A-121-77
Le procureur général du Canada (Requérant)
c.
Stella Bliss (Intimée)
Cour d'appel, les juges Pratte, Heald et Urie —
Vancouver, le 19 mai; Ottawa, le 2 juin 1977.
Examen judiciaire — Assurance-chômage — L'intimée n'a
pas droit à des prestations de grossesse — Privée du droit de
réclamer des prestations ordinaires avant l'expiration de la
période de quatorze semaines — Ce refus va-t-il à l'encontre
de «l'égalité devant la loi» consacré par la Déclaration cana-
dienne des droits? — Loi sur la Cour fédérale, art. 28 — Loi
de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, c. 48, art.
30, 46 — Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44,
art. lb) IS.R.C. 1970, Appendice III].
Un juge-arbitre a décidé que l'article 46 de la Loi de 1971
sur l'assurance-chômage va à l'encontre de la Déclaration
canadienne des droits et qu'il est, pour cette raison, inopérant.
Cet article impose des conditions d'application plus strictes aux
femmes qui reçoivent des prestations en raison de chômage
causé par un accouchement et prive les femmes enceintes du
droit de réclamer des prestations ordinaires d'assurance- chô-
mage auxquelles les personnes capables de travailler et disponi-
bles à cette fin ont droit. Le juge-arbitre a décidé que l'article
contrevient au droit de l'égalité devant la loi. La seule question
soulevée par le requérant a trait à l'exactitude de cette
conclusion.
Arrêt: la demande est accueillie. Le droit à l'égalité devant la
loi signifie «égalité dans l'administration ou l'application de la
loi par les fonctionnaires chargés de son application et par les
tribunaux ordinaires du pays.» L'article 46 n'a pas eu l'effet de
priver l'intimée de son droit à l'égalité devant la loi au sens de
cette interprétation. Le droit à l'égalité devant la loi pourrait
également être défini comme le droit de l'individu d'être traité
par la loi comme d'autres que l'on jugerait être dans la même
situation, si l'on ne s'en tenait qu'à des faits pertinents. On ne
peut dire que la décision du Parlement concernant l'article 46
repose sur des considérations non pertinentes; il s'ensuit que la
loi qui donne suite à sa décision a été «adoptée en cherchant
l'accomplissement d'un objectif fédéral régulier» et n'enfreint le
droit de personne à «l'égalité devant la loi».
Arrêts appliqués: Le Procureur général du Canada c.
Lavell [1974] R.C.S. 1349; Prata c. M.M. & I. [1976] 1
R.C.S. 376 et R. c. Burnshine [1975] 1 R.C.S. 693.
Distinction faite avec l'arrêt: La Reine c. Drybones [1970]
R.C.S. 282.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
A. M. Garneau et L. E. Holland pour le
requérant.
Allan H. MacLean et C. Lynn Smith pour
l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Vancouver Community Legal Assistance
Society, Vancouver, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Le procureur général du
Canada sollicite l'examen, en vertu de l'article 28
de la Loi sur la Cour fédérale, d'une décision d'un
juge-arbitre rendue sous l'autorité de la Loi de
1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72,
c. 48, accueillant l'appel interjeté par l'intimée
d'une décision d'un conseil arbitral.
La décision du juge-arbitre repose sur la conclu
sion que l'article 46 de la Loi de 1971 sur l'assu-
rance-chômage va à l'encontre de l'article 1 b) de
la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c.
44,' et qu'il est, pour cette raison, inopérant. La
seule question soulevée par la présente demande a
trait à l'exactitude de cette conclusion.
La Loi de 1971 sur l'assurance-chômage pré-
voit le paiement de trois sortes de prestations aux
personnes qui, après avoir exercé un emploi assura-
ble pendant un certain temps, deviennent en chô-
mage et subissent un «arrêt de la rémunération
provenant de ... [leur] emploi». D'abord, les pres-
tations ordinaires sont payables aux chômeurs qui
sont «capable[s] de travailler et disponible[s] à
cette fin». En second lieu, les prestations de mala-
die sont payables à ceux qui ont quitté leur emploi
pour cause de «maladie, blessure ou mise en qua-
rantaine»; contrairement aux prestations ordinai-
' L'article se lit comme suit:
1. 11 est par les présentes reconnu et déclaré que les droits
de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont
existé et continueront à exister pour tout individu au Canada
quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa
religion ou son sexe:
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi ...;
res, elles sont payables à des personnes qui sont
incapables de travailler. Enfin, l'article 30 de la
Loi 2 prévoit le paiement de prestations pour une
période de quatorze semaines aux femmes encein-
tes à l'occasion de leur accouchement. Pour avoir
droit à ces prestations de grossesse, la prestataire
en chômage doit avoir travaillé pendant une
période plus longue que celle que l'on exige dans le
cas des autres prestations; d'autre part, les presta-
tions de grossesse sont payables sans tenir compte
de la capacité de travailler ou de la disponibilité à
cette fin.
2 L'article se lit comme suit:
30. (1) Nonobstant les articles 25 et 46 mais sous réserve
des autres dispositions du présent article, des prestations sont
payables à une prestataire de la première catégorie qui fait la
preuve de sa grossesse, si elle a exercé un emploi assurable
pendant au moins dix semaines au cours de la période de
vingt semaines immédiatement antérieure à la trentième
semaine précédant la date présumée de son accouchement.
Aux fins du présent article, les semaines pour lesquelles la
prestataire de la première catégorie a reçu des prestations en
vertu de la présente loi et qui sont antérieures de plus de
trente semaines à la date présumée de son accouchement sont
censées être des semaines d'emploi assurable.
(2) Les prestations prévues au présent article sont paya-
bles à une prestataire pour chaque semaine de chômage
comprise dans la plus brève des périodes suivantes:
a) la période de quinze semaines qui débute huit semaines
avant la semaine présumée de l'accouchement, ou
b) la période qui débute huit semaines avant la semaine
présumée de l'accouchement et qui prend fin six semaines
après la semaine de l'accouchement,
si cette semaine tombe dans la période initiale de prestations
établie pour la prestataire en application de l'article 20, à
l'exclusion de tout complément établi en vertu de l'article 32.
(3) Lorsque des prestations sont payables à une presta-
taire en raison de chômage causé par sa grossesse et que des
allocations, prestations ou autres sommes sont payables à la
prestataire pour cette grossesse en vertu d'une loi provinciale,
les prestations payables à la prestataire en vertu de la
présente loi seront réduites ou supprimées tel que prescrit.
(4) Aux fins de l'article 23, les dispositions de l'article 25
ne s'appliquent pas à la période de deux semaines qui débute
dix semaines avant la semaine présumée de l'accouchement.
(5) Si des prestations doivent être servies à une prestataire
de la première catégorie en vertu du présent article et que
cette prestataire reçoit une rémunération pour une période
quelconque qui tombe dans une semaine comprise dans la
plus brève des périodes visées au paragraphe (2), les disposi
tions du paragraphe (2) de l'article 26 ne s'appliquent pas et
cette rémunération doit être déduite des prestations afféren-
tes à cette semaine.
L'article 46 de la Loi', déclaré inopérant par le
juge-arbitre, prévoit que, durant la période de
quatorze semaines mentionnée à l'article 30, une
femme enceinte ne peut réclamer d'autres presta-
tions en vertu de la Loi. L'effet le plus évident de
cet article est de priver les femmes enceintes qui,
durant cette période, sont capables de travailler et
disponibles à cette fin, du droit de réclamer des
prestations ordinaires.
L'intimée est devenue en chômage par suite
d'une grossesse, mais elle n'avait pas travaillé suf-
fisamment longtemps pour avoir droit aux presta-
tions de grossesse. Quelques jours après la nais-
sance de son enfant, elle était capable de travailler
et disponible à cette fin mais elle ne pouvait trou-
ver d'emploi. Elle a donc fait une demande à la
Commission d'assurance-chômage avant, toutefois,
que la période de quatorze semaines mentionnée à
l'article 30 ne soit expirée. Elle ne réclamait pas
les prestations de grossesse, car il était clair qu'elle
n'y avait pas droit. Elle réclamait plutôt des pres-
tations ordinaires qu'elle aurait pu évidemment
retirer n'eût été sa grossesse. La Commission, de
même que le conseil arbitral, ont rejeté sa récla-
mation au motif que l'article 46 l'empêchait de
réclamer les prestations ordinaires avant l'expira-
tion de la période de quatorze semaines. Leurs
décisions ont été annulées par le juge-arbitre qui,
après avoir rappelé l'esprit de la Loi selon lequel
des prestations ordinaires sont payables aux chô-
meurs «capable[s] de travailler et disponible[s] à
cette fin», s'est exprimé dans les termes qui
suivent: •
L'article 46 constitue une dérogation, et qui plus est, aux
dispositions de la Loi dans son ensemble. Il refuse simplement
qu'on verse des prestations à certains prestataires qui, sans cela,
y auraient peut-être droit, même s'ils prouvent être en chô-
mage, capables de travailler et disponibles à cette fin, mais
incapables d'obtenir un emploi convenable. Ce refus tient pre-
mièrement à la différence biologique entre les sexes. L'article
va ensuite plus loin et fait la distinction entre les femmes
enceintes, celles qui ont accouché récemment et les autres qui
n'appartiennent à aucune de ces catégories.
Je ne sais ce qui a motivé les législateurs à inclure l'article 46
dans la loi de 1971. Il a été avancé qu'avant 1971, on prenait
pour acquis qu'au cours de la période de huit semaines avant
' L'article se lit comme suit:
46. Sous réserve de l'article 30, une prestataire, en cas de
grossesse, n'est pas admissible au bénéfice des prestations
durant la période qui débute huit semaines avant la semaine
présumée de son accouchement et se termine six semaines
après celle de son accouchement.
l'accouchement et de six semaines après, les femmes n'étaient
en général pas capables de travailler ni disponibles à cette fin;
cette supposition, d'une façon ou d'une autre, a fait naître des
difficultés administratives ou des abus; l'article 46 a été adopté
afin de préciser qu'au cours de ladite période de 14 semaines,
les femmes enceintes et celles qui viennent d'accoucher sont,
aux fins de la loi, incapables de travailler et non disponibles à
cette fin et, par conséquent, inadmissibles au bénéfice des
prestations. C'est peut-être exact. Toutefois, j'en arrive à la
conclusion inévitable que l'article contesté ouvre la porte, peut-
être accidentellement, à de la discrimination fondée sur le sexe
et, par conséquent, qu'il restreint le droit de tous les prestatai-
res à l'égalité devant la Loi sur l'assurance-chômage.
L'avocat du requérant a prétendu que le juge-
arbitre avait erré en décidant que l'intimée avait
été victime de discrimination en raison du sexe et
que, de toute façon, elle n'avait pas été privée de
son droit à «l'égalité devant la loi».
Quant à l'intimée, son avocat a d'abord allégué
que les faits de la présente affaire ne pouvaient se
distinguer de ceux de l'affaire Drybones (La Reine
c. Drybones [ 1970] R.C.S. 282). Dans cette affai-
re-là, dit-il, on a décidé qu'un certain article de la
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, qui était
discriminatoire envers les Indiens en raison de leur
race, les privait de leur droit à l'égalité devant la
loi et qu'il était, pour cette raison, inopérant; de la
même façon, dit-il, on devrait conclure que l'arti-
cle 46 est inopérant puisqu'il est discriminatoire à
l'endroit des femmes enceintes, en raison de leur
sexe, et, par conséquent, qu'il va à l'encontre de
l'article l b) de la Déclaration canadienne des
droits.
L'avocat de l'intimée a également prétendu que
même si l'article 46 ne crée pas de discrimination
fondée sur le sexe, il prive quand même les
«femmes enceintes» de leur droit à l'égalité devant
la loi puisque, sans raison valable, il les traite
différemment de tous les autres prestataires qui
ont toujours droit aux prestations ordinaires en
prouvant leur disponibilité. Cette différence de
traitement est inacceptable, selon l'avocat, parce
qu'elle ne repose sur aucun motif valable. Selon
lui, il n'y a pas plus de raisons de priver les femmes
enceintes des prestations ordinaires, durant la
période de quatorze semaines mentionnée à l'arti-
cle 30, qu'il n'y en aurait d'imposer cette pénalité
aux femmes qui ont les cheveux roux ou les yeux
bleus.
Il y aurait peut-être lieu de faire une observation
préliminaire. La Déclaration canadienne des
droits n'interdit pas expressément la discrimina
tion. Ce mot n'est employé que dans la version
anglaise de l'article 1, qui proclame l'existence de
certains droits et de certaines libertés, et n'est pas
employé dans l'énumération de ces droits et liber-
tés mais plutôt dans la partie de l'article qui
précise que ces droits et libertés devront profiter à
tous, sans égard à la race, à l'origine nationale, à
la couleur, à la religion ou au sexe. La question
qu'il faut déterminer en l'espèce n'est donc pas
celle de savoir si l'intimée a été victime de discri
mination en raison du sexe mais plutôt si elle a été
privée du «droit ... à l'égalité devant la loi» consa-
cré par l'article l b) de la Déclaration canadienne
des droits. Ceci étant dit, je désire ajouter que je
ne puis partager l'opinion du juge-arbitre que l'ap-
plication de l'article 46 l'intimée constituait de la
discrimination à son égard en raison du sexe. A
supposer que l'on eût fait de la «discrimination
contre» l'intimée, ce n'aurait pas été en raison de
son sexe. En effet, l'article 46 vise les femmes
enceintes, mais non celles qui ne le sont pas, et
encore moins les hommes. Si l'article 46 ne traite
pas les femmes enceintes en chômage comme d'au-
tres chômeurs, hommes ou femmes, c'est, à mon
sens, parce qu'elles sont enceintes et non parce
qu'elles sont des femmes.
Mais, a-t-on privé l'intimée de son droit à l'éga-
lité devant la loi en lui appliquant l'article 46 de la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage? La réponse
à cette question ne se trouve pas dans la décision
rendue par la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Drybones qui, à mon avis, se distingue
clairement de la présente affaire. Le juge Ritchie,
qui rendait l'opinion de la majorité dans Drybones,
délimite, à la page 298, la portée de ce jugement:
Je crois utile d'affirmer clairement que ces motifs s'appli-
quent seulement à un cas où, en vertu des lois du Canada, est
réputé infraction punissable en droit, pour une personne, à
cause de sa race, un acte que ses concitoyens canadiens qui ne
sont pas de cette race peuvent poser sans encourir aucune
sanction.
+L'expression «égalité devant la loi» que l'on
retrouve à l'article 1b) de la Déclaration cana-
dienne des droits, ne peut s'interpréter littérale-
ment comme si toutes les personnes doivent avoir,
en vertu de toutes les lois, exactement les mêmes
droits et obligations. Si c'était le cas, la Déclara-
tion canadienne des droits aurait pour effet de
rendre inefficace la majeure partie de la législation
fédérale puisque les droits,. devoirs et obligations
attribués aux individus par la loi varient toujours
en fonction de leur situation. Comme la Cour
suprême du Canada l'a décidé dans Prata c. M.M.
& I. [1976] 1 R.C.S. 376 et dans R. c. Burnshine
[1975] 1 R.C.S. 693, l'article l b) de la Déclara-
tion canadienne des droits n'exige pas que toutes
les lois fédérales s'appliquent de la même manière
à tous les individus.
Il va de soi que les droits et devoirs des individus
varient selon leur situation. Voilà juste une autre
façon de dire que ces droits et obligations
devraient être les mêmes dans des situations identi-
ques. En gardant cette idée en tête, on peut conce-
voir «le droit ... à l'égalité devant la loi» comme le
droit d'une personne d'être traitée par la loi de la
même façon que d'autres personnes dans la même
situation. Cependant, cette définition serait incom-
plète, puisque l'on ne peut jamais dire que deux
personnes sont exactement dans la même situation.
Il est toujours possible d'établir des distinctions.
Là où la loi crée des distinctions entre les person-
nes de façon à les traiter différemment, ces distinc
tions peuvent être pertinentes ou non pertinentes.
Une distinction est pertinente s'il existe un lien
logique entre son fondement et les conséquences
qui en découlent; une distinction est non pertinente
si ce lien logique est inexistant. A la lumière de ces
remarques, le droit à l'égalité devant la loi pourrait
être défini comme le droit de l'individu d'être
traité par la loi comme d'autres que l'on jugerait
être dans la même situation, si l'on ne s'en tenait
qu'à des faits pertinents. Selon cette définition, que
l'avocat de l'intimée ne renierait pas, je crois, une
personne serait privée de son droit à l'égalité
devant la loi si elle subissait un traitement plus
sévère que d'autres à cause d'une distinction non
pertinente que l'on établierait entre elle et ces
autres personnes. Si, toutefois, la différence de
traitement était fondée sur une distinction perti-
nente (ou encore que l'on pourrait concevoir
comme susceptible d'être pertinente), on ne viole-
rait pas alors le droit à l'égalité devant la loi.
Bien sûr ce n'est pas cette définition qui fut
adoptée par M. le juge Ritchie dans Le Procureur
général du Canada c. Lavell [ 1974] R.C.S. 1349.
Dans cet arrêt, M. le juge Ritchie, après avoir
rapporté certaines citations sur la signification de
l'expression «égalité devant la loi», mentionne, aux
pages 1366-67:
La pertinence de ces citations dans les présentes circons-
tances est que «l'égalité devant la loi», reconnue par Dicey
comme une partie du «règne du droit», comporte le sens d'assu-
jettissement égal de toutes les classes au droit commun du pays
appliqué par les tribunaux ordinaires, et à mon avis, l'expres-
sion «égalité devant la loi» qui figure à l'art. 1, al. b) de la
Déclaration des droits doit être traitée comme signifiant égalité
dans l'administration ou l'application de la loi par les fonction-
naires chargés de son application et par les tribunaux ordinaires
du pays. Cette interprétation est, à mon avis, étayée par les
dispositions des alinéas a) à g) de l'art. 2 de la Déclaration qui
indiquent clairement, selon moi, que c'est l'égalité dans l'admi-
nistration et l'application de la loi qui était la préoccupation du
Parlement lorsqu'il a garanti que se continuerait l'existence de
«l'égalité devant la loi».
Selon moi, il est évident que l'article 46 de la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage n'a pas eu
l'effet de priver l'intimée de son droit à l'égalité
devant la loi, au sens que le juge Ritchie prête à
cette expression dans l'arrêt Lavell. Cependant,
comme le juge Ritchie ne rendait pas l'opinion de
la majorité dans cette affaire, il n'est peut-être pas
superflu d'ajouter que j'arriverais à la même con
clusion en adoptant la définition plus large de
l'«égalité devant la loi» que je viens d'énoncer.
L'article 46 de la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage n'est pas isolé. Il faut le lire avec l'article
30 et les autres dispositions de la Loi. Il est
évident, à mon avis, que le Parlement a vu une
différence entre le chômage causé par la grossesse,
celui qui résulte de la maladie, et celui qui donne
lieu au paiement de prestations ordinaires. Même
si cette distinction peut paraître injustifiée, on ne
peut dire qu'elle est tout à fait sans fondement.
Contrairement aux autres situations de chômage
qui donnent lieu au paiement de prestations, le
chômage qui est causé par la grossesse résulte
ordinairement d'un acte volontaire. De plus, le
Parlement a probablement jugé souhaitable que les
femmes enceintes s'abstiennent de travailler pen
dant quatorze semaines à l'occasion de leur accou-
chement. De là, il n'était pas illogique de leur
refuser, pendant cette période, les prestations que
seuls ceux qui sont disponibles pour travailler peu-
vent recevoir et de leur donner droit à une autre
sorte de prestations payables sans égard à la capa-
cité de travailler et à la disponibilité. Ayant ainsi
créé une autre sorte de prestations à l'intention des
femmes enceintes, le Parlement devait alors en
déterminer les conditions de paiement. Plus préci-
sément, il devait déterminer la période d'emploi
qui donnerait droit aux prestations. Cette période
aurait pu être la même que celle que l'on exige
quant aux prestations ordinaires, auquel cas la
Commission aurait accepté la demande de l'inti-
mée. Mais le Parlement a choisi d'établir que la
période d'emploi exigée pour avoir droit aux pres-
tations de grossesse, qui sont, à certains égards,
plus généreuses que les prestations ordinaires,
serait plus longue que la période exigée dans le cas
des autres prestations. On peut penser de cette
décision qu'elle est malavisée mais, néanmoins, on
ne peut dire qu'elle repose sur des considérations
non pertinentes; il s'ensuit qu'à mon avis, la loi qui
donne suite à sa décision a été «adoptée en cher-
chant l'accomplissement d'un objectif fédéral
régulier» (voir Praia c. M.M. & L [1976] 1 R.C.S.
376, à la page 382), et n'enfreint le droit de
personne à «l'égalité devant la loi».
Pour ces motifs, je suis d'avis d'annuler la déci-
sion du juge-arbitre et de lui renvoyer l'affaire
pour qu'il rende une nouvelle décision qui tienne
compte du fait que l'article 46 de la Loi de 1971
sur l'assurance-chômage ne vas pas à l'encontre
de l'article l b) de la Déclaration canadienne des
droits.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris.
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