A-208-77
Edgar Lloyd Fisher et Anita Inis Fisher (Requé-
rants)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie et le juge
suppléant MacKay—Toronto, le 28 juillet 1977.
Examen judiciaire — Pratique -- Un procureur peut-il être
appelé à payer personnellement les frais en vertu de la Règle
348(1)b)? — Faute d'un mandataire — Un juge siégeant en
qualité de persona designata en vertu de la Loi sur l'expro-
priation a appliqué les Règles de la Cour fédérale en l'absence
de procédures prévues — L'ordonnance est-elle bien fondée?
— Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970 (1" Supp.), c. 16, art.
35 et 36 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c.
10, art. 28, 46(2) et 52d) — Règle 348(1)b) de la Cour
fédérale.
Les auteurs de cette demande en vertu de l'article 28 ont été
autorisés à se retirer, mais l'avocat, à titre personnel, a formulé
une demande en vertu de l'article 28, sous le même intitulé de
cause, visant à faire annuler une ordonnance d'un juge siégeant
en qualité de persona designata, aux termes de la Loi sur
l'expropriation et en vertu des Règles de la Cour fédérale, dans
la mesure où elle lui enjoignait de payer personnellement
certains frais taxés sur une base procureur-client contre ses
clients. Le requérant allègue que le juge a fait preuve de
partialité, que les Règles de la Cour fédérale ont été mal
appliquées et qu'il ne peut être tenu responsable de la faute de
son mandataire qui a donné lieu à l'ordonnance en cause.
Arrêt: la demande est rejetée. Ainsi que l'établit Myers c.
Elman, le mandat est clairement responsable de la conduite
abusive de son mandataire. Un juge siégeant en qualité de
persona designata aux termes de l'article 35 de la Loi sur
l'expropriation peut, en vertu de l'article 36(1), ordonner que
les frais soient payés par l'une ou l'autre des parties aux
procédures. En l'absence de procédures prévues, le ,luge peut
recourir à l'article 46(2) de la Loi sur la Cour fédérale et
appliquer la Règle 348 pour ordonner que le procureur paie les
frais fixés contre ses clients. A moins que le juge n'ait erré en
droit, l'application de cette règle relève du pouvoir discrétion-
naire du juge et ne peut faire l'objet d'une demande en vertu de
l'article 28. La question de partialité s'appuie sur une seule
phrase des motifs du jugement et, faute d'éléments de preuve
additionnels, elle est sans fondement. Cependant, comme le
libellé de l'ordonnance ne respecte pas tout à fait la Règle 348,
elle est renvoyée au juge siégeant en qualité de persona desig-
nata afin qu'il rende une ordonnance conforme aux directives
données.
Arrêt appliqué: Myers c. Elman [1940] A.C. 282.
DEMANDE.
AVOCATS:
H. S. D. Paisley pour les requérants.
D. Estrin pour lui-même.
Thomas Dunne pour l'intimée.
PROCUREURS:
Blaney, Pasternak, Smela & Watson,
Toronto, pour les requérants.
D. Estrin, Toronto, pour lui-même.
McTaggart, Potts, Stone & Herridge,
Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement de la Cour prononcés à l'audience
par
LE JUGE URIE: Il s'agit ici d'une demande en
vertu de l'article 28. Les requérants en l'espèce ont
demandé, d'un commun accord, au début de l'au-
dience ce matin, que soit retirée leur demande, ce
qui a été accordé. Toutefois, l'avocat qui a com-
paru au nom des requérants dans toutes les procé-
dures entamées jusqu'à ce jour a présenté, en sa
qualité personnelle, une demande en vertu de l'ar-
ticle 28, avec le même intitulé, pour annuler l'or-
donnance du juge Mahoney siégeant en qualité de
persona designata conformément à l'article 35' de
la Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970 (1"
Supp.), c. 16, (ci-après appelée la «Loi») dans la
mesure où elle ordonnait à l'avocat, David Estrin,
de payer personnellement une partie des frais taxés
sur une base procureur-client et fixés contre ses
clients.
La thèse des requérants, si je l'ai bien comprise,
est divisée en quatre points:
35. (1) Lorsque le Ministre ou quelqu'un qui agit pour son
compte est empêché de pénétrer sur les lieux, ou de prendre
matériellement possession ou de faire usage d'un immeuble,
dans les limites de tout droit exproprié en vertu de la présente
Partie, un juge du tribunal ou un juge d'une cour supérieure
d'une province peut, sur preuve de l'expropriation et, si néces-
saire, sur preuve du droit de la Couronne d'en prendre matériel-
lement possession ou d'en faire usage, et après avoir donné de la
manière prescrite par le juge aux personnes que ce dernier
désigne et qui doivent être parties aux procédures un avis les
invitant à exposer leurs raisons, émettre son mandat, conforme
à la formule énoncée à l'annexe I de la présente loi, au shérif
compétent lui enjoignant de mettre le Ministre ou une personne
autorisée à agir en son nom, en possession matérielle de l'im-
meuble, dans les limites du droit exproprié.
(2) Le shérif doit immédiatement exécuter un mandat qui
lui est émis en vertu du présent article et faire rapport au
tribunal dont fait partie le juge qui l'a émis, sur l'exécution du
mandat et la façon dont il a été exécuté.
(1) Étant donné que la faute à l'origine de l'or-
donnance du savant juge portant sur le paiement
des frais ne peut être imputée à Mc Estrin mais à
un autre avocat, Me Estrin ne peut être tenu
responsable d'une telle faute;
(2) Mc Estrin n'étant pas une «partie» aux procé-
dures, il ne peut être tenu d'acquitter les frais en
vertu de l'article 36 2 de la Loi;
(3) Le savant juge n'avait pas le pouvoir d'invo-
quer les Règles de la Cour fédérale afin d'ordon-
ner que les frais soient payés . par un avocat. De
plus, advenant qu'il ait eu ce pouvoir, ces règles ne
l'autorisaient pas à fixer les frais à être payés
personnellement par un avocat. Mais, en mettant
les choses au mieux, la Cour pourrait, en l'espèce,
lui ordonner de rembourser tous frais que ses
clients, en leur qualité de parties perdantes, ont été
condamnés à payer (voir la Règle 348(1)b)) 3 ;
2 36. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les frais des procé-
dures devant le tribunal en vertu de la présente Partie et les
frais accessoires à ces procédures, sont laissés à la discrétion du
tribunal ou, dans le cas de procédures devant un juge du
tribunal ou un juge de la cour supérieure d'une province, à la
discrétion dudit juge. Le tribunal ou le juge peuvent ordonner,
qu'en tout ou partie, ces frais soient acquittés par la Couronne
ou par une partie auxdites procédures.
(2) Lorsque le montant de l'indemnité allouée en vertu de la
présente Partie, à une partie à des procédures devant le tribunal
en vertu de l'article 29, pour un droit exproprié, ne dépasse pas
le montant total de toute offre faite à cette partie en vertu de
l'article 14 et de toute offre subséquente à elle faite pour ce
droit avant le début de l'instruction des procédures, le tribunal
doit, sauf s'il conclut que le montant de l'indemnité réclamée
par cette partie dans les procédures était déraisonnable, ordon-
ner que la totalité des frais des procédures et des frais accessoi-
res encourus par cette partie soit payée par la Couronne, et
lorsque le montant de l'indemnité ainsi allouée à cette partie
dépasse ce montant total, le tribunal doit ordonner que la
totalité des frais des procédures et des frais accessoires encou-
rus par cette partie, y compris les frais extrajudiciaires que le
tribunal détermine, soit payée à cette partie par la Couronne.
3 Règle 348. (1) Lorsque, dans des procédures, des frais sont
engagés abusivement ou sans raison valable ou qu'il y a eu
gaspillage du fait d'un retard indû ou de quelque autre faute ou
manquement, la Cour pourra rendre contre un procureur ou
solicitor qu'elle considère responsable en l'occurrence (qu'il
s'agisse de responsabilité personnelle ou de responsabilité pour
fait d'autrui) une ordonnance
b) prescrivant au procureur ou solicitor de rembourser à son
client les frais que le client a été condamné à payer aux
autres parties aux procédures, ...
(4) Les motifs du jugement révèlent que le savant
juge a fait preuve de partialité envers Me Estrin et
que cette partialité s'est traduite par l'ordonnance
enjoignant à Me Estrin de payer les frais.
En ce qui a trait au premier point, Mc Estrin,
qui n'a pu être présent aux interrogatoires portant
sur certains affidavits déposés au cours des procé-
dures entamées en vertu de l'article 35, a demandé
à un autre avocat d'y assister en son nom. Me
Estrin a admis que le second avocat agissait à titre
de mandataire.
Par conséquent, le raisonnement de lord Wright
devant la Chambre des Lords dans Myers c.
Elman 4 aux pages 319 et 321 s'applique.
[TRADUCTION] Le principe fondamental veut que la Cour ait le
droit et le pouvoir de surveiller la conduite de ses avocats et de
frapper d'une sanction toute conduite d'un avocat qui est de
nature à contrarier la justice dans les causes où il agit à titre
professionnel, comme l'a dit Abinger C.B. dans Stephens c.
Hill.
Il serait peut-être plus juste de le décrire comme une conduite
qui implique une faute de l'avocat dans l'accomplissement de
son devoir envers la Cour et de son obligation d'aider à la
promotion et la justice dans son propre domaine.
Il y a eu conduite abusive bien que l'avocat n'ait pas été
personnellement impliqué. Le juge en chef Jervis résume
comme suit la thèse: «considérant que les transactions ont eu
lieu dans son bureau et ont été menées par une personne dont il
répond et considérant qu'il bénéficiait des sommes perçues,
j'estime qu'il est impliqué au point de le rendre responsable.» Il
est certes vrai qu'un avocat ne sera pas rayé du tableau de
l'ordre ou suspendu à moins d'être personnellement impliqué
mais, en toute déférence, je ne puis trouver ni motif, ni précé-
dent ou texte de doctrine pour appuyer l'opinion de la Cour
d'appel selon laquelle la compétence discrétionnaire et compen-
satoire de la Cour d'ordonner le remboursement de dépens ou
de frais, dont le gaspillage est dû à sa conduite abusive dans
une affaire, ne peut être exercée à moins que l'avocat ne soit
personnellement impliqué.
Par conséquent, à mon avis, la thèse du requé-
rant a échoué sur ce point. L'avocat est clairement
ment responsable de la conduite abusive de son
mandataire.
Par souci de commodité, les points (2) et (3)
seront traités en même temps. L'article 36(1) de la
Loi autorise un juge de cette cour, siégeant en
qualité de persona designata aux termes de l'arti-
cle 35 qui vise une demande de mandat de prise de
possession, à ordonner que les frais soient payés
4 [1940] A.C. 282.
par une «partie» aux procédures. L'article ne pré-
voit pas la manière dont ces frais seront payés et
ne donne pas le pouvoir de les faire payer par un
procureur ou un avocat. Ces questions de procé-
dure n'ayant pas été couvertes par l'article, on peut
recourir à l'article 46(2) de la Loi sur la Cour
fédérales. Puisque la Loi sur l'expropriation ne
renferme aucune disposition visant à ordonner que
le paiement des frais fixés contre une «partie» soit
imputé à son procureur, le juge Mahoney, en se
fondant sur l'article 46(2), a déduit qu'il fallait
appliquer la Règle 348 de cette cour pour ordonner
que Me Estrin paie les frais fixés contre ses clients,
parce que le mandataire de ce dernier a «décidé de
faire des interrogatoires un véritable fiasco». A
mon avis, il avait le droit d'agir ainsi. Je ne
tiendrai pas compte, pour l'instant, du libellé de
son ordonnance.
La question de savoir si cette règle doit âtre
appliquée relève du pouvoir discrétionnaire du juge
qui entend l'affaire. L'exercice de ce pouvoir dis-
crétionnaire ne doit pas âtre entravé par une
demande introduite en vertu de l'article 28 moins
que le juge, en exerçant ce pouvoir, n'ait erré en
droit, c.-à-d. à moins qu'il ne se soit fondé sur un
principe faux ou que les faits ne lui aient pas
permis de tirer, de façon juste, les déductions qui
constituent le fondement de son ordonnance.
Le savant juge de première instance a conclu en
ces termes:
La seule conclusion raisonnable que je peux tirer de la lecture
des transcriptions en cause est que Me Turner, délibérément ou
à cause d'une inaptitude flagrante, sur les instructions de M'
Estrin ou de son propre chef, a décidé de faire des interrogatoi-
res un véritable fiasco. Il a réussi et, ce faisant, il n'a évidem-
ment pas rempli son devoir d'officier de la Cour.
Me Estrin a admis l'existence d'éléments de
preuve qui ont pu amener le juge à cette conclu
sion et il ressort de la lecture des transcriptions des
interrogatoires que sa décision était amplement
justifiée de sorte que l'admission franche de Me
Estrin est également justifiée. Ainsi, les erreurs
dont font état les points (2) et (3) n'ont pas été
démontrées.
5 46....
(2) Les règles et ordonnances établies en vertu du présent
article peuvent couvrir des questions de pratique et de procé-
dure ou autres, soulevées lors de procédures faites en vertu
d'une loi, qui ne sont pas prévues dans cette loi ou toute autre
loi, et qu'il est jugé nécessaire de réglementer pour permettre
de bien appliquer ladite loi et de mieux en réaliser les objets.
Enfin, bien que la question de la partialité ait
été soulevée et débattue, elle était fondée sur une
seule phrase des motifs de jugement du juge
Mahoney. Aucun élément de preuve additionnel à
l'appui de cet argument n'a été porté à notre
connaissance. Bien que le savant juge ait pu
employer un langage quelque peu malheureux
dans la phrase qui a fait l'objet de la plainte, les
termes employés ne traduisent aucunement la par-
tialité du juge envers M' Estrin ou ses clients.
Comme on l'a déjà mentionné, le libellé de
l'ordonnance du juge Mahoney ne respecte pas
tout à fait la Règle 348. Toutefois, conformément
à l'article 52d) de la Loi sur la Cour fédérale,
nous avons le pouvoir d'annuler la décision et de
renvoyer l'affaire devant le juge Mahoney siégeant
en qualité de persona designata conformément à
l'article 35 de la Loi sur l'expropriation afin que
ce dernier rende une décision conforme aux direc
tives que cette cour estime appropriées.
Par conséquent, je suis d'avis d'annuler la déci-
sion et de renvoyer l'affaire devant le juge Maho-
ney en lui ordonnant de rayer les deux premières
lignes du paragraphe 3 de l'ordonnance et de les
remplacer par ce qui suit:
3. M' David Estrin doit rembourser aux intimés en cause la
partie des frais que les intimés sont tenus de payer à la
requérante, en vertu du paragraphe 5 énoncé ci-après, et qui
porte sur ce qui suit:
De plus, j'ordonne que le paragraphe 5 de ladite
ordonnance soit rayé et remplacé par le paragra-
phe suivant:
5. Les intimés doivent payer à la requérante le tiers de tous les
frais taxés dans la présente demande et dans les deux autres.
A tous autres égards, l'ordonnance du juge
Mahoney est confirmée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.