A-634-76
CKOY Limited (Requérante)
c.
La Guilde des Journalistes d'Ottawa, section
locale 205 de la Guilde des Journalistes, C.T.C.,
F.A.T.-C.O.I. (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
Urie et Ryan—Ottawa, le 21 janvier et le 16
février 1977.
Examen judiciaire — Relations de travail — Demande
d'annulation de l'accréditation accordée par le Conseil cana-
dien des relations du travail — Le Conseil a-t-il commis une
erreur de droit en rendant sa décision? — L'employeur est-il
en droit de contester l'accréditation pour le motif allégué? —
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, et ses modifica
tions, art. 124, 126c) et 127 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2° Supp.), c. 10, art. 28.
La requérante prétend que le Conseil canadien des relations
du travail a mal interprété l'article 126c) du Code canadien du
travail en décidant que c'est à la date de la présentation de la
demande d'accréditation que le Conseil doit apprécier si la
majorité des employés de l'unité de négociation veulent que le
syndicat les représente à titre d'agent négociateur.
Arrêt: le Conseil a commis une erreur de droit et donc,
l'ordonnance d'accréditation est annulée et l'affaire est ren-
voyée devant le Conseil pour qu'il en décide conformément à
l'alinéa 126c) du Code canadien du travail; en vertu de cet
article, c'est au moment où il rend sa décision que le Conseil
doit vérifier si la majorité des employés de l'unité veulent que le
syndicat les représente à titre d'agent négociateur.
L'employeur a le droit de contester l'ordonnance d'accrédita-
tion pour le motif allégué en l'espèce; il a un intérêt légitime, en
tant que partie directement concernée, à savoir si l'ordonnance
a été rendue conformément à la Loi.
Arrêt critiqué: Teamsters Local 979 c. Swan River- The
Pas Transfer Ltd. (1974), Décisions-Information, (di 4)
vol. 1, no 4, août 1974, p. 10. Arrêt appliqué: Moffat
Broadcasting Ltd. c. Le procureur général du Canada
[1973] C.F. 516. Distinction faite avec l'arrêt: Re Conseil
canadien des relations du travail c. Transair Ltd. et
application de cet arrêt (1976) 67 D.L.R. (3°) 421.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
C. McKinnon pour la requérante.
J. Payne pour l'intimée.
L. M. Huart pour l'intervenant le Conseil
canadien des relations du travail.
PROCUREURS:
Green, Poulin, McKinnon & Hebert, Ottawa,
pour la requérante.
Nelligan, Power, Ottawa, pour l'intimée.
L. M. Huart, Ottawa, pour l'intervenant le
Conseil canadien des relations du travail.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: Il s'agit d'une demande présen-
tée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale' pour obtenir l'examen et l'annulation
d'une décision du Conseil canadien des relations
du travail, rendue en date du 8 septembre 1976,
qui accrédite la Guilde des journalistes d'Ottawa,
section locale 205 de la Guilde des journalistes,
C.T.C., F.A.T.-C.O.I., à titre d'agent négociateur
pour une unité de travail définie dans l'ordonnance
et qui comprend certains employés de l'employeur
CKOY Limited. Voici le libellé de l'ordonnance
d'accréditation:
CONSEIL
CANADIEN DES
RELATIONS DU
TRAVAIL Dossier du Conseil: 555 - 571
CONCERNANT LE
Code canadien du travail
' Les paragraphes 28(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale
prescrivent ce qui suit:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute
autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et
juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision
ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de
nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office,
une commission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion
de procédures devant un office, une commission ou un autre
tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le
tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une
erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du
dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu
sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou
sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
(2) Une demande de ce genre peut être faite par le
procureur général du Canada ou toute partie. directement
affectée par la décision ou l'ordonnanée, par dépôt à la Cour
d'un avis de la demande, dans les dix jours qui suivent la
première communication de cette décision ou ordonnance au
bureau du sous-procureur général du Canada ou à cette
partie par l'office, la commission ou autre tribunal, ou dans
le délai supplémentaire que la Cour d'appel ou un de ses
juges peut, soit avant soit après l'expiration de ces dix jours,
fixer ou accorder.
— et—
Ottawa Newspaper Guild,
Local 205 of the Newspaper Guild,
C.L.C., A.F.L.-C.I.O.,
requérante,
— et—
CKOY LTD.,
Ottawa, Ontario,
employeur.
ATTENDU Qu'une requête en accréditation comme agent
négociateur à l'égard d'une unité d'employés de CKOY Ltd. a
été reçue de la requérante par le Conseil canadien des relations
du travail, en vertu de l'article 124 du Code canadien du travail
(Partie V—Relations industrielles);
ET ATTENDU QUE, après enquête sur la requête et étude des
représentations des parties en cause, le Conseil a constaté que
la requérante est un syndicat ouvrier au sens où l'entend ledit
Code et a déterminé que l'unité décrite ci-après est habile à
négocier collectivement et est convaincu que la majorité des
employés dudit employeur, faisant partie de l'unité en question,
veulent que le syndicat requérant les représente à titre d'agent
négociateur;
EN CONSÉQUENCE, le Conseil canadien des relations du
travail ordonne par les présentes que Ottawa Newspaper Guild,
Local 205 of the Newspaper Guild, C.L.C., A.F.L.-C.I.O., soit
accréditée, et l'accrédite par les présentes, agent négociateur
d'une unité comprenant:
«Tous les employés de CKOY Ltd., à l'exception de l'ad-
ministrateur délégué, du secrétaire exécutif, du contrôleur,
de l'ingénieur en chef, du directeur des nouvelles, du
directeur des sports, du directeur des émissions AM, du
directeur des émissions FM et du directeur des ventes.»
DONNE à Ottawa, ce 8e jour de septembre 1976, par le
Conseil canadien des relations du travail.
La Vice-présidente
Hélène LeBel
La demande d'accréditation à titre d'agent
négociateur présentée par le syndicat date du 11
mai 1976. L'unité de négociation que le syndicat
jugeait habile à négocier collectivement et pour
laquelle il demandait l'accréditation comprenait:
«Tous les employés de CKOY Ltd., à l'exception
de l'administrateur délégué, du directeur des
ventes, du secrétaire exécutif, du directeur des
émissions A.M., du directeur des émissions F.M.,
de l'ingénieur en chef, du directeur des sports, du
directeur des nouvelles et du contrôleur.» La
demande indiquait que le nombre approximatif
d'employés dans l'unité de négociation proposée
était de 45.
Le Conseil a informé l'employeur et le syndicat
qu'il avait nommé un conseiller en relations de
travail chargé d'étudier la demande. L'avis écrit
indiquait qu'en vertu du Code canadien du travail
l'employeur et le syndicat doivent fournir à l'en-
quêteur tous les renseignements nécessaires au
cours de l'enquête.
En date du 21 mai 1976, l'employeur a soumis
une réponse à la demande. Il y expose que l'unité
de négociation pour laquelle le syndicat sollicite
l'accréditation est inhabile pour plusieurs raisons
précises, et qu'en alléguant l'habilité de l'unité de
négociation le syndicat en a surévalué le nombre
d'employés. L'employeur déclare aussi ignorer si
les employés de l'unité proposée sont membres en
règle du syndicat et indique enfin qu'il désire être
entendu afin de soumettre des preuves et de pré-
senter d'autres observations.
En date du 29 juillet 1976, la vice-présidente du
Conseil, Hélène LeBel, a envoyé aux avocats du
syndicat et de l'employeur une lettre dont voici en
partie le contenu:
[TRADUCTION] L'employeur allègue de plus que l'unité de
négociation proposée est inhabile à négocier collectivement.
En outre, un certain nombre d'employés de CKOY Limited
ont écrit au Conseil pour s'opposer à la demande d'accrédita-
tion. C'est le cas, notamment, de M. William Inglis, qui estime
ne pas devoir être inclus dans l'unité de négociation puisqu'en
qualité de directeur adjoint des émissions F.M. il occupe des
fonctions de direction.
L'enquête du Conseil révèle que la requérante désire repré-
senter tous les employés, à l'exception de l'administrateur
délégué, du secrétaire exécutif, du contrôleur, de l'ingénieur en
chef, du directeur des nouvelles, du directeur des sports, du
directeur des émissions A.M., du directeur des émissions F.M.
et du directeur des ventes. En date du 11 mai 1976, l'unité de
négociation proposée comptait 45 employés. L'enquête révèle
de plus qu'une majorité desdits employés désire être représentée
par le syndicat demandeur.
Cependant, le Conseil constate qu'il subsiste un conflit entre
les parties relativement à la composition de l'unité de négocia-
tion convenable. L'employeur prétend notamment, qu'il fau-
drait en exclure les employés suivants: le directeur de la
promotion et des relations publiques (1), le directeur adjoint
aux émissions F.M. (1), les vendeurs (4), l'éditeur en chef (1)
et le responsable de la circulation (1). L'employeur a demandé
au Conseil de tenir une audience. Le Conseil note de plus que
toute décision qu'il pourrait prendre relativement à l'inclusion
dans l'unité de négociation des employés contestés, ou à leur
exclusion, ne modifierait pas la représentativité du syndicat
demandeur.
Après avoir revu les éléments de preuve et les allégations des
parties, le Conseil croit devoir obtenir de celles-ci plus de
renseignements avant de pouvoir décider si la tenue d'une
audience est nécessaire pour juger la présente demande
d'accréditation.
En conséquence, le Conseil demande aux parties de déposer
des mémoires sur les questions suivantes:
1. A l'employeur:
Quelle est la nature des devoirs et responsabilités du direc-
teur de la promotion et des relations publiques, du directeur
adjoint des émissions F.M., de l'éditeur en chef et du respon-
sable de la circulation? Il faut des précisions additionnelles
sur la nature du travail exécuté par ces personnes et les
raisons permettant de croire qu'elles accomplissent des fonc-
tions de direction. Toute pièce justificative appuyant ces
allégations doit être remise au Conseil avec les plaidoiries.
2. A la requérante:
Quelle est la nature des devoirs et responsabilités des ven-
deurs ou représentants de vente et convient-il d'inclure ces
personnes dans la même unité de négociation que d'autres
employés du poste? Il fait préciser les conditions de travail de
ces personnes et les autres critères pertinents indiquant s'il
existe une communauté d'intérêts entre elles et les employés
membres de l'unité de négociation proposée.
Vous êtes priés de soumettre vos plaidoiries au Conseil le 13
août 1976 au plus tard. Au moment de leur dépôt, une copie
d'icelles doit être transmise à l'autre partie. Toute réponse
auxdites plaidoiries doit être déposée le 23 août 1976 au plus
tard.
Le 13 août 1976, en réponse à cette lettre,
l'avocat de l'employeur a envoyé au Conseil la
lettre suivante:
[TRADucTtoN] La présente se réfère à votre lettre du 29
juillet 1976 adressée aux procureurs de la requérante et à
nous-mêmes. Conformément au dernier paragraphe de ladite
lettre, nous vous envoyons ci-inclus, au nom de l'employeur, un
mémoire relativement aux devoirs et responsabilités du direc-
teur de la promotion et des relations publiques, du directeur
adjoint aux émissions F.M., de l'éditeur en chef et du responsa-
ble de la circulation.
L'employeur nous a donné instruction de renouveler sa
demande d'audience et allègue qu'il serait plus pertinent de
s'appuyer sur les faits existant au moment de l'audition de la
demande d'accréditation pour statuer sur la question de majo-
rité, afin de tenir compte de tout changement de circonstances
pouvant être survenu entre le 11 mai 1976 (date du dépôt de la
demande) et la date de tenue de l'audience. Nous estimons qu'il
peut y avoir eu assez de changements de circonstances pour
justifier cette approche en l'espèce.
Dans une lettre adressée au Conseil en date du
23 août 1976, l'avocat du syndicat a écrit en
partie:
[TRADUCTION] La lettre d'envoi jointe par les avocats de
l'employeur aux plaidoiries de ce dernier, mentionne un chan-
gement de circonstances pouvant être survenu depuis la date de
présentation de la demande d'accréditation, et pouvant avoir
une incidence sur la question de savoir si là majorité des
employés membres de l'unité de négociation proposée désirent
être représentés par la requérante agissant à titre d'agent
négociateur.
La requérante a établi qu'à la date du dépôt de sa demande
d'accréditation, 34 des 45 employés formant l'unité de négocia-
tion étaient membres de son syndicat.
La requérante est d'avis qu'une majorité des membres de
l'unité de négociation proposée demeurent membres de son
syndicat et désirent être représentés par lui, et que le Conseil
dispose de preuves suffisantes pour s'en convaincre. Nous soute-
nons respectueusement que, si le Conseil veut étudier à fond les
observations de l'employeur relatives à «tout changement de
circonstances pouvant être survenu» (soulignés par nos soins) il
faudrait exiger que l'employeur fournisse au Conseil et à la
requérante les détails des changements allégués.
Par lettre en date du 27 août 1976 adressée au
Conseil, l'employeur déclarait:
[TRADUCTION] Par lettre adressée au Conseil le 23 août
1976 par Nelligan/Power, procureurs du syndicat requérant on
suggéra que la compagnie fournisse au Conseil des précisions
sur les changements pouvant être survenus entre la date de la
production de la demande et celle de l'audience.
Conséquemment, le 30 août 1976, la compagnie vous trans-
mettra une liste des changements de personnel survenus à sa
connaissance et pouvant avoir une incidence lors de l'examen de
l'affaire par le Conseil.
Le 30 août 1976, l'employeur a transmis au
Conseil un mémoire contenant les noms de sept
personnes [TRADUCTION] «... qui ne sont plus
employées par la compagnie ou qui ont remis leur
démission». Il déclarait également qu'une personne
engagée le 31 mai pour travailler au service de la
comptabilité avait été licenciée le 31 août pendant
sa période d'essai. Le mémoire expose également
ce qui suit:
[TRADUCTION] 2. En conformité avec les nouveaux règle-
ments CRTC FM, au moins trois annonceurs à plein temps et
un annonceur à temps partiel s'ajouteront au personnel de
CKBY entre le 1 et le 15 septembre 1976.
3. Suivant la page 2 de la lettre du 7 juin 1976 adressée par le
Conseil à CKOY, des protestataires membres de la requérante
au moment de la présentation de la demande ont depuis changé
d'idée.
4. La compagnie est informée que le Conseil a reçu la démis-
sion d'au moins un autre membre du syndicat requérant au
début du mois d'août.
En date du 1" septembre 1976, l'avocat du
syndicat a écrit une lettre dont voici les parties
principales:
[TRADUCTION] Nous avons reçu copie de la lettre du 30 août
1976 que vous a adressée l'employeur et à laquelle était joint un
mémoire sur les changements de personnel survenus entre le 11
mai et le 30 août 1976.
Nous ignorons également où en est cette affaire. Suite à la
lettre du Conseil en date du 29 juillet 1976, nous avions
compris que l'échange de mémoires entre les procureurs de
l'employeur et nous-mêmes était terminé et nous ne compre-
nons pas les observations transmises ensuite, semble-t-il, au
Conseil par l'employeur lui-même sans l'intermédiaire de ses
procureurs.
Concernant le mémoire portant sur les changements de person
nel, nous continuons de croire, comme l'indiquait notre lettre au
Conseil en date du 23 août 1976, que malgré quelques change-
ments survenus dans le personnel de l'employeur depuis le
dépôt de notre demande, une majorité des employés membres
de l'unité de négociation proposée demeurent membres du
syndicat demandeur et désirent être représentés par lui.
Nous prétendons de plus que le Conseil ne devrait pas tenir
compte des oppositions et démissions déposées devant lui à
moins qu'une audience ne soit tenue et que les personnes en
cause fournissent la preuve du caractère délibéré de leur oppo
sition et démission. Nous croyons néanmoins que la tenue d'une
audience n'est pas nécessaire vu la preuve soumise au Conseil
relativement à l'appartenance au syndicat requérant.
Comme il l'indique au début de ces motifs, le
Conseil a accrédité le syndicat par ordonnance en
date du 8 septembre 1976.
Par lettre en date du 10 septembre 1976 envoyée
à l'avocat du syndicat et à celui de l'employeur et
signée par Hélène LeBel, on énumère les motifs
qu'avait le Conseil pour rendre l'ordonnance. Voici
la teneur de cette lettre (j'ai souligné le paragra-
phe qui a donné lieu à la question en litige en
l'instance):
[TRADUCTION] Le Conseil a examiné les éléments de preuve
et les plaidoiries déposées par les parties relativement à la
demande d'accréditation susmentionnée. Notamment, le Con-
seil a pris connaissance des mémoires additionnels déposés par
les parties à sa demande.
Le Conseil constate que l'employeur sollicite la tenue d'une
audience. Ni le Code canadien du travail (Partie V—Relations
industrielles) ni les règlements du Conseil canadien des rela
tions du travail n'obligent le Conseil, à procéder sur demande à
l'audition d'une demande d'accréditation. La pratique courante
constamment suivie par le Conseil est de tenir audience unique-
ment lorsqu'il le juge nécessaire ou essentiel pour faciliter
l'enquête qu'il mène relativement à une demande. Après
examen de la preuve et des plaidoiries des parties en l'instance,
le Conseil ne voit pas ici la nécessité d'une audition.
L'employeur prétend que le directeur de la promotion et des
relations publiques, le directeur adjoint des émissions FM,
l'éditeur en chef et le responsable de la circulation ne sont pas
des «employés» au sens de l'article 107(1) du Code canadien du
travail, et que conséquemment, ces catégories doivent être
exclues de l'unité de négociation. Le Conseil est d'avis que la
preuve et les renseignements fournis par l'employeur ne permet-
tent pas de conclure que ces personnes occupent des fonctions
de direction confidentielles en matière de relations industrielles.
Bien que certaines de ces personnes exercent une suveillance
limitée, il a été antérieurement bien établi par plusieurs arrêts
que cela ne permet pas de conclure qu'elles occupent des
«fonctions de direction». En tout cas, le Conseil croit qu'il ne
conviendrait pas en l'instance de créer une unité de négociation
distincte incluant uniquement le personnel de «surveillance».
La question de savoir s'il convient d'inclure les représentants
de vente et les vendeurs dans l'unité de négociation objet de la
demande d'accréditation du requérant, a également été soule-
vée. Incontestablement ces personnes sont des «employés», au
sens donné à ce mot par le Code canadien du travail. Le
Conseil constate que l'unité de négociation envisagée est de
nature industrielle et comprend tous les employés de l'em-
ployeur, quelle que soit la nature de leurs fonctions ou de leurs
conditions de travail. En l'espèce, bien que leurs fonctions et
leurs conditions de travail soient par la nature même de leurs
obligations à l'égard de leur employeur, quelque peu différentes
de celles des autres employés de CKOY Ltd., le Conseil croit
convenable de grouper les vendeurs avec les autres employés de
l'employeur, dans une même unité.
Enfin l'employeur a prétendu que le Conseil devrait tenir
compte des changements quantitatifs au sein de l'unité de
négociation aussi bien que des désirs des membres de celle-ci.
Après avoir examiné les renseignements fournis par l'em-
ployeur, le Conseil est d'avis que rien ne permet de déroger aux
principes généraux exposés dans sa décision antérieure rendue
dans l'affaire Teamsters, Local 8979 et Swan River-The Pas
Transfer Ltd. (1974) Di 4 P. 10. Pour votre gouverne, nous
annexons une copie des motifs du jugement du Conseil dans
cette affaire. En conséquence, le Conseil a accueilli la susdite
demande.
Vous trouverez ci-jointe l'ordonnance d'accréditation en
langue anglaise. Conformément aux exigences d'ordre linguisti-
que, nous vous ferons parvenir sous peu la version française de
ladite ordonnance.
L'employeur, requérant devant cette cour a, en
effet, allégué que selon les principes généraux
énoncés par le Conseil dans son arrêt antérieur
Teamsters, Local 979 c. Swan River-The Pas
Transfer Ltd. et appliqués en l'instance, on avait
jugé qu'aux fins de l'alinéa 126c) du Code cana-
dien du travail 2 , c'est à la date de présentation de
la demande d'accréditation que le Conseil doit
2 S.R.C. 1970, c. L-1, tel que modifié par les S.C. 1972,
c. 18.
apprécier si la majorité des employés de l'unité
veut que le syndicat les représente à titre d'agent
négociateur. Il a également allégué que c'était là
une fausse interprétation de l'alinéa 126c) et qu'il
était impossible de savoir si le Conseil aurait
accrédité le syndicat s'il avait bien saisi le sens de
l'alinéa 126c) et s'était posé la bonne question,
celle de savoir si, au moment de l'accréditation,
une majorité d'employés dans l'unité voulaient que
le syndicat les représente à titre d'agent
négociateur.
Il serait utile ici de citer les articles 126 et 127
du Code canadien du travail:
Accréditation des agents négociateurs et questions connexes
126. Lorsque le Conseil
a) a reçu d'un syndicat une demande d'accréditation à titre
d'agent négociateur d'une unité,
b) a déterminé l'unité qui constitue une unité de négociation
habile à négocier collectivement, et
c) est convaincu que la majorité des employés de l'unité veut
que le syndicat les représente à titre d'agent négociateur,
il doit, sous réserve des autres dispositions de la présente Partie,
accréditer ce syndicat à titre d'agent négociateur de l'unité de
négociation.
127. (1) Le Conseil peut, en toute circonstance, pour véri-
fier si les employés d'une unité veulent qu'un syndicat déter-
miné les représente à titre d'agent négociateur, ordonner la
tenue d'un scrutin de représentation au sein de l'unité.
(2) Quand
a) un syndicat demande son accréditation à titre d'agent
négociateur d'une unité qu'aucun autre syndicat ne repré-
sente à ce titre, et que
b) le Conseil est convaincu que trente-cinq pour cent au
moins et cinquante pour cent au plus des employés de l'unité
sont membres du syndicat,
le Conseil doit ordonner la tenue d'un scrutin de représentation
au sein de l'unité.
Comme l'indique la lettre en énonçant les
motifs, la décision du Conseil canadien des rela
tions du travail dans l'affaire Swan River-The Pas
Transfer Ltd. est rapportée dans la publication du
Conseil canadien des relations du travail «Déci-
sions-information», (1974) (di 4) Vol. 1, N° 4, août
1974, la page 10. Je cite cet assez long passage
des motifs prononcés par le président et figurant
aux pages 20, 21 et 22:
Dans la cause en instance, l'enquête du Conseil révèle qu'à la
date de présentation de la demande, le demandeur avait l'appui
de la majorité. Le Conseil a été informé qu'un groupe d'em-
ployés avaient, par la suite, fait parvenir une lettre datée du 10
mai 1973 (la demande a été présentée avant le 16 mars 1973),
qui se lisait comme suit:
Until such time as we are advised what the advantages of
joining and the cost to each man involved, the undersigned
are not interested in joining the union at this time.
Le Conseil a accusé réception de cette lettre et a informé ces
employés qu'une audition de la question aurait lieu à une date
ultérieure. Lorsque la date de l'audition a été fixée, ils en ont
été informés. Lesdits employés n'ont pas assisté à l'audition pas
plus qu'ils n'y ont été représentés. Par conséquent, le Conseil
n'a pas eu à étudier l'intervention ni de preuve d'irrégularité
dans l'obtention de l'appui de la majorité. Enfin, et de toute
évidence, le paragraphe 127(2) ne s'applique pas. Le Conseil
est saisi d'une demande d'accréditation à caractère majoritaire,
car, à la date de présentation de la demande, la majorité des
employés de l'unité avaient exprimé le désir d'être représentés
par le syndicat demandeur. Ce désir a été clairement exprimé
par la signature de cartes d'adhésion et le versement de cotisa-
tions par les membres, conformément aux dispositions du
Règlement du Conseil.
Compte tenu du temps écoulé, l'employeur, par l'entremise
de son avocat, voudrait que le Conseil trouve aux articles 126 et
127 une obligation de vérifier le désir des employés non seule-
ment à la date de présentation de la demande, mais, aussi, au
moment de l'audition ou à une date ultérieure par la tenue d'un
scrutin. En d'autres mots, l'employeur allègue que le désir des
employés doit être un désir continuel qui doit faire l'objet d'une
enquête après la date de présentation de la demande. Lorsqu'on
a demandé à l'avocat de l'employeur à quel moment le Conseil
serait relevé de l'obligation de vérifier le désir des employés, à
quel moment cette réévaluation prendrait place dans le proces-
sus perpétuel, il a été très vague et a même avoué que c'était
une question délicate (voir le procès-verbal). De fait, il a même
déclaré:
Where do you draw the line, I just do not know.
Face au libellé des articles 126 et 127, l'employeur propose que
le Conseil interprète la loi de la même façon que l'ont fait les
tribunaux dans les causes de la Rotary Pie Service et de la
Moffat Broadcasting, respectivement, et l'employeur fait, de
toute évidence, partie de l'école de pensée selon laquelle la date
de présentation de la demande n'est pas la date déterminante.
L'employeur est d'avis que le désir des employés peut chan-
ger entre le moment où la demande est présentée et la date où
la décision est rendue et juge que le Conseil est obligé par la loi
et d'après un principe fondamental de vérifier ce nouveau désir.
Le Conseil est d'avis que le législateur a jugé bon de modifier le
libellé de l'alinéa 115(2)(a) et de le remplacer par celui des
nouveaux articles 126 et 127 pour deux raisons fondamentales.
Premièrement, il voulait donner aux syndicats une plus grande
possibilité d'être accrédités quand ils n'ont pas l'appui de la
majorité au moment de présenter leur demande originale, mais
qu'ils comptent au moins 35% des employés comme membres.
Dans ce cas, toutefois, le législateur oblige le Conseil à ordon-
ner la tenue d'un scrutin. La deuxième raison de la modifica
tion du texte était le renforcement de l'obligation fondamentale
du Conseil d'accréditer un syndicat, à moins qu'il y ait de très
fortes raisons qui l'en empêchent; c'est pourquoi le verbe «doit»
a été ajouté à l'article 126.
Le Conseil est, par conséquent, d'avis que le législateur a
établi une distinction très nette entre le cas où, à la date de
présentation de la demande, le syndicat a l'appui de la majorité
et celui où, à la même date, il ne l'a pas.
Dans le premier cas, le Conseil doit accréditer le syndicat et,
dans le deuxième, il doit ordonner la tenue d'un scrutin.
Dans les deux cas, le Conseil doit être convaincu du désir des
employés: dans le premier cas, sans scrutin et dans le deuxième,
par la tenue d'un scrutin. Telle est la règle générale. Le
législateur a toutefois laissé à la discrétion du Conseil quelques
cas exceptionels, par exemple, celui où, même si le syndicat
compte la majorité des employés comme membres à la date de
présentation de la demande, le Conseil peut avoir de graves
raisons d'ordonner la tenue d'un scrutin afin de s'assurer que le
désir exprimé par les employés à la date de présentation de la
demande a été formulé librement, de façon régulière et sans
contrainte. S'il y a preuve du contraire, le Conseil peut ordon-
ner la tenue d'un scrutin.
Dans la cause en instance, répétons-le, le demandeur comp-
tait la majorité des employés comme membres à la date de
présentation de la demande. Il n'a pas été prouvé que la
majorité des employés en avaient décidé ainsi sous l'effet de
menaces ou de contrainte.
Si l'on se reporte au texte du paragraphe 129(3) qui prescrit
que le vote de la majorité des employés qui ont participé au
scrutin (lorsqu'au moins 35% des employés admissibles à voter
l'ont fait) représente le désir de la majorité de tous les employés
de l'unité, le Conseil trouverait paradoxal que le désir de la
majorité des employés, clairement exprimé par la signature de
cartes d'adhésion et par le versement de cotisations, soit moins
important et moins significatif que le désir de la minorité des
employés qui votent en vertu du paragraphe 129(3) et qui n'ont
peut-être jamais signé de cartes d'adhésion, accepté d'être liés
par des statuts ou versé des cotisations.
Le délai regrettable mais incontrôlable qui s'est écoulé entre
la date de présentation de la demande et la date de l'audition (à
cause de l'arriéré de travail dû à la mise en place du Conseil) ne
change en rien les principes fondamentaux qui viennent d'être
énoncés. Il est vrai qu'entretemps il y a eu roulement du
personnel. Ce fait, de l'avis du Conseil, ne doit en rien changer
sa détermination à la date de présentation de la demande et le
paragraphe 127(1) ne s'applique pas.
La Loi vise, entre autres choses, à maintenir la paix et la
stabilité industrielles et le Conseil croit que la meilleure façon
d'y arriver, en plus des raisons juridiques déjà données, est
d'adopter une philosophie des relations du travail qui soit
conforme auxdits textes juridiques qui fixent la date de présen-
tation de la demande comme date de détermination du désir des
employés quant à leur agent négociateur. Le malaise et le chaos
qu'entraînerait l'adoption d'une école différente de pensée qui,
selon le Conseil est incompatible avec le libellé des articles 126
et 127, seraient beaucoup plus graves.
Une lecture attentive de ce passage et des motifs
dans leur ensemble me permet de conclure que
dans cette affaire, et conséquemment en l'espèce,
le Conseil a affirmé et appliqué le principe selon
lequel il faut se reporter à la date du dépôt de la
demande pour déterminer, comme condition préa-
lable à l'accréditation, s'il y a majorité aux termes
de l'alinéa 126c) à moins que certaines circons-
tances n'autorisent la tenue d'un scrutin de repré-
sentation en vertu du paragraphe 127(1) (ces cir-
constances ont été très peu définies dans la Loi, si
l'on garde à l'esprit les mots «en toute circonstan-
ce» 3 ) ou qu'elles n'exigent la tenue d'un scrutin en
vertu du paragraphe 127(2).
La décision de cette cour dans l'affaire Moffat
Broadcasting Ltd. c. Le procureur général du
Canada et le Vancouver-New Westminster News
paper Guild 4 est pertinente. En l'espèce, six des
sept employés membres de l'unité en cause étaient
affiliés au syndicat le 21 juin 1972, date à laquelle
la demande d'accréditation a été présentée. Deux
de ces employés ont remis leur démission qui
devait prendre effet le 30 juin 1972. La demande
d'audience présentée par l'employeur a été accueil-
lie et la date de l'audition fixée au 24 octobre
1972. Le 19 octobre, l'employeur a fait savoir au
Conseil qu'il avait l'intention de soulever à l'au-
dience la question de savoir si une majorité des
employés de l'unité étaient membres en règle du
syndicat ou souhaitaient que le syndicat devienne
leur agent négociateur.
3 Dans ce passage non cité plus haut, des motifs du Conseil,
on disait à la page 17:
Il va sans dire que, dans certains cas, un conseil ou une
commission des relations du travail doit déterminer, par un
scrutin, le vrai désir des employés. C'est de toute évidence le
cas lorsqu'il est allégué et éventuellement prouvé que le
caractère majoritaire a été obtenu par des méthodes illégales,
des menaces, de fausses représentations ou une fraude envers
les employés. A ce moment-là, un conseil ou une commission
peut rejeter la demande ou ordonner la tenue d'un scrutin.
Ou encore, dans le cas de nouvelles usines en cours de
recrutement de personnel, un conseil ou une commission peut
établir des critères pour déterminer le moment où une usine a
vraiment commencé à fonctionner. Il pourrait alors s'agir
d'un scrutin auprès des employés, y compris ceux qui ont été
embauchés après la date de présentation de la demande.
Toutefois, à l'exception de ces cas, si la date de présenta-
tion de la demande n'était pas déterminante et qu'on permet-
tait que toutes les situations susmentionnées puissent se
produire, on pourrait être obligé d'ordonner la tenue de
scrutins dans presque tous les cas.
4 [1973] C.F. 516.
A l'audience, l'employeur a produit des affida
vits qu'il avait obtenus de trois membres de l'unité
de négociation et le Conseil les a admis. L'un de
ces affidavits avait été signé par un employé muté
à cette unité le 17 octobre 1972; le signataire de
cet affidavit déclare qu'il n'a jamais été membre
du syndicat et qu'il ne souhaite pas que le syndicat
soit accrédité à titre d'agent négociateur. Les deux
autres témoins déclarent qu'ils ont démissionné du
syndicat.
Dans ses motifs, le juge Thurlow, tel était alors
son titre, s'exprime ainsi aux pages 519 et 520:
Dans ses motifs, le Conseil avait déjà conclu qu'au moment
du dépôt de la demande d'accréditation, l'unité de négociation
se composait de sept membres dont six étaient membres du
syndicat, ce qui ne fait aucun doute, mais nulle part il n'a fait
valoir qu'une majorité des employés étaient membres du syndi-
cat au moment de l'audience. également, aucune preuve ne
permettait de conclure que plus de trois des six employés qui
constituaient l'unité à ce moment étaient à ce même moment
membres du syndicat. De plus, les affidavits établissent que
trois des six employés n'étaient pas membres du syndicat.
Toutefois, le certificat du Conseil énonce notamment que le
Conseil [TRADUCTION] «est convaincu qu'une majorité des
employés dudit employeur qui constituent l'unité sont des mem-
bres en règle du syndicat demandeur».
Examinons maintenant les dispositions législatives en cause.
Aux termes de l'article 115(1), le Conseil doit prendre les
mesures qu'il estime appropriées pour déterminer les désirs des
employés dans l'unité quant au choix d'un agent négociateur
devant agir en leur nom. Ces désirs constituent certainement
des faits pertinents dont le Conseil doit tenir compte dans
l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré aux fins
d'accorder ou de refuser l'accréditation à un demandeur. Tou-
tefois la compétence du Conseil en matière d'accréditation est
définie par les termes exprès de l'article 115(2) qui énonce:
115. (1) ...
(2) Lorsque, conformément à une demande d'accrédita-
tion prévue dans la présente Partie et faite par un syndicat, le
Conseil a décidé qu'une unité d'employés est habile à négo-
cier collectivement
a) si le Conseil est convaincu que la majorité des employés
de l'unité sont membres en règle du syndicat, ou
b) si, par suite d'un vote des employés de l'unité, le
Conseil est convaincu qu'une majorité d'entre eux a choisi
le syndicat comme agent négociateur en leur nom,
le Conseil peut accréditer ce syndicat comme agent négocia-
teur des employés de l'unité.
D'après mon interprétation, cet article énonce deux moyens
d'obtenir l'accréditation. En vertu de l'alinéa b), le Conseil peut
accréditer un demandeur en se fondant sur les désirs de la
majorité des employés d'une unité de négociation, que la majo-
rité des employés soient membres du syndicat ou non, si, et
uniquement dans ce cas, il y a eu un vote et si, en conséquence,
le Conseil est convaincu qu'une majorité des employés de cette
unité a choisi le syndicat comme agent négociateur en leur
nom. Cet alinéa ne peut être invoqué en l'espèce aux fins
d'appuyer le certificat car aucun vote n'a été pris.
La seule autre façon d'obtenir l'accréditation est de convain-
cre le Conseil, aux termes de l'alinéa a), qu'une majorité des
employés de l'unité de négociation sont des membres en règle
du syndicat demandeur. Dans la présente affaire, le certificat
énonce que le Conseil a acquis une certitude sur ce point mais,
à mon avis, les documents dont disposait le Conseil ne justi-
fiaient pas cette conclusion en droit ni au moment de l'au-
dience, ni par la suite. Je crois que les termes de l'article
115(2)a), où le verbe «être,' est employé au présent, ainsi que
les arrêts Toronto Newspaper Guild c. Globe Printing Com
pany [1953] 2 R.C.S. 18, et Re Bakery and Confectionary
Workers International Union of America and Rotary Pie Ser
vice Ltd. (1962) 32 D.L.R. (2e) 576, établissent que l'existence,
au moment de l'audience, d'une majorité d'employés membres
du syndicat est essentielle à l'existence du pouvoir du Conseil
d'accorder l'accréditation en vertu de l'article 115(2)a).
Donc, vu que l'accréditation résulte d'une conclusion qui ne
pouvait être tirée à bon droit du dossier soumis au Conseil,
celui-ci a, à mon avis, commis une erreur de droit au sens de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale en rendant sa
décision et il y a donc lieu d'annuler l'accréditation qu'il a
accordée.
Il y a bien sûr des différences évidentes et
importantes entre l'alinéa 126c) et l'article 127 du
Code actuel d'une part, et d'autre part, l'ancien
article 115, qui a été soumis au juge Thurlow. Sur
le point qui nous occupe cependant, pour décider si
l'alinéa 126c) prescrit de déterminer la majorité
requise à la date de l'accréditation, je trouve le
raisonnement du juge Thurlow pertinent et
concluant'.
Je ferai remarquer que dans l'arrêt Moffat, on a
tenu une audience et que le juge Thurlow se réfère
au moment de l'audience comme au moment con-
venable pour établir l'existence d'une majorité.
Mais, dans cette affaire, on aurait eu le même
résultat en choisissant comme date déterminante
celle de l'audience ou celle de l'accréditation. En
l'instance, il n'y a eu aucune audience 6 ; aussi,
strictement parlant, il n'est pas nécessaire de tran-
cher la question. Je crois cependant que d'après le
libellé de l'alinéa 126c), la date requise pour déter-
miner la majorité est la date où l'on statue sur la
demande d'accréditation.
5 Voir également Maradana Mosque Trustees c. Mahmud
[1967] 1 A.C. 13, la page 25.
6 En fait, une audience avait été tenue relativement à une
accusation de manoeuvre déloyale.
A l'appui de mon appréciation relativement à la
date décisive pour la détermination de la majorité
aux fins de l'alinéa 126c) du Code, je me référerai
à un passage du jugement du juge en chef Las-
kin dans Re Conseil canadien des relations du
travail c. Transair Ltd. 7 Cette affaire soulevait
entre autres la question de savoir si le Conseil
canadien des relations du travail a commis une
erreur en refusant de prendre en considération une
pétition signée par un nombre suffisant d'employés
pour réfuter la prétention du syndicat selon
laquelle il avait l'appui de la majorité. Le juge en
chef Laskin s'exprimait ainsi à la page 19 de ses
motifs:
Il reste à examiner la question 4 traitant du refus du Conseil
de prendre en considération la pétition des employés, qu'un
nombre suffisant avait signée pour réfuter la prétention du
syndicat selon laquelle il avait l'appui de la majorité. Deux
choses sont claires. Le Conseil aurait pu, sans enquêter sur la
valeur de cette pétition de la onzième heure, ordonner la tenue
d'un scrutin de représentation pour s'assurer que le syndicat
recueillait toujours l'appui de la majorité. Cependant, c'était au
Conseil de décider et non à la Cour de l'ordonner. Deuxième-
ment, le Conseil aurait pu tenir une enquête sur le bien-fondé
de la pétition et sur l'authenticité des signatures; le résultat de
l'enquête aurait pu l'aider à statuer sur la demande d'accrédita-
tion. Si la pétition avait été présentée à temps, le Conseil aurait
été tenu de la prendre en considération, quel que soit le crédit
qu'il lui eût alors accordé. Cependant, d'après le Règlement du
Conseil, la pétition était tardive et la question est de savoir si,
en conséquence, celui-ci pouvait en droit la rejeter.
J'ai souligné les mots de ce passage qui me
semblent appuyer l'opinion selon laquelle il ne
suffit pas que le Conseil soit convaincu qu'une
majorité, finalement reconnue suffisante, des
employés de l'unité étaient membres du syndicat à
la date de la présentation de la demande
d'accréditation.
Il a été prétendu devant nous qu'en l'espèce, le
Conseil a de fait pris en considération la thèse de
l'employeur et que, même si dans ses motifs il a dit
suivre la jurisprudence de l'arrêt Swan River-The
Pas Transfer Ltd., cela ne signifie pas nécessaire-
ment qu'il appliquait le principe spécifique selon
lequel, en l'espèce, la date déterminante en vertu
de l'alinéa 126c) du Code pour se prononcer sur
l'existence d'une majorité est celle de la présenta-
tion de la demande d'accréditation. Ce n'est pas
7 (1976) 67 D.L.R. (3e) 421.
ainsi que j'interprète les motifs du Conseil. Il me
semble évident que ce dernier s'est trompé sur une
importante question de droit et il est impossible de
savoir quelle aurait été sa décision s'il s'était
penché sur la bonne question. Pour autant que
nous puissions en juger, en raison de son erreur de
droit le Conseil n'a pas essayé de vérifier la majo-
rité requise au bon moment, et ainsi il ne pouvait
accorder l'accréditation. En vertu de l'alinéa
28(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale c'est là un
motif suffisant pour infirmer l'ordonnance.
Un dernier problème demeure.
Au cours de l'exposé, on a soulevé la question de
savoir si l'employeur était en droit de contester la
validité de l'accréditation pour le motif allégué. Le
passage suivant des motifs du juge en chef Laskin
dans l'affaire Transair, aux pages 20-22 de ses
motifs, a éveillé notre préoccupation:
A part la question du retard, il y a un autre motif pour lequel
la Cour fédérale et cette Cour peuvent refuser d'examiner
l'opposition de Transair à l'ordonnance d'accréditation qui
s'appuie sur le refus du Conseil de prendre en considération la
pétition des employés. L'arrêt de cette Cour dans l'affaire
Cunningham Drug Stores Ltd. c. Labour Relations Board,
[1973] R.C.S. 256 fait état de ce motif. En effet, le juge
Martland, se prononçant au nom de toute la Cour à une
exception près, a déclaré (à la p. 264):
La question que soulève maintenant l'appelante pose un
autre problème: son droit de chercher à faire infirmer la
décision de la Commission parce que, allègue-t-elle, les droits
d'autres parties n'ont pas été respectés. Dans l'affaire La
Commission des Relations de Travail du Québec c. Cimon
Limitée ([1971] R.C.S. 981), l'employeur, une compagnie,
avait cherché à faire révoquer par la Commission des rela
tions de travail du Québec son ordonnance qu'un vote soit
tenu sur la requête en accréditation d'un syndicat, pour le
motif qu'un avis de la requête en accréditation n'avait pas été
donné à un autre syndicat dont la requête antérieure en
accréditation avait été rejetée à la suite d'un vote. La compa-
gnie a soutenu que le syndicat défait était aux droits des
anciens syndicats qui avaient été accrédités et dont l'accrédi-
tation n'avait pas été révoquée, et qu'il avait donc le droit de
recevoir pareil avis.
La Commission a décidé que la compagnie plaidait illéga-
lement pour autrui en soulevant une contestation sur laquelle
elle n'avait pas intérêt juridique. Cette Cour a confirmé cette
décision et décidé que la compagnie n'avait pas le droit
d'exciper du droit d'autrui devant la Commission.
Il est vrai que la question en litige dans l'affaire Cunningham
différait de celle en l'espèce, mais seulement en ce que l'em-
ployeur opposait que les employés n'avaient pas été avisés que
la Commission voulait modifier de façon radicale l'unité de
négociation (ils avaient été avisés de la demande initiale d'ac-
créditation et aucun employé ne s'y était opposé). En l'espèce,
par contre, l'objection de l'employeur a trait au refus de
prendre en considération la pétition des employés qui ne cher-
chaient pas à intervenir dans l'action, pour le compte d'autrui
ou à tout autre titre. Transair n'a pas constitué les employés
opposés parties à sa demande présentée en vertu de l'art. 28, et
elle n'a pas tenté de les faire intervenir lorsque la Cour d'appel
fédérale a prescrit dans une ordonnance en date du 1»' novem-
bre 1974 que la pétition devait être versée au dossier [TRADUC-
TION] «sans préjudice aux droits des parties quant à sa perti
nence». S'il se trouve dans le Code canadien du travail et dans
les lois provinciales équivalentes une intention primordiale, c'est
que seul le souhait des employés, sans intervention de l'em-
ployeur (sauf en cas de fraude), doit être pris en considération
vis-à-vis d'un agent négociateur qui veut les représenter. L'em-
ployeur ne peut invoquer le droit des tiers, particulièrement
quand ceux-ci ne sont pas devant la Cour.
Après avoir bien étudié la question je conclus
que cette affaire se distingue de Transair relative-
ment au droit que l'employeur allègue avoir de
contester l'ordonnance d'accréditation. Dans
Transair, l'employeur alléguait que le Conseil
avait refusé de recevoir une pétition émanant des
employés qui s'opposaient à l'octroi de l'ordon-
nance d'accréditation. Ici l'employeur, par la lettre
de ses avocats en date du 13 août, ses propres
lettres des 27 et 30 août et le mémoire joint à cette
dernière, soulève la question de savoir si les exigen-
ces de l'alinéa 126c) du Code avaient été satisfai-
tes en temps voulu. Le Conseil a reçu cette
demande et l'a étudiée, mais dans les motifs de sa
décision il a fait observer que pour cette accrédita-
tion la date de présentation de la demande était la
date appropriée pour apprécier si les exigences de
l'alinéa 126c) étaient satisfaites.
Il me semble qu'en l'espèce l'employeur ne s'ap-
puie pas sur le droit d'une tierce partie. L'em-
ployeur n'allègue pas qu'on a refusé d'entendre
une tierce partie, par exemple un employé, sur une
question en rapport avec l'accréditation du syndi-
cat. L'employeur prétend qu'on a rendu l'ordon-
nance d'accréditation en répondant à la mauvaise
question sur une affaire importante. Il en résulte
que d'après les renseignements au dossier, le Con-
seil n'a même pas cherché à vérifier une question
essentielle à son droit statutaire et à son devoir en
matière d'accréditation. Et après tout, une ordon-
nance d'accréditation impose des devoirs sérieux à
l'employeur. Celui-ci a donc un intérêt légitime à
savoir si l'ordonnance a été rendue conformément
à la Loi. A mon avis, en vertu de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale l'employeur a le droit, en
tant que partie directement concernée, de présen-
ter à cette cour une demande d'examen d'une
décision fondée sur une erreur de droit quant à la
loi applicable, particulièrement lorsqu'elle met en
cause le sens d'une disposition décisive de cette
loi'.
Avant de conclure, encore un mot: je ne veux
pas insinuer que le Conseil doive, aux termes de
l'alinéa 126c) du Code canadien du travail, par un
vote représentatif ou autrement, vérifier les désirs
des employés de l'unité de négociation juste avant
d'accréditer. Le Conseil peut, bien sûr, tenir
compte de l'expérience commune de l'homme,
laquelle nous apprend que l'existence d'une chose
se poursuit vraisemblablement un certain temps. Il
conviendrait peut-être de citer le passage suivant
de Cross on Evidence (4° éd., 1974) aux pages 32
et 33:
[TRADUCTION] Si la question de la vitesse à laquelle une
personne circulait à un moment donné se pose, la vitesse à
laquelle elle circulait quelques instants plus tôt est admissible
en preuve; dans les affaires portant sur l'existence d'une société,
la preuve de son existence à une période antérieure à celle
soumise à la Cour est également admissible. On a reçu en
preuve les opinions théologiques d'une personne antérieures de
quatre ans à l'époque à laquelle on s'interrogeait sur leur
nature; et le fait qu'une personne vivait à une certaine époque
peut permettre de supposer qu'elle était vivante à une date
postérieure. On présente de telles preuves si souvent qu'il est
parfois dit que la continuation en général et la prolongation de
la vie en particulier, est l'objet d'une présomption réfutable en
droit; mais il s'agit simplement d'une question de pertinence
subordonnée à l'expérience commune de l'homme, et il serait
mieux d'éviter absolument l'emploi du mot «présomption» ou, si
son emploi s'impose, on devrait recourir à des expressions telles
que «présomption de fait» ou «présomption provisoire».
Lorsqu'une preuve de cette nature est à l'étude, il importe de
se souvenir qu'il y a des degrés de pertinence. La preuve des
croyances théologiques qu'un homme entretenait il y a trente
ans ne soutiendrait pas une conclusion sur ses croyances à
l'époque soumise à l'examen de la Cour, et ni la Loi ni la
logique ne peuvent préciser à quelle époque une telle preuve
devient sans importance—il s'agissait toujours de cas d'espèce.
Si l'on prouvait la bonne santé d'un homme la veille du
remariage de sa femme:
on pourrait conclure de façon presque irrésistible qu'il vivait
à cette époque et tel serait sans doute le verdict du jury. Si
par contre, on établissait qu'il était alors agonisant, les jurés
refuseraient sans doute de tirer la conclusion.
8 Relativement au droit d'un employeur de demander l'exa-
men d'une ordonnance d'accréditation, je citerai en général:
Toronto Newspaper Guild, Local 87, American Newspaper
Guild c. Globe Printing Company [ 1953] 2 R.C.S. 18.
Le Conseil doit vérifier au moment de l'accrédi-
tation, si la majorité des employés de l'unité veu-
lent que le syndicat requérant les représente à titre
d'agent négociateur. Il doit décider d'après la
preuve qui lui est soumise. Le fait que celle-ci lui
ait été présentée bien avant l'époque de sa décision
ne permettrait pas nécessairement de dire que le
Conseil a commis une erreur de droit en la jugeant
pertinente et concluante ou qu'il agirait avec per-
versité ou caprice ce faisant. L'erreur fatale dans
cette affaire, c'est que le Conseil, voulant se con-
vaincre que l'alinéa 126c) est bien observé, a cru
devoir déterminer l'habilité de l'unité de négocia-
tion à la date de la demande d'accréditation plutôt
qu'à la date de l'accréditation.
Dans son mémoire, la requérante a soulevé d'au-
tres questions de fait et de droit, mais dans sa
plaidoirie l'avocat nous affirme qu'il s'en tient
uniquement à son allégation selon laquelle le Con-
seil a commis une erreur de droit en interprétant
l'alinéa 126c) du Code canadien du travail.
Je suis d'avis d'accueillir la demande, d'annuler
la décision du Conseil et l'ordonnance d'accrédita-
tion en question et de renvoyer l'affaire devant le
Conseil canadien des relations du travail, pour
qu'il en décide conformément à l'alinéa 126c) du
Code canadien du travail. Pour accréditer le syn-
dicat à titre d'agent négociateur d'une unité de
négociation, le Conseil doit vérifier si la majorité
des employés de l'unité veulent que le syndicat les
représente à titre d'agent négociateur de l'unité de
négociation.
* * *
LE JUGE EN CHEF JACKETT y a souscrit.
* * *
LE JUGE URIE y a souscrit.
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