A-397-74
Harlequin Enterprises Limited (Appelante)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, le juge Urie, les juges suppléants
MacKay et Kerr—Toronto, le 16 mars; Ottawa, le
4 avril 1977.
Impôt sur le revenu — Déductions — Livres invendus
retournés à l'éditeur pour crédit La réserve à ce titre
est-elle déductible? Appel Loi de l'impôt sur le revenu,
S.R.C. 1952, c. 148, art. 11(1)e), 12(1)e).
L'appelante, éditeur canadien, vendait ses livres par l'inter-
médiaire de distributeurs canadiens et américains. Les distribu-
teurs traitaient, par l'intermédiaire des grossistes, avec les
points de vente au détail ou directement avec les gros détail-
lants. Des ententes conclues avec l'appelante (l'éditeur) et les
distributeurs comportaient des dispositions relatives aux livres
invendus ou renvoyés. Pour son année d'imposition 1969, l'ap-
pelante demanda la déduction des montants suivants: (I) $125,-
000 correspondant à ses profits bruts sur les livres aux mains
des grossistes canadiens au 31 décembre 1969, c.-à-d. la fin de
l'exercice financier de l'appelante; (2) environ $220,000 pour
les marchandises dont on pouvait escompter le renvoi aux
termes des contrats de vente. Ces déductions furent rejetées par
le Ministre. La Division de première instance a rejeté l'appel.
L'appelant a interjeté appel à l'égard de la deuxième question.
Arrêt: l'appel est rejeté. La réserve établie constituait un
»compte de prévoyance» au sens de l'article 12(1)e) et n'est donc
pas déductible. L'autre prétention de l'appelante portant que ce
montant devrait être déductible en vertu de l'article 11(1)e) à
titre de réserve pour les créances douteuses, n'est pas justifiée
par les faits, une telle réserve n'ayant jamais été constituée.
Même si elle l'avait été, la déduction suggérée, représentant
plus du tiers des comptes recevables ne peut être considérée
comme raisonnable.
Distinction faite avec les arrêts Sinnott News Company
Limited c. M.R.N. [1956] R.C.S. 433; M.R.N. c. Atlantic
Engine Rebuilders Limited [1967] R.C.S. 477 et Time
Motors Limited c. M.R.N. [1969] R.C.S. 501. Arrêt
critiqué: Western Vinegars Limited c. M.R.N. [1938]
R.C.E. 39.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
Ronald J. Rolls, c.r., D. A. Ward, c.r., et R.
S. Harrison pour l'appelante.
Derek Aylen, c.r., et A. Butler pour l'intimée.
PROCUREURS:
Davies, Ward & Beck, Toronto, pour
l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Il s'agit d'un appel d'un juge-
ment de la Division de première instance' qui a
rejeté avec dépens le pourvoi logé par l'appelante
contre la nouvelle cotisation établie par l'intimée
pour l'année d'imposition 1969. Dans sa déclara-
tion d'impôt pour l'année 1969, l'appelante, entre-
prise d'édition, a déduit de son revenu la somme de
$125,040 titre de «bénéfices bruts sur des livres
aux mains de grossistes». Cette somme, allègue-
t-elle, se rapporte à des livres vendus par elle à des
distributeurs, et se trouvant encore aux mains de
ces derniers ou des grossistes qui les leur ont
achetés à la fin de l'année d'imposition étant
entendu que tous les livres invendus lui seraient
retournés. La nouvelle cotisation élimine cette
déduction.
Voici brièvement les faits. L'appelante commer
cialise ses livres au Canada et aux États-Unis par
l'intermédiaire de réseaux de distribution et les
vend sur le marché de gros et le marché de vente
directe. Sur le marché de gros, elle traite avec un
distributeur au Canada et un aux États-Unis.
Ceux-ci, à leur tour, vendent à un certain nombre
de grossistes. Les grossistes traitent ensuite avec
des détaillants situés sur leur territoire. Ces détail-
lants à leur tour vendent aux clients de détail.
Sur le marché direct, le grossiste n'intervient
pas. Le distributeur traite directement avec des
détaillants importants, comme les succursales des
grands magasins, lesquels vendent ensuite aux
clients de détail.
La Curtis Distributing Company Limited (ci-
après appelée «Curtis Canada») effectuait la distri
bution au Canada sur le marché de gros et sur le
marché direct en vertu d'un accord écrit en date
du 22 mars 1949. Pour bien faire comprendre la
question soulevée par cet appel, j'indique ci-après
les dispositions les plus importantes de cet accord:
[TRADUCTION] a) «L'éditeur [l'appelante] de-
meurera propriétaire desdits livres et assumera
tout risque de perte jusqu'à la date de livraison
aux grossistes», et
' [1974] 2 C.F. 877.
b) «Tout livre considéré comme invendable
pourra être renvoyé ... Curtis aura le droit de
porter au crédit de ses états mensuels le montant
des renvois, au prix qui lui a été facturé pour
lesdits livres.»
On a informé la Cour que les prix d'achat des
livres vendus en vertu de cet accord étaient comp-
tabilisés mensuellement et payables à 60 jours. Les
livres invendus n'étaient pas renvoyés. On déchi-
rait leur couverture et les grossistes les renvoyaient
à Curtis Canada qui établissait un bordereau de
crédit et en transmettait à l'appelante une copie
qui servait de facture, le montant en étant porté à
l'actif de Curtis Canada et comptabilisé mensuel-
lement comme le prévoyait le contrat.
La distribution sur le marché de gros américain
relevait exclusivement de la Curtis Circulation
Company (ci-après appelée «Curtis E.-U.») en
vertu d'un accord écrit en date du 19 décembre
1968. Voici les dispositions de cet accord, qui
s'appliquent au présent appel:
[TRADUCTION] (3) Harlequin convient de vendre et Curtis
convient d'acheter les livres pour les revendre en conformité de
cet accord .... Curtis devra acquitter le prix d'achat soixante
jours après l'expédition des marchandises par Harlequin qui
établira une facture mensuelle au nom de Curtis. Les livres
seront expédiés et livrés par Harlequin ou ses mandataires aux
grossistes ou à tout autre point de vente désigné par Curtis ....
Lors de la livraison des livres achetés aux endroits désignés par
Curtis, ce dernier en deviendra propriétaire.
(4) Curtis vendra lesdits livres à ses clients sous réserve du
droit absolu de ces derniers de les renvoyer, selon les modalités
décrites ci-après. Curtis pourra, en tout temps et sans restric
tion, renvoyer les livres à Harlequin qui les portera totalement
à son crédit. Curtis établira la comptabilité des crédits alloués
aux clients pour le renvoi des livres invendus en délivrant des
autorisations de renvoi.... Curtis portera au crédit des clients
le montant des renvois, dès réception des autorisations prove-
nant des clients, et Harlequin portera à son crédit les sommes
créditées des clients ....
(6) Harlequin expédiera les livres à Curtis ou aux clients et
dans les soixante jours dudit envoi, Curtis lui remboursera les
frais y afférents. Ce paiement sera ajusté de manière à inclure
les crédits au titre des renvois effectués (accordés en conformité
du paragraphe 4 ci-dessus), mais non encore crédités. [C'est
moi qui souligne.]
Les renvois s'effectuaient de la même façon
qu'au Canada.
La distribution sur le marché direct aux É.-U. se
faisait selon un processus tout à fait différent. Elle
était régie par un accord conclu avec la compagnie
Simon & Schuster, Inc. (ci-après appelée «Simon
& Schuster»). Il appert qu'en substance il s'agit
d'une entente selon laquelle l'appelante fournissait,
à Simon & Schuster les plaques et négatifs grâce
auxquels cette dernière imprimait aux États-Unis
les ouvrages que l'appelante devait distribuer au
Canada. Des redevances devaient être payées sur
les «ventes nettes», celles-ci étant définies comme
correspondant aux «exemplaires expédiés par l'édi-
teur (Simon & Schuster) aux succursales des
grands magasins détaillants, moins les renvois.»
Simon & Schuster avait «pouvoir discrétionnaire
sur l'acceptation des renvois.» L'entente prévoyait
également le paiement des redevances et le
décompte des crédits pour le renvoi de livres.
Si je comprends bien, l'appelante ne prétend pas
que le Ministre a commis une erreur de droit dans
sa nouvelle cotisation en refusant la déduction de
$125,040. Aucun argument semblable n'a été sou-
levé en appel ou dans l'exposé des faits et du droit
soumis par l'appelante. Au contraire l'appelante
prétend pouvoir déduire la somme de $232,889,
qui figure à son bilan de l'année se terminant le 31
décembre 1969 sous la rubrique «Réserves pour
renvois ou indemnités», et qu'il a ramenée suite à
une erreur de calcul à un montant approximatif de
$220,000. On a effectué le calcul de cette somme
en application de pourcentages fondés sur des don-
nées historiques et suite à des entrevues avec les
distributeurs relativement à leur expérience vérita-
ble en matière de renvois et de chiffre d'affaires
brut. On a considéré que cette somme représentait
un estimé plus exact de la valeur des renvois à la
fin d'une année d'imposition. Bien qu'elle figure au
bilan de ladite année, elle n'a pas été déduite dans
la déclaration d'impôt de 1969.
L'appelante prétend que:
a) on aurait dû permettre la déduction de
$220,000 du montant de ses comptes recevables
ou un titre de passif exigible, ou
b) on aurait dû qualifier cette somme de réserve
pour créances douteuses et l'admettre en vertu
de l'article 11(1)e) 2 de la Loi de l'impôt sur le
revenu en vigueur en 1969 (ci-après appelée la
Loi).
Par ailleurs, selon l'intimée, le juge de première
instance avait raison de dire que la déduction
envisagée n'était pas permise aux termes de l'arti-
cle 12(1)e) 3 de la Loi, puisqu'il s'agissait «d'un
montant transféré ou crédité à . .. un compte de
prévoyance ...».
Les deux parties avaient présenté les mêmes
arguments lors du procès. Le savant juge de pre-
mière instance a rejeté ceux de l'appelante et
partageait l'opinion de l'avocat de l'intimée selon
laquelle les obligations de l'appelante envers ses
distributeurs en vertu du contrat conclu entre eux
en ce qui concerne le remboursement des livres
renvoyés était une obligation éventuelle. Il en était
de même de son obligation de rembourser certaines
redevances reçues du bénéficiaire de la licence
Simon & Schuster pour les livres qu'il avait impri-
més et distribués. Le juge s'exprime ainsi [à la
page 894]:
Tout compte établi afin de pourvoir à ces obligations éventuel-
les que ce soit sous forme d'une réserve constituée pour les
renvois et les redevances dans son bilan ou d'une déduction des
gains lors du calcul du revenu imposable constituait un compte
de prévoyance au sens de l'article 12(1)e).
Je souscris à cette conclusion et au raisonnement
par lequel le savant juge de première instance y est
arrivé. Il serait inutile, à mon avis, de reprendre ce
raisonnement et de l'énoncer de nouveau, en parti-
culier puisque l'appelante n'a pas contesté les con
clusions de fait du juge de première instance, mais
2 11. (1) Par dérogation aux alinéas a),b) et h) du paragra-
phe (1) de l'article 12, les montants suivants peuvent être
déduits dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une
année d'imposition:
e) un montant raisonnable à titre de réserve pour
(i) les créances douteuses qui ont été incluses dans le
calcul du revenu du contribuable pour cette année ou une
année antérieure, et
(ii) les créances douteuses résultant de prêts consentis
dans le cours ordinaire des affaires par un contribuable,
dont l'entreprise ordinaire consistait en partie à prêter de
l'argent;
3 12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune
déduction à l'égard
e) d'un montant transféré ou crédité à une réserve, à un
compte de prévoyance ou à une caisse d'amortissement, sauf
autorisation expresse de la présente Partie,
simplement l'application de la loi à ces conclu
sions. Spécifiquement, je reconnais avec lui que,
selon le témoignage de l'expert assigné par l'appe-
lante, la pratique de cette dernière de faire des
réserves aux fins des renvois est conforme aux
principes comptables généralement acceptés.
Cependant, le fait de la reconnaissance de la
réserve comme pratique comptable n'en autorise
pas pour autant la déduction aux fins de l'impôt.
Les dispositions de la Loi nous indiqueront s'il
s'agit ou non d'une déduction admissible. Je recon-
nais que les dispositions sur les renvois sont éven-
tuelles; en effet, bien que l'on sache par expérience
qu'il y aura des renvois au cours de toute année
d'imposition, leur nombre et leur valeur réelle ne
seront déterminés qu'après réception de tous les
renvois faits pendant ladite année, ce qui peut bien
intervenir après la fin de celle-ci. Ainsi la réserve
est comprise dans les déductions non admises de
l'article 12(1)e).
La preuve appuie amplement cette conclusion.
Comme on l'a dit, l'appelante a cité comme expert
au procès un comptable agréé, M. Scott, pour qu'il
témoigne sur les principes comptables générale-
ment acceptés pour l'établissement de réserves ou
autres dispositions figurant dans le bilan d'une
entreprise en prévision d'événements éventuels
dont il faut tenir compte dans la préparation des
bilans. Au cours de son contre-interrogatoire, on
lui a posé la question suivante et la réponse claire
qui suit confirme mon opinion et celle du juge de
première instance selon la «réserve pour les renvois
et redevances», opérée par l'appelante dans son
bilan, en fait une obligation éventuelle:
[TRADUCTION] Q. Non. Qu'entendez-vous par l'expression
compte de prévoyance.
R. Il ne s'agit pas d'une expression très explicite. Si je devais
en expliquer la signification comptable, je me reporterais
aux écrits et à la pensée des comptables, ce qui me
démontrerait que ces derniers distinguent trois sortes
d'éventualités. Ils parlent d'éventualité lorsqu'il est diffi-
cile de prévoir raisonnablement la venue d'un événement.
Un exemple classique serait, je crois, lorsque, suite à une
période d'inflation, la direction d'une compagnie s'in-
quiète d'une chute de la Bourse et qu'elle veut parer à
une baisse de l'inventaire. Pour un comptable, la seule
solution serait de prévoir une réserve, soit selon ma
définition, une affectation de bénéfices. Il ne peut, pen
dant un certain temps, tenir compte de ce type d'éventua-
lité dans le calcul de l'impôt.
A l'autre extrême, les comptables parlent d'éventualité
lorsqu'ils ont de bonnes raisons de s'attendre à un événe-
ment et si la base de cet événement survenait ou si l'on en
tenait compte pour une année en particulier, disons l'an-
née un, et qu'on ait toutefois de bonnes raisons de croire
en s'appuyant sur l'expérience, que l'événement survien-
dra lors d'une année subséquente et affectera le calcul du
revenu de la première année, on dit alors en comptabilité
qu'il faut prévoir cette éventualité dans les comptes, et la
réserve pour les renvois de livres ici en serait un exemple
classique.
Parmi tout cela, on trouve des situations complexes où il
faut prendre des décisions difficiles; parfois on rapporte
ces éventualités futures envisagées, parfois on ne le fait
pas; l'exigence de cette situation intermédiaire, l'exigence
minimale de cette situation est d'indiquer ces éventualités
au bilan, ce qui peut se répercuter sur l'entreprise. [C'est
moi qui souligne.]
Relativement à la méthode de calcul du revenu
employée par l'appelante dans sa déclaration et
comportant la déduction d'une somme de $125,-
040, je partage l'opinion du juge de première
instance [à la page 890] selon laquelle «on ne peut
raisonnablement justifier l'élimination de l'ensem-
ble de l'élément bénéfice, y compris les bénéfices
imputables à environ neuf livres sur dix dont on ne
prévoyait pas le renvoi [tel a été le cas, selon la
preuve].» Ceci ajouté au fait que le témoin expert
n'ait pas déclaré qu'au point de vue comptable on
accepte généralement une telle pratique, nous
amène à conclure que si ce n'est pas là une prati-
que comptable acceptable et si aucune disposition
de la Loi ne permet une telle déduction, l'intimée a
eu raison de ne pas l'admettre.
Ainsi, vu cette conclusion, il semble qu'aucune
des quatre décisions sur lesquelles s'appuyait l'ap-
pelante ne s'applique aux faits de l'espèce. L'avo-
cat s'est d'abord fondé sur le jugement du juge
Kellock dans Sinnott News Company Limited c.
M.R.N. 4
Dans cette affaire, l'appelante revendiquait le
droit de déduire de son revenu imposable pour une
année d'imposition une «réserve» pour la perte sur
les renvois représentant l'élément de bénéfice dans
le prix de vente des périodiques non vendus par les
commerçants à la fin de l'année d'imposition et
4 [I 956] R.C.S. 433.
susceptibles d'être renvoyés à l'appelante. Le
Ministre a allégué que l'article 6(1)d) alors en
vigueur, interdisait cette réserve. En fait, il s'agis-
sait de la même disposition que l'article 12(1)e)
qui nous intéresse ici.
Le juge Kellock a jugé que la vente des périodi-
ques n'était pas soumise à la condition «vente ou
retour» au sens de la Règle 4 de l'article 19 de The
Sale of Goods Act (Ontario), parce qu'à son avis,
le titre de propriété est transmis aux détaillants au
moment de la livraison des périodiques. Cepen-
dant, il a conclu qu'il s'agissait de ventes «sous
réserve d'une condition résolutoire» ce qui signifie
qu'en cas de renvoi, la propriété des livres était
rétrocédée à l'appelante. Ainsi, il a déclaré que
l'appelante n'avait pas le droit d'établir une
«réserve» pour les bénéfices comme elle l'a fait. Ce
qu'elle pouvait faire, c'est, dit-il [à la page 438]:
[TRADUCTION] «déduire la valeur estimative des
ventes elles-mêmes, sous réserve cependant d'un
ajustement dans l'année desdits renvois, lors de la
détermination du chiffre réel à l'expiration de la
période de trois mois.» En conséquence il a fait
droit à l'appel, mais pour des motifs différents de
ceux avancés par l'appelante.
Par ailleurs, c'est pour d'autres motifs que la
majorité de la Cour a fait droit à l'appel. Au nom
de la majorité, le juge Locke a déclaré qu'en
l'espèce le titre de propriété des périodiques n'était
pas transféré à l'acheteur et que les livraisons
étaient faites sous une condition de «vente ou
retour». Bien que, comme on l'a dit, la constitution
d'une réserve ne menait pas au but désiré, l'appe-
lante pouvait déduire du total de ses ventes toute
somme relative aux périodiques livrés et invendus,
se trouvant encore aux mains des détaillants à la
fin de l'année d'imposition.
Respectueusement, je dirai que les faits sont
différents en l'espèce. L'entente écrite prévoit
expressément et implicitement la cession des titres
relativement aux livres distribués aux grossistes et
aux détaillants. Les procédures comptables de l'ap-
pelante reflètent bien ces ententes. Si je comprends
bien, il s'agissait manifestement de vente à forfait
et l'appelante devait racheter tous les livres que les
distributeurs renverraient. Donc il ne s'agissait pas
de vente en consignation ni de vente sous condition
de «vente ou retour», puisque le titre avait été
transféré aux acheteurs avant tout renvoi. Il
importe peu, je crois, que l'on détermine si ces
ventes étaient «sujettes à une condition résolutoire»
car, même si l'on considère l'obligation de racheter
comme une condition résolutoire ici, il s'agit d'une
obligation contingente au sens de l'article 12(1)e).
Le juge Kellock n'a pas conclu qu'il s'agissait
d'une obligation contingente au sens de l'article
6(1)d), l'ancêtre de l'article 12(1)e). Il a jugé que
la «valeur estimative des ventes» était bien déducti-
ble des ventes brutes pendant l'année d'imposition.
Ainsi cette affaire se distingue de la première, que
son fondement soit celui sur lequel s'est appuyée la
majorité ou celui sur lequel s'est appuyé le juge
Kellock pour rendre jugement.
Je partage également l'avis du juge de première
instance selon lequel les décisions de la Cour
suprême du Canada M.R.N. c. Atlantic Engine
Rebuilders Limited 5 et Time Motors Limited c.
M.R.N. 6 reposent sur des faits différents. Dans
chacune de ces affaires, il existait des obligations
courantes déterminées, contrairement à la présente
affaire où aucune obligation de ce genre n'existe à
moins que les détaillants n'exercent leur droit de
renvoyer les livres invendus, et jusqu'au dit renvoi.
En ce qui concerne la décision Western Vinegars
Limited c. M.R.N.', sur laquelle s'appuie en
grande partie l'appelante, le juge Thorson a mis en
doute son bien-fondé dans Kenneth B. S. Robert-
son Limited c. M.R.N. s et je partage son opinion.
Dans l'affaire Western Vinegars, l'appelante avait
vendu ses produits en barils et en barillets et
facturait la valeur de ceux-ci à son client en sus du
prix du contenu. Le client pouvait renvoyer les
contenants, et s'ils étaient en bon état, le montant
facturé à ce titre lui était crédité. On remettait le
prix coûtant des contenants ainsi renvoyés dans
l'inventaire de la compagnie. L'appelante préten-
dait en l'espèce que le renvoi des livres et celui des
contenants impliquaient les mêmes éléments. Aux
pages 45-6 de son rapport, le juge Angers déclare:
5 [ 1967] R.C.S. 477.
6 [ 1969] R.C.S. 501.
' [1938] R.C.É. 39.
8 [1944] R.C.É. 170à la page 178.
[TRADucTtoN] Les profits sur les contenants ne sont pas, à
mon avis, une réserve proprement dite; et la perte de ces profits,
sur le retour des contenants, n'est pas seulement une éventualité
mais une certitude. La seule chose incertaine est la quantité de
contenants qui sera retournée et le moment de leur retour' Je
crois qu'une déduction doit être faite pour les contenants
renvoyés. Si aucune déduction n'était faite, cela signifierait que
l'appelante devrait payer impôt sur des bénéfices non réalisés.
Je ne crois pas que telle était l'intention du législateur en
adoptant l'alinéa 6(1)d).
En l'espèce on ne peut dire «que l'appelante
devrait payer impôt sur des bénéfices non réalisés.»
En fait, si je comprends bien, au moment des
renvois, on déduisait le prix d'achat du montant
brut des ventes pour déterminer le bénéfice brut.
Si, vers la fin de l'année d'imposition, certains
livres vendus par l'appelante sont sujets à renvoi
par le distributeur, il y a un élément incertain dans
le montant brut des ventes lequel, une fois déter-
miné, serait déductible pour l'année d'imposition
où ont été effectués les renvois, sous forme de
crédit aux distributeurs. Lorsque cela est fait, les
bénéfices bruts et donc les bénéfices imposables
pourraient être proportionnellement réduits cette
année-là.
Cette méthode de comptabilité pour les renvois
(mise à part la question de l'utilité de faire une
réserve dans les comptes, en prévision des renvois,
pour l'information de la compagnie, ce dont on a
déjà parlé) s'accorde non seulement avec une
bonne pratique comptable, mais aussi avec la règle
générale voulant que les bénéfices soient taxés
l'année même où ils sont reçus et les pertes suppor-
tées l'année même où elles sont réclamées. Ceci
étant, nous croyons que l'affaire Western Vinegars
se distingue dans les faits et sinon, à notre avis la
décision rendue est mal fondée. De toute façon,
elle ne lie pas la Cour.
L'appelante prétend en outre que, si la réserve
pour les renvois n'est pas déductible, elle devrait
être traitée comme une réserve pour les créances
douteuses et être alors déduite en vertu de l'article
11(1)e)(i) de la Loi; cette prétention n'est pas
fondée. Pour les motifs donnés par le premier juge,
je ne peux accepter cette allégation. Si je com-
prends bien, il n'y a pas eu de comptes non encais-
sables entre l'appelante et Curtis Canada, Curtis
E.-U. ou Simon & Schuster. Ainsi, dans les faits,
rien ne justifiait l'établissement d'une réserve pour
créances douteuses et jamais une telle réserve n'a
été constituée. Même si elle l'avait été, il est
évident que lorsque le bilan de 1969 montre un
total de comptes recevables de $616,538 et suggère
de faire une réserve pour le tiers de cette somme,
soit $220,000, une telle réserve ne tient nullement
compte de la situation entre débiteurs et créancier
et ne peut être considéré comme une réserve rai-
sonnable dont la déduction serait permise aux
termes de l'article 11(1)e)(i).
Donc, pour tous ces motifs, l'appel doit être
rejeté.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: J'y souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je souscris aux
motifs et conclusions de mon collègue le juge Urie.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.