• A-21-77
Joan McKinnon et les Travailleurs canadiens de
l'alimentation, section locale P-766 (Requérants)
c.
L'Honorable juge Jean Dubé (Intimé)
et
La Commission d'assurance-chômage et La Reine
(Mises-en-cause)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge
suppléant Hyde—Montréal, les 3 et 5 mai 1977.
Examen judiciaire — Tous les employés de l'entreprise
représentés par la même union ouvrière — Une partie des
cotisations servait à alimenter un fonds de grève — Employés
représentés par différentes unités de négociation — Grève
d'une autre unité de négociation La requérante a perdu son
emploi — La requérante a-t-elle financé la grève? — La
requérante a-t-elle droit aux prestations d'assurance-chô-
mage? — Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-
71-72, c. 48, art. 44 — Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Madame McKinnon était au service d'une entreprise dont les
employés, bien que représentés par la même union ouvrière,
étaient divisés en plusieurs unités de négociation. Comme
membre de l'union, elle payait une cotisation dont une partie,
conformément à la constitution de l'union, servait à alimenter
un fonds de grève. Madame McKinnon perdit son emploi en
conséquence d'une grève déclenchée par des employés faisant
partie d'une autre unité de négociation et représentés par la
même union. Cette union a, pendant la grève, versé à ces
grévistes des secours financiers provenant de son fonds de
grève. Madame McKinnon a demandé des prestations d'assu-
rance-chômage; un juge-arbitre a décidé qu'elle n'était pas
éligible parce qu'elle n'avait pas prouvé ne pas financer ce
conflit.
Arrêt: la demande d'examen judiciaire est rejetée. La ques
tion de savoir s'il existe une connexité suffisante entre la
contribution apportée par un individu et le conflit de travail que
cette contribution a pu financer est une question de fait. Celui
qui finance une activité, c'est celui qui en défraie le coût peu
importe que les fonds nécessaires à cette fin aient été déboursés
avant que l'activité n'ait lieu ou qu'ils le soient pendant que
l'activité se déroule. Celui qui paie une cotisation syndicale
participe volontairement même si l'obligation de payer la coti-
sation est imposée comme condition d'emploi, car, en droit,
l'employé, est toujours libre de quitter son travail si les condi
tions d'emploi ne lui conviennent pas.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
Paul Lesage pour les requérants.
Jean-Marc Aubry pour l'intimé et les
mises-en-cause.
PROCUREURS:
Trudel, Nadeau, Létourneau, Lesage &
Cleary, Montréal, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada polir
l'intimé et les mises-en-cause.
Voici les motifs du jugement de la Cour pro-
noncés à l'audience en français par
LE JUGE PRATTE: Les requérants demandent
l'annulation, en vertu de l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale, d'une décision prononcée par un
juge-arbitre agissant en vertu de la Partie V de la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Par cette
décision, le juge-arbitre a déclaré que la requé-
rante Joan McKinnon n'avait pas droit aux presta-
tions d'assurance-chômage qu'un fonctionnaire de
la Commission et, après lui, un conseil arbitral, lui
avaient refusées.
Madame McKinnon était à l'emploi d'une entre-
prise dont les employés, bien que représentés par la
même union ouvrière, étaient divisés en plusieurs
unités de négociation. Elle faisait partie de l'union
et lui payait, comme tous les membres, une cotisa-
tion dont une partie servait, comme le prévoyait la
constitution de l'union, à alimenter un fonds de
grève. En mai 1975, madame McKinnon perdit
son emploi en conséquence d'une grève déclenchée
par des employés de la même entreprise faisant
partie d'une autre unité de négociation mais qui
étaient, cependant, représentés par la même union.
Cette union a, pendant la grève, versé aux grévis-
tes des secours financiers provenant de son fonds
de grève qui avait été constitué à l'aide des cotisa-
tions payées par tous les membres de l'union.
L'article 44 de la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage se lit comme suit:
44. (1) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un
arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou
en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible
au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas réalisée l'une
des éventualités suivantes, à savoir:
a) la fin de l'arrêt du travail,
b) son engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs
dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la
sienne,
c) le fait qu'il s'est mis à exercer quelque autre occupation
d'une façon régulière.
(2) Le paragraphe (1) n'est pas applicable si le prestataire
prouve
a) qu'il ne participe pas au conflit collectif qui a causé
l'arrêt du travail, qu'il ne le finance pas et qu'il n'y est pas
directement intéressé; et
b) qu'il n'appartient pas au groupe de travailleurs de même
classe ou de même rang dont certains membres exerçaient,
immédiatement avant le début de l'arrêt du travail, un
emploi à l'endroit où s'est produit l'arrêt du travail et partici-
pent au conflit collectif, le financent ou y sont directement
intéressés.
Il est constant que madame McKinnon devait,
pour avoir droit aux prestations réclamées, satis-
faire aux conditions énumérées à l'article 44(2). Il
est constant aussi que madame McKinnon n'a pas
participé au conflit collectif qui a causé l'arrêt de
travail et qu'elle n'y était pas directement intéres-
sée de sorte que la seule question à résoudre est
celle de savoir si le juge-arbitre a eu raison de
décider qu'elle n'avait pas prouvé ne pas financer
ce conflit. Si le juge-arbitre a ainsi décidé, c'est'
que, suivant une jurisprudence depuis longtemps
établie, il a considéré que madame McKinnon
finançait la grève parce que la grève était financée,
en partie, par les cotisations syndicales qu'elle
avait payées à son union avant la grève.
L'avocat des requérants a d'abord soutenu que
madame McKinnon n'avait pas financé la grève
parce qu'elle n'avait payé aucune cotisation pen
dant cette grève. Il a souligné que le verbe '«finan-
cer» est employé au temps présent dans l'article
44(2), ce qui le conduit à dire qu'une personne ne
finance un conflit au sens de cette disposition que
si elle apporte un secours financier aux grévistes
pendant la durée de la grève. Cet argument nous
paraît dénué de fondement. Celui qui finance une
activité, c'est celui qui en défraie le coût peu
importe que les fonds nécessaires à cette fin aient
été déboursés avant que l'activité n'ait lieu ou
qu'ils le soient pendant que l'activité se déroule;
dans l'un et l'autre on dira, pendant que l'activité a
lieu, qu'elle est financée par celui qui l'a rendue
possible.
L'avocat des requérants a aussi prétendu qu'une
personne ne pouvait être considérée comme finan-
çant un conflit de travail si elle n'avait pas volon-
tairement procuré une aide financière à l'une des
parties au conflit. Or, a-t-il dit, cette condition
n'est pas remplie dans ce cas-ci. Suivant lui, si
madame McKinnon a payé ses cotisations à
l'union, c'est en considération des services que
l'union pouvait éventuellement lui rendre et non
dans le but de contribuer au fonds de grève devant
profiter aux syndiqués membres d'autres unités de
négociation. Cette prétention doit, elle aussi, être
rejetée. Celui qui paie une cotisation syndicale qui
doit servir à alimenter un fonds de grève peut le
faire pour des motifs égoïstes, il n'en participe pas
moins volontairement à la constitution de ce fonds.
Et cette participation doit être considérée comme
volontaire même si l'obligation de payer la cotisa-
tion est imposée comme condition d'emploi, car, en
droit, l'employé est toujours libre de quitter son
travail si les conditions d'emploi ne lui conviennent
pas.
L'avocat des requérants, enfin, a fait état des
conséquences absurdes auxquelles conduirait la
décision du juge-arbitre. Si le fait qu'une personne
ait contribué dans le passé au fonds de grève d'une
union est suffisant pour que cette personne soit
considérée comme finançant une grève déclenchée
par cette union, il faudrait en dire autant même si
la contribution au fonds de grève a eu lieu plu-
sieurs années avant l'arrêt de travail. A notre avis,
cette objection ne résiste pas à l'examen. Dans
chaque cas il faut déterminer s'il existe une con-
nexité suffisante entre la contribution financière
apportée par un individu et le conflit de travail que
cette contribution a pu financer. C'est là une
question de fait qui doit être résolue à la lumière
des circonstances de chaque espèce.
Pour ces motifs la demande faite en vertu de
l'article 28 est rejetée.
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