T-3943-75
Canadien Pacifique Limitée (Demanderesse)
c.
Travailleurs unis des transports (Défendeur)
Division de première instance, le juge Dubé—
Ottawa, les 23, 24 et 25 mars et le 1" avril 1977.
Compétence — Relations de travail — Les termes de la
décision arbitrale du 8 janvier 1975 font-ils partie de la
convention collective en vigueur? — La Cour peut-elle réviser
la décision de l'arbitre? — Loi de 1973 sur le maintien de
l'exploitation des chemins de fer, S.C. 1973-74, c. 32, art.
13(2),(3), 16(1),(4) — Code canadien du travail, S.R.C. 1970,
c. L-1, dans sa forme modifiée par S.C. 1972, c. 18, art. 107,
155, 156, 157, 159 — Loi sur la Cour fédérale, art. 23.
L'action de la demanderesse C.P. vise à obtenir un jugement
déclarant qu'une décision arbitrale en date du 8 janvier 1975
(relative à une proposition de la demanderesse de réduire de
deux à un le nombre des serre-freins sur les trains de marchan-
dises) fait partie de la convention collective en vigueur entre
C.P. et le syndicat défendeur. Deux conventions collectives
conclues entre les parties le 25 juin 1971, pour les régions de
l'Est et de l'Ouest, ont expiré le 31 décembre 1972. Leur
révision a fait l'objet d'un rapport de conciliation adressé au
ministre du Travail, le 24 août 1973. A cause d'une grève
d'autres employés de chemins de fer au cours de cette année-là,
le Parlement a adopté la Loi de 1973 sur le maintien de
l'exploitation des chemins de fer qui a prolongé les conventions
collectives de manière à y inclure la période allant du l"janvier
1973 au 31 décembre 1974, ou à la date d'entrée en vigueur des
nouvelles conventions, si cette dernière date est antérieure à
l'autre, et qui a prévu la nomination d'un arbitre pour résoudre
les points litigieux.
L'arbitre a été nommé le 13 septembre 1973. Après son
rapport préliminaire du 16 janvier 1974, les parties ont conclu
des conventions collectives qui expiraient le 16 décembre 1974,
mais laissaient à l'arbitre le soin de trancher, entre autres, la
question de .composition de l'équipe». L'arbitre a rendu sa
décision sur cette question le 3 décembre 1974, mais elle n'a été
publiée que le 8 janvier 1975. La Cour d'appel a rejeté une
demande formulée par le Syndicat en vertu de l'article 28 aux
fins d'examiner et d'annuler la décision; elle a donné comme
motif que c'était là une question purement théorique car l'effet
de la décision était épuisé. Depuis ce temps, les parties ont
conclu d'autres conventions collectives pour la période du 1"
janvier 1976 au 31 décembre 1977. Elles ne révisent ni ne
mentionnent la question de »composition de l'équipe». La
demanderesse soutient qu'elle fait partie de la convention col
lective en vigueur.
Arrêt: l'action est rejetée. La Cour n'a pas compétence pour
interpréter la convention collective, ce qui ne peut se faire que
par la voie des mécanismes prévus dans la convention interve-
nue entre les parties et le Code canadien du travail. Depuis
l'arrêt de la Cour suprême dans McNamara Construction
(Western) Ltd. c. La Reine, il est clair que la Cour fédérale est
incompétente pour accorder un redressement dans un contrat à
moins qu'il ne soit réclamé en vertu d'une loi fédérale existante
et applicable. L'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit
que la Cour a compétence sauf si cette compétence «a par
ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale». L'article 155 du
Code canadien du travail prévoit le règlement .par voie d'arbi-
trage ou autrement», et les parties ont convenu d'aller en
arbitrage. L'arbitre n'est pas un office créé par la loi et n'est
pas sujet à révision par voie de certiorari quand les parties ont
convenu de régler le différend par voie d'arbitrage et non
«autrement».
Arrêts appliqués: Canadien Pacifique Ltée c. Quebec
North Shore Paper Co. (1976) 9 N.R. 471; McNamara
Construction (Western) Ltd. c. La Reine (1977) 13 N.R.
181; Howe Sound Company c. International Union of
Mine, Mill and Smelter Workers (Canada), Local 663
[1962] R.C.S. 318 et Port Arthur Shipbuilding Company
c. Arthurs [1969] R.C.S. 85.
ACTION en jugement déclaratoire.
AVOCATS:
C. R. O. Munro, c.r., et T. Maloney pour la
demanderesse.
M. W. Wright, c.r., et J. L. Shields pour le
défendeur.
PROCUREURS:
Contentieux du Canadien Pacifique, Mont-
réal, pour la demanderesse.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady & Morin, Ottawa, pour le
défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE Mme: Il s'agit ici d'une action visant à
obtenir un jugement déclarant que les termes de la
décision rendue par l'honorable Emmett M. Hall,
le 8 janvier 1975, propos de la «composition de
l'équipe» font partie de la convention collective en
vigueur entre les deux parties sur les modalités
d'emploi du personnel d'un train. Cette question se
ramène grosso modo à la proposition faite par la
compagnie de chemins de fer demanderesse de
réduire de deux à un le nombre des serre-freins,
c'est-à-dire, dans certaines circonstances de faire
marcher des trains de marchandises sans la pré-
sence d'un second serre-frein dans le fourgon.
Le 25 juin 1971, la demanderesse (ci-après
appelée «C.P.R.») et le syndicat défendeur (ci-
après appelé «le Syndicat») ont passé deux conven
tions collectives, l'une pour les régions de l'Atlanti-
que et de l'Est, et l'autre pour les régions du
Pacifique et des Prairies, toutes deux identiques en
leurs principaux points sur les modalités d'emploi
du personnel de train de C.P.R. Les conventions
ont expiré le 31 décembre 1972. Après cette date,
leur révision a fait l'objet de procédures devant une
commission de conciliation qui a fait rapport au
ministre du Travail, le 24 août 1973. Au cours de
l'année, certains employés de C.P.R. (mais pas le
personnel de train) ont débrayé et interrompu
l'exploitation des chemins de fer.
Le 2 septembre 1973, le Parlement a adopté la
Loi de 1973 sur le maintien de l'exploitation des
chemins de fer' (ci-après appelée «la Loi»), afin
d'assurer la reprise des opérations ferroviaires du
Canada. Le préambule déclarait «indispensable ...
de reprendre immédiatement l'exploitation des
chemins de fer et de prévoir . la reprise des
procédures de négociation et de médiation ainsi
que le règlement définitif des conditions d'emploi
pour les années 1973 et 1974».
En vertu des Parties III et IV de la Loi, les
conventions collectives ont été prolongées de
manière à inclure la période allant du 1°" janvier
1973 la date d'entrée en vigueur des nouvelles
conventions ou au 31 décembre 1974, si cette
dernière date est antérieure à l'autre (paragraphe
13(2)). Sur la recommandation du ministre du
Travail, le gouverneur en conseil a été autorisé à
nommer un arbitre (paragraphe 16(1)). Si l'arbi-
tre tranchait une question non encore réglée entre
les parties, la convention collective était réputée
modifiée par l'incorporation de cette décision dans
ladite convention et la convention ainsi modifiée
constituait dès lors une nouvelle convention en
vigueur pendant la période prenant fin au plus tôt
le 31 décembre 1974 (paragraphe 16(4)).
L'arbitre a été nommé le 13 septembre 1973 et a
entendu les parties sur la question de «composition
de l'équipe» et autres points litigieux. Dans son
premier rapport du 16 janvier 1974, il leur a
recommandé de prendre certaines mesures prélimi-
naires avant le 30 juin 1974; après quoi, il enten-
drait d'autres représentations et prendrait une
décision concernant «la composition de l'équipe».
Le 1" février 1974 les parties ont passé une
convention collective révisant la convention affé-
rente au personnel de train, qui devait rester en
' S.C. 1973-74, c. 32.
vigueur jusqu'au 31 décembre 1974 et ensuite
jusqu'à sa révision ou son remplacement. La nou-
velle convention contenait cette clause:
[TRADUCTION] Réduction de l'équipe dans toutes les
catégories de services de marchandises
La demande de la Compagnie (réduction de l'équipe dans
toutes les catégories de services de marchandises) doit être
réglée de la manière spécifiée dans le rapport de l'arbitre
(arbitrage des chemins de fer 1973) en date du 16 janvier 1974.
Au cours de l'interrogatoire préalable tenu pour
la présente instance, le 26 novembre 1976, on a
demandé à un agent du Syndicat, George McDe-
vitt, si la convention du l er février 1974 donnait
[TRADUCTION] «effet à la décision arbitrale
rendue le 16 janvier 1974 par M. Hall, dans la
mesure où elle touchait les employés itinérants de
C.P. Rail représentés par les Travailleurs unis des
transports». Il a répondu affirmativement.
En juillet et août 1974, l'arbitre a entendu d'au-
tres représentations sur la «composition de
l'équipe». Le 3 décembre, il a pris une décision sur
les quatre affaires consignées dans son premier
rapport, notamment sur la «composition de
l'équipe» et a signé une décision arbitrale à ce
sujet, qu'il a envoyée au ministère du Travail. A ce
moment-là, ou vers ce moment-là, un fonctionnaire
du ministère a informé les agents du Syndicat que
la décision était plus favorable à C.P.R. qu'au
Syndicat.
Le Syndicat était alors en train de procéder
auprès de ses membres à un référendum au scrutin
secret dans tout le Canada concernant la ratifica
tion de la nouvelle convention collective. Un agent
du Syndicat a fait part à l'arbitre et à un fonction-
naire du ministère de ses craintes que la publica
tion d'une décision défavorable juste à ce
Moment-là. ait une influence malheureuse sur le
résultat du vote, risque qui pourrait être évité en
repoussant ladite publication de quelques jours,
c'est-à-dire jusqu'à ce que le scrutin soit achevé.
L'arbitre et le ministère ont alors décidé de scinder
la décision en deux parties: 1) les trois autres
points litigieux qui devraient être rapportés en
temps opportun et 2) la «composition de l'équipe»
qui serait publiée au début de l'année suivante. En
fait, elle a été publiée le 8 janvier 1975 et porte
cette date.
Peu après, le 16 janvier, le Syndicat a saisi la
Cour d'appel fédérale en vertu de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale, en lui demandant d'exa-
miner et d'annuler la décision arbitrale afférente à
la «composition de l'équipe». Le Syndicat n'a pas
fait valoir que ladite décision était publiée après le
31 décembre 1974; mais, le second jour de l'ins-
tance dans sa réponse à l'avocat du Syndicat, la
Cour ex proprio motu s'est exprimée dans les
termes suivants 2 :
[TRADUCTION] La Cour n'a pas l'impression que la décision
arbitrale attaquée dans les présentes procédures ait une inci
dence sur l'exploitation des chemins de fer ou sur les conven
tions collectives y afférentes postérieures à la fin de 1974. Son
effet, si elle en a eu un, semble épuisé. La Cour n'est donc
nullement convaincue que les points litigieux soulevés soient
autres que purement théoriques et qu'elle puisse y apporter un
quelconque redressement.
Sur ce, l'avocat du Syndicat, après avoir
demandé et obtenu un ajournement, a porté l'af-
faire à l'attention de l'arbitre. Il y a eu consulta
tion entre les avocats des deux parties et une autre
audience, le 3 septembre 1975, où l'avocat de
C.P.R., avec l'accord de celui du Syndicat, a tenté
de déposer plusieurs documents. La Cour a refusé
de les admettre en observant à nouveau que les
points litigieux étaient théoriques et a invité l'avo-
cat du Syndicat à faire connaître sa position sur ce
point. Celui-ci a accepté que sa demande soit
rejetée et elle l'a effectivement été. Les deux par
ties ont tout reconnu dans leur exposé conjoint des
faits.
Et maintenant, retournons au 11 décembre
1974. A cette date, les deux parties ont passé une
convention collective révisant les conventions pré-
cédentes, qui est entrée en vigueur le 1°" janvier
1975 et devait le demeurer au moins jusqu'au 31
décembre 1975.
Et, pour compléter la série des événements, le 21
juillet 1976, les parties ont passé deux autres
conventions collectives pour la période du 1" jan-
vier 1976 au 31 décembre 1977.
Les conventions du 21 juillet 1976, pas plus que
celles du 11 décembre 1974, n'ont révisé les termes
des conventions précédentes quant à la «composi-
tion de l'équipe». Ces documents n'y font aucune
allusion.
En l'occurrence, il convient de noter, simple-
ment pour régler la question, qu'un projet de
2 N° du greffe A-15-75, le 9 juillet 1975.
règlement a été adopté par les deux parties, le 7
novembre 1974, entre les chemins de fer (y com-
pris C.P.R.) et les syndicats des chemins de fer
associés (y compris le Syndicat), qui incluait la
clause selon laquelle [TRADUCTION] des change-
ments précédents règlent pleinement toutes les
demandes ... et toutes les autres questions en
litige à la date de la signature de ce projet de
règlement». Le Syndicat a invoqué cette clause
dans son exposé de défense, mais il l'a rattaché
seulement aux questions en litige communes à tous
les chemins de fer et à tous les syndicats, et non
pas à celle de la «composition de l'équipe», point
litigieux qui ne concerne que C.P.R. et le Syndicat.
La question se résume ainsi: la décision de l'ar-
bitre concernant la «composition de l'équipe» fait-
elle ou non partie de la convention collective en
vigueur?
C.P.R. prétend que oui, en vertu de la conven
tion du ler février 1974 qui lie les deux parties et
que les conventions subséquentes n'ont pas révisée,
y compris celle qui est actuellement en vigueur, et
en vertu du paragraphe 16(4) de la Loi de 1973
sur le maintien de l'exploitation des chemins de
fer, dont voici le libellé:
16. (4) S'il est nommé un arbitre en vertu du paragraphe
(1) et que l'arbitre tranche une question non encore réglée, au
moment de sa décision, entre les parties à une convention
collective visée par la Partie I, II ou III, selon le cas, cette
convention collective est réputée modifiée par l'incorporation de
cette décision dans ladite convention et la convention collective
ainsi modifiée constitue dès lors une nouvelle convention collet
five modifiant ou révisant la convention collective visée par la
Partie I, II ou III, selon le cas, qui est en vigueur pendant la
période prenant fin au plus tôt le 31 décembre 1974 que
l'arbitre peut fixer.
La demanderesse affirme qu'un arbitre a bien
été nommé et qu'il a tranché la question de la
«composition de l'équipe». Donc, la convention du
1 n février 1974 et ses révisions subséquentes ont
introduit sa décision, qui lie encore aujourd'hui les
deux parties. En outre, le Syndicat a admis, à
l'interrogatoire préalable, que la convention don-
nait effet à la décision arbitrale.
Dans son premier moyen de défense, l'avocat de
la défenderesse prétend que cette cour est incom-
pétente pour régler la question. Le savant avocat a
déjà lancé une attaque à ce sujet par voie de
requête en radiation de la déclaration de la deman-
deresse, requête que mon collègue Cattanach a
rejeté sans motifs écrits. La Cour d'appel a con
firmé sa décision et le juge Heald, qui a prononcé
le jugement non publié de la Cour, dit aux pages 4
et 5 de ses motifs':
[TRADUCTION] L'appelante présente aussi une seconde
requête subsidiaire à la première. Elle y prétend que si l'article
23 de la Loi sur la Cour fédérale donne à la Division de
première instance de cette cour compétence pour déterminer les
points litigieux portant sur les questions ferroviaires entre
sujets, sur les faits de l'espèce, le Parlement a .spécialement
attribué» à un arbitre, en vertu de l'article 155 du Code
canadien du travail, la compétence de statuer sur l'interpréta-
tion des conventions collectives ....
L'appelante invoque donc l'exception contenue dans l'article 23
de la Loi sur la Cour fédérale, dont voici les termes: »sauf dans
la mesure où cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une
attribution spéciale».
A cet argument, l'intimé répond que l'article 155 du Code
canadien du travail n'attribue aucune compétence à un arbitre
et qu'il exige simplement des parties à une convention collective
qu'elles s'entendent sur une méthode pour en arriver au règle-
ment définitif de certains différends .par ... arbitrage ou
autrement». L'intimé adopte comme point de vue que le Code
canadien du travail laisse entièrement aux parties le soin de
déterminer la manière de régler leurs différends et que cela est
tout à fait distinct d'une situation où le Parlement aurait
.spécialement attribué» compétence à un arbitre pour trancher
la question.
Il suffit d'exposer la requête de l'avocat adverse, comme j'ai
essayé de le faire succinctement ci-dessus, pour apprécier que la
réclamation soulève ici d'importantes questions de droit. Le
juge de première instance n'a pas donné de motifs pour rejeter
la demande. Toutefois, je suis convaincu que son jugement est
défendable parce que la déclaration soulève une sérieuse ques
tion de droit et que cela constitue en soi une bonne base pour
exercer une discrétion de rejet.
L'avocat du défendeur a choisi de ne pas deman-
der une décision préliminaire en vertu de la Règle
474; il a préféré attendre l'instance avant de con-
tester à nouveau la compétence de la Cour. Dans
l'intervalle, la Cour suprême du Canada a rendu
deux arrêts qui touchent à la compétence de la
Cour fédérale: Canadien Pacifique Liée c. Quebec
North Shore Paper Co. 4 et La Reine c. McNarna-
ra Construction (Western) Ltd. 5 Il ressort nette-
ment de ces deux arrêts que la Cour fédérale est
incompétente pour accorder un redressement dans
un contrat, à moins que ledit redressement ne soit
réclamé en vertu d'une loi du Parlement. Il ne
suffit pas que l'entreprise envisagée par la conven-
3 N° du greffe A-31-76, distribué le 21 mai 1976.
4 (1976) 9 N.R. 471.
5 (1977) 13 N.R. 181.
tion tombe globalement dans le pouvoir législatif
fédéral, il faut une loi fédérale que l'on puisse
invoquer à l'appui de toute procédure engagée
devant cette cour.
Trois lois fédérales traitent de la question en
litige: la Loi spéciale du Parlement pour régler les
conflits des compagnies de chemins de fer, la
Partie V du Code canadien du travail 6 et la Loi
sur la Cour fédérale.
Comme je l'ai mentionné, la Loi de 1973 sur le
maintien de l'exploitation des chemins de fer pré-
voit la nomination d'un arbitre, la prise de déci-
sions arbitrales et leur incorporation dans les con
ventions collectives. Toutefois, elle ne spécifie pas
un moyen, mais son paragraphe 13(3) prévoit que
la Partie V du Code s'applique à l'égard de la
convention ainsi modifiée. Les dispositions princi-
pales de la Partie V sont celles de l'article 155,
dont voici le libellé:
155. (1) Toute convention collective doit contenir une clause
de règlement définitif, sans arrêt de travail, par voie d'arbitrage
ou autrement, de tous les conflits surgissant, à propos de
l'interprétation, du champ d'application, de l'application ou de
la présumée violation de la convention collective, entre les
parties à la convention ou les employés liés par elle.
(2) Lorsqu'une convention collective ne contient pas de
clause de règlement définitif ainsi que l'exige le paragraphe (1),
le Conseil doit, par ordonnance, sur demande de l'une des
parties à la convention collective, établir une telle clause, et
celle-ci est censée être une disposition de la convention collec
tive et lier les parties à la convention collective ainsi que tous
les employés liés par celle-ci. [C'est moi qui souligne.]
L'article 156 prévoit que toute ordonnance de
l'arbitre est définitive et qu'aucune procédure ne
doit être engagée devant un tribunal. L'alinéa
157c) confère à l'arbitre le pouvoir de décider si
une question portée devant lui peut être soumise à
l'arbitrage. L'article 159 donne un aperçu général
de la procédure d'exécution.
En vertu d'une convention du l er septembre
1971, les chemins de, fer et les syndicats (y compris
les parties à la présente action) ont convenu de
créer à Montréal le Bureau d'arbitrage des che-
mins de fer canadiens avec un seul arbitre nommé
par les signataires. Actuellement, quelqu'un rem-
plit ces fonctions.
6 S.C. 1972, c. 18.
L'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale
prévoit que la Division de première instance a une
compétence concurrente en première instance sur
certaines questions, à une exception près:
23. La Division de première instance a compétence concur-
rente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans
tous les cas où une demande de redressement est faite en vertu
d'une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière de
lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est
partie aux procédures, d'aéronautique ou d'ouvrages et entre-
prises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà
des limites d'une province, sauf dans la mesure où cette compé-
tence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale. [C'est
moi qui souligne.]
L'avocat du Syndicat prétend que la compétence
relative à l'affaire en litige a été attribuée à un
arbitre par le Code canadien du travail et par une
convention intervenue entre les parties, et donc que
cette cour est incompétente. A l'appui de sa pré-
tention, il invoque un arrêt rendu en 1976 par la
Cour suprême du Canada dans Brunet c. General
Motors of Canada Ltd.', où il a été statué que les
droits demandés par un employé provenaient d'une
convention collective et qu'il n'existait aucun
recours auprès d'un tribunal. Le remède convena-
ble, c'est le recours à l'arbitrage tel que le prévoit
l'article 88 du Code du travail 8 du Québec, modi-
fié par l'article 28 du chapitre 48 de la loi de 1969.
En voici le libellé:
88. Tout grief doit être soumis à l'arbitrage en la manière
prévue dans la convention collective si elle y pourvoit et si les
parties y donnent suite; sinon il est déféré à un arbitre choisi
par les parties ou, à défaut d'accord, nommé par le ministre.
Le défendeur invoque aussi Close c. Globe and
Mail Ltd. 9 , où la Cour d'appel de l'Ontario a
statué qu'une réclamation sur l'interprétation
d'une convention collective ne pouvait être réglée
qu'en recourant au mécanisme prévu dans la con
vention collective et que les tribunaux sont
incompétents.
Ford c. Trustees of the Ottawa Civic Hospital 1 '
est une autre affaire ontarienne plus récente. La
Haute Cour a statué que le demandeur employé
sous le régime d'une convention collective, n'avait
7 (1977) 13 N.R. 233.
8 S.R.Q. 1964, c. 141.
9 (1967) 60 D.L.R. (2e) 105.
10 (1973) 37 D.L.R. (3e) 169.
pas le droit d'engager une action, mais était tenu
de régler sa réclamation par voie d'arbitrage. Le
paragraphe 37(1) de la Labour Relations Act de
l'Ontario" édicte que toute convention collective
doit prévoir un arbitrage définitif et comminatoire:
[TRADUCTION] 37.—(1) Toute convention collective doit
prévoir un règlement définitif et comminatoire par voie d'arbi-
trage, sans arrêt de travail, de tous les différends entre les
parties provenant de l'interprétation, du champ d'application,
de l'application ou de la présumée violation de la convention, y
compris la question de savoir si tel ou tel différend est soumis à
l'arbitrage.
Mais les articles des lois de l'Ontario et du
Québec ne sont pas identiques à l'article 155 du
Code canadien du travail. Ce dernier, que j'ai
reproduit précédemment, prévoit que toute conven
tion collective ddit contenir une clause de règle-
ment définitif par voie d'arbitrage ou autrement.
La demanderesse affirme que l'article 155 n'im-
pose pas l'arbitrage.
L'article 22 de la Labour Relations Act ' 2 de la
Colombie-Britannique est plus proche, presque
identique à l'article 155 du Code fédéral:
[TRADUCTION] 22. (1) Toute convention collective passée
après l'entrée en vigueur de la présente loi doit contenir une
clause de règlement définitif et péremptoire sans arrêt de
travail, par voie d'arbitrage ou autrement, de tous les différends
entre les personnes liées par la convention en ce qui concerne
son interprétation, son champ d'application, son fonctionne-
ment ou toute présumée violation y afférente.
(2) Lorsqu'une convention collective, qu'elle soit passée
avant ou après l'entrée en vigueur de la présente loi, ne contient
pas la clause exigée par le présent article, le Ministre doit par
ordonnance prescrire une clause à cette fin et une clause ainsi
prescrite sera réputée être une disposition de la convention
collective et lier toutes les personnes liées par la convention.
[C'est moi qui souligne.]
La demanderesse invoque avec insistance l'arrêt
rendu par la Cour suprême du Canada en 1962
dans Howe Sound Company c. International
Union of Mine, Mill and Smelter Workers
(Canada), Local 663 13 . Dans cette affaire, on a
prétendu que lorsqu'on lit la clause de la conven
tion selon laquelle la décision de la Commission est
définitive à la lumière du paragraphe 22(1) de la
Loi de la Colombie-Britannique, elle a l'effet d'in-
terdire aux deux parties d'aller devant les tribu-
naux. Le juge Cartwright, en prononçant le juge-
ment de la Cour, déclare à la page 330:
" S.R.O. 1970, c. 232.
12 S.C.-B. 1954, c. 17.
" [1962] R.C.S. 318.
[TRADUCTION] Même si la convention ne contenait pas
l'article 25 et la phrase qui termine le premier paragraphe de la
clause B de l'article 16 susmentionnée, je suis d'avis qu'il
faudrait des termes plus clairs que les leurs et ceux de la loi
pour évincer la compétence des tribunaux. Selon moi, les
parties ont toute latitude, lorsque l'occasion s'en présente, de
contester la compétence de la Commission ou la validité de
toute décision arbitrale qu'elle rend de cette manière comme le
permet l'Arbitration Act, S.R.C.-B. 1960, c. 14 ou la common
law.
Bien entendu, en l'espèce, les parties n'auraient
pas la latitude de porter une réclamation devant
cette cour, notamment sur la validité d'une déci-
sion, en vertu de l'Arbitration Act susmentionnée
ou de la common law. Tout recours devant cette
cour doit être fondé sur une loi fédérale. Les
termes de la convention qui lient les deux parties
dans la présente action sont fort clairs. Voici le
libellé du paragraphe 4 de la convention du ler
septembre 1971:
[TRADUCTION] 4. La compétence de l'arbitre, dans chaque
cas, à la demande d'une compagnie de chemins de fer ou d'un
ou de plusieurs de ses employés représentés par un agent
négociateur, et signataires à la présente convention, s'étendra et
sera limitée à l'arbitrage:
(A) des différends relatifs au sens ou à la prétendue viola
tion d'une ou plusieurs des clauses d'une convention collec
tive valide et en vigueur entre cette compagnie et l'agent
négociateur, y compris les réclamations relatives à ces clauses
comme quoi un employé a été injustement châtié ou congé-
dié; et
(B) d'autres différends qui, en vertu d'une clause d'une
convention collective valide et en vigueur entre cette compa-
gnie de chemins de fer et l'agent négociateur, doivent être
renvoyés devant le Bureau d'arbitrage des chemins de fer
canadiens pour règlement définitif et comminatoire par voie
d'arbitrage,
mais cette compétence doit toujours être assujettie à la présen-
tation du différend au Bureau d'arbitrage, strictement en
accord avec les termes de cette convention.
Le mot «différend» est défini dans le paragraphe
107(1) de la Partie V du Code canadien du
travail:
107. (1) Dans la présente Partie,
adifférend» désigne un différend né à l'occasion de la conclu
sion, du renouvellement ou de la révision d'une convention
collective et au sujet duquel un avis peut être donné au
Ministre en vertu de l'article 163;
Les termes de cette convention sont réellement
très clairs. Ils embrassent la question actuellement
portée devant cette cour, à savoir: la convention
collective en vigueur inclut-elle ou non la décision
arbitrale sur la «composition de l'équipe»? Il ne
peut s'agir là que d'un différend sur le sens d'une
convention collective.
Le paragraphe 155 (1) signifie simplement que
toute convention collective doit contenir une clause
de règlement définitif, que ce soit par arbitrage ou
autrement. En l'espèce, les deux parties ont con-
venu que ce ne serait pas «autrement», mais par
voie d'arbitrage si on en juge par la convention du
1°" septembre 1971. En outre, le règlement définitif
doit porter sur «tous» les différends, y compris ceux
sur l'«interprétation» ou le «champ d'application»
de la convention collective.
Si une convention ne contient pas de clause de
règlement définitif, alors c'est au conseil et non pas
à cette cour qu'il incombe, en vertu du paragraphe
155(2), de combler cette lacune. Si la convention
en contient une et que cette clause ne parle pas
d'arbitrage, mais d'un autre mode de règlement,
alors la Loi ne prévoit ni remède ni procédé spéci-
fique. Il ne s'ensuit pas inéluctablement que le
recours doit avoir lieu auprès de la Cour fédérale.
En tous cas, la demanderesse n'a pas prouvé que la
convention intervenue entre les parties contient
une clause de règlement définitif par un mode
autre que l'arbitrage.
La Cour fédérale, en tant que cour créée par une
loi, a une compétence limitée aux pouvoirs que les
lois du Parlement lui confèrent. Lorsque l'arbi-
trage est prévu, comme c'est nettement le cas en
l'espèce, le Code exige que les différends sur l'in-
terprétation soient réglés par voie d'arbitrage.
Lorsque l'arbitre (en l'occurrence l'arbitre unique
du Bureau d'arbitrage des chemins de fer cana-
diens) a pris sa décision, comme l'article 157 du
Code l'habilite à le faire, alors cette décision peut
être déposée devant la Cour fédérale en vertu de
l'article 159. Une fois déposée, elle a le même effet
et la même force que si elle avait été obtenue
devant cette cour.
Dans Port Arthur Shipbuilding Company c.
Arthurs' 4 , la Cour suprême du Canada a statué
que l'article 34 de The Labour Relations Act 15 de
l'Ontario est clair et non équivoque: il impose un
recours auprès d'un conseil d'arbitrage et les par
ties ne disposent d'aucune autre alternative. Le
14 [1969] R.C.S. 85.
15 S.R.O. 1960, c. 202.
conseil est donc créé par la loi et en tant que tel ses
décisions sont sujettes à révision devant les tribu-
naux par certiorari. A la page 92, le juge Judson
déclare:
[TRADUCTION] Il est vrai que la législation de la Colombie-
Britannique est très proche de celle de l'Ontario; néanmoins,
elle comporte des différences, dont la plus importante est
qu'elle prévoit le règlement des différends survenant sous le
régime d'une convention collective par arbitrage ou autrement,
tandis que la législation de l'Ontario ne prévoit strictement que
l'arbitrage. Le juge Cartwright l'a admis et il a soigneusement
réservé son opinion quant à l'exactitude de l'interprétation
donnée par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Rivando,
à la législation de l'Ontario. [C'est moi qui souligne.]
A la suite de ces arrêts et d'autres décisions de
la Cour suprême du Canada, il est établi qu'à
cause des termes «ou autrement» figurant dans
l'article 155 du Code, l'arbitre prévu par ledit
article n'est pas un office créé par la loi et n'est
donc pas sujet à révision par voie de certiorari. Si
C.P.R. avait porté cette affaire en arbitrage, en
vertu de l'article 155, on n'aurait peut-être pas
ensuite demandé aux tribunaux de réviser la déci-
sion de l'arbitre. L'article 156 confirme que:
156. (1) Toute ordonnance ou décision rendue par un con-
seil d'arbitrage ou par un arbitre nommé en application d'une
convention collective est définitive et ne peut être mise en
question devant un tribunal ni ravisée par un tribunal.
(2) Aucune ordonnance ne peut être rendue, aucun bref ne
peut être décerné ni aucune procédure ne peut être engagée, par
ou devant un tribunal, soit sous forme d'injonction, certiorari,
prohibition ou quo warranto, soit autrement, pour mettre en
question, reviser, interdire ou restreindre une activité exercée en
vertu de la présente Partie par un arbitre ou un conseil
d'arbitrage.
(3) Aux fins de la Loi sur la Cour fédérale, ni un conseil
d'arbitrage, ni un arbitre nommé en application d'une conven
tion collective n'est un office, commission ou autre tribunal
fédéral au sens où l'entend cette loi.
Mais il ne s'ensuit pas qu'une partie à une
convention collective, qui contient une clause d'ar-
bitrage en vertu du paragraphe 155(1) est libre
d'ignorer cette clause et d'engager des procédures
devant les tribunaux. Quant à l'article 156, on ne
peut sûrement pas s'en servir comme d'un moyen
de contourner le mode d'arbitrage convenu entre
les deux parties en vertu de l'article 155.
Comme il le dit dans le préambule du Code, le
Parlement a nettement eu l'intention de favoriser
«l'encouragement de la pratique des libres négocia-
tions collectives et du règlement positif des diffé-
rends». L'article 155 a manifestement pour objet
de prévoir une méthode de «règlement définitif» de
«tous les conflits ... entre les parties».
Je suis donc d'avis que cette cour est incompé-
tente pour interpréter la convention collective
intervenue entre les parties, car il s'agit d'une
affaire qui ne peut être décidée qu'en recourant au
mécanisme prévu par ladite convention et par le
Code canadien du travail.
Je rejette l'action de la demanderesse avec
dépens.
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