A-795-76
IBM Canada Limited -IBM Canada Limitée
(Appelante) (Défenderesse)
c.
Xerox du Canada Limitée et Xerox Corporation
(Intimées) (Demanderesses)
Cour d'appel, le juge Urie et les juges suppléants
MacKay et Kelly—Toronto, le 10 février; Ottawa,
le 25 février 1977.
Pratique — Interrogatoire préalable — L'intimée peut-elle
réclamer le privilège de communication entre un avocat et son
client relativement à une lettre qu'un avocat, employé de
l'intimée, a écrite? Une personne renonce-t-elle à ce privi-
lège en communiquant un document à un tiers? Admissibi-
lité des questions visant à dévoiler les faits contenus dans le
document de nature confidentielle — Ces questions se rappor-
tent-elles aux faits ou à la preuve à l'appui de ces faits?
L'appelante (défenderesse) interjette appel du refus de la
Division de première instance d'enjoindre aux intimées (deman-
deresses) de produire certains documents et de répondre à
certaines questions. Les intimées font valoir que les deux
documents en cause sont de nature confidentielle et que les
deux questions sont soit tellement imprécises qu'il est impossi
ble d'y répondre, soit contraires aux règles. L'appelante allègue
que le premier document n'était pas de nature confidentielle et
qu'il a été renoncé à tout privilège éventuel en ce qui concerne
le second document.
Arrêt: l'appel est accueilli en partie. Le premier document,
une lettre écrite par un avocat, employé de l'intimée, à son
client par l'intermédiaire de ses agents de brevets, n'est pas de
nature confidentielle. Bien qu'un avocat salarié d'une compa-
gnie soit considéré, en ce qui concerne la question de privilège,
comme un avocat exerçant sa profession à son propre compte, il
doit cependant agir en cette qualité lorsqu'il prépare un docu
ment de nature confidentielle et cela doit ressortir clairement à
la lecture du document. En l'espèce, l'avocat de la compagnie a
écrit en sa double qualité de représentant de la compagnie et de
directeur du service des brevets et par conséquent, le document
doit être produit. Le second document, toutefois, était au
départ une communication de nature confidentielle et une fois
la nature confidentielle d'un document établie, elle ne peut être
détruite en y renonçant. Par conséquent, les questions visant à
révéler la teneur de ce document sont contraires aux règles.
Il n'est pas nécessaire de répondre à la seconde question
puisqu'elle ne cherche pas à dévoiler des faits niais à découvrir
une preuve étayant ces faits; il ne s'agit pas, par conséquent,
d'une question propre à un interrogatoire préalable.
Arrêt appliqué: Alfred Crompton Amusement Machines
Ltd. c. Commissioner of Customs and Excise (N° 2)
[1972] 2 All E.R. 353; arrêt appliqué: Minet c. Morgan
(1873) L.R. 8 Ch. 361 et arrêt appliqué: Calcraft c. Guest
[1898] 1 Q.B.759.
APPEL sur interrogatoire préalable.
AVOCATS:
James D. Kokonis, c.r., pour l'appelante.
Roger T. Hughes et Ronald E. Dimock pour
les intimées.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Ottawa, pour l'appelante.
Donald F. Sim, c.r., pour les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Appel est interjeté d'une ordon-
nance rendue par la Division de première instance'
qui refuse d'enjoindre de produire certains docu
ments et refuse d'ordonner de répondre à certaines
questions au cours de l'interrogatoire des témoins
produits par les intimées en vue de l'interrogatoire
préalable. L'appel a été jugé dans son ensemble
durant le plaidoyer à l'exception de quatre ques
tions à l'égard desquelles la Cour a différé son
jugement, à savoir les questions n°' 9802, 9814,
9817 et 9819 portant sur le brevet canadien n°
518,430. Les présents motifs portent sur le règle-
ment de ces questions précises.
La question n° 9802 a été posée de la manière
suivante. Parmi les documents produits par les
intimées se trouvait la lettre suivante adressée à
l'intimée Xerox Corporation, à son ancien nom,
par ses agents de brevets new-yorkais:
[TRADUCTION]
MARKS & CLERK
220 Broadway
New York 38, New York
le 27 avril 1955
The Haloid Company
Service des brevets
Rochester 3, New York
A l'attention de: Me Frank A. Steinhilper
Objet: ROLAND MICHAEL SCHAFFERT
DEMANDE DE BREVET CANADIEN 586,750
CORRES. U.S.S.N. 21737
NOTRE AFFAIRE J - 44471
Messieurs,
Nous vous remercions de votre lettre du 2 mars.
Nous avons soumis la présente affaire à notre bureau d'Ot-
tawa. Il pense qu'il lui serait peut-être utile d'avoir une copie du
brevet américain qui, dites-vous, vous donne aux États-Unis la
protection nécessaire dans l'affaire en question.
' N° du greffe T-730-72, non publié.
Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous donner
le numéro du brevet américain en question pour les raisons
susmentionnées.
Veuillez agréer, Messieurs, l'expression de nos sentiments
distingués.
«Marks & Clerk»
JB/ja
cc: M» William J. Mase
La réponse de l'intimée datée du 13 avril 1955
contenait une copie du brevet américain n° 2,576,-
047. Les questions suivantes nos 3817 et 3819 ont
été posées à l'intimée Xerox Corporation au sujet
de la lettre du 7 avril 1955.
[TRADUCTION] 3817. Le deuxième paragraphe indique que
Battelle [sic] Haloid a déclaré qu'un brevet américain lui
donnait aux États-Unis la protection nécessaire dans
l'affaire en question. Pouvez-vous me dire si cette décla-
ration a été faite par écrit ou oralement?
3819. S'il s'agit d'une déclaration écrite, pouvez-vous nous
fournir le document approprié? (AB/App. 11/1,2)
La réponse de l'intimée est contenue dans les
questions n°s 9802 et 9803 que voici:
[TRADUCTION] M. CAMPBELL:
9802. Q. Viennent ensuite les questions n 0 ' 3817, 18, 19
et 20.
«Réponse: La déclaration figure dans la lettre adressée
par M» Steinhilper à Marks et Clerk en date du 2 mars
1955.»
Voulez-vous produire, je vous prie, une copie de cette
lettre de M» Steinhilper à Marks et Clerk de juin [mars]
1955?
M. HUGHES: Excusez-moi. A-t-elle déjà été produite?
9803. M. CAMPBELL: Non.
M. HUGHES: Je ne sais pas s'il s'agit d'une lettre pour
laquelle nous avons demandé l'exemption de communica
tion. Laissez-moi m'en assurer avant de vous en parler.
(AB/App. 11/71)
L'intimée Xerox Corporation a refusé de pro-
duire la lettre du 2 mars 1955 au motif qu'il
s'agissait d'un document exempt de communica
tion parce qu'elle avait été écrite par un avocat
agréé, employé de l'intimée Xerox Corporation
(sous son ancien nom) et directeur du service des
brevets de ladite compagnie, à son client par l'in-
termédiaire de ses agents de brevets new-yorkais,
Marks & Clerk. Les services de ces agents avaient
été retenus en vertu du règlement régissant les
brevets du Canada afin de poursuivre la demande
de brevet de la compagnie au Canada.
Voici la décision du savant juge de première
instance:
[TRADUCTION] Cette communication échangée dans des con
ditions plutôt curieuses entre Marks & Clerk et Me Steinhilper
est un document exempt de communication et je ne statuerai
que sur les faits particuliers de cette affaire. En nous plaçant
dans le contexte d'une autre affaire de brevet, nous constatons
que ces faits particuliers sont bien importants. Après avoir
examiné la lettre, les deux lettres, je suis convaincu que M'
Steinhilper écrivait peut-être en sa double qualité d'avocat et
d'employé mais certainement pas en sa seule qualité d'employé
ou au nom de Haloid Company. Je pense qu'il écrivait d'abord
à titre de procureur et peut-être un peu aussi comme employé;
par ailleurs, les circonstances particulières dans lesquelles il a
été fait état de la consultation privée pourraient soulever une
question de privilège qu'on ne trouve pas dans d'autres cas.
Selon le principe fondamental dont s'inspirent
les intimées pour faire valoir leur demande, un
client ne peut être forcé de révéler des communica
tions ou de produire des documents échangés con-
fidentiellement avec son avocat et ce dernier, non
plus, n'est pas autorisé à le faire. En outre, les
documents obtenus par un avocat en vue de prépa-
rer le dossier d'un procès, effectif ou futur, sont de
nature confidentielle. Il s'agit donc en l'espèce de
savoir si Me Steinhilper a écrit la lettre à son client
en sa qualité d'avocat.
Comme la Division de première instance, nous
avons examiné la lettre du 2 mars 1955 sans en
révéler le contenu à l'appelante. En toute défé-
rence nous ne pouvons souscrire à l'avis du savant
juge selon lequel Me Steinhilper écrivant en sa
double qualité d'avocat et d'avocat de brevets,
mais non en sa qualité d'employé de The Haloid
Company (appelée maintenant Xerox Corpora
tion).
Il ne fait pas de doute que les avocats salariés
d'une compagnie sont considérés en droit et à tout
autre égard comme des avocats exerçant leur pro
fession à leur propre compte. Ils ont, ainsi que
leurs clients même s'il s'agit en l'espèce d'un seul
client, les mêmes privilèges et les mêmes obliga
tions que les autres avocats. (Voir l'affaire Alfred
Crompton Amusement Machines Ltd. c. Commis
sioner of Customs and Excise (No.2).) 2
Toutefois, dans certaines occasions, on peut ne
pas revendiquer les exemptions légales propres aux
rapports avocat-client. Comme l'a déclaré lord
Denning, Maître des rôles, à la page 376 de l'af-
faire Crompton:
2 [I9721 2 All E.R. 353, la page 376.
[TRADUCTION] Je suis toujours parti du principe selon lequel
les communications entre les avocats et leur employeur (qui est
également leur client) sont couvertes par le secret professionnel
et à ma connaissance, ce principe n'a jamais été contesté.
Nombreux sont les cas de jurisprudence portant sur des actions
intentées contre des compagnies de chemin de fer où il s'agit
d'exemption de communication. La validité de l'exemption n'a
jamais été contestée. Je veux parler, naturellement, des commu
nications échangées en qualité d'avocats. Il arrive parfois que
l'avocat remplisse d'autres fonctions auprès de son employeur,
des fonctions de direction par exemple. Il n'y aurait pas dans ce
cas-là d'exemption de communication. C'est pourquoi l'avocat
doit faire très attention lorsqu'il établit la distinction entre ces
fonctions. En qualité d'employé ou d'agent, son lien de dépen-
dance avec son client est plus fort et il doit veiller à ne pas trop
se laisser dominer. Il doit être aussi indépendant dans ses actes
que tout autre avocat.
Absolument rien dans la lettre du 2 mars n'indi-
que que Me Steinhilper écrivait à Marks & Clerk
en sa qualité d'avocat. Au contraire, il semble
avoir écrit en sa double qualité de représentant
autorisé de The Haloid Company et de «Directeur
du service des brevets». C'est ainsi du moins qu'il a
signé la lettre. Rien n'indiquait qu'il écrivait en sa
qualité d'avocat. S'il le faisait en cette qualité, il
aurait alors fallu, comme le souligne lord Denning,
qu'il en informe ses correspondants. Ce n'était pas
une lettre de Mc Steinhilper, comme le préten-
daient les intimées dans leur réponse à la question
n° 9802 mais bien, d'après sa rédaction, une lettre
de The Haloid Company. A notre avis, il faut
rejeter la déclaration selon laquelle la lettre du 2
mars 1955 était de nature confidentielle et que les
intimées ne pouvaient donc être contraintes à la
produire. L'appel sur la question n° 9802 sera, par
conséquent, accueilli et il sera ordonné que la
lettre soit produite.
Vu le règlement de cette question, il est donc
inutile de décider si une lettre écrite par un avocat
en sa qualité d'avocat peut être jugée de nature
confidentielle lorsqu'elle est adressée non pas au
client, mais aux agents de brevets de ce client dans
le but de poursuivre une demande de brevet. Nous
n'avons pas non plus à décider si la lettre a été
écrite en vue de la préparation d'un procès ou si
l'avocat donnait des conseils au sujet de certaines
lois sans y être habilité parce qu'il était avocat aux
États-Unis et qu'il donnait son avis sur la pour-
suite de demandes de brevets au Canada.
En ce qui concerne la question n° 9814, les
motifs du jugement du juge Collier en date du 25
octobre 1976 énoncent très clairement le problème
soulevé et la décision rendue:
Par une requête datée du 8 octobre 1976 et entendue le 15
octobre 1976 Ottawa, la défenderesse a cherché à obtenir une
ordonnance obligeant les demanderesses à produire certains
documents et à répondre à certaines questions auxquelles il
avait été fait opposition au cours de l'interrogatoire préalable.
D'autres moyens de redressement ont été tentés également.
J'ai différé mon jugement sur un point particulier soulevé par
les questions n°' 9814 9817 lors de l'interrogatoire préalable
reporté de Paul Catan sur le brevet Schaffert. Les demanderes-
ses, sous leur ancien nom Haloid, poursuivaient la demande du
brevet en question qui était présentée au nom de Battelle avec
laquelle Haloid avait des accords en matière de finance et de
recherche. Haloid a consulté un avocat dont une copie de la
consultation juridique a été remise à Battelle. Les demanderes-
ses ont refusé de produire le document en invoquant la nature
confidentielle des communications entre clients et procureurs.
La défenderesse a soutenu que le client avait renoncé à ce
caractère confidentiel en remettant une copie de la lettre de
l'avocat à un tiers, soit Battelle. La défenderesse s'est appuyée
sur l'affaire Electric Reduction Co. of Canada Ltd. c. Crane
[(1959) 31 C.P.R. 24].
Il y a, cependant, d'autres faits dans la présente affaire. Par
la suite mais avant le procès, un certain nombre de brevets (y
compris celui de Schaffert) ont été cédés à la demanderesse
américaine. Selon l'une des conditions de l'accord, tous les
documents et pièces concernant les brevets et la recherche
devaient être remis ou cédés à Haloid, à la demande de la
demanderesse. Dans des requêtes précédentes présentées dans
la présente instance (dans le cadre de l'interrogatoire préalable
des demanderesses), il a été convenu (pour les fins de ces
requêtes) qu'on devait considérer que Haloid avait effective-
ment demandé la remise des documents et pièces décrits dans
l'accord de cession et qu'ils avaient été en fait renvoyés à
Haloid.
A mon avis, bien que le client ait, à un certain moment,
perdu le bénéfice de l'exemption de communication ou qu'il y
ait renoncé, il a retrouvé ce privilège. Je considère que le
document est de nature confidentielle et qu'il n'est pas néces-
saire de le produire.
Nous n'avons pas été convaincus que le savant
juge ait fait une erreur dans son jugement. Lors-
qu'elle a été reçue la première fois, la lettre en
question était bel et bien une communication de
nature confidentielle adressée à The Haloid Com
pany et il n'est pas certain qu'en en remettant une
copie à Battelle, si cela est vrai toutefois, elle ait
perdu son caractère confidentiel étant donné les
rapports qui existaient entre les deux compagnies.
A notre sens, selon la règle générale en matière de
communication professionnelle, une fois que la
nature confidentielle d'un document est établie,
elle ne peut être détruite par le genre de renoncia-
tion de droit strict qu'invoque l'appelante en l'es-
pèce. Même s'il y avait eu une telle renonciation,
la nature confidentielle a été rétablie lorsque tous
les brevets et tous les documents y afférents ont été
cédés à l'intimée Xerox Corporation. Le jugement
rendu dans l'affaire Minet c. Morgan 3 et dans
l'affaire Calcraft c. Guest 4 confirme cet avis.
En ce qui concerne cette question, l'appel est
donc rejeté.
Voici à présent les questions n°s 9817 et 9819:
[TRADUCTION] 9817. A quels faits se rapportait l'interpréta-
tion de la loi américaine faite par Fish, Richardson et
Neave?
9819. Pour quelle raison Haloid a-t-elle affirmé à Marks &
Clerk que l'interprétation du brevet américain 2576047
ne devait pas être portée à l'attention du Bureau des
brevets du Canada?
Il semble impossible de répondre à la question n°
9817 telle qu'elle est posée, car il faudrait, pour le
faire, semble-t-il, révéler des faits qui ont été cités
dans la lettre comme fondement à la consultation
juridique. Dans ce cas, la question est irrégulière
puisque la lettre a été jugée exempte de communi
cation. Dans le cas contraire, elle est tellement
imprécise qu'il est impossible d'y répondre dans sa
forme actuelle. Sur ce point, l'appel est rejeté.
Quant à la question n° 9819, elle ne tente pas
d'établir des faits comme dans le cas d'un interro-
gatoire préalable, mais elle cherche à découvrir les
preuves nécessaires pour établir certains faits. A
notre avis, il ne s'agit donc pas d'une question
propre à un interrogatoire préalable et l'appel
interjeté du refus de la recevoir est rejeté.
Étant donné que l'appelante a obtenu gain de
cause seulement sur la moitié des questions soule-
vées dans cet appel ainsi que sur la moitié des
questions soulevées dans l'appel A-681-76 et vu
que son avocat a admis qu'il ne cherchait pas à
obtenir des condamnations distinctes aux dépens
pour les deux appels puisqu'ils ont été plaidés
ensemble, la partie ou les parties obtenant gain de
cause auront droit à la moitié de leurs dépens
taxés.
* * *
3 (1873) L.R. 8 Ch. 361.
4 [1 898] 1 Q.B. 759.
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: J'ai lu les
motifs du jugement du juge Urie et j'y souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: J'ai lu les motifs
du jugement du juge Urie et j'y souscris.
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