T-2950-76
Chinoin Gyogyszer es Vegyeszeti Termekek
Gyara R.T. (Requérante)
c.
Le sous-procureur général du Canada (Intimé)
En présence de M. le juge Addy de la Cour
fédérale du Canada en qualité de personne dési-
gnée en application de l'article 2 de la Loi sur les
recours consécutifs à une interruption des services
postaux—Ottawa, le 25 novembre et le 15 décem-
bre 1976.
Brevets — Pratique — Demande de prorogation du délai
pour déposer une demande de brevet — Demande présentée
conformément à la Règle 324, l'intimé ayant consenti à l'or-
donnance Rôle du sous-procureur général en qualité de
représentant dans de telles affaires — La Règle 324 s'appli-
que-t-elle à un juge siégeant comme .personne désignée.?
A quel moment une demande est-elle réputée se faire? — Loi
sur les recours consécutifs à une interruption des services
postaux, S.R.C. 1970, c. P-15, art. 2 et 3 — Règle 324 de la
Cour fédérale.
La requérante sollicite une prorogation de délai pour le dépôt
d'un brevet étranger aux motifs qu'une grève des postes au
Canada a retardé le dépôt de la demande. La demande a été, à
l'origine, présentée sans comparution personnelle conformé-
ment à la Règle 324, le sous-procureur général du Canada
ayant consenti par écrit à ce que l'ordonnance soit rendue.
Arrêt: la demande est rejetée. Bien que le retard apporté au
dépôt de la demande de brevet étranger soit dû à une interrup
tion des services postaux, la demande présentée devant cette
cour n'a pas été faite «sans retard excessif» comme le prévoit
l'article 3c) de la Loi sur les recours consécutifs à une inter
ruption des services postaux. Quoi qu'il en soit, ni la Règle 324
ni la pratique qui y est mentionnée ne s'appliquent aux juges
agissant en qualité de personnes désignées à moins que la loi ne
le prévoie; la manière dont peut être traitée l'affaire est donc
une question de procédure comportant l'exercice de la discré-
tion judiciaire.
Arrêt appliqué: Knapsack Actiengesellschaft c. Le sous-
procureur général du Canada [1968] 2 R.C.É.59.
DEMANDE.
AVOCATS:
N. Fyfe pour la requérante.
L. Holland pour l'intimé.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Ottawa, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ADDY: La requérante sollicite une
prorogation de délai pour le dépôt au Canada en
application de la Loi sur les brevets' d'une
demande de brevet étranger déposée en premier
lieu en Hongrie, au motif qu'une grève des postes
au Canada a retardé le dépôt de la demande
au-delà de la date limite.
La demande adressée à la présente cour est faite
conformément à l'article 3 de la Loi sur les
recours consécutifs à une interruption des services
postaux 2 et a été à l'origine présentée sans compa-
rution personnelle conformément à la Règle 324, le
sous-procureur général du Canada ayant consenti
par écrit à ce que l'ordonnance soit rendue.
En examinant les pièces produites à l'appui de la
requête, je les ai trouvées insuffisantes et j'ai porté
sur l'avis de requête la mention suivante:
[TRADUCTION] Quoique les pièces déposées fassent état
d'une interruption des services postaux ordinaires à compter du
21 octobre 1975, les pièces sont silencieuses quant à la nature
de l'interruption (c.-à-d. qu'on n'y mentionne ni sa durée, ni son
étendue, ni les régions qui ont été touchées).
Il a dû être évident que cette demande était hors délai
lorsqu'elle a été reçue et déposée le 3 décembre 1975. Cepen-
dant la présente demande a été déposée presque 11 mois plus
tard, c'est-à-dire le 10 novembre 1976. J'aimerais entendre les
raisons pour lesquelles on ne devrait pas refuser d'accorder le
recours demandé, compte tenu de l'article 3c) de la Loi sur les
recours consécutifs à une interruption des services postaux.
Les avocats des deux parties sont tenus de se présenter
devant moi pour audition orale de la présente affaire le jeudi 25
novembre 1976 10h 30 du matin, à Ottawa.
Par la suite, l'affaire m'a été soumise le 25
novembre pour audition orale. A cette époque,
l'avocat de l'intimé a été notifié que le procureur
agissant au nom du procureur général du Canada,
avait à tort consenti à ce que soit rendue l'ordon-
nance demandée, les pièces à l'appui étant mani-
festement insuffisantes.
Une demande de cette nature est tout à fait
différente d'une pure question entre des parties.
Dans cette affaire, l'intimé n'est pas directement
intéressé en qualité de partie à l'issue de l'action
mais il est constitué partie dans le but de protéger
les intérêts du public en général et plus particuliè-
' S.R.C. 1970, c. P-4.
2 S.R.C. 1970, c. P-15.
rement ceux de personnes dont les noms n'ont pas
été divulgués et qui sont inconnues, lesquelles
pourraient un jour avoir un intérêt très réel dans le
règlement final de la demande. Lorsqu'une per-
sonne est une partie au procès en qualité de repré-
sentant, comme c'est le cas dans la présente
affaire, elle a l'obligation très stricte et solennelle
de s'assurer que toutes les dispositions de la loi
sont exécutées ou tout au moins qu'elles sont por-
tées à la connaissance de la Cour. Toute personne
qui agit sui juris peut être aussi indifférente ou
aussi insouciante qu'elle le désire à l'égard de ses
droits mais bien entendu, une personne qui agit en
qualité de protecteur et de gardien des droits
d'autrui ne peut agir de la sorte.
Lorsque le procureur du procureur général con
sent à l'ordonnance sans examiner les pièces, il ne
manque pas seulement à son obligation à l'égard
du public mais aussi à l'égard de la Cour en tant
que l'un de ses fonctionnaires. Contrairement aux
demandes ex parte où la Cour examine les pièces
attentivement en ayant toujours présents à l'esprit
le bien-fondé de l'affaire et l'intérêt de l'intimé
absent, lorsqu'une partie censée représenter des
intérêts opposés consent à une demande, elle doit
déclarer expressément à la Cour qu'aucune objec
tion de droit ni de fond ne s'oppose à ce qu'elle soit
accordée.
Conformément à ma requête, deux affidavits
supplémentaires ont été par la suite déposés. L'un
porte sur la durée, la nature et l'étendue de la
grève et la requérante m'a maintenant convaincu
grâce à cet affidavit que le retard était réellement
dû à une interruption des services postaux.
Le second point en litige consiste à savoir si la
demande présentée devant cette cour «a été faite
sans retard excessif», comme le prévoit l'article 3c)
de la Loi sur les recours consécutifs à une inter
ruption des services postaux. La date limite du
dépôt de la demande auprès du Bureau des brevets
était le 23 octobre 1975. La demande a été reçue le
3 décembre 1975 par les agents d'Ottawa du
demandeur et déposée le même jour au Bureau des
brevets. Un avis introductif de requête, sur lequel
aucune date de présentation n'était indiquée, a été
déposé à la Cour le 29 juillet 1976 avec pièces à
l'appui. Le 10 novembre 1976, on a demandé par
écrit de procéder à l'audition de l'affaire confor-
mément à la Règle 324. Le 25 novembre, j'ai
entendu la question oralement.
J'ai accordé la permission spéciale de déposer le
second affidavit après l'audition orale. L'affidavit,
qui tente de justifier le retard apporté à la présen-
tation de la demande expose les événements sui-
vants présentés dans l'ordre chronologique.
Le 4 décembre 1975—les agents d'Ottawa écri-
vent afin de s'informer si les commettants hon-
grois veulent intenter une action conformément
à la Loi sur les recours consécutifs à une inter
ruption des services postaux;
le 30 décembre 1975—conformément aux direc
tives reçues, les agents d'Ottawa avisent les
commettants hongrois des mesures requises pour
obtenir redressement;
le 31 mars 1976—un câble envoyé de Hongrie
autorisant les procédures;
le 13 mai 1976—un projet d'affidavit a été
envoyé aux commettants hongrois pour
signature;
le 2 juillet 1976—lettre de Hongrie renvoyant
l'affidavit dûment signé;
le 29 juillet 1976—un avis introductif de requête
avec pièces à l'appui a été déposé à la Cour et
signifié au sous-procureur général ainsi qu'une
lettre demandant au ministère de la Justice s'il
autoriserait l'ordonnance;
le 27 septembre 1976--lettre du ministère de la
Justice portant qu'il autorise l'ordonnance et
demandant qu'on lui en envoie un projet;
le 18 octobre 1976—l'autorisation ainsi que le
projet de l'ordonnance ont été envoyés au minis-
tère de la Justice;
le 22 octobre 1976—le ministère de la Justice
renvoie l'autorisation signée et le projet
d'ordonnance;
le 2 novembre 1976—lettre envoyée à la Cour
pour déposer l'autorisation et le projet d'ordon-
nance et pour demander qu'il soit statué sur la
demande conformément à la Règle 324.
La première question à déterminer est la date à
laquelle la demande a été réellement faite.
Il ressort des articles 2 et 3 de la Loi qu'un juge
qui entend une demande en application de la Loi
sur les recours consécutifs à une interruption des
services postaux le fait en qualité de personne
désignée. Le juge Jackett, maintenant juge en
chef, a statué sur la question dans l'arrêt Knap-
sack Actiengesellschaft c. Le sous-procureur
général du Canada 3 .
Qu'un juge siège en qualité de membre d'une
cour ou comme personne désignée, on ne lui pré-
sente pas une demande, ni à la Cour dans le cas
d'une demande faite à la Cour, au moment du
dépôt au greffe de la Cour de l'avis de requête et
des pièces à l'appui. La demande, dans le cas d'une
audition orale, se fait au moment de l'audition.
L'avis de requête est simplement un avis mention-
nant la date à laquelle la demande sera présentée.
Dans un tel cas, puisque la date de la demande est
celle de l'audition, c'est-à-dire celle de la présenta-
tion de la requête et non la date du dépôt, à plus
forte raison la date du dépôt d'un avis de requête
qui ne mentionne aucune date de présentation n'est
jamais considérée comme la date de la demande.
Par conséquent le dépôt de l'avis de requête et des
pièces à l'appui le 28 juillet 1976 n'est pas la date
de la demande.
Dans le cas d'une demande sans audition orale
en application de la Règle 324, la date de la
demande serait normalement la date à laquelle la
cour a reçu finalement les pièces requises du
requérant et de toute personne s'opposant à la
demande, ou la date de réception de l'autorisation
lorsqu'elle est nécessaire, ou encore, dans les cas
où les autres parties intéressées n'ont pas accordé
leur autorisation et ne se sont pas opposées formel-
lement à la demande, après que, de l'avis de la
Cour, les parties intéressées aient eu la possibilité
raisonnable de présenter des observations orales ou
écrites.
Dans la présente affaire, la demande formulée
conformément à la Règle 324 et le consentement
ayant été déposés le 2 novembre 1976, c'est cette
date qui serait considérée comme la date de la
demande si celle-ci était autorisée dans les circons-
tances conformément à la règle.
Cependant, quoique la question n'ait jamais été
soulevée devant moi lors de l'audition et bien que
dans le passé on ait fréquemment jugé les deman-
des de cette nature conformément à la Règle 324,
je conclus que cette dernière ne s'applique pas
dans les cas où un juge de la Cour fédérale agit en
qualité de personne désignée en vertu d'une loi, à
moins que celle-ci ne dispose autrement. La règle
3 [1968] 2 R.C.É. 59.
ne contient rien en ce sens; elle se trouve dans la
partie III des Règles intitulées «Règles générales
applicables aux procédures devant la Cour». Natu-
rellement, cela ne signifie pas «procédures devant
un juge agissant en qualité de personne désignée».
En outre, les Règles, prises dans leur intégralité,
s'appliquent à la Division de première instance
ainsi qu'à la Division d'appel de la Cour et aucune
disposition ne prévoit qu'en totalité ou en partie,
elles puissent s'appliquer à un juge agissant en
qualité de personne désignée.
Comme cela arrive dans la plupart des cas,
lorsque la Loi désignant le juge est silencieuse
quant à la procédure ou n'en prévoit pas qui
s'oppose à ce qui suit, il serait logique de présumer
que non seulement la pratique et la procédure
traditionnellement suivies par les juges et les tribu-
naux sont applicables, mais encore que par analo-
gie, les règles générales de pratique de la Cour à
laquelle le juge appartient sont un guide utile en ce
qui concerne la pratique à suivre ainsi que la forme
et la teneur des documents. Cependant, une procé-
dure intentée au moyen d'une demande écrite sans
comparution en personne est une procédure
extraordinaire particulière à cette cour et à quel-
ques autres tribunaux qui auraient pu l'adopter ces
dernières années, et en aucune façon peut-elle être
considérée comme une procédure ayant le carac-
tère d'une pratique générale adoptée par les tribu-
naux et les juges. Au contraire, selon la règle ou la
pratique générale une demande présentée à toute
personne exerçant des fonctions judiciaires se fait
en présence de cette dernière, particulièrement
lorsque d'autres parties ont le droit d'être
entendues.
Par conséquent, je conclus que ni la Règle 324
ni la pratique qui y est mentionnée ne s'appliquent
aux juges agissant en qualité de personnes dési-
gnées à moins que, bien entendu, la loi ne le
prévoie. Cependant, et j'insiste là-dessus, je ne
prétends pas qu'un juge saisi d'une demande ne
peut statuer à son sujet sur la base des observa
tions soumises par écrit et sans comparution en
personne des parties, lorsque les circonstances le
justifient et qu'il le juge opportun. Par conséquent,
il ne s'agit pas d'une question de pratique générale
comme telle, mais d'une question de procédure qui
peut faire l'objet de la discrétion judiciaire selon
chaque cas particulier.
De ce qui précède, il ressort que la demande a
été présentée à la date à laquelle j'ai entendu
l'affaire, c'est-à-dire le 25 novembre 1976.
En m'appuyant sur la décision récente de mon
collègue le juge Walsh dans l'affaire Alexander c.
Le sous-procureur général du Canada'', je conclus
sans hésitation qu'un retard de près d'une année
constitue manifestement un retard excessif. J'irai
encore plus loin en déclarant que, de toute
manière, un retard de près d'un an constituerait
presque inévitablement un retard excessif à moins
que des circonstances exceptionnelles ne viennent
le justifier. Je n'ignore pas que ce qui précède va à
l'encontre de certains arrêts récents, qui ont
accordé le redressement recherché en l'absence de
toute justification du retard, lequel allait de six à
douze mois. Cependant, il est à remarquer qu'il
s'agissait dans chaque cas de requêtes présentées
en vertu de la Règle 324 et qu'elles ont été accueil-
lies sur consentement d'un procureur agissant au
nom du sous-procureur général du Canada. J'ai
suffisamment exprimé mon opinion à ce sujet, plus
haut dans les présents motifs.
Indépendamment du temps écoulé entre la date
à laquelle la demande de brevet a été reçue à
Ottawa (le 3 décembre 1975) et la date où la
demande de redressement m'a été présentée (le 25
novembre 1976), et ne tenant compte que de la
période qui s'est écoulée entre le 13 mars 1976,
lorsque l'affidavit a été envoyé en Hongrie aux fins
de signature, et le 2 juillet 1976, lorsqu'une lettre a
été adressée aux agents d'Ottawa leur retournant
l'affidavit, c'est-à-dire une période de trois mois et
demi, j'aurais conclus que ce laps de temps, en
lui-même, constituerait un retard excessif puis-
qu'aucune explication raisonnable n'a été donnée
pour le justifier.
La demande est donc rejetée et le recours
demandé est refusé.
J'ordonne également que l'intitulé de la cause
soit modifié en retranchant les mots «La Cour
fédérale du Canada—Division de première ins
tance» en les remplaçant par les mots «En présence
de M. le juge Addy de la Cour fédérale du Canada
en qualité de personne désignée en application de
l'article 2 de la Loi sur les recours consécutifs à
une interruption des services postaux, S.R.C.
1970, chap. P-15.»
4 [I977] 1 C.F. 737.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.