T-4761-76
Télévision St-François Inc. (CKSH-TV) et Télé-
vision St-Maurice Inc. (CKTM-TV) (Requéran-
tes)
c.
Le Conseil canadien des relations du travail et
l'Association des employés et techniciens en
radiodiffusion (NABET) (Intimés)
Division de première instance, le juge Dubé—
Montréal, le 17 janvier; Ottawa, le 21 janvier
1977.
Compétence — Requête pour l'émission d'un bref de prohi
bition — Pouvoirs du Conseil canadien des relations du travail
relativement aux procédures prévues à la Partie V du Code
canadien du travail — Application de l'art. 122 du Code —
Code canadien du travail, Partie V, S.C. 1972, c. 18, art. 117,
118, 119, 122 et 133 — Règlement du Conseil canadien des
relations du travail, DORS/73-205, art. 3, 26, 32. 33 — Loi
sur la Cour fédéràle, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 18b),
28.
Les requérantes sollicitent un bref de prohibition interdisant
au Conseil intimé de faire quoi que ce soit en rapport avec son
dossier portant le n° 560-15 concernant leur demande en révi-
sion, présentée en vertu de l'article 119 du Code canadien du
travail, par laquelle elles demandaient que soit décrété que la
deuxième intimée était accréditée comme agent négociateur de
tous leurs employés. Une décision verbale rejetant leur
demande de révision fut suivie d'une lettre de convocation
indiquant que le Conseil avait décidé d'examiner séparément la
situation de la requérante par rapport à l'article 133 du Code et
qu'un nouveau dossier contenant des copies des documents au
dossier 530-139 ayant trait à l'ordonnance prévue à l'article
133 serait ouvert. Les requérantes allèguent que le Conseil n'a
aucune compétence pour convoquer des auditions et ne peut
changer une demande présentée conformément à l'article 119
du Code en une audition prévue à l'article 133.
Arrêt: la demande est rejetée. L'activité du Conseil étant
dans les limites de sa compétence aux termes des pouvoirs
conférés par le Code, aucun redressement n'est prévu à l'article
18b) de la Loi sur la Cour fédérale et la clause privative
contenue à l'article 122(2) du Code interdit à la Cour de
restreindre cette activité.
Arrêt appliqué: B.C. Packers Ltd. c. Le Conseil canadien des
relations du travail [19731 C.F. 1194. Distinction faite avec
l'arrêt: B.C. Packers Ltd. c. Le Conseil canadien des rela
tions du travail [1974] 2 C.F. 913.
DEMANDE d'un bref de prohibition.
AVOCATS:
T. Goloff pour les requérantes.
M. Robert pour l'intimé le Conseil canadien
des relations du travail.
R. Cleary pour l'intimée l'Association des
employés et techniciens en radiodiffusion.
PROCUREURS:
Massicotte, Sullivan, Lagacé & Goloff,
Montréal, pour les requérantes.
Robert, Dansereau, Barré, Marchessault &
Thibeault, Montréal, pour l'intimé le Conseil
canadien des relations du travail.
Trudel, Nadeau, Létourneau, Lesage &
Cleary, Montréal, pour l'intimée l'Association
des employés et techniciens en radiodiffusion.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE DUBÉ: Il s'agit ici d'une requête pour
l'émission d'un bref de prohibition interdisant à
l'intimé, le Conseil canadien des relations du tra
vail (ci-après le Conseil) de tenir toute audition ou
de faire quoi que ce soit en rapport avec son
dossier portant le numéro 560-15 concernant les
requérantes.
L'affidavit à l'appui de la requête déclare que le
15 octobre, 1975, la requérante Télévision
St-François Inc. (CKSH-TV) faisait parvenir au
Conseil une requête en révision en vertu de l'article
119 du Code canadien du travail par laquelle elle
demandait au Conseil de réviser son ordonnance
du 22 août, 1975, et de décréter que l'intimée,
l'Association des employés et techniciens en radio-
diffusion (NABET) soit accréditée comme agent
négociateur d'une unité comprenant tous les
employés de CKSH-TV, à l'exclusion de certaines
personnes. Le 25 juin, 1976, le Conseil rendait
séance tenante une décision verbale par laquelle il
rejetait ladite requête d'exclusion et confirmait
l'ordonnance du 22 août précitée.
Le 25 octobre, 1976, le Conseil faisait parvenir
aux requérantes une lettre de convocation dont
voici le premier paragraphe:
Veuillez prendre note que le Conseil, de sa propre initiative, a
décidé de traiter de la question d'une déclaration en vertu de
l'article 133 du Code canadien du travail (Partie V—Relations
industrielles) séparément de la requête en révision portant le
numéro 530-139 et touchant les parties ci-haut mentionnées. Il
a ordonné, par conséquent, qu'un dossier particulier à 'cette
cause soit créé et que des copies des docùnients au dossier
530-139, ayant trait à la question de l'application de l'article
133, y soient classées. [J'ai moi-même souligné.]
Les requérantes allèguent que le Conseil n'a
aucune juridiction pour convoquer les auditions et
n'est saisi légalement de quoi que ce soit relative-
ment aux requérantes, attendu que ledit Conseil ne
peut, à l'occasion d'une requête selon l'article 119
du Code (la requête d'exclusion), faire dévier l'en-
quête vers une ordonnance en vertu de l'article 133
(constituant un employeur unique). Les deux arti
cles du Code se lisent comme suit:
119. Le Conseil peut reviser, annuler ou modifier toute
décision ou ordonnance rendue par lui et peut entendre à
nouveau toute demande avant de rendre une ordonnance rela
tive à cette dernière.
133. Lorsque le Conseil est d'avis que des entreprises fédéra-
les associées ou connexes sont exploitées par deux employeurs
ou plus qui assument en commun le contrôle ou la direction, il
peut, après avoir donné aux employeurs la possibilité raisonna-
ble de présenter des observations, déclarer, par ordonnance,
qu'à toutes fins de la présente Partie ces employeurs ainsi que
les entreprises exploitées par eux que l'ordonnance spécifie,
constituent respectivement un employeur unique et une entre-
prise fédérale unique.
Avant de considérer les mérites de cette requête
il importe de déterminer si la Division de première
instance a juridiction en cette matière, face à
l'interdiction du paragraphe 122(2) du Code:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente
Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et
ne peut être mise en question devant un tribunal ni revisée par
un tribunal, si ce n'est conformément à l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale.
(2) Sous réserve du paragraphe (1), aucune ordonnance ne
peut être rendue, aucun bref ne peut être décerné ni aucune
procédure ne peut être engagée, par ou devant un tribunal, soit
sous forme d'injonction, certiorari, prohibition ou quo war-
ranto, soit autrement, pour mettre en question, reviser, inter-
dire ou restreindre une activité exercée en vertu de la présente
Partie par le Conseil.
Il est donc incontestable que si les requérantes
s'attaquaient à une «ordonnance» ou à une «déci-
sion» du Conseil, la Division de première instance
n'aurait pas juridiction. Les requérantes, cepen-
dant, ne s'en prennent pas à une décision, ou à une
ordonnance, mais demandent au tribunal d'inter-
dire une activité du Conseil, alors que le paragra-
phe 122(2) interdit tout tribunal d'émettre un bref
de prohibition contre une activité du Conseil exer-
cée en vertu de la Partie V du Code, intitulée
RELATIONS INDUSTRIELLES. Il s'agit donc
de déterminer en l'espèce si l'activité du Conseil
était en vertu de ses pouvoirs. Dans l'affirmative,
bien sûr, le tribunal ne peut intervenir.
Dans B.C. Packers c. Le Conseil canadien des
relations du travail', la Cour d'appel s'est référée
à l'article 122 du Code dans les termes suivants à
la page 1198:
Si l'article 122(2) interdit les autres recours permettant de
contester l'exercice par le Conseil de sa compétence c'est parce
que le Parlement a voulu manifestement empêcher que de telles
procédures mettent en question ou gênent l'exercice quotidien
de ses pouvoirs par le Conseil; les décisions rendues par le
Conseil, qui touchent les droits des parties en cause, sont
susceptibles d'examen en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale. Nous ne nous prononçons pas sur la question de
savoir si l'article 122(2) peut permettre d'empêcher des procé-
dures au cas où le Conseil prétend exercer une compétence qui
ne lui a pas été conférée.
Mon collègue le juge Addy s'est prononcé sur le
sujet dans B.C. Packers c. Le Conseil canadien des
relations du travail 2 à la page 921:
A mon avis, il n'y a rien d'extraordinaire dans cette clause
restrictive du Code canadien du travail.
Les plus hautes instances de common law ont rendu par le
passé nombre de décisions portant que les tribunaux d'instance
supérieure qui ont le pouvoir d'émettre des brefs de prohibition
et qui doivent exercer une surveillance sur les tribunaux d'ins-
tance inférieure, ont non seulement la compétence, mais le
devoir d'exercer ces pouvoirs nonobstant les clauses restrictives
de cette nature si la demande est fondée sur l'absence complète
de compétence du tribunal d'instance inférieure pour examiner
l'affaire qui lui a été soumise. Ces décisions se fondent très
logiquement sur le raisonnement suivant: lorsque le Parlement
a établi un tribunal ayant compétence sur certaines questions, il
est tout à fait illogique de penser que, par la simple insertion
d'une clause restrictive dans la loi constitutive délimitant sa
compétence, le législateur se proposait aussi d'autoriser le
tribunal à traiter certaines questions qu'il n'avait pas jugé
approprié de lui confier, ou à exercer sa compétence sur des
personnes qui ne sont pas visées par ladite loi du Parlement ou
à tenir une audience illégale et illicite.
Le juge Addy ordonna l'émission d'un bref de
prohibition contre le Conseil décidant également
que le Conseil est un «office, une commission ou un
autre tribunal fédéral», contre lequel un redresse-
ment peut être accordé en vertu de l'article 18b)
de la Loi sur la Cour fédérale. L'incompétence du
Conseil reposait sur le fait que le contrat de travail
des pêcheurs relevait des pouvoirs de la province.
Un appel contre cette décision a été rejeté par la
Cour d'appel.'
' [1973] C.F. 1194.
2 [1974] 2 C.F. 913.
3 [1976] 1 C.F. 375.
La question précise qui se pose en l'espèce est de
savoir si le Conseil a le pouvoir proprio motu,
comme l'exprime sa lettre précitée, «de sa propre
initiative, décider de traiter de la question d'une
déclaration en vertu de l'article 133 du Code»,
alors qu'il est saisi d'une demande d'exclusion sous
l'emprise de l'article 119.
Les pouvoirs et les fonctions du Conseil sont
définis aux articles 117 et 118 du Code. En vertu
de l'article 117, le Conseil a le pouvoir d'établir
des règlements d'application générale concernant
inter alia:
117. Le Conseil peut établir des règlements d'application
générale concernant
a) l'établissement de règles de procédure pour ses auditions;
f) l'audition ou le règlement de toute demande, plainte,
question ou de tout différend ou conflit qui peuvent être
présentés au Conseil ou portés devant lui;
o) toute autre chose qui peut être nécessaire ou accessoire à
la bonne exécution des fonctions conférées au Conseil par la
présente Partie.
Les Règlements du Conseil canadien des rela
tions du travail (DORS/73-205, 10 avril, 1973)
prescrivent inter alia:
3. Toute procédure devant le Conseil doit commencer par la
présentation au Conseil d'une demande par écrit.
26. Aucune procédure engagée devant le Conseil n'est annu-
lée par un seul vice de forme ou de procédure.
32. Une demande présentée au Conseil, en vertu de l'article
119 du Code, en vue de faire réviser, annuler ou modifier une
ordonnance ou une décision doit être datée et renfermer les
renseignements ci-après:
33. Lorsque des entreprises, affaires ou ouvrages de compé-
tence fédérale, associés ou connexes, sont exploités par deux
employeurs ou plus qui en assument en commun le contrôle ou
la direction et que la question se pose de savoir s'il y aurait lieu
ou non de les déclarer, à toutes les fins du Code, employeur
unique et entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale
unique, toute demande présentée en vertu de l'article 133 du
Code doit être datée et renfermer les renseignements ci-après:
En vertu de l'article 118 du Code, le Conseil a,
relativement à toute procédure engagée devant lui,
pouvoir
a) de convoquer des témoins, d'en assurer la comparution, de
les obliger à témoigner sous serment, oralement ou par écrit,
et à produire les documents et pièces qu'il estime nécessaires
à une investigation et étude complète de toute question
relevant de sa compétence dont il est saisi en l'espèce;
p) de trancher à toutes fins afférentes à la présente Partie
toute question qui peut se poser, à l'occasion de la procédure,
notamment, et sans restreindre la portée générale de ce qui
précède, la question de savoir
(i) si une personne est un employeur ou un employé,
(ii) si une personne participe à la direction ou exerce des
fonctions confidentielles ayant trait aux relations
industrielles,
(iii) si une personne est membre d'un syndicat,
(iv) si une organisation ou une association est une associa
tion patronale, un syndicat ou un conseil de syndicats,
(y) si un groupe d'employés est une unité habile à négocier
collectivement,
(vi) -si une convention collective a été conclue,
(vii) si quelque personne ou association est partie à une
convention collective ou est liée par cette dernière, et
(viii) si une convention collective est en application.
De plus, en vertu de l'article 119 le Conseil peut
réviser, annuler ou modifier toute décision ou
ordonnance rendue par lui. L'article 121 permet
au Conseil d'exercer les pouvoirs et fonctions que
lui attribue la présente Partie ou qui peuvent être
nécessaires à la réalisation de ses objets.
Il faut souligner que l'article 119 du Code pré-
voit que le Conseil peut entendre à nouveau toute
demande et que l'article 32 des Règlements établit
la procédure de demande. L'article 33 des Règle-
ments prescrit également une procédure pour une
demande en vertu de l'article 133 du Code. Par
contre cet article 133 ne limite pas le Conseil à se
saisir d'une demande, mais stipule que «lorsque le
Conseil est d'avis ... il peut ...».
Il faut donc en conclure que le Conseil peut, de
sa propre initiative, après avoir donné aux
employeurs la possibilité raisonnable de présenter
leurs observations, déclarer que ces employeurs
constituent respectivement un employeur unique.
L'activité du Conseil étant donc en vertu des pou-
voirs conférés par le Code, la clause privative
122(2) du Code interdit tout tribunal de restrein-
dre cette activité par voie de prohibition.
Si à la suite de ses enquêtes et de ses auditions le
Conseil décide que les deux requérantes consti
tuent respectivement un employeur unique aux fins
de l'article 133 du Code, et si les requérantes
désirent mettre cette décision en question, elles
doivent se conformer à l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale.
ORDONNANCE
La requête est rejetée avec frais.
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