A-407-76
Le ministre du Revenu national (Requérant)
c.
Iroquois de Caughnawaga (bande indienne de
Caughnawaga) (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Pratte et le juge suppléant Hyde—Montréal, les
16 et 17 décembre 1976; Ottawa, le 21 janvier
1977.
Examen judiciaire — Assurance-chômage — Demande
visant à faire annuler la décision du juge-arbitre selon
laquelle les cotisations patronales n'ont pas à être versées
relativement à des personnes employées par une bande
indienne, sur la réserve de cette dernière — Les cotisations
représentent-elles une taxation sur les biens au sens de l'art.
87 de la Loi sur les Indiens? — Le groupe intimé est-il un
employeur au sens de l'art. 2(1)e) de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage? — La Cour a-t-elle la compétence
d'annuler la décision du juge-arbitre? — Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, c. 48, art. 2(1)e), 66(2)
et 84 — Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, art. 87 — Loi
sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), c. 10, art. 28.
Le requérant déclare que des cotisations patronales doivent
être versées relativement à des personnes employées par une
bande indienne, sur la réserve de cette dernière. Le groupe
intimé fait valoir que ces cotisations représentent une taxation
sur les biens au sens de l'article 87 de la Loi sur les Indiens et
que, par conséquent, la bande est exemptée des dispositions
pertinentes de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et que,
de toute façon, la bande n'est pas un employeur comme le
définit l'article 2(1)e) de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage.
Arrêt: l'article 87 de la Loi sur les Indiens ne fait qu'exemp-
ter les bandes indiennes d'une taxation ou d'un impôt direct sur
les biens et les cotisations en l'espèce, bien qu'elles soient des
impôts, sont des impôts personnels. Le groupe intimé est, de
fait, un employeur au sens de l'article 2(1)e) de la Loi de 1971
sur l'assurance-chômage, et aucune preuve n'a démontré que
ce groupe ne pouvait être considéré comme tel. La décision du
juge-arbitre est renvoyée (le juge en chef Jackett étant
dissident).
Le juge en chef Jackett (dissident): Pour les motifs exprimés
dans M.R.N. c. Dame L. H. MacDonald, la Cour n'a pas la
compétence d'annuler la décision d'un juge-arbitre rendue aux
termes de l'article 84 de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage.
Arrêts appliqués: Provincial Treasurer of Alberta c. Kerr
[1933] A.C. 710 et M.R.N. c. Dame L. H. MacDonald
[1977] 2 C.F. 189.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
Claude Blanchard et W. Lefebvre .pour le
requérant.
James A. O'Reilly et William S. Grodinsky
pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
O'Reilly, Hutchins & Archambault, Mont-
réal, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une
demande présentée en vertu de l'article 28 visant à
faire annuler une décision rendue par un juge-arbi-
tre aux termes de l'article 84 de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage.
La question soumise au juge-arbitre était de
savoir si la bande indienne, à titre d'employeur,
devait verser des cotisations patronales pour des
employés travaillant dans un hôpital et dans un
dispensaire, gérés par la bande et situés sur sa
réserve. Le juge-arbitre décida que de telles cotisa-
tions n'avaient pas à être versées.
La disposition de la Loi de 1971 sur l'assu-
rance-chômage qui paraît être la «disposition d'as-
sujettissement» à l'égard de ce qu'on appelait
autrefois les contributions patronales et ouvrières
et qu'on appelle maintenant «cotisations» en vertu
de la Loi de 1971, est l'article 66(2), qui se lit
comme suit:
(2) Tout employeur doit, pour toute semaine au cours de
laquelle une personne exerce à son service un emploi assurable,
payer pour cette personne et de la manière prévue à la Partie
IV une somme égale au pourcentage de sa rémunération assu-
rable que fixe la Commission à titre de cotisation patronale
payable, selon le cas, par les employeurs ou par une catégorie
d'employeurs dont cet employeur fait partie pour l'année dans
laquelle est comprise cette semaine.
Suivant l'argument principal présenté par l'in-
timé à l'appui de la décision du juge-arbitre, les
cotisations en question représentent une «taxation»
sur les «biens» au sens de l'article 87 de la Loi sur
les Indiens', qui se lit comme suit:
87. Nonobstant toute autre loi du Parlement du Canada ou
toute loi de la législature d'une province, mais sous réserve du
paragraphe (2) et de l'article 83, les biens suivants sont exemp
tés de taxation, savoir:
' S.R.C. 1970, c. I-6.
a) l'intérêt d'un Indien ou d'une bande dans une réserve ou
des terres cédées; et
b) les biens personnels d'un Indien ou d'une bande situés sur
une réserve;
et nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant
la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien
mentionné aux alinéas a) ou b) ni autrement soumis à une
taxation quant à l'un de ces biens. Aucun droit de mutation par
décès, taxe d'héritage ou droit de succession n'est exigible à la
mort d'un Indien en ce qui concerne un bien de cette nature ou
la succession audit bien, si ce dernier est transmis à un Indien,
et il ne sera tenu compte d'aucun bien de cette nature en
déterminant le droit payable, en vertu de la Loi fédérale sur les
droits successoraux, chapitre 89 des Statuts revisés du Canada
de 1952, ou l'impôt payable en vertu de la Loi de l'impôt sur
les biens transmis par décès, sur d'autres biens transmis à un
Indien ou à l'égard de ces autres biens.
Il ne m'apparaît pas nécessaire, aux fins des
présentes, d'exprimer une opinion sur la question
de savoir si l'assujettissement d'un employeur au
coût d'un régime d'assurance-chômage, par voie de
texte législatif tel la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage, est une «taxation» au sens de l'article
87. 2 S'il s'agit d'une taxation, ce n'est pas, à mon
avis, une taxation sur un «bien» qui entre dans le
cadre de l'article 87.
Toute taxation ou impôt est, directement ou
indirectement, soit un impôt sur les biens, soit un
impôt personnel. A mon avis, cependant, l'effet de
l'article 87, aux termes duquel les «biens person-
nels d'un Indien ou d'une bande situés sur une
réserve» sont exemptés de «taxation», est d'exoné-
rer lesdits biens d'un impôt que l'on peut désigner
de façon appropriée, d'impôt direct. Les cours ont
dû élaborer une jurisprudence afin de distinguer
les cas se rapportant à un impôt sur les biens des
cas se rapportant à un impôt personnel aux fins de
l'article 92(2) de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1867; et il n'existe aucun motif pour
ne pas se référer à cette jurisprudence afin d'inter-
préter l'article 87 de la Loi sur les Indiens. A titre
d'exemple, on peut consulter, en référence à l'arti-
cle 92(2), l'arrêt Provincial Treasurer of Alberta
c. Kerr.' Lorsque l'article d'assujettissement est
clair, il doit être interprété de manière à pouvoir
2 A cet égard, il serait nécessaire d'examiner la décision du
Conseil privé dans l'arrêt Le procureur général du Canada c.
Le procureur général de l'Ontario [1937] A.C. 355, l'article
91(2A) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et l'arrêt
Re Martin Service Station et M.R.N. (1976) 67 D.L.R. (3')
294 (C.S.C.).
3 [1933] A.C. 710.
déterminer l'objet de l'imposition. On peut consul-
ter, dans le même arrêt, la décision rendue par lord
Thankerton, aux pages 720 et 721. L'article 62(1)
de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage prévoit
que l'employeur doit payer la somme prévue «pour»
un employé exerçant un emploi assurable. Comme
je l'ai déjà indiqué, cet article paraît être la dispo
sition d'assujettissement. Dans ces conditions, à
mon avis, le juge-arbitre a erré en décidant que
l'article 87 s'applique aux fins de soustraire des
Indiens ou des bandes d'Indiens au paiement des
cotisations visées à la Loi de 1971 sur
l'assurance- chômage.
A l'appui de la décision du juge-arbitre le
groupe intimé plaide subsidiairement qu'il n'est
pas un «employeur» au sens de l'article 2(1)e) de la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, qui se lit
comme suit:
e) «employeur» s'entend également d'une personne qui a été
employeur;
A mon avis, il est clair que le groupe intimé gère
effectivement les institutions en l'espèce et emploie
les personnes concernées. Aucune preuve n'a été
fournie afin de démontrer qu'il n'avait pas l'auto-
rité légale d'agir comme il l'a fait en l'espèce, et je
ne peux trouver, dans cet argument, le fondement
de la décision du juge-arbitre.
Cependant, pour les motifs que j'ai exprimés
aujourd'hui dans l'affaire M.R.N. c. Dame L. H.
MacDonald 4 (dont l'audition a eu lieu en même
temps que celle de la demande en l'espèce), je suis
d'avis que cette cour n'a pas la compétence, aux
termes de l'article 28, d'annuler une décision
rendue par un juge-arbitre en vertu de l'article 84
de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Par
conséquent, je rejetterais la demande présentée en
vertu de l'article 28 pour défaut de compétence.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: J'ai déjà déclaré dans l'af-
faire M.R.N. c. Dame L. H. MacDonald [ [ 1977]
2 C.F. 189] qu'à mon avis, la présente cour a la
compétence d'examiner et d'annuler une décision
rendue par un juge-arbitre en vertu de l'article 84
de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Sous-
a [1977] 2 C.F. 189.
crivant à la décision du juge en chef selon laquelle
la décision du juge-arbitre en l'espèce est erronée,
je suis d'avis d'accueillir la demande présentée en
vertu de l'article 28, d'annuler la décision contes-
tée et de renvoyer l'affaire au juge-arbitre afin
qu'il rende une décision qui tienne compte des
propositions suivantes:
a) le groupe intimé est un «employeur» au sens
de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, et
b) l'obligation d'un employeur de verser des
cotisations en vertu de la Loi de 1971 sur l'as-
surance-chômage ne constitue pas un impôt sur
les biens au sens de l'article 87 de la Loi sur les
Indiens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Pour les motifs
prononcés par le juge Pratte, je suis d'avis de
trancher cette demande de la manière proposée par
ce dernier.
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