T-4970-76
Francesco Caccamo (Requérant)
C.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion (Intimé)
Division de première instance, le juge Walsh—
Toronto, le 17 janvier; Ottawa, le 27 janvier 1977.
Demande visant à obtenir une ordonnance interdisant à toute
personne associée au Ministère de mener une enquête spéciale
et une ordonnance enjoignant le Ministre de nommer un juge
qui conduira l'enquête conformément à l'art. 10(1)c) de la Loi
— Commentaires publics faits par un fonctionnaire du Minis-
tère au sujet de la situation du requérant avant l'audition
Existe-t-il une crainte raisonnable de partialité? — Compé-
tence de la Cour d'ordonner que soient prises des mesures
administratives — Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2,
art. 10(1)c), 18(1)a), 25 et 26.
Le requérant prétend qu'une entrevue accordée par le Direc-
teur de l'information du ministère de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration à The Globe and Mail, au cours de laquelle le
fonctionnaire aurait affirmé que la Cour suprême du Canada
avait jugé que le requérant était membre de la Mafia et que le
Ministère devait considérer la Mafia comme une organisation
vouée au renversement, entacherait de partialité la décision que
toute personne associée directement ou indirectement au Minis-
tère rendrait à la suite d'une enquête spéciale menée afin de
déterminer si le requérant est une personne décrite à l'article
18(1 )a) de la Loi.
Arrêt: les deux demandes sont rejetées. Si le Directeur de
l'information pour le Ministère devait assumer la conduite de
l'enquête spéciale, celle-ci ne pourrait être juste ou impartiale;
mais il n'existe aucune crainte raisonnable de partialité à
l'égard de toute autre personne directement ou indirectement
associée au Ministère. Quoi qu'il en soit, l'article 10(1)c) de la
Loi est une disposition administrative et la Cour n'a pas le
pouvoir d'émettre des directives quant à savoir si le Ministre
doit ou non appliquer cette disposition.
DEMANDE de bref de prohibition et ordonnance.
AVOCATS:
Edward L. Greenspan pour le requérant.
Paul Evraire pour l'intimé.
PROCUREURS:
Greenspan, Gold & Moldaver, Toronto, pour
le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d'une demande aux
fins d'obtenir un bref de prohibition interdisant à
L. Stuart, un enquêteur spécial, ainsi qu'à tout
autre fonctionnaire des services d'immigration du
ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration,
et à toute personne directement ou indirectement
associée au ministère, de mener une enquête visant
l'expulsion du requérant du Canada au motif qu'il
est une personne décrite à l'article 18(1)a) de la
Loi sur l'immigration', dont voici le libellé:
18. (1) Lorsqu'il en a connaissance, le greffier ou secrétaire
d'une municipalité au Canada, dans laquelle une personne
ci-après décrite réside ou peut se trouver, un fonctionnaire à
l'immigration ou un constable ou autre agent de la paix doit
envoyer au directeur un rapport écrit, avec des détails complets,
concernant
a) toute personne, autre qu'un citoyen canadien, qui se livre
au renversement, par la force ou autrement, du régime, des
institutions ou des méthodes démocratiques, tels qu'ils s'en-
tendent au Canada, ou qui préconise un tel renversement, ou
qui est un membre ou associé d'une organisation, d'un groupe
ou d'un corps quelconque qui se livre à un renversement de ce
genre ou le préconise;
le requérant sollicite de plus une ordonnance visant
à renvoyer l'affaire au ministre de la Main-d'oeu-
vre et de l'Immigration pour que ce dernier puisse
nommer une personne—plus précisément un juge
d'une cour de comté ou d'une cour suprême pro-
vinciale—qui ne sera pas associée, ni directement
ni indirectement, au ministère. Cette personne
agira à titre d'enquêteur spécial conformément à
l'article 10(1)c) de la Loi sur l'immigration aux
fins des présentes procédures. Ledit article 10(1)c)
se lit comme suit:
10. (1) Les personnes suivantes sont des fonctionnaires à
l'immigration, aux fins de la présente loi:
c) lorsque surviennent des circonstances qui, de l'avis du
Ministre, rendent la chose nécessaire pour l'application régu-
lière de la présente loi, les personnes ou catégories de person-
nes que le Ministre reconnaît comme fonctionnaires à
l'immigration.
Le moyen invoqué à l'appui de la demande est
qu'une décision rendue par L. Stuart, ou par tout
autre fonctionnaire des services d'immigration du
ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration
ou par toute personne associée directement ou
indirectement au ministère, sera empreinte de par
' S.R.C. 1970, c. I-2.
tialité à la suite de la publication et de la vaste
diffusion d'un article paru dans The Globe and
Mail du mercredi 20 octobre 1976; cette publica
tion précédait le début, à huis clos, de l'enquête.
Bruce M. Erb, Directeur de l'information au
ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration,
aurait déclaré, dans cet article, que la Cour
suprême du Canada avait statué que Caccamo
était un membre de la Mafia et que, de ce fait, la
division de l'Immigration devait considérer la
Mafia comme une organisation vouée au
renversement.
Michael Rafferty, un fonctionnaire des services
d'immigration, a entamé les procédures relatives à
l'expulsion par un rapport en date du 8 octobre
1976 et établi conformément à l'article 18(1)a) de
la Loi, dans lequel il a déclaré:
[TRADUCTION] Je dois déclarer que Francesco Caccamo,
autrefois d'Italie, est une personne autre qu'un citoyen cana-
dien qui se livre au renversement, par la force ou autrement, du
régime, des institutions ou des méthodes démocratiques, tels
qu'ils s'entendent au Canada, ou qui préconise un tel renverse-
ment, ou qui est un membre ou associé d'une organisation, d'un
groupe ou d'un corps quelconque qui se livre à un renversement
de ce genre ou le préconise.
Suivant ce rapport, une directive fut émise le
même jour, conformément à l'article 25 de la Loi
sur l'immigration, enjoignant à un enquêteur spé-
cial de tenir une enquête privée conformément à
l'article 26 de la Loi afin de déterminer si Fran-
cesco Caccamo répondait aux critères contenus
dans cet article de la Loi. En temps opportun, L.
Stuart ordonna au requérant d'assister â l'enquête
prévue pour le jeudi 21 octobre 1976.
Le requérant prétend que M. Erb, à titre de
Directeur général du Service d'information du
ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration,
relève directement du sous-ministre à Ottawa, et
qu'en alléguant publiquement, dans la presse, que
Caccamo est un membre de la Mafia—organisa-
tion effectivement vouée au renversement, selon
lui—M. Erb a créé une situation donnant nais-
sance à une crainte raisonnable de partialité de la
part de Stuart et de tout autre employé du minis-
tère dont les chances d'avancement à l'intérieur du
service dépendent de la bonne volonté de leurs
supérieurs. Par conséquent, le requérant soutient
que l'enquête doit être menée par une personne qui
n'est pas associée, ni directement ni indirectement
au ministère et, plus précisément, un juge d'une
cour de comté ou d'une cour suprême provinciale.
On s'est référé à tous les arrêts célèbres traitant
de la question de partialité. La déclaration très
connue du lord juge en chef Hewart dans l'arrêt
Rex c. Sussex Justices, Ex parte McCarthy
[1923] All E.R. 233, à la page 234, selon laquelle
[TRADUCTION] «il est tout à fait primordial, et non
simplement important, que non seulement justice
soit rendue mais que, dans l'esprit des gens, il soit
manifeste et indubitable que justice est rendue»,
fut citée. On a aussi fait mention du jugement
rendu par la Cour d'appel fédérale, dans Re le
procureur général du Canada et le Tribunal anti-
dumping 2 ; le juge Thurlow, maintenant juge en
chef adjoint, déclarait à la page 754:
... une crainte raisonnable de partialité a plus de poids qu'une
simple suspicion fantaisiste; elle exige ce qu'on a appelé «une
suspicion raisonnée» et je doute que cela diffère au fond de ce
qu'on a appelé [TRADUCTION] «une possibilité réelle de
partialité».
La Cour d'appel fédérale a alors examiné la déci-
sion de lord Denning M.R. dans Metropolitan
Properties Co. c. Lannon [1968] 3 All E.R. 304. A
la page 755, le juge Thurlow poursuit sa
déclaration:
Toutefois, qu'il y ait ou non une différence entre «une crainte
raisonnable de partialité» et «une possibilité réelle de partialité»,
c'est le critère de la crainte raisonnable de partialité qu'a
appliqué la Cour suprême dans l'arrêt Szilard c. Szasz [1955]
R.C.S. 3, et, plus récemment, dans l'arrêt Blanchette c. C.I.S.
Limited (le 3 mai 1973, arrêt non encore publié) [publié depuis,
[1973] R.C.S 833]. C'est donc le critère que l'on doit appli-
quer. Dans l'arrêt Szilard, le juge Rand présente la question de
la façon suivante (à la page 6):
[TRADUCTION] Cette jurisprudence illustre la nature et le
degré des relations d'affaires et des relations personnelles qui
peuvent faire douter de l'impartialité à tel point qu'une partie
à un arbitrage en vienne à mettre en question la composition
du tribunal. C'est la probabilité ou la suspicion raisonnée
d'une appréciation et d'un jugement partiaux, aussi involon-
taires qu'ils soient, qui fausse dès le début le processus
d'arbitrage. Toute partie doit pouvoir raisonnablement postu-
ler l'indépendance d'esprit de ceux qui vont la juger ou juger
ses affaires.
Ce jugement fut renversé par la Cour suprême,
mais pour d'autres motifs, savoir, la signature du
rapport par le président dont l'impartialité faisait
l'objet d'une contestation et ce, malgré qu'il n'ait
pas participé à l'audience.
2 [1973] C.F. 745.
Dans l'arrêt The Committee for Justice and
Liberty c. L'Office national de l'énergie' rendu le
11 mars 1976, la Cour suprême du Canada statua
que Marshall Crowe était inhabile à faire partie
du comité pour cause de crainte ou probabilité
raisonnable de partialité. Le juge en chef, rendant
le jugement majoritaire au nom de la Cour,
déclara clairement à la page 14 des motifs du
jugement:
Avant d'exposer le fondement de cette conclusion, je tiens à
réitérer ce qui a été dit à la Cour d'appel fédérale et admis sans
restriction par les appelants, savoir, qu'aucune question d'inté-
rêt personnel, pécuniaire ou relié à des droits de propriété, de
nature à donner naissance à une allégation de partialité réelle,
n'est soulevée contre M. Crowe.
Dans Re United Association of Journeymen, etc.
and Reynolds 4 on a prétendu que la partialité
découlait d'une déclaration contenue dans une
lettre émanant du secrétaire de la Commission. En
rendant jugement au nom de la Cour suprême de
l'Alberta (Division d'appel), le juge d'appel Moir
déclarait, à la page 96:
[TRADUCTION] Je passe maintenant à la lettre du secrétaire.
Cette dernière traite clairement des «prétendues» méthodes
adoptées par le syndicat ouvrier et déclare simplement que
l'affaire fera l'objet d'une audition. A mon avis, ceci n'indique
aucune partialité ou aucun préjugé de la part des membres de
la Commission des relations de travail. En effet, rien n'indique,
dans la décision de la Commission, que ses membres ont tenu
compte des faits non pertinents; bien au contraire, ils s'en sont
tenus aux questions pertinentes des avis et des équipes alternan-
tes, questions clairement évoquées devant eux et reconnues par
les parties. L'auteur de la lettre n'est pas un membre de la
Commission et n'a pas participé aux auditions.
Dans Gooliah c. La Reines, lequel traite directe-
ment de la question en litige, la Cour d'appel du
Manitoba, après un examen minutieux de la façon
dont fut menée l'enquête par l'enquêteur spécial,
décida, de façon majoritaire, qu'il y avait eu par-
tialité se traduisant dans les faits puisque l'enquê-
teur spécial avait omis d'agir avec impartialité et
discernement et avait participé au débat à un
degré qui équivalait clairement à un déni de justice
naturelle et attaquait le fondement même de sa
compétence. La Cour, cependant, n'a pas conclu à
l'inhabileté de l'enquêteur spécial de mener cette
enquête, inhabileté qui aurait pu résulter du fait
que ce dernier siégeait à titre de juge dans un
différend où l'une des parties était le ministère
3 (1976) 9 N.R. 115.
° (1977) 69 D.L.R. (3') 74.
5 (1967) 59 W.W.R. 705 (C.A., Man.).
dont il était l'un des fonctionnaires. L'article 11(1)
de la Loi sur l'immigration le protège effective-
ment de toute accusation à cet effet. Aux pages
707-708, le juge d'appel Freedman déclarait:
[TRADUCTION] M. Brooks est un fonctionnaire des services de
l'immigration à Winnipeg. Par conséquent, il est un fonction-
naire du ministère qui est partie défenderesse au présent litige.
Dans un litige entre deux parties, il est d'ordinaire inacceptable
que l'une de celles-ci assume le rôle de juge; toutefois, dans le
présent cas, c'est précisément ce que la Loi permet. L'article
11(1) de la Loi sur l'immigration est libellé ainsi qu'il suit:
11. (1) Les fonctionnaires supérieurs de l'immigration
sont des enquêteurs spéciaux, et le Ministre peut nommer les
autres fonctionnaires à l'immigration qu'il juge nécessaires
pour agir en qualité d'enquêteurs spéciaux.
Cette sanction statutaire protège effectivement M. Brooks
contre toute accusation selon laquelle le fait d'être enquêteur
spécial le rendait inhabile pour cause de partialité résultant de
son intérêt dans l'affaire ou fondée sur ledit intérêt.
Il faut par conséquent chercher quelque chose qui aille au
delà d'un simple intérêt. Cela nous amène à la seconde espèce
de partialité, à savoir, une véritable partialité se traduisant dans
les faits. Une telle partialité peut exister indépendamment du
poste ordinairement occupé par une personne. Voilà, allègue-
t-on, ce qui s'est produit dans le présent cas. On fait valoir
qu'en raison des fonctions qu'il occupait à titre de fonctionnaire
des services de l'immigration à Winnipeg, M. Brooks a vu
l'affaire sous un certain angle, favorable au Ministère et défa-
vorable à M. Gooliah, et que ce point de vue a eu une influence
sur la décision qu'il a rendue dans l'affaire, influence qui s'est
manifestée sous la forme d'idées préconçues, de préjugés et de
partialité.
Un soin tout particulier doit être apporté pour définir la
nature précise d'une prétendue violation de ses devoirs imputée
à M. Brooks. Qu'il ait été au courant de l'affaire Gooliah avant
d'assumer son rôle quasi judiciaire d'enquêteur spécial, c'est là
chose possible. Le cas échéant, cela ne le rendrait pas inhabile,
car les dispositions de la Loi relatives à cette question permet-
tent expressément la nomination par le Ministre d'un tel fonc-
tionnaire à l'immigration pour agir en qualité d'enquêteur
spécial. Le simple fait d'avoir une opinion provisoire sur la
question au moment de commencer l'enquête ne suffirait pas
non plus à rendre M. Brooks inhabile. Après avoir lu les
conclusions présentées dans une affaire et les documents qui s'y
rattachent, bien des juges se trouvent précisément dans cette
situation. Ils se rendent toutefois bien compte que pour satis-
faire aux exigences de leur tâche ils doivent s'en tenir aux
devoirs que leur imposent leurs fonctions judiciaires et qu'ils ne
doivent pas céder à leurs préjugés ni devenir captifs de leurs
impressions préliminaires non corroborées. C'est précisément
une telle conduite que l'on reproche à l'enquêteur spécial, rien
de plus. On soutient qu'il en était déjà arrivé à une opinion
avant l'enquête, qu'il s'est comporté non comme un juge mais
comme un avocat de la poursuite et que sa façon de mener
l'enquête tout au long de celle-ci imprime à cette dernière un
caractère marqué de partialité.
Le savant juge déclare encore à la page 709:
[TRADUCTION] Avant d'examiner les faits en l'espèce, je
ferai encore une remarque. La prétendue partialité ou mauvaise
conduite doit émaner de l'enquêteur spécial. L'avocat de la
Couronne a fait valoir la nécessité de faire une distinction entre
la conduite d'un membre quelconque du ministère de l'Immi-
gration et celle de l'enquêteur spécial lui-même. Ce point est
valable, puisque le dossier laisse présumer, de la part d'un tel
autre membre—ou membres—une partialité. La partialité de
ce dernier—ou de ces derniers—n'aurait pas pour effet
d'anéantir la compétence de l'enquêteur spécial, à moins que
cette partialité ne le touche personnellement et, partant, n'in-
fluence incorrectement sa décision. Lors de l'examen portant
sur la conduite de l'enquêteur spécial, il faudra déterminer si ce
dernier a agi en qualité de fonctionnaire exerçant un rôle
judiciaire ou quasi judiciaire (ce qu'il était) ou en qualité de
partisan (ce qui, en droit, n'est pas autorisé). Il avait le droit de
faire partie du jeu—mais en qualité d'arbitre et non, dans les
termes du juge Tritschler, juge en chef, Banc de la Reine, en
qualité de membre de l'équipe adverse.
Dans Re Winnipeg Free Press Ltd. and Newspa
pers Guild (1974) 44 D.L.R. (3e) 274, le ministre
du Travail avait publiquement exprimé sa joie
quant à la demande d'accréditation du syndicat et
son espoir de voir l'affaire se régler aussi rapide-
ment que possible; le premier ministre avait aussi
exprimé une opinion quelque peu semblable. On
prétendit alors que la Commission avait été
influencée par ces déclarations et par conséquent,
avait fait preuve de partialité. Refusant de s'ap-
puyer sur cette affirmation pour émettre un bref
de certiorari visant à faire annuler l'accréditation
du syndicat et de son agent négociateur, le juge
Wilson, rendant jugement au nom de la Cour
d'appel du Manitoba, déclara, à la page 280:
[TRADUCTION] Qu'ils soient délibérés ou inconsidérés, les
propos formulés par d'autres personnes sur la façon dont sont
menées les affaires en cours devant un tribunal sont, pour dire
le mieux, peu utiles. On peut évidemment dire la même chose
des propos formulés par des personnes que l'on suppose raison-
nablement être conscientes des aspects délicats d'une situation
et qui, néanmoins, continuent de les exprimer jusqu'à ce qu'ils
deviennent, pour certains, incendiaires.
Cependant—et cette homélie mise à part—le commentaire
spontané du premier ministre, prononcé dans les circonstances
décrites, ne peut facilement se traduire par une forme d'ingé-
rence dans le travail de la Commission.
A l'exception de son président, cet organisme—la Commis-
sion—n'est pas un jury composé de fonctionnaires dont les
chances individuelles d'avancement pourraient, comme on
serait porté à le penser, reposer jusqu'à un certain point, sur la
reconnaissance de leurs mérites par le ministre qui provoque ou
ratifie leur promotion.
Le requérant prétend que cette situation diffère
sensiblement du cas en l'espèce où les enquêteurs
spéciaux sont des fonctionnaires dont les chances
individuelles d'avancement dépendent, jusqu'à un
certain point, de la reconnaissance, par le ministre,
de leurs mérites. Cependant, le point de vue selon
lequel une enquête juste ne pourrait pas être tenue
à cause de la réticence de M. Stuart et de tout
autre enquêteur spécial à contester les opinions
exprimées par un agent d'information de leur
ministère, à qui ils ne rendent pas compte et qui
n'a aucun pouvoir de surveillance sur eux, m'appa-
raît être un point de vue très peu flatteur à l'égard
de M. Stuart et de tout autre enquêteur spécial.
Cette crainte ne semble actuellement pas fondée et
le requérant devrait au moins attendre le rapport
de l'enquêteur spécial et la transcription des notes
prises à l'enquête de façon à pouvoir vérifier,
comme dans l'affaire Gooliah, si l'enquêteur a
effectivement mené l'enquête de façon juste et
impartiale. Certes, la transcription des propos for-
mulés par M. Stuart au début de l'enquête tenue
devant lui semble l'indiquer; il a, lui aussi, exprimé
ses inquiétudes quant aux commentaires malheu-
reux de M. Erb tenus avant le début de l'enquê-
te—si, de fait, les propos de ce dernier furent
correctement rapportés. A ce stade-ci des procédu-
res, rien n'indique que l'issue de l'enquête sera
défavorable au requérant; si tel est le cas, et si le
requérant croit qu'au cours de l'enquête, il fut
victime d'un déni de justice naturelle, il a alors un
recours, par voie d'examen, devant la Cour d'appel
fédérale en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale.
La Cour d'appel fédérale traita d'une affaire
quelque peu analogue dans l'arrêt MacDonald c.
La Commission de la Fonction publique 6 . Dans
cette affaire, la Commission de la Fonction publi-
que nomma un de ses fonctionnaires à titre de
membre unique du comité d'appel et on a allégué
que cette mesure dénotait une partialité et était
contraire aux principes de justice naturelle, faisant
d'une personne juge et partie dans sa propre cause.
Après examen des dispositions de la Loi sur l'em-
ploi dans la Fonction publique, le juge en chef
Jackett, rendant le jugement au nom de la Cour, le
16 octobre 1973, déclara qu'en cas d'appel d'une
nomination actuelle ou projetée, la Commission,
afin de pouvoir remplir ses fonctions, a établi un
organisme dans lequel des agents d'appel condui-
6 [1973] C.F. 1081.
sent des enquêtes. Il déclare à la page 1085 de son
jugement:
C'est à mon avis ce qu'envisage la loi et je ne vois aucune
contradiction dans le fait que les fonctionnaires chargés de la
sélection et des nominations et ceux qui sont chargés des appels
relèvent tous de l'autorité de la Commission de la Fonction
publique.
et il poursuit à la page 1086:
En vertu de l'article 21, l'objet de l'enquête devant être effec-
tuée par le comité d'appel n'est pas un litige entre l'appelant et
la Commission. Ce n'est pas non plus un litige dans lequel la
Commission aurait un point de vue ou une décision à défendre à
l'encontre des vues de l'appelant.
Revenons aux faits en l'espèce. On doit signaler
que le requérant, M. Caccamo, fut déclaré coupa-
ble de possession de monnaie contrefaite et cette
déclaration de culpabilité fut confirmée par la
Cour d'appel de l'Ontario dans un jugement daté
du 26 janvier 1973, La Reine c. Caccamo et
Caccamo 7 ; la Cour d'appel a également confirmé
la déclaration de culpabilité relative à la possession
d'une arme dans un dessein dangereux pour la paix
publique. Rendant jugement au nom de la Cour
d'appel, le juge en chef Gale, traitant de la pièce n°
5 qui était considérée comme l'un des rares docu
ments ou codes de la Mafia, déclara, à la page
254:
[TRADUCTION] La Cour admet la recevabilité de la pièce n°
5 à titre de pièce à conviction, mais une question difficile se
pose. Est-ce que la simple possession de la pièce n° 5 par
l'accusé masculin le relie à tel point à l'organisation décrite
dans cette pièce, que l'on puisse conclure qu'il avait le revolver
en sa possession dans un dessein dangereux pour la paix
publique?
Mon collègue McGillivray et moi-même sommes d'avis que
la présence de ce document, ainsi que du revolver, dans cette
maison, ne résultait pas d'une coïncidence au point de nous
permettre de dissocier complètement les deux. Il s'agit d'un
document vraiment rare. En fait, le témoin expert de la Cou-
ronne, le docteur Sabatino, a déclaré qu'il en existe seulement
quatre autres au monde. C'est un document révélant des enten
tes secrètes entre personnes membres d'une organisation crimi-
nelle. Il est rédigé en italien. Il a été trouvé dans la maison d'un
Italien. L'appelante n'a donné d'explication ni sur le document
lui-même ni sur le fait que l'intimé l'ait eu en sa possession.
Lorsqu'on découvre que, des quatre documents semblables
encore en existence, deux ont déjà été entre les mains de
personnes réputées membres de la Mafia, alors nous devons
conclure que le fait d'avoir trouvé ce document dans la maison
de cet homme n'était pas une pure coïncidence. Le fait qu'un
prévenu semble être associé à une activité criminelle ou être
membre d'une organisation prête à recourir à la violence consti-
tue, à notre avis, un fait pertinent à l'accusation en l'espèce, et
le fait d'avoir trouvé un document du genre de la pièce n° 5
constitue, à première vue, une preuve suffisante contre lui.
7 (1973) 11 C.C.C. (2e) 249.
Le requérant interjeta un pourvoi devant la
Cour suprême du Canada sur la question de la
possession d'une arme dans un dessein dangereux.
La décision majoritaire, rendue par le juge
de Grandpré, énonçait 8 aux pages 807-808:
La possession de la pièce n° 5 par l'appelant ayant été établie,
il reste à voir si, dans les circonstances, la simple possession
d'un tel document permettait légalement au magistrat, en
l'absence de toute autre preuve reliant l'appelant à une organi
sation criminelle, de déduire que ce dernier était membre d'une
telle organisation et que, par conséquent, il était en possession
de l'arme dans un dessein dangereux pour la paix publique. A
mon avis, la majorité de la Cour d'appel a donné une réponse
complète à cette allégation et je me rallie aux motifs exprimés
par le juge en chef Gale à cet égard.
On a fait référence à ces deux jugements au cours
de l'entrevue—peu judicieuse—de M. Erb avec le
journaliste de The Globe and Mail; il est clair que,
même sans les commentaires personnels de M.
Erb, M. Stuart ou tout autre enquêteur spécial
assumant la tenue de l'enquête, aurait été égale-
ment saisi des opinions des savants juges auxquel-
les font référence ces décisions.
Le requérant prétend qu'il reste à établir le fait
qu'il est un membre de la Mafia et, en second lieu,
que la Mafia est une organisation qui préconise le
renversement, par la force ou autrement, des insti
tutions ou méthodes démocratiques telles qu'elles
s'entendent au Canada, au sens de l'article 18(1)a)
de la Loi sur l'immigration, et que le jugement
prématuré de M. Erb sur ces questions portera
préjudice à la demande du requérant, lorsque ce
dernier soumettra lesdites questions à l'enquêteur
spécial. Si M. Erb était lui-même un enquêteur
spécial ou un membre d'un tribunal ou d'une
commission constituée en vue de résoudre cette
question, je n'aurais aucune hésitation à faire pré-
valoir cet argument; mais je ne peux accepter la
proposition selon laquelle en raison de cette opi
nion malheureuse, M. Stuart et tout autre enquê-
teur spécial ou toutes personnes directement ou
indirectement associées au ministère de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration, auraient des préjugés
tels qu'elles ne pourraient mener une enquête juste
et impartiale conformément aux principes de jus
tice naturelle et ne pourraient rendre une décision
juste concernant l'expulsion d'une personne en se
fondant sur la preuve qui leur a été présentée au
cours d'une telle enquête. Par conséquent, il n'y a
8 [1976] 1 R.C.S. 786.
pas, à mon avis, de crainte raisonnable de partia-
lité. Si l'on poursuit l'argument du requérant, il
serait logique de conclure qu'un enquêteur spécial
ne pourrait jamais tenir d'enquête, aux termes de
l'article 18 de la Loi, puisque, dans tous les cas, il
agit conformément à un ordre ou à une directive
émanant du Ministre en vertu de l'article 25 qui
comporte la conclusion qu'une enquête est justi-
fiée, ce qui constitue donc une expression d'opinion
suivant laquelle la personne que l'on cherche à
expulser tombe sous le coup de l'un des paragra-
phes de l'article 18.
Enfin on doit souligner que l'article 10(1)c), sur
lequel se fonde le requérant et qui prévoit que,
lorsque surviennent des circonstances qui, de l'avis
du Ministre, rendent la chose nécessaire pour l'ap-
plication régulière de la Loi, le Ministre peut
reconnaître comme fonctionnaires à l'immigration
les personnes ou catégories de personnes, est une
disposition purement administrative et la présente
cour n'a certainement pas le pouvoir d'émettre une
directive ou une recommandation au Ministre
visant la nomination d'un juge d'une cour de comté
ou d'une cour suprême provinciale à titre d'enquê-
teur spécial dans la présente affaire; cette question
fait l'objet d'une décision que seul le Ministre peut
prendre.
Pour ces motifs, la demande visant à obtenir un
bref de prohibition interdisant à l'enquêteur spé-
cial de poursuivre son enquête est rejetée avec
dépens.
ORDONNANCE
La demande visant à obtenir un bref de prohibi
tion est rejetée avec dépens.
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