, date de
l'audition de l'enquête concernant son expulsion.
Le gouvernement prétend que Caccamo est un immigrant
faisant partie de la catégorie interdite d'immigrants, prévue à
l'article 5 (L) de la Loi sur l'immigration, puisqu'il appartient à
une organisation vouée au renversement, soit la Mafia.
«RENVERSEMENT PAR LA FORCE»
La Loi interdit l'admission au Canada d'immigrants qui sont
des «personnes qui sont ou ont été ... membres ou associés
d'une organisation, d'un groupe ou d'un corps quelconque, qui,
à ce qu'il y a raisonnablement lieu de croire, favorise ou
préconise . le renversement, par la force ou autrement, du
régime, des institutions ou des méthodes démocratiques, tels
qu'ils s'entendent au Canada ...».
Caccamo, natif de Siderno, en Calabre, est arrivé au Canada
en qualité d'immigrant le 5 avril 1959. Il n'est pas un citoyen
canadien. Au cours de son procès, il a été établi qu'il avait été
au service d'une compagnie fabriquant des matériaux de cons
truction en aluminium pendant dix ans et avait été contremaï-
tre. Caccamo est maintenant propriétaire d'une compagnie
semblable à North York.
M. Erb a déclaré que Caccamo devrait normalement être
domicilié au Canada, ce qui veut dire que le ministère de
l'Immigration ne peut expulser un immigrant si ce dernier a
vécu au Canada pendant cinq ans.
Mais la Loi, a-t-il déclaré, ne fixe aucun délai quant aux
immigrants qui contreviennent à la Loi sur les stupéfiants ou
qui sont reconnus, par preuve, des personnes vouées au
renversement.
M. Erb a souligné la décision de la Cour suprême du Canada
rendue l'année dernière selon laquelle Caccamo est un membre
de la Mafia et que le ministère de l'Immigration doit considérer
la Mafia comme une organisation vouée au renversement.
Le ministère de l'Immigration, a déclaré M. Erb, a obtenu
des ordonnances d'expulsion contre deux ou trois personnalités
du crime organisé aux États-Unis au motif qu'elles apparte-
naient à une organisation vouée au renversement. Ces individus
n'ont pas interjeté appel de ces ordonnances et ont quitté le
Canada.
Une photo, que l'on prétend être celle de l'appe-
lant, accompagnait l'article.
M. Stuart a ouvert l'enquête le 21 octobre 1976
mais, après une série d'ajournements intermédiai-
res, l'a finalement ajournée jusqu'au 21 février
1977.
Le 15 décembre 1976, un avis introductif d'ins-
tance a été déposé en Division de première ins
tance. Il se lit en partie comme suit:
[TRADUCTION] SACHEZ qu'une demande sera présentée au
nom du demandeur devant le juge président, salle 19, au
nouveau Palais de Justice, 361 avenue University, Toronto
(Ontario) le lundi 20 décembre 1976, 11 heures de l'avant-
midi, ou aussitôt après que la demande pourra être entendue,
pour obtenir un bref de prohibition interdisant à L. Stuart, un
enquêteur spécial, et à tout autre fonctionnaire à l'immigration,
au ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, ou à
toute personne directement ou indirectement associée audit
Ministère d'entendre cette affaire;
ET DE PLUS pour une ordonnance renvoyant cette affaire au
ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration pour que ce
dernier puisse nommer une personne qui ne sera associée, ni
directement ni indirectement, au ministère de la Main-d'oeuvre
et de l'Immigration et, plus précisément, afin de nommer un
juge d'une cour de comté ou d'une cour suprême provinciale qui
agira à titre d'enquêteur spécial conformément à l'article
10(1)c) de la Loi sur l'immigration, S.R.C. c. I-2, aux fins des
présentes procédures, ou pour toute autre ordonnance que cette
honorable cour estimera juste.
En ce qui a trait à la demande précitée, la Division
de première instance a rendu jugement le 27 jan-
vier en ces termes: «La demande visant à obtenir
un bref de prohibition est rejetée avec dépens»,
d'où le présent appel.
L'appelant résume comme suit son argumenta
tion dans l'exposé déposé devant la présente cour:
[TRADUCTION] En toute déférence, nous alléguons que le
critère à appliquer lorsqu'il s'agit de déterminer s'il faut inter-
dire à un enquêteur spécial ou à toute autre personne, directe-
ment ou indirectement associée au ministère de la Main-d'oeu-
vre et de l'Immigration de mener une enquête est celui de
l'existence ou de la non-existence de «la probabilité ou la
suspicion raisonnée d'une appréciation et d'un jugement par-
tiaux, aussi involontaires qu'ils soient».
En toute déférence, nous alléguons que la suspicion raisonnée
d'une appréciation partiale existe par suite des propos catégori-
ques de M. B. Erb rapportés dans les journaux, propos relatifs à
l'attitude du Ministère dans la cause de l'appelant.
Dans la quatrième partie de son exposé, l'appelant
demande le redressement suivant:
[TRADUCTION] Que la décision de l'honorable juge Walsh
soit annulée et qu'un bref de prohibition soit émis interdisant à
L. Stuart, un enquêteur spécial, et à tout autre fonctionnaire à
l'immigration du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immi-
gration, ou à toute autre personne directement ou indirecte-
ment associée audit Ministère d'entendre cette affaire.
L'article 25 de la Loi sur l'immigration porte
que, sous réserve d'une restriction qui ne s'appli-
que manifestement pas en l'espèce, «le directeur,
sur réception d'un rapport écrit prévu par l'article
18 et s'il estime qu'une enquête est justifiée, doit
faire tenir une enquête au sujet ... [de] la per-
sonne visée par le rapport». L'article 27(1) prescrit
que l'enquêteur spécial, à la conclusion de l'audi-
tion d'une enquête, doit rendre sa décision le plus
tôt possible. L'article 27(2) prévoit notamment que
lorsque l'enquêteur spécial décide qu'une personne
au Canada n'est pas reconnue, par preuve, une
personne décrite à l'article 18(1), il doit laisser
cette personne y demeurer et l'article 27(3) dispose
que dans le cas d'une personne autre, l'enquêteur
spécial doit émettre contre elle une ordonnance
d'expulsion.
L'article 11(1) prévoit que les «fonctionnaires
supérieurs de l'immigration» sont des enquêteurs
spéciaux et autorise le Ministre' à nommer «les
autres fonctionnaires à l'immigration qu'il juge
nécessaires» pour agir en qualité d'enquêteurs spé-
ciaux. L'article 11(2) donne le pouvoir à un enquê-
Le «Ministre», aux termes de l'article 2 de la Loi, désigne le
ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration.
teur spécial, notamment, «d'examiner la question
de savoir si une personne doit être admise ... à .. .
demeurer [au Canada] ou si elle doit être expulsée,
et celui de statuer en l'espèce».
L'article 10(1) se lit comme suit:
10. (1) Les personnes suivantes sont des fonctionnaires à
l'immigration, aux fins de la présente loi:
a) les personnes nommées fonctionnaires à l'immigration de
la manière autorisée par la loi;
b) lorsque aucun fonctionnaire à l'immigration n'est disponi-
ble pour du service à un port d'entrée, le préposé en chef des
douanes à ce port ou tout préposé subalterne des douanes
désigné par ce dernier; et
c) lorsque surviennent des circonstances qui, de l'avis du
Ministre, rendent la chose nécessaire pour l'application régu-
lière de la présente loi, les personnes ou catégories de person-
nes que le Ministre reconnaît comme fonctionnaires à
l'immigration.
Aux fins des présents motifs, on peut prétendre
que les fonctionnaires à l'immigration parmi les-
quels peut être nommé un enquêteur spécial
chargé de l'enquête concernant l'appelant doivent
être
a) des personnes nommées fonctionnaires à
l'immigration de la manière autorisée par la loi,
c'est-à-dire les personnes nommées aux termes
de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publi-
que, S.R.C. 1970, c. P-32, ou
b) des personnes ou catégories de personnes que
le Ministre reconnaît comme fonctionnaires à
l'immigration dans des circonstances qui, à son
avis, «rendent la chose nécessaire pour l'applica-
tion régulière» de la Loi sur l'immigration.
L'appelant ne fonde son action ni sur la preuve
ni sur la proposition voulant qu'il existe une «par-
tialité» réelle de la part de M. Stuart, l'enquêteur
spécial en cause. Son action repose, si je com-
prends bien, sur le fait que non seulement M.
Stuart mais aussi tous les autres fonctionnaires du
ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration
sont devenus inhabiles à conduire l'enquête concer-
nant l'appelant parce qu'ils sont devenus sujets à
«la probabilité ou la suspicion raisonnée d'une
appréciation et d'un jugement partiaux» à cause
des prétendues déclarations de M. Erb, qui,
comme eux, est un fonctionnaire travaillant sous la
direction et l'autorité du sous-ministre.
Le savant juge de première instance a exprimé
sa dissidence quant à toute proposition selon
laquelle, à cause de l'opinion malheureuse émise
par M. Erb, «M. Stuart et tout autre enquêteur
spécial ou toutes personnes directement ou indirec-
tement associées au ministère . .. auraient des
préjugés tels qu'elles ne pourraient mener une
enquête juste et impartiale conformément aux
principes de justice naturelle et ne pourraient
rendre une décision juste concernant l'expulsion
d'une personne en se fondant sur la preuve qui leur
a été présentée au cours d'une telle enquête». Il a
donc conclu qu'il n'existait aucune «crainte raison-
nable de partialité». Je souscris à sa dissidence et je
conclus, comme lui, au rejet de la demande mais
pour des motifs quelque peu différents.
En premier lieu, il convient de se rappeler que le
Ministère est sous la direction du Ministre.' Il
s'ensuit qu'une enquête doit être menée par un
fonctionnaire du Ministère tombant sous la direc
tion et l'autorité du Ministre (article 10(1)a)) ou
par une personne spécifiquement choisie (recon-
nue) par le Ministre à cette fin (article 10(1)c)).
Prenant donc pour acquis, que le principe de la
«probabilité ou suspicion raisonnée ... d'un juge-
ment partial» s'applique à des enquêteurs spéciaux
menant des enquêtes en vertu de la Loi sur l'im-
migration (une question sur laquelle je ne me
prononce pas), j'estime alors que le public, en
associant les prétendues déclarations de M. Erb à
un fonctionnaire du Ministère, les associerait éga-
lement à toute autre personne choisie par le Minis-
tre pour conduire l'enquête concernant l'appelant.'
Il en résulte que si ce principe s'applique comme
une règle de droit absolu et si les prétentions de
l'appelant relativement aux faits sont accueillies,
toute personne qui, en vertu d'un texte législatif, a
le droit de mener une enquête, serait inhabile à
conduire celle de l'appelant et, dans le cas de ce
dernier, les prescriptions de la loi concernant une
enquête ne pourraient s'appliquer.
2 Voir l'article 2 de la Loi sur le ministère de la Main-d'oeu-
vre et de l'Immigration, S.R.C. 1970, c. M-1:
2. (1) Est établi un ministère du gouvernement du
Canada, appelé ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immi-
gration, auquel préside le ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration nommé par commission sous le grand sceau.
(2) Le ministre occupe sa charge à titre amovible; il a la
gestion et la direction du ministère de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration.
' Même si la nomination suggérée d'un juge pouvait atténuer
l'effet de cette déclaration sur le public (une proposition dont, à
Cependant, si je comprends bien les règles de
droit régissant la partialité judiciaire, même lors-
qu'il existe un cas de partialité réelle prenant la
forme d'un intérêt pécuniaire dans l'objet du litige,
la loi doit s'appliquer nonobstant l'inhabilité pou-
vant toucher tous les arbitres aptes à être désignés.
Voir The Judges c. Attorney -General for
Saskatchewan 4 où la question en litige portait sur
l'assujettissement des juges de la Saskatchewan à
l'impôt sur le revenu. Sir Sidney Rowlatt, pronon-
gant le jugement du Conseil privé, dit, à la page
465:
[TRADUCTION] Le renvoi en cause a placé la Cour dans une
situation embarrassante, tous ses membres ayant, de par la
nature même de l'affaire, un intérêt personnel dans le litige. Ils
ont considéré (et ce, de façon très juste, selon leurs Seigneu-
ries), qu'ils étaient tenus d'agir ex necessitate.
J'estime que si c'est la règle à appliquer lorsqu'il
existe un cas de partialité réelle, c'est aussi la règle
lorsqu'il n'existe qu'une «probabilité» ou suspicion
raisonnable découlant de l'impact créé sur le
public par des déclarations regrettables. Par consé-
quent, je suis d'avis que, même en considérant
comme admis tous les autres facteurs favorables à
l'appelant, parce qu'il est nécessaire d'appliquer les
prescriptions de la loi, un enquêteur spécial n'est
mon avis, la valeur est rapidement amenuisée par le recours aux
juges pour régler des questions controversées à caractère non
judiciaire), j'aurais cru qu'un juge ne puisse accepter une
fonction ministérielle semblable par principe et en raison de
l'article 37(1) de la Loi sur les juges, S.R.C. 1970, c. J-1:
37. (1) Aucun juge ne doit agir en qualité de commis-
saire, d'arbitre, de conciliateur ou de médiateur au sein d'une
commission ou à l'occasion d'une enquête ou autre procé-
dure, à moins que,
a) lorsqu'il s'agit d'une question relevant de l'autorité
législative du Parlement, le juge ne soit expressément
autorisé à agir de la sorte aux termes d'une loi du Parle-
mënt du Canada ou qu'il ne soit nommé ou autorisé à cet
effet par le gouverneur en conseil; ou que
b) lorsqu'il s'agit d'une question relevant de l'autorité
législative de la législature d'une province, le juge ne soit
expressément autorisé à agir de la sorte aux termes d'une
loi de la législature de la province ou qu'il ne soit nommé
ou autorisé à cet effet par le lieutenant-gouverneur en
conseil de la province.
Il convient d'ajouter que, bien que j'aie certaines réserves quant
à l'application, aux enquêteurs spéciaux, de l'intégralité du
concept de la partialité tel qu'il a été développé relativement
aux tribunaux, je ne doute pas de la nullité d'une ordonnance
d'expulsion rendue par un enquêteur spécial guidé, en tout ou
en partie, par des motifs erronés.
4 (1937) 53 T.L.R. 464.
pas inhabile à agir en raison seulement des circons-
tances établies dans cette cause.
Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel
avec dépens.
Cela dit, je tiens à ajouter, afin d'éviter tout
malentendu, qu'à mon avis, même en prenant pour
acquis que le principe de la «probabilité» ou de la
«suspicion raisonnable» de partialité qui s'applique
aux tribunaux et à certains organismes quasi judi-
ciaires s'applique également à des agents d'admi-
nistration qui doivent, comme les enquêteurs spé-
ciaux, accomplir certaines tâches selon certaines
procédures quasi judiciaires, en vertu de la Loi sur
l'immigration (une question qui, selon moi, prête à
discussion), je suis convaincu que ce principe ne
s'applique pas en l'espèce.
Cette théorie plutôt imprécise, si je la com-
prends bien, ne vise pas ce que certaines personnes,
mal renseignées quant au mécanisme décisionnel
spécifique en jeu, pourraient considérer comme
une probabilité ou une suspicion raisonnable. Le
fait que certaines personnes originaires d'un pays
où les juges sont au service du gouvernement,
puissent avoir la suspicion ou entrevoir la probabi-
lité qu'un juge puisse, dans un litige opposant le
gouvernement et un tiers, faire preuve de partialité
à l'égard du gouvernement qui le nomme ou lui
accorde une promotion ou qui, en fait, joue un rôle
important lorsqu'il s'agit de déterminer son traite-
ment, n'est pas important. La théorie ne s'applique
que lorsque les faits sont de nature à donner
naissance à une telle idée de probabilité ou de
suspicion raisonnable dans l'esprit de personnes
qui comprennent le principe de l'indépendance du
pouvoir judiciaire face au pouvoir exécutif, prin-
cipe sur lequel est fondé notre système judiciaire.
Ainsi, si, par hypothèse, cette théorie s'applique
aux enquêteurs spéciaux, j'estime qu'elle ne peut
entrer en jeu lorsque les faits ne peuvent donner
naissance à une probabilité ou à une suspicion de
partialité, si ce n'était le fait que les investigateurs
de la division de l'immigration et les enquêteurs
spéciaux dont le rôle est d'examiner les faits afin
de rendre des ordonnances d'expulsion tombent, en
vertu de la loi, sous la direction générale du même
Ministre. Aux yeux de quiconque comprend cet
état de choses apparemment exceptionnel, la seule
situation établie en l'espèce, si je la comprends
bien, est que le Ministère, par sa section des
investigations, a adopté un point de vue qui a eu
comme conséquence de faire de la cause de l'appe-
lant l'objet d'une enquête tenue par un fonction-
naire dont le devoir, aux termes de la loi, est de
décider lui-même, à la lumière de la preuve qui lui
a été présentée, si l'appelant est, en vertu du texte
législatif, sujet à expulsion. A mon avis, aucune
personne assez bien renseignée sur ce mécanisme
décisionnel spécifique et son fonctionnement ne
peut entrevoir la probabilité ou avoir la suspicion
raisonnable qu'un enquêteur spécial puisse être
détourné de son devoir statutaire par de tels
événements.
Quoi qu'il en soit, c'est là la situation dans tous
les cas où un fonctionnaire à l'immigration fait un
rapport en vertu de l'article 18 de la Loi sur
l'immigration et que le directeur ordonne la tenue
d'une enquête en vertu de l'article 25 de ladite loi.
Il s'agit d'une situation que le Parlement a expres-
sément prévue et qui ne peut être considérée
comme donnant naissance à une probabilité ou à
une suspicion raisonnable de partialité qui rendrait
inhabile à agir le fonctionnaire nommé par le
Parlement.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Je conviens que la théorie de
la nécessité constitue un motif suffisant pour reje-
ter l'appel en l'espèce. Si réticent que l'on puisse
être .à régler un cas de prétendue partialité en se
fondant sur ce motifs la présente affaire parait
clairement être un cas où l'application de cette
théorie est inévitable s'il existe une crainte raison-
nable de partialité. Il existe un devoir statutaire de
procéder à une enquête dès que le directeur en a
ordonné la tenue; c'est également une question
évidente d'intérêt public que de procéder à une
enquête fondée sur l'article 18(1)a) de la Loi sur
l'immigration et, comme l'a démontré le juge en
chef, il n'existe aucun enquêteur spécial à qui la
prétendue crainte raisonnable de partialité ne
pourrait s'appliquer.
5 Voir de Smith, Judicial Review of Administrative Action,
3' éd., p. 244; Halsbury's Laws of England, 4' éd., Vol. 1,
par. 73.
Cependant, je suis d'avis que les circonstances
en l'espèce ne donnent pas naissance à une crainte
raisonnable de partialité. Avant de rendre les
motifs de ma décision, j'ouvre la parenthèse sui-
vante: je suis convaincu que la règle de la récusa-
tion au cas de crainte raisonnable de partialité doit
s'appliquer à un enquêteur spécial conduisant une
enquête en vertu de la Loi sur l'immigration. De
quelque façon que soient qualifiées, en common
law, la décision d'admettre une personne au
Canada, ou de lui permettre d'y demeurer et l'or-
donnance d'expulsion correspondante, eu égard à
leur effet et aux critères de décision, elles sont
clairement, en raison des dispositions de la Loi et
du Règlement sur les enquêtes de l'immigration
concernant l'audition et le droit de représentation,
des décisions légalement soumises à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire, au sens de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Le
devoir d'agir de façon judiciaire ou impartiale, au
sens procédural du terme, emporte avec lui le
devoir d'étudier les cas litigieux avec un esprit
ouvert. Nul doute que l'application à un enquêteur
spécial de la règle de la récusation au cas de
crainte raisonnable de partialité comporte l'admis-
sion du fait que cet enquêteur est un fonctionnaire
du Ministère chargé de faire une investigation
concernant l'affaire et d'ouvrir une enquête, et que
l'enquête est une procédure qui fait tenir à l'enquê-
teur un double rôle, soit celui d'examiner toutes les
données qui lui ont été présentées et celui, plus
actif, de rendre une décision à la lumière de la
preuve qui lui a été soumise. Malgré ces particula-
rités entourant les fonctions de l'enquêteur spécial,
particularités expressément prévues par la loi, il
demeure que les personnes qui seront touchées par
la décision de l'enquêteur spécial ont droit d'être
assurées, à la lumière de motifs raisonnables, que
ce dernier abordera l'enquête avec un esprit libre
de tout préjugé.
La question en litige consiste à savoir si la
déclaration attribuée par The Globe and Mail à
M. B. M. Erb, directeur de l'information au minis-
tère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration,
donne naissance à une crainte raisonnable de par-
tialité de la part de l'enquêteur spécial chargé de
conduire l'enquête ou de la part de tout autre
enquêteur spécial assigné à l'enquête. Le critère,
comme l'a indiqué la Cour suprême du Canada,
consiste à savoir si une crainte raisonnable de
partialité dans l'appréciation des litiges à résoudre
peut naître chez des personnes assez bien rensei-
gnées. Voir Committee for Justice and Liberty c.
L'Office national de l'énergie (1976) 68 D.L.R.
(3e) 716, le juge en chef Laskin, à la p. 733.
La déclaration précise de M. Erb sur laquelle
repose la question de crainte raisonnable de partia-
lité est rapportée dans l'article paru dans le journal
comme suit:
[TRADUCTION] M. Erb a souligné la décision de la Cour
suprême du Canada rendue l'année dernière selon laquelle
Caccamo est un membre de la Mafia et que le ministère de
l'Immigration doit considérer la Mafia comme une organisation
vouée au renversement.
La déclaration de M. Erb, si regrettable soit-
elle, doit être lue dans un double contexte, soit
celui de l'article paru dans The Globe and Mail et
celui des dispositions législatives auxquelles fait
référence ledit article, si l'on veut comprendre la
conclusion à laquelle peut parvenir une personne
raisonnable et assez bien renseignée. Dans cet
esprit, cette déclaration ne constitue, à mon avis,
qu'une simple déclaration expliquant les raisons
qui ont incité le Ministère à entamer des procédu-
res d'expulsion ou, en d'autres termes, les raisons
qui ont incité un fonctionnaire à l'immigration à
établir un rapport conformément à l'article 18 et
les raisons qui ont poussé le directeur à ordonner la
tenue d'une enquête. La déclaration de M. Erb fait
état de cette initiative de la part du Ministère et
non du résultat de l'enquête. J'estime que les deux
paragraphes suivants, qui figurent avant la décla-
ration qui fait l'objet du présent appel, situent
cette déclaration dans son vrai contexte:
[TRADUCTION] M. Erb a déclaré qu'aux termes d'une
ordonnance, Caccamo doii se présenter devant un enquêteur
spécial, demain, date de l'audition de l'enquête concernant son
expulsion.
Le gouvernement prétend que Caccamo est un immigrant
faisant partie de la catégorie interdite d'immigrants, prévue à
l'article 5 (L) de la Loi sur l'immigration, puisqu'il appartient à
une organisation vouée au renversement, soit la Mafia.
Ces deux paragraphes laissent entendre à toute
personne raisonnable et impartiale que l'attitude
adoptée par le Ministère envers le type d'organisa-
tion qu'est la Mafia et l'association de Caccamo
avec cette dernière constitue le fondement de la
décision du Ministère de tenir une enquête et ne
constitue pas une opinion que le Ministère cherche
à imposer à l'enquêteur spécial chargé de tenir
l'enquête. Les décisions de la Cour d'appel de
l'Ontario et de la Cour suprême du Canada con-
cernant Caccamo relèvent du domaine public et
sont, dès lors, susceptibles d'être portées à l'atten-
tion de l'enquêteur spécial en tout état de cause.
La déclaration de M. Erb n'ajoute rien, en fait,
quant au présent litige, aux opinions consignées
dans le rapport et dans les directives établies en
vertu de l'article 18. Cette déclaration ne reflète en
aucun cas l'opinion de l'enquêteur spécial ou ne
donne des motifs raisonnables de croire qu'il ne
pourra pas examiner, de façon impartiale, la
preuve présentée devant lui.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Bien que je
souscrive au rejet de cet appel pour les motifs
énoncés par le juge en chef, je suis également
d'avis que, dans les circonstances établies par mon
collègue le juge Le Dain dans ses motifs, on ne
peut conclure à une crainte raisonnable de partia-
lité de la part de l'enquêteur spécial conduisant
l'enquête et, pour ce motif supplémentaire, je suis
d'avis de rejeter l'appel.
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