T-1035-77
Leslie Anthony Pierre et Amy Amelia Pierre
(Requérants)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion et J. R. Pickwell (Intimés)
Division de première instance, le juge Mahoney
Vancouver, le 9 mai; Ottawa, le 11 mai 1977.
Citoyenneté et immigration — Demande de brefs de manda-
mus et de prohibition — Bref de mandamus ordonnant au
Ministre de statuer sur une demande de qualité d'immigrant
reçu et bref de prohibition interdisant l'enquête spéciale con-
formément à l'art. 25 de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970,
c. 1-2.
Le requérant sollicite un bref de mandamus ordonnant au
Ministre de statuer sur une demande de qualité d'immigrant
reçu et un bref de prohibition interdisant à un fonctionnaire à
l'immigration de mener à son terme la procédure d'enquête
spéciale. En 1971, le Ministre a rejeté la demande du requérant
visant à être reçu à titre d'immigrant et ce rejet lui a été notifié
par une lettre de «renvoi». A la suite d'une enquête spéciale
tenue aux termes de la décision du Ministre, l'expulsion du
requérant a été ordonnée en mars 1974; en juillet 1974, la
Commission d'appel de l'immigration a annulé cette ordon-
nance pour vices de forme et de procédure. Le requérant a
subséquemment été déclaré coupable d'une infraction crimi-
nelle. Cette déclaration de culpabilité est à l'origine des procé-
dures qui ont mené à l'enquête spéciale que le requérant
cherche à faire cesser. Une décision statuant sur la demande de
qualité d'immigrant constitue une condition préalable à l'en-
quête qui fait l'objet d'un bref de prohibition.
Arrêt: la demande est rejetée. Il appert que la demande de
bref de mandamus a été jugée en 1971, lorsque le requérant a
été notifié de la décision du Ministre de lui refuser sa qualité
d'immigrant reçu. L'arrêt Leiba c. M.M. & I. ne permet pas de
dire qu'une décision notifiée par une lettre de renvoi n'a été ni
faite ni communiquée; plutôt, il établit la règle voulant qu'un
requérant qui, obéissant à ladite lettre de renvoi, ne renonce pas
à son droit d'en appeler de la décision. L'autre moyen invoqué
pour faire valoir que la demande n'a pas été jugée découle du
fait que l'ordonnance d'expulsion a été annulée «pour vices de
forme et de procédure uniquement». La façon dont le Ministre
a traité cette affaire a fourni au requérant les motifs, bien qu'ils
aient trait à la forme, d'en appeler avec succès de l'ordonnance
d'expulsion. Le requérant allègue que, ce faisant, le Ministre
aurait violé à son égard les principes de justice naturelle en lui
refusant un droit d'appel dont l'existence était subordonnée à
l'échec de son appel. Cet argument ne peut être retenu.
Arrêt analysé: Leiba c. M.M. & I. [ 1972] R.C.S. 660.
DEMANDE.
AVOCATS:
D. J. Rosenbloom pour les requérants.
A. D. Louie pour les intimés.
PROCUREURS:
Rosenbloom, Germaine & Jackson, Vancou-
ver, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: L'intitulé de la cause sera
modifié comme indiqué ci-dessus. Le premier
alinéa se lisait auparavant comme suit:
IN RE LA LOI SUR L'IMMIGRATION, S.R.C. CHAPITRE 325,
MODIFIÉE
Bien que cela n'apparaisse pas, les Statuts révisés
du Canada où la Loi sur l'immigration figure, au
chapitre 325, sont ceux de 1952. Cette loi a été
abrogée et remplacée par celle figurant au chapitre
I-2, S.R.C. 1970, entrée en vigueur le 15 juillet
1971 1 . Bien que la Loi de 1952 ait été en vigueur
au cours d'une partie de l'époque considérée ici,
ses dispositions applicables sont identiques à celles
de la loi actuelle. Toutes les références seront donc
faites à celle-ci.
Vu que de toute façon il fallait corriger l'intitulé
de la cause, j'ai ajouté les noms des requérants et
intimés. Lorsque le procès engagé par notification
de requête introductrice d'instance est contradic-
toire, comme c'est évidemment le cas ici, il est
souhaitable que l'intitulé de la cause mentionne le
nom de la ou des parties cherchant à obtenir
jugement ainsi que de ceux que l'on veut ainsi lier,
tout comme s'il s'agissait d'une action engagée par
voie de déclaration.
Du consentement du Ministre intimé, un bref de
mandamus sera délivré lui ordonnant de statuer
sur la demande, en date du 26 novembre 1971,
d'Amy Amelia Pierre réclamant la qualité d'immi-
grante reçue au Canada. C'est là tout ce qu'Amy
Amelia Pierre demande et, en conséquence,
chaque fois que le requérant sera mentionné ci-
après, à moins qu'Amy Amelia Pierre soit visée
expressément, il s'agira de Leslie Anthony Pierre.
Celui-ci sollicite: (1) un bref de mandamus ordon-
nant au ministre intimé de statuer sur sa demande
de qualité d'immigrant reçu au Canada et (2) un
bref de prohibition (ou une injonction, ou une
' DORS/71-309; S.C. 1964-65, c. 48, art. 6.
ordonnance de ne pas faire) interdisant à l'intimé
Pickwell de mener à son terme la procédure d'en-
quête spéciale engagée le 21 janvier 1976 et con-
cernant le requérant.
Ce dernier est entré au Canada le 16 septembre
1970, en provenance de Grenade, à titre de non-
immigrant. Il a demandé à être reçu à titre d'im-
migrant le 5 octobre de la même année. Sa requête
a été rejetée et ce rejet lui a été notifié par une
lettre de «renvoi» lui ordonnant de quitter le
Canada avant le 21 mai 1971, faute de quoi il
devrait se présenter devant un fonctionnaire à
l'immigration pour faire l'objet d'un examen en
vertu de l'article 22 de la Loi 2 . Il a recouru alors
aux services d'un conseiller en immigration. L'exa-
men a eu lieu et rapport a été soumis à l'enquêteur
spécial.
Avant la date de l'enquête spéciale prévue par le
paragraphe 23(2), on a entrepris un réexamen
général de toutes les demandes rejetées, présentées
par des personnes que l'on savait être encore au
Canada et qui avaient sollicité la qualité d'immi-
grant reçu 3 . On a offert au requérant de réexami-
ner sa demande. Il a été convoqué par lettre mais
ne s'est pas présenté. Son avocat l'a déclaré [TRA-
DUCTION] «impossible à rejoindre». En fait, il avait
quitté Toronto pour Vancouver en juin 1972, sans
aviser au préalable de ses allées et venues ni son
conseiller, ni les autorités de l'immigration. Le 25
octobre 1973, accompagné de son conseiller, il s'est
présenté devant un fonctionnaire à l'immigration à
Toronto; l'enquête spéciale, fondée sur le rapport
dressé le 26 août 1971 en vertu de l'article 22, a eu
lieu et le 11 mars 1974, l'expulsion du requérant a
2 22. Lorsqu'un fonctionnaire à l'immigration, après avoir
examiné une personne qui cherche à entrer au Canada, estime
qu'il serait ou qu'il peut être contraire à quelque disposition de
la présente loi ou des règlements de lui accorder l'admission ou
de lui permettre autrement de venir au Canada, il doit la faire
détenir et la signaler à un enquêteur spécial.
23. (2) Lorsque l'enquêteur spécial reçoit un rapport prévu
par l'article 22 sur une personne autre qu'une personne men-
tionnée au paragraphe (1), il doit l'admettre ou la laisser entrer
au Canada, ou il peut la faire détenir en vue d'une enquête
immédiate sous le régime de la présente loi.
3 Cette mesure était en sus semble-t-il, de ce qu'on appelle
«amnistie» offerte à peu près à la même époque aux personnes
dont la présence au Canada était irrégulière. Loi modifiant la
Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.C. 1973-74,
c. 27, art. 8.
été ordonnée. Appel a été interjeté devant la Com
mission d'appel de l'immigration et, [TRADUC-
TION] «pour vices de forme et de procédure uni-
quement», l'ordonnance d'expulsion a été annulée
le 11 juillet 1974.
Le 23 octobre 1974, un fonctionnaire à l'immi-
gration a déclaré dans son rapport que le requérant
tombait sous le coup du sous-alinéa 18(1)e)(ii) de
la Loi et un enquêteur spécial a ouvert une enquête
en vertu de l'article 25 4 . L'enquête a eu lieu à
Vancouver le 3 décembre 1974. Le requérant s'est
présenté et, à sa demande, l'enquête a été ajournée
au 13 mars 1975 vu que le conseiller torontois du
requérant n'était pas disponible. Le 13 mars, on a
ajourné encore, cette fois au 3 avril 1975 pour la
même raison. Le 3 avril, il y a eu ajournement au
15 octobre 1975, pour attendre l'issue du procès du
requérant, inculpé d'infraction criminelle et, par la
suite, pour le même motif, l'enquête a été à plu-
sieurs reprises ajournée, jusqu'au 22 décembre
1975 environ, date à laquelle les autorités de l'im-
migration ont été avisées que le requérant avait
plaidé coupable et avait été condamné à 6 mois
d'emprisonnement à compter du 29 décembre. Le
fonctionnaire à l'immigration a présenté en vertu
de l'article 18 un nouveau rapport au directeur
pour lui signaler les récentes déclarations de culpa-
bilité et condamnation, ainsi que les condamna-
tions précédentes, sur lesquelles était fondé le rap
port du 23 octobre 1974; le rapport rappelait aussi
que la condamnation faisait entrer en jeu le sous-
alinéa 18(1)e)(iii). L'enquête fondée sur l'article
25, et dont on demande maintenant l'arrêt, avait
été ordonnée le 21 janvier, ouverte le 24 mars 1976
18. (1) Lorsqu'il en a connaissance, ... un fonctionnaire à
l'immigration ... doit envoyer au directeur un rapport écrit,
avec des détails complets, concernant
e) toute personne, autre qu'un citoyen canadien ou une
personne ayant un domicile canadien, qui
(ii) a été déclarée coupable d'une infraction visée par le
Code criminel,
(iii) est devenue un détenu dans un pénitencier, une geôle,
une maison de correction ou une prison, ou pensionnaire
d'un asile ou hôpital d'aliénés,
25. Sous réserve de tout ordre ou de toutes instructions du
Ministre, le directeur, sur réception d'un rapport écrit prévu
par l'article 18 et s'il estime qu'une enquête est justifiée, doit
faire tenir une enquête au sujet et la personne visée par le
rapport.
et ajournée à plusieurs reprises pour intenter la
présente procédure.
La demande de prohibition doit suivre le sort de
la demande de mandamus. Aucun vice dans la
procédure fondée sur l'article 25, n'a été révélé. Le
requérant prétend qu'une décision statuant sur sa
demande de qualité d'immigrant constitue une
condition préalable à toute enquête fondée sur
l'article 25. J'y souscris.
Il me semble toutefois que ladite demande a été
jugée et que la décision a été notifiée au requérant
par la lettre de «renvoi» du 7 mai 1971. Le requé-
rant invoque l'affaire Leiba c. M.M. & 1. 5 comme
précédent établissant la proposition contraire.
Dans cette espèce, un non-immigrant s'est con
formé à une lettre de «renvoi» et a quitté le Canada
sans qu'ait été dressé le rapport prévu à l'article 22
ni tenue l'enquête prévue à l'article 23. Plus tard il
est revenu et, après expiration de son deuxième
visa de visiteur, a demandé une fois encore à être
reçu à titre d'immigrant. La deuxième requête a
été rejetée à cause de ce facteur temporel. Il a été
procédé au rapport et à l'enquête prévus par les
articles 22 et 23 respectivement, et une ordonnance
d'expulsion a été rendue. Or il a été jugé que la
lettre de «renvoi» constituait une pratique adminis
trative équivalant à «une ordonnance d'çxpulsion
rendue sans autorisation» et qu'en l'espèce celui
qui s'y était conformé avait été privé illicitement
de son droit d'en appeler du rejet de sa première
demande de qualité d'immigrant.
Ici, le requérant n'a pas obéi à son détriment à
la lettre de «renvoi». L'arrêt Leiba ne permet pas
de dire qu'une décision notifiée par une lettre de
«renvoi» n'a été ni faite ni communiquée. Il établit
la règle voulant qu'un requérant qui, obéissant à
ladite lettre de «renvoi», quitte le Canada, ne
renonce pas par le fait même, à son droit au
rapport prévu à l'article 22 et à l'enquête prévue à
l'article 23, en d'autres termes, à son droit d'en
appeler de la décision. Le présent requérant a eu
connaissance de la décision du Ministre et, consé-
quemment, a pu en appeler avec succès.
L'autre moyen invoqué pour faire valoir que la
demande n'a pas été jugée découle du fait que
l'ordonnance d'expulsion a été annulée [TRADUC-
5 [1972] R.C.S. 660.
TION] «pour vices de forme et de procédure uni-
quement» 6 . Vu que le Ministre a traité l'affaire de
telle façon que cela en est résulté, le requérant
aurait été [TRADUCTION] «privé de son droit d'ap-
pel, du droit de saisir la Commission d'appel de
l'immigration de son cas, non seulement sur les
questions de droit, mais encore sur la question de
savoir si le pouvoir discrétionnaire» prévu par le
paragraphe 15(1) de la Loi sur la Commission
d'appel de l'immigration' pourrait être invoqué.
Autrement dit, en lui fournissant les motifs d'en
appeler avec succès de l'ordonnance d'expulsion, le
Ministre aurait violé à son égard les principes de
justice naturelle en lui refusant un droit dont
l'existence était subordonnée à l'échec de son
appel. C'est là une absurdité pure et simple. Le
requérant ne peut se plaindre, ayant gain de cause
dans un appel qu'il a choisi d'interjeter, de perdre
un droit dont l'existence reposerait sur le rejet
dudit appel.
La requête de Leslie Anthony Pierre sera reje-
tée. Il ne m'apparaît pas du tout évident que le
Ministre aurait traité de façon appropriée la
demande d'Amy Amelia Pierre en l'absence de la
présente requête. Dans un cas comme celui-ci, il
me paraît équitable que-les parties supportent leurs
propres dépens.
JUGEMENT
1. Du consentement du Ministre, la requête
d'Amy Amelia Pierre est accueillie sans frais.
2. La requête de Leslie Anthony Pierre est rejetée
sans frais.
3. L'intitulé de la cause est modifié de la façon
décrite ci-dessus.
6 Dossier n° 74-7001, motifs de la Commission d'appel de
l'immigration du 30 juillet 1974, page 5.
' S.R.C. 1970, c. I-3.
15. (1) Lorsque la Commission rejette un appel d'une
ordonnance d'expulsion ... la Commission [dans les cas
énoncés] peut ordonner de surseoir à l'exécution de l'ordon-
nance d'expulsion ou peut annuler l'ordonnance et ordonner
d'accorder à la personne contre qui l'ordonnance avait été
rendue le droit d'entrée ou de débarquement.
C'est moi qui souligne. Je ne cite pas les cas énumérés vu qu'on
n'a pas tenté d'établir lequel s'appliquerait ici.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.