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A-110-77
Le procureur général du Canada (Requérant)
c.
Peter Treacy (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Urie et le juge suppléant MacKay—Ottawa, le 15 juin 1977.
Examen judiciaire Fonction publique Demande visant à faire annuler une décision arbitrale qui a conclu que l'em- ployeur n'avait pas affiché une liste, comme il était tenu de le faire, et ne s'est donc pas acquitté de l'obligation de prouver qu'il a accordé des chances égales d'accomplir du travail supplémentaire L'arbitre aurait commis une erreur de droit dans son interprétation de l'expression «égalité des chances» Interprétation erronée, tant par l'employeur que par l'arbi- tre Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Le requérant, dans un litige portant sur l'interprétation de l'expression «égalité des chances» qu'une convention collective emploie et applique à la possibilité d'accomplir du travail supplémentaire, demande l'examen judiciaire d'une décision arbitrale. La convention prévoit l'établissement d'une liste d'an- cienneté et l'offre de travail supplémentaire à ceux qui ont le moins de chances d'en faire. La convention stipule que, si cette procédure n'est pas suivie, l'employeur aura l'obligation de prouver qu'il a accordé des chances égales. Dans certains cas, le travail supplémentaire donnait droit à des primes de salaire supérieures, dans d'autres, à des primes moindres. Les employés de l'équipe régulière ont été priés, par avis, de se présenter pour accomplir du travail supplémentaire un jour donnant droit à des primes supérieures, et les autres employés, le jour auquel était reporté leur repos, ce qui donnait droit à des primes moindres. L'intimé était du dernier groupe. Il s'agit de savoir si l'employeur a fait la preuve de ce qu'il devait établir, et de définir l'expression «égalité des chances» employée dans la convention.
Arrêt: la demande est rejetée. Le paragraphe 15.07 de la convention collective,, lorsque lu avec certaines autres de ses dispositions, contient une définition de l'égalité des chances qui, de prime abord, est fonction du nombre relatif d'offres de travail supplémentaire faites aux divers employés en cause. La tentative de l'employeur pour établir ce qu'il lui incombait de prouver n'est nullement reliée à cette définition et, par consé- quent, l'arbitre a eu raison de conclure que l'employeur n'avait pas fait la preuve de ce qu'il devait établir. Cependant, le requérant, dans ses arguments, et l'arbitre, dans son raisonne- ment les réfutant, se sont tous deux fondés sur une définition inacceptable de l'expression «chances égales» trouvée dans les dictionnaires. Il est clair que les parties ont préféré vérifier s'il y avait eu égalité des chances en considérant le nombre «d'offres de temps supplémentaire» faites à un employé en particulier antérieurement à la date de l'offre. La question n'est pas, comme l'a pensé l'arbitre, la «valeur du temps supplémentaire» ni l'offre de travail supplémentaire en fonction d'un critère calculé pour qu'il en résulte des primes salariales plus faibles, comme l'a soutenu l'employeur. L'ordre selon lequel les
employés se voient offrir du travail supplémentaire doit être déterminé selon la convention, peu importe si les employés ainsi choisis ont droit à une prime supérieure ou inférieure.
DEMANDE. AVOCATS:
J. P. Malette pour le requérant. Maurice W. Wright, c.r., pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady & Morin, Ottawa, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une demande, fondée sur l'article 28, d'annulation d'une décision arbitrale rendue en vertu de l'article 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, et faisant droit au grief de l'intimé relativement à l'interpré- tation et à l'application d'une convention collec tive.
Le grief porte sur les dispositions de la conven tion collective concernant le droit pour un employé de se voir offrir du «travail supplémentaire»; fait important à noter, le temps supplémentaire dans certains cas donne droit à des «primes» de salaire calculées à temps et demi et, dans d'autres cas, à temps double.
Les dispositions applicables de la convention collective seront reproduites en annexe aux pré- sents motifs lors de leur transcription. Le paragra- phe 15.05 prévoit qu'«Afin d'égaliser les chances de faire le travail supplémentaire requis» l'em- ployeur doit tenir à jour des listes d'ancienneté indiquant: «les chances offertes à chaque employé de faire des heures supplémentaires». Le paragra- phe 15.06 prévoit que: «tout employé se verra donner une chance égale d'accomplir le travail supplémentaire conformément à la liste ....» Le paragraphe 15.07 définit «L'égalité des chances de faire du travail supplémentaire» comme signifiant «qu'une fois la liste appropriée établie, les affecta tions de travail supplémentaire sont offertes aux
personnes figurant sur la liste qui ont eu un nombre moindre de chances de faire du travail supplémentaire ....»' Le paragraphe 15.13 prévoit que lorsqu'un employé prétend avoir été «oublié» en matière de temps supplémentaire, l'employeur aura le fardeau de la preuve s'il a fait défaut d'afficher les listes appropriées. Le paragraphe 15.18 donne à l'employé qui a été «oublié» de toucher un montant égal à celui qu'il aurait gagné s'il avait accompli le travail supplémentaire «qu'il n'a pas eu la chance d'accomplir».
En l'espèce, aucune liste prévue par le paragra- phe 15.05 n'a été affichée.
Le 18 mai 1976, l'employeur a affiché l'avis suivant:
Les employés qui devaient remplir leurs fonctions habituelles le 24 mai 1976 sont priés de se présenter pour effectuer du travail supplémentaire ce jour-là.
Les employés dont le jour de repos coïnciderait normalement avec le 24 mai 1976 ne doivent pas se présenter au travail ce jour-là, mais ils sont priés de se présenter pour effectuer du travail supplémentaire à la date à laquelle est reporté leur jour de repos.
Il est notoire que l'intimé est un employé non concerné par la demande contenue au premier paragraphe de l'avis et auquel le deuxième para- graphe interdisait de travailler le 24 mai. Il est notoire aussi que si l'intimé avait effectué du temps supplémentaire le 24 mai, il aurait eu droit, à titre de «prime» salariale, à être payé temps double mais que, s'il acceptait l'invitation qu'on lui faisait d'effectuer du temps supplémentaire «à la date à laquelle est reporté leur jour de repos», il n'aurait eu droit, à titre de prime salariale, qu'à être payé temps et demi.
Comme j'estime nécessaire d'exprimer mon désaccord avec certains des motifs de l'arbitre, les passages essentiels de ceux-ci seront annexés aux présents motifs lorsqu'ils seront transcrits.
Si je comprends bien la sentence arbitrale, l'ar- bitre a fait droit au grief et ordonné que soit versé le paiement prévu au paragraphe 15.18 de la con vention collective parce que:
a) comme aucune liste n'avait été affichée con- formément au paragraphe 15.05, en vertu du
' «En cas d'égalité» des chances, on se réfère à l'ordre de priorité établi par la liste.
paragraphe 15.13, la charge d'établir que l'in- timé n'avait pas été «oublié lors de l'application des chances égales» appartenait à l'employeur quant aux offres de temps supplémentaire pour le 24 mai 1976, et
b) l'employeur n'était pas parvenu à se déchar- ger du fardeau de cette preuve.
Il est notoire que la charge de la preuve incombe à l'employeur. En outre, il semble clair que la seule tentative faite pour s'en acquitter a été celle que visent les motifs suivants de la sentence arbitrale:
D'après l'employeur toutefois chaque employé a eu une chance égale puisqu'il a demandé à ceux qui n'étaient pas tenus de se présenter au travail le jour férié, comme l'employé s'estimant lésé, de travailler au cours de leur jour de repos suivant.
L'arbitre s'est posé la question suivante: «En demandant aux employés de travailler au cours de leur jour de repos suivant, l'employeur a-t-il appli- qué le principe de `l'égalité des chances' à l'égard du travail supplémentaire?» Il a répondu à cette question par la négative et sa décision en découle logiquement.
Je suis tout à fait d'accord avec le raisonnement suivi par l'arbitre dans la mesure que je viens d'indiquer. Toutefois, comme je n'accepte pas le raisonnement par lequel il a rejeté la tentative faite par l'employeur pour se décharger du fardeau de la preuve, je dois expliquer pourquoi j'estime fondées en droit les conclusions qu'il a tirées de faits par ailleurs incontestés.
A mon avis, le paragraphe 15.07 de la conven tion collective, lorsqu'on le lit avec certaines autres de ses dispositions, contient une définition de «l'égalité des chances, ...» limitée aux fins de la convention, définition qui de prime abord est fonc- tion du nombre relatif «d'offres de temps supplé- mentaire» faites aux divers employés en cause; et la tentative de l'employeur pour établir ce qu'il lui incombait de prouver en l'espèce n'est nullement reliée à cette définition. Tel étant le cas, à mon avis, en droit, l'arbitre avait raison de conclure que l'employeur n'avait pas fait la preuve des faits qu'il devait établir.
Ce qui me gêne dans la position de l'employeur, et dans le raisonnement que l'arbitre a été amené à suivre en essayant de la réfuter, c'est qu'ils sem- blent tous deux avoir fondé leur raisonnement sur
une définition de l'expression «chances égales» trouvée dans le dictionnaire et qui ne saurait être acceptée pour les fins de la présente convention si l'on tient compte de ses paragraphes 15.07 et 15.18. A mon avis, il est clair que les parties ont préféré, sans doute pour des raisons de commodité, vérifier s'il y avait eu égalité des chances en consi- dérant le nombre «d'offres de temps supplémen- taire» faites à un employé en particulier antérieu- rement à la date de l'offre en cours. Selon moi, la question n'est pas, comme semble l'avoir pensé l'arbitre, de savoir «quelle est la valeur du temps supplémentaire», et il n'était pas conforme à la convention, pour l'employeur, d'offrir du temps supplémentaire en fonction d'un critère calculé pour qu'il en résulte des primes salariales plus faibles. La convention et les faits de l'espèce me convainquent que l'ordre de priorité selon lequel les employés se voient offrir du temps supplémen- taire doit être déterminé en fonction des modalités de la convention collective, indépendamment du fait que les employés ainsi choisis aient droit à des, «primes» salariales inférieures ou supérieures pour ledit travail.
A mon avis, la demande fondée sur l'article 28 devrait être rejetée.
ANNEXE
«A»
Extraits de la convention collective
15.05 Affichage des listes
Afin d'égaliser les chances de faire le travail supplémentaire requis, l'employeur doit afficher et tenir à jour des listes appropriées d'employés dans l'ordre de leur ancienneté, applica- bles à chaque installation de la poste. Ces listes doivent indi- quer les chances offertes à chaque employé de faire des heures supplémentaires.
15.06 Éligibilité
Lorsque moins d'une équipe complète d'employés est requise pour accomplir du travail supplémentaire, tout employé se verra donner une chance égale d'accomplir le travail supplé- mentaire conformément à la liste figure son nom.
15.07 Définition d'égalité des chances
L'égalité des chances de faire du travail supplémentaire signifie qu'une fois la liste appropriée établie, les affectations de travail supplémentaire sont offertes aux personnes figurant sur la liste qui ont eu un nombre moindre de chances de faire du travail supplémentaire, jusqu'à ce qu'un nombre suffisant d'em- ployés ait été obtenu pour satisfaire aux besoins. Lorsqu'il y a plus d'un employé ayant eu un nombre moindre de chances de faire du travail supplémentaire (comme il est dit ci-dessus), l'affectation de travail supplémentaire est offerte à tels
employés dans un ordre descendant de la liste appropriée. L'égalité des chances n'oblige nullement l'employeur à répartir également les heures supplémentaires effectuées.
15.08 Ordre de priorité
Aux fins de l'application de la clause 15.07, le travail supplé- mentaire est offert comme il suit:
a) aux employés en devoir qui exécutent normalement le travail pour lequel les heures supplémentaires sont requises dans un bureau ou durant un poste particulier dans un bureau ou, lorsque cela s'applique, dans une division ou une section de bureau, dans l'ordre descendant de la liste appropriée;
b) aux employés qui doivent assumer leur poste d'horaire normal, lorsque le travail supplémentaire est exigé immé- diatement avant ledit poste d'horaire.
15.13 Défaut d'afficher
Sur une plainte d'un employé qui prétend avoir été oublié lors de l'application des chances égales, l'employeur aura le fardeau de la preuve s'il est démontré qu'il a fait défaut d'afficher les listes appropriées conformément aux dispositions de la convention collective.
15.18 Amende pour avoir oublié un employé
Si un employé prétend avoir été oublié lors de l'application des chances égales et qu'une telle allégation est justifiée, il doit toucher un montant égal à celui qu'il aurait gagné s'il avait accompli le travail supplémentaire qu'il n'a pas eu la chance d'accomplir.
«B»
Décision arbitrale
D'après la preuve présentée, depuis quatre ou cinq ans, l'employeur, travaille l'employé s'estimant lésé, offre au besoin à tous les employés de faire des heures supplémentaires en insérant un avis dans le cahier de la division. Les employés répondent habituellement en assez grand nombre à cette offre pour satisfaire aux besoins de l'employeur.
A cet endroit, l'employeur n'affiche pas de listè indiquant les chances offertes à chaque employé de faire des heures supplé- mentaires. Aux termes de la clause 15.05 der la convention collective, l'affichage de cette liste est obligatoire, mais son omission n'a aucune importance lorsque l'employeur offre à tout le monde de faire des heures supplémentaires puisque chaque employé a une chance égale d'en faie.
Dans l'affaire en instance toutefois, l4fre de travail supplé- mentaire ne s'adressait pas vraiment à tous les employés; elle visait seulement ceux qui devaient remplir leurs fonctions habi- tuelles le jour en question. L'employé s'estimant lésé ne faisait pas partie de ce groupe puisque le 24 mai était son jour de repos. Il allègue donc avoir été oublié dans l'application du principe de l'égalité des chances cette journée-là. La clause 15.13 que voici a trait à ce genre de circonstance:
15.13 Défaut d'afficher
Sur une plainte d'un employé qui prétend avoir été oublié lors de l'application des chances égales, l'employeur aura le fardeau de la preuve s'il est démontré qu'il a fait défaut d'afficher les listes appropriées conformément aux disposi tions de la convention collective.
Dans l'affaire en instance, l'employé allègue avoir été oublié, l'employeur n'a pas affiché la liste stipulée dans la convention collective. Il incombe donc à l'employeur de prouver que l'em- ployé s'estimant lésé n'a pas été oublié et qu'il lui a offert des chances égales. La clause 15.16 intitulée «Dispositions de rechange» est sans objet ici puisqu'il n'a pas été démontré que le système ne pouvait s'adapter aux conditions locales. La méthode utilisée pour offrir des heures supplémentaires est en vigueur depuis un certain temps, mais elle ne modifie en rien l'application des termes stricts de la convention collective.
Par conséquent, la question à trancher est de savoir si les chances qui ont été offertes de faire des heures supplémentaires l'ont été d'après le principe de l'égalité; il incombe à l'em- ployeur de le prouver. Aux termes de la clause 15.06, tout employé doit se voir donner une chance égale d'accomplir le travail supplémentaire lorsque moins d'une équipe complète d'employés est requise. Dans la présente affaire, il y avait moins d'une équipe complète requise et la chance d'accomplir du travail supplémentaire le 24 mai a été restreinte de la façon indiquée dans l'avis. D'après l'employeur toutefois chaque employé a eu une chance égale puisqu'il a demandé à ceux qui n'étaient pas tenus de se présenter au travail le jour férié, comme l'employé s'estimant lésé, de travailler au cours de leur jour de repos suivant.
En demandant aux employés de travailler au cours de leur jour de repos suivant, l'employeur a-t-il appliqué le principe de l'«égalité des chances» à l'égard du travail supplémentaire? Je ne suis pas de cet avis puisque, d'après la preuve, la valeur pour un employé du travail supplémentaire effectué un jour de repos n'est pas le même que celle du travail effectué un jour férié qui coïncide avec un jour de repos. D'après la preuve (qui, souli- gnons-le, est fondée sur l'interprétation de certaines dispositions de la convention collective dont les parties n'ont à peu prés pas parlé), l'employé qui travaille un jour férié qui coïncide avec un jour de repos aurait droit (sauf s'il n'a pas une présence régulière) à 64 heures de rémunération alors que l'employé qui travaille un jour de repos qui ne coïncide pas avec un jour férié aurait droit (dans les mêmes conditions) à 56 heures de rému- nération. Lorsque l'employeur tient une liste d'admissibilité aux heures supplémentaires et que les employés se voient offrir du travail d'après cette liste, c'est peut-être qu'il considère que les mêmes chances seront offertes à tout le monde à long terme. Ce n'est toutefois pas nécessairement le cas d'après le système utilisé par l'employeur; il n'est pas assuré que les chances des jours fériés coïncident avec des jours de repos seront également réparties entre les employés, pour une période rai- sonnable de temps.
Pour les raisons précitées, j'en conclus que l'employeur n'a pas prouvé qu'il a offert une chance de faire des heures supplémentaires d'après le «principe de l'égalité». Les chances de travailler étaient égales, mais la valeur du travail offert ne l'était pas selon les documents qui m'ont été présentés.
Par conséquent, je fais droit au grief. L'employé s'estimant lésé a droit à la rémunération prévue à la clause 15.18, et je la lui accorde.
* * *
LE JUGE URIE y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY y a souscrit.
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