A-270-77
Mok Meung Chan, Luiza Chan, David Chan,
Steven Chan (Requérants)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion (Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie et le juge
suppléant MacKay—Toronto, les 8 et 9 juin 1977.
Examen judiciaire — Immigration — Ordonnance d'expul-
sion — Statut de visiteur — Le terme visiteur comprend-il les
personnes dont le séjour, temporaire, est cependant d'une
durée indéfinie et indéterminée? — Loi 'sur la Cour fédérale,
art. 28 — Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art.
7(1)c).
Les requérants, une mère et ses trois enfants, ont été admis
au Canada à titre de visiteurs en février 1976 et ont bénéficié
de prolongations de séjour jusqu'au 15 janvier 1977. Peu de
temps après leur arrivée, la mère requérante, en son nom et
celui de ses enfants, a fait une demande de visa afin d'entrer
aux États-Unis, mais sa demande a été rejetée. Son époux,
titulaire d'un visa de visiteur et d'un permis de travail aux
États-Unis, a subséquemment demandé leur admission aux
États-Unis. Au moment de l'enquête à l'issue de laquelle une
ordonnance d'expulsion a été rendue, cette demande n'avait pas
fait l'objet d'une audition. Les requérants désirent demeurer au
Canada à titre de visiteurs jusqu'à ce que des visas leur donnant
le droit d'entrer aux États-Unis, leur soient délivrés. La ques
tion en litige consiste à savoir si les requérants peuvent être
considérés comme des visiteurs au sens de l'article 7(1)c) de la
Loi sur l'immigration.
Arrêt: la requête est rejetée. Pour être considéré comme un
«visiteur» tombant dans la catégorie des non-immigrants, le but
de la visite doit être, notamment, de nature .temporaire». Il est
difficile de voir comment l'admission d'une personne peut
nécessairement être qualifiée de «temporaire» lorsque la durée
de son séjour est indéfinie. Bien que le séjour des requérants
puisse être interprété comme ayant une durée limitée, c.-à-d.
jusqu'à ce qu'une décision concernant leur demande d'admis-
sion aux États-Unis soit rendue, le terme «visiteur» a une
signification qui emporte l'idée d'un séjour d'une durée spécifi-
que, limitée.
Distinction faite avec l'arrêt: Shafi-Javid c. M.M. & I.
[1977] 1 C.F. 509.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
L. Taman pour les requérants.
H. Erlichman pour l'intimé.
PROCUREURS:
Borins, Birenbaum, Steinberg & O'Sullivan,
Toronto, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés à l'audience
par
LE JUGE URIE: La présente demande, faite sous
le régime de l'article 28, vise à examiner et à
annuler une ordonnance d'expulsion rendue contre
la mère requérante et ses trois enfants, le 25 avril
1977.
Voici, exposés de façon très brève, les faits
pertinents. La mère requérante est mariée et
citoyenne du Surinam. Son époux, un citoyen hol-
landais, résidait, jusqu'au début de 1976, au Suri-
nam avec elle et leurs trois enfants et y était un
travailleur indépendant. En février 1976, il est
entré aux États-Unis ayant apparemment obtenu
un visa de visiteur accompagné d'un permis de
travail. Mme Chan et ses enfants sont venus au
Canada le 19 février 1976 et ont été admis à titre
de visiteurs, bénéficiant de prolongations de séjour
jusqu'au 15 janvier 1977. Peu de temps après, les
trois enfants ont été inscrits à une école de
Toronto. En décembre 1976, Mme Chan, laissant
ses enfants à Toronto, est retournée au Surinam
afin de s'occuper de certaines affaires. Elle est
revenue au Canada le 2 janvier 1977 et a fait
l'objet, à ce moment, d'un rapport rédigé confor-
mément à l'article 22, à la suite duquel une
enquête spéciale a été tenue et une ordonnance
d'expulsion rendue. Cette ordonnance fait l'objet
de la présente demande faite en vertu de l'article
28, au motif que la mère requérante n'était pas
une non-immigrante authentique.
Peu de temps après son arrivée à Toronto, en
février 1976, la mère requérante, en son nom et
celui de ses enfants, a fait une demande de visa
afin d'entrer aux États-Unis. La demande a été
rejetée pour un motif non divulgué. L'époux de la
requérante a subséquemment demandé l'admission
de cette dernière et de ses enfants aux États-Unis,
mais cette demande n'avait pas été approuvée au
moment de l'enquête, et apparemment ne l'est pas
encore.
Lorsque Mme Chan a demandé à être admise de
nouveau au Canada le 2 janvier 1977, il est évident
qu'elle a demandé à y être admise, encore une fois,
à titre de visiteur aux termes de l'article 7(1)c) de
la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. 1-2,'
(ci-après appelée la Loi) non pour une période
définie, mais jusqu'à ce que des visas, donnant
droit d'être admis aux États-Unis, soient délivrés
en son nom et au nom de ses enfants ou jusqu'à ce
que leurs demandes aux fins d'obtenir de tels visas
soient rejetées. La preuve ne nous fournit certes
pas d'indices sûrs quant au moment où sera rendue
cette décision.
La seule question qui se pose en l'espèce consiste
à savoir si, dans les circonstances précitées, les
requérants peuvent être considérés comme des visi-
teurs au sens de l'article 7(1)c) de la Loi.
L'avocat des requérants s'appuie sur la décision
Shafi-Javid c. M.M. & I. [1977] 1 C.F. 509,
rendue récemment par la présente cour. Dans cette
affaire, le requérant est venu au Canada avec
l'intention d'obtenir un visa des autorités américai-
nes afin de visiter son frère. Il a été admis au
Canada pour une période déterminée, limitée et, à
la fin de cette période, soit le dernier jour, un
rapport a été rédigé à la suite duquel une enquête
a été tenue comme si le requérant était une per-
sonne cherchant à être admise au Canada à titre
de visiteur. Une ordonnance d'expulsion a été
rendue contre ce dernier au motif qu'il n'était
[TRADUCTION] «pas un non-immigrant authenti-
que,. La présente cour a annulé cette ordonnance.
A la lumière de ces faits, la présente affaire et
l'affaire Javid apparaissent, en surface, indenti-
ques; mais elles diffèrent sur un point capital. M.
Javid a demandé un visa de visiteur pour une durée
spécifique alors qu'en l'espèce, Mme Chan a
demandé à être admise pour une période indéter-
minée devant expirer lorsque sa demande d'admis-
sion aux États-Unis aura fait l'objet d'une décision
à une date future indéterminée. Il peut s'agir d'une
question de jours, de semaines, de mois ou d'an-
nées. Cette différence entre les deux causes au
point de vue des faits est, à notre avis, importante.
Bien que la Loi ne définisse pas le terme «visi-
teur», il est important de noter que l'article 7(1)
' 7. (1) II peut être permis aux personnes suivantes d'entrer
et de demeurer au Canada, à titre de non-immigrants, savoir:
c) les touristes ou visiteurs;
énumère les catégories de personnes auxquelles il
peut être «permis d'entrer et de demeurer au
Canada, à titre de non-immigrants» [c'est moi qui
souligne]. L'alinéa c) de ce paragraphe prévoit la
catégorie des «touristes ou visiteurs».
Le mot «entrée» est défini à l'article 2 de la Loi
comme signifiant:
... l'admission [égale d'un non-immigrant au Canada, à une fin
spéciale ou temporaire.... [C'est moi qui souligne.]
Ainsi, l'on voit que pour être considéré comme un
«visiteur» tombant dans la catégorie des non-immi
grants, le but de la visite doit être, notamment, de
nature «temporaire».
Il est difficile de voir comment l'admission d'une
personne peut nécessairement être qualifiée de
«temporaire» lorsque la durée de son séjour est
indéterminée.
La définition de ce mot que donnent les diction-
naires vient appuyer cette opinion. Par exemple,
The Shorter Oxford English Dictionary (3 e éd.)
définit le terme «temporary» comme suit: [TRA-
DUCTION] «1. Qui ne dure qu'un temps limité».
[C'est moi qui souligne.]
The Living Webster Encyclopedic Dictionary le
définit comme suit: [TRADUCTION] «Qui*ne dure
qu'un temps; qui existe ou se poursuit pendant un
temps limité ....»
Le séjour de Mme Chan pourrait, en un sens,
être interprété comme ayant une durée limitée,
c.-à-d. jusqu'à ce qu'une décision concernant sa
demande d'admission aux États-Unis soit rendue.
A notre avis, cependant, ce séjour ne constitue pas
un séjour limité d'après le sens sous-entendu du
terme «visiteur» de l'article 7(1)c) de la Loi. Le
sens qu'il faudrait attacher à ce terme, en prenant
en considération l'ensemble de la Loi, suppose un
séjour «temporaire» d'une durée spécifique.
Le juge en chef Jackett, dans l'arrêt Javid, a
décidé qu'à la lumière des circonstances de cette
affaire, M. Javid était un «visiteur» au sens de la
Loi. Parmi ces circonstances, il faut mentionner le
fait que Javid a cherché à être admis pour une
période de temps spécifique, limitée. En annexe à
ses motifs de jugement, le juge en chef reconnaît
clairement, cependant, l'importance de la nature
temporaire du statut de visiteur lorsqu'il a déclaré
à la page 518:
... dans le langage courant, le visiteur ou «visitons dans un pays
comprend toute personne qui vient y séjourner temporairement.
Nous considérons son emploi du mot «temporaire-
ment» comme indiquant un séjour d'une durée
spécifique, limitée.
Pour ces motifs, nous sommes d'avis que l'arrêt
Javid ne peut s'appliquer à la lumière des faits non
contestés de la présente cause où le statut sollicité
visait une période indéterminée. Par conséquent,
l'enquêteur spécial n'a pas erré en droit lorsqu'il a
rendu l'ordonnance d'expulsion qui fait l'objet de
cet examen et par conséquent, la demande présen-
tée sous le régime de l'article 28 est rejetée.
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