A-516-75
Le ministre du Revenu national (Appelant)
c.
Bethlehem Copper Corporation Ltd. (Intimée)
Cour d'appel, les juges Heald, Urie et Ryan—
Ottawa, le 29 septembre et le 15 octobre 1976.
Pratique Intérêt sur les dépens—Le caractère discrétion-
naire de la taxation est-il un obstacle à un versement en vertu
de l'art. 40 de la Loi sur la Cour fédérale? Les dépens
déclarés payables en vertu d'un jugement en matière civile sont
réputés être une somme due en vertu d'un jugement aux fins de
l'art. 15 de la Loi sur l'intérêt Loi sur la Cour fédérale, art.
40—Loi sur l'intérêt, S.R.C. 1970, c. I-18, art. 13, 14 et 15.
Une cotisation de l'impôt que l'appelant a portée successive-
ment devant la Division de première instance, la Cour d'appel
et la Cour suprême a été infirmée avec dépens alloués à
l'intimée. Le point en litige porte sur une ordonnance du juge
Gibson, de la Division de première instance, obligeant la Cou-
ronne à verser un intérêt annuel de 5% à courir du jour où les
condamnations aux dépens ont été prononcées par la Division
de première instance et la Cour d'appel. On reconnaît qu'une
condamnation aux dépens est un jugement aux fins de l'article
40 de la Loi sur la Cour fédérale, qui prévoit qu'un jugement
porte intérêt à compter du moment où il a été rendu.
Arrêt: l'appel est rejeté et les dépens sont alloués sur la base
procureur-client. Habituellement une condamnation aux dépens
ne mentionne pas un montant déterminé puisque les dépens
doivent d'abord être taxés, mais la taxation est essentiellement
une procédure administrative bien que parfois, comme c'est le
cas en l'espèce, elle puisse avoir un caractère discrétionnaire.
Cependant, ce caractère n'est pas un obstacle à l'application de
l'article 40, sous réserve d'une ordonnance contraire. En présu-
mant que les articles 13 à 15 de la Loi sur l'intérêt s'appliquent
en l'espèce, les dépens déclarés payables en vertu d'un jugement
d'une cour quelconque en matière civile sont, pour les fins de la
Loi, réputés une somme due en vertu d'un jugement et d'après
l'article 14, l'intérêt se calcule à partir du jour où le jugement a
été prononcé.
Arrêt suivi: Star Mining and Milling Company, Limited c.
Byron N. White Company (1910) 15 B.C.R. 161. Distinc
tion faite avec les arrêts: Canadian Aero Service Ltd. c.
O'Malley (1974) 12 C.P.R. (2e) 91 et K c. K [1976] 2 All
E.R. 774.
APPEL.
AVOCATS:
G. W. Ainslie, c.r., pour l'appelant.
B. W. F. McLoughlin, c.r., pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant.
Lawrence & Shaw, Vancouver, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: Le présent appel porte sur une
ordonnance de la Division de première instance
rendue le 15 septembre 1975, par laquelle la Cou-
ronne se trouve dans l'obligation de payer un
intérêt annuel de 5% à courir du jour où les
condamnations aux dépens ont été prononcées.
L'intimée, une compagnie de la Colombie-Bri-
tannique, a été imposée pour l'année 1967 et a
interjeté appel auprès de la Division de première
instance. Lors de l'audience tenue en Colombie-
Britannique, l'intimée a eu gain de cause et les
dépens lui ont été accordés. Le jugement a été
prononcé le 22 septembre 1972. Le Ministre a
interjeté appel et par un jugement rendu le 9 mai
1973 l'appel a été rejeté avec dépens. Un nouvel
appel du Ministre, présenté cette fois-ci auprès de
la Cour suprême du Canada, a également été
rejeté avec dépens, lesquels ont été par la suite
taxés et payés et ne font pas l'objet du présent
appel.
Le juge de première instance de l'action a, par
une ordonnance du 23 juin 1975, ordonné que
toutes les démarches faites ou les mesures prises
au cours de l'action soient considérées, aux fins du
tarif A des Règles de la Cour fédérale, comme
rentrant dans la classe III. Il a été également
ordonné, conformément au paragraphe 2(2)a) du
tarif B, que certains déboursés mentionnés expres-
sément soient accordés.
Le 23 juin 1975, l'Administrateur de district de
la Cour à Vancouver a certifié que les dépens de
l'intimée dans les poursuites intentées en première
instance et en appel, ont été taxés et alloués pour
la somme de $21,243.73.
Le 15 septembre 1975, le juge Gibson de la
Division de première instance a ordonné que la
Couronne soit tenue de payer un intérêt de 5% par
an à courir du jour où les condamnations aux
dépens ont été prononcées par la Division de pre-
mière instance et par la Cour d'appel. C'est de
cette ordonnance qu'il est fait appel.
L'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale
énonce qu'un jugement porte intérêt à compter du
moment où il a été rendu'. Le fait qu'une condam-
nation aux dépens est un jugement aux fins de
l'article 40 n'a pas été contesté.
Du moment où la condamnation aux dépens est
prononcée, il va de soi que son montant exact n'est
pas déterminé à moins que le jugement porte sur
une somme globale. Cependant, la taxation est
essentiellement une procédure administrative, bien
que parfois, comme c'est le cas en l'espèce, elle
puisse avoir un caractère discrétionnaire. J'estime
que ce caractère discrétionnaire de la taxation des
dépens ne nous empêche pas d'accorder au libellé
de l'article 40 son sens ordinaire. L'intérêt sur les
dépens taxés au moment voulu en application d'un
jugement doit courir du jour où il a été prononcé,
sous réserve, bien sûr, d'une ordonnance contraire.
Dans la présente cause, aucune ordonnance con-
traire n'a été rendue.
Je ne juge pas nécessaire de décider si, en vertu
de l'article 12 de la Loi sur l'intérét 2 , les articles
13 à 15 de cette Loi s'appliquent à la présente
affaire. En présumant qu'ils peuvent s'appliquer—
je penche plutôt pour cette solution en l'espèce à
l'égard de certains points pertinents—ils appuient
l'opinion que j'ai formulée sur l'esprit de l'article
40 de la Loi sur la Cour fédérale lorsqu'on ne le
I L'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale énonce:
40. A moins qu'il n'en soit autrement ordonné par la
Cour, un jugement, notamment un jugement contre la Cou-
ronne, porte intérêt à compter du moment où le jugement est
rendu au taux prescrit par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt.
2 Les articles 12 15 de la Loi sur l'intérêt énoncent:
12. Les articles 13, 14 et 15 s'appliquent uniquement aux
provinces du Manitoba, de la Colombie-Britannique, de la
Saskatchewan et de l'Alberta et aux territoires du Nord-
Ouest et au territoire du Yukon.
13. Toute somme due en vertu d'un jugement porte intérêt
au taux de cinq pour cent par année, jusqu'à ce qu'elle soit
payée.
14. Sauf ordre contraire de la cour, cet intérêt se calcule à
partir du jour où le verdict a été rendu ou le jugement
prononcé, selon le cas, bien que l'inscription du jugement, à
la suite du verdict ou du prononcé du jugement, ait été
suspendue par des procédures exercées soit devant la même
cour, soit en appel.
15. Toute somme d'argent, ou les frais, charges ou dépens
déclarés payables en vertu d'un jugement, d'un décret, d'une
règle ou d'une ordonnance d'une cour quelconque en matière
civile sont, pour les fins de la présente loi, réputés une somme
due en vertu d'un jugement.
rapproche d'aucun autre. Aux termes des disposi
tions de l'article 15 de la Loi sur l'intérêt, les
dépens déclarés payables en vertu d'un jugement
d'une cour quelconque en matière civile sont, pour
les fins de la Loi, réputés une somme due en vertu
d'un jugement. En vertu de l'article 13, une telle
somme due porte intérêt, et en application de
l'article 14 cet intérêt se calcule à partir du jour où
le jugement est rendu.
En toute déférence, je suivrais l'arrêt Star
Mining and Milling Company, Limited c. Byron
N. White Company 3 de la Cour d'appel de la
Colombie-Britannique.
Au cours de la plaidoirie, on nous a renvoyés à
la décision rendue par le juge Grant dans l'affaire
Canadian Aero Service Ltd. c. O'Malley 4 ; il y est
statué qu'en Ontario, la date à partir de laquelle
l'intérêt doit courir sur les dépens taxés se rappor-
tant à des jugements de première instance est celle
du certificat de taxation. Cependant, je constate
que le juge Grant renvoie plus particulièrement à
la formule 115, celle relative aux brefs de fieri
facias qui se trouvent à l'annexe du formulaire des
Règles de procédures de l'Ontario. Au sujet de la
formule 115 5 , il soutient:
[TRADUCTION] ... le deuxième espace en blanc concerne la
date à laquelle l'intérêt sur les dépens doit commencer à courir,
et les mots mis entre parenthèses stipulent que `la date du
certificat de taxation' doit y être mentionnée.
Le juge Grant déclare également 6 :
[TRADUCTION] J'estime qu'en vertu de l'art. 25 du Judica
ture Act, des règles et de la formule 115 qui y sont jointes, le
principe bien établi selon lequel l'intérêt sur les dépens ne peut
être perçu qu'à compter de la date du certificat de taxation
s'applique en l'espèce et l'opinion du juge Riddell, précitée,
dans Vano c. Canadian Coloured Cotton Mills Co. est con-
forme au droit. [C'est moi qui souligne.]
La formule 56 relative au bref de feri facias qui
se trouve à l'annexe des Règles de la Cour fédé-
rale énonce au paragraphe 1:
1. De prélever sur les biens meubles, effets, biens-fonds et
tenures de C.D. dans votre ressort (une) certaine(s) somme(s)
d'argent que A.B. fut condamné par jugement (ou ordonnance)
de la Cour ci-haut mentionnée dans l'action ci-haut mentionnée
3 (1910) 15 B.C.R. 161.
4 (1974) 12 C.P.R. (2 e ) 91.
Ibid., aux pages 93 et 94.
6 Ibid., à la page 95.
(ou selon le cas), à payer audit C.D. le jour de
laquelle (lesquelles) somme(s) est(sont) décrite(s) et détail-
lée(s) comme suit:
(énumérer ici la somme ou les sommes d'argent payables en
vertu du jugement y compris les frais et indiquer, si c'est le
cas, qu'ils furent fixés par le certificat de l'officier taxateur)
ainsi que l'intérêt couru sur telle(s) somme(s) d'argent en
autant que cet intérêt est légalement payable sur cette(ces)
somme(s) par ledit C.D., et cet intérêt est décrit et détaillé
comme suit:
(donner ici le taux de l'intérêt et la période de temps pendant
laquelle l'intérêt court pour chaque somme en indiquant
l'autorité statutaire ou la loi qui l'autorise)
ainsi qu'un montant qui correspond aux honoraires, droits et
dépens d'exécution de ce bref;
La formule 56 prévoit que l'intérêt doit être
imputé «... sur telle(s) somme(s) d'argent en
autant que cet intérêt est légalement payable
sur ....» [C'est moi qui souligne.] Il est également
prescrit qu'au sujet de cet intérêt, mention doit
être faite de la disposition législative habilitante,
en l'espèce l'article 40 de la Loi sur la Cour
fédérale.
On nous a aussi renvoyés à une récente décision
anglaise de la Family Division, K c. K 7 , qui établit
que l'intérêt payable en vertu de l'article 17 du
Judgments Act 1838, relatif aux dépens alloués
lors d'un procès devant la Family Division ne peut
être exigé qu'à partir de l'ordonnance de paiement
qui suit la délivrance du certificat de l'officier
taxateur. La décision a été citée dans le but précis
de la distinguer de nombreux arrêts anglais rendus
entre 1883. et 1894 qui soutiennent que l'intérêt
sur les dépens accordés à la suite d'une condamna-
tion court du jour du jugement et non du jour de la
taxation. Il a été allégué que dans K c. K, la
Family Division a établi une distinction avec ces
arrêts au motif qu'ils s'appuient sur les règles
anglaises dites Rules of 1883 et plus particulière-
ment sur la note infrapaginale d'une formule de
bref de fieri fadas se trouvant à l'annexe de ces
Règles; les Rules of the Supreme Court, 1965 ont
considérablement modifié les formules du bref de
fi. fa. et la note infrapaginale a été retranchée. Il
est vrai que relativement à ces modifications, l'ar-
e [1976] 2 All E.R. 774.
rêt K c. K porte que: [TRADUCTION] «... Le plus
important de tout est que la note infrapaginale a
été supprimée». 8 Cependant, je reconnais qu'aux
fins de la présente affaire la décision K c. K n'est
pas concluante; la décision dans cette affaire me
paraît avoir été tributaire de certaines modifica
tions apportées à la législation et aux règles ainsi
que des procédures suivies dans les différentes
divisions de la Cour suprême de l'Angleterre. Le
passage suivant tiré du jugement rendu par sir
George Baker dans K c. K aux pages 779 et 780,
étaye cette opinion:
[TRADUCTION] Je suis convaincu que la Loi de 1838 s'appli-
que à la Family Division (voir: Supreme Court of Judicature
(Consolidation) Act 1925, art. 225) et que, sous réserve d'une
règle particulière établie en vertu de l'art. 99e) de la Loi de
1925, il faut appliquer la même procédure relative à l'exécution
que dans les autres Divisions; l'ordonnance 45, r. 12, RSC,
s'applique et les formules prévues pour le bref de fi. fa. doivent
être utilisées. Cependant, à mon avis: a) la règle 8 des
Matrimonial Causes (Costs) Rules 1971 est une règle particu-
lière et du fait que les dépens ne sont payables qu'à partir du
jour où est rendue l'ordonnance de paiement qui suit la déli-
vrance du certificat de l'officier taxateur, l'intérêt ne court qu'à
partir de ce jour. Je rejette l'argument de l'avocat de l'épouse
soutenant que l'ordonnance 62, r. 3(1), RSC, crée une obliga
tion de paiement qui serait née le jour où a été rendue l'ordon-
nance du juge Dunn, et que la notification constaterait simple-
ment que le quantum des dépens a été établi. En d'autres mots,
l'ordonnance du juge Dunn a créé ou suscité une obligation de
payer des dépens dont l'exécution ne peut avoir lieu qu'après
notification et taxation des dépens. Le mari a reçu l'ordre de
payer dans les 28 jours qui suivent la notification du 18 août
1975 et il s'est exécuté. Il est à remarquer que la somme
globale n'est devenue exigible qu'au 1" septembre, et quoique
l'épouse n'eût point réclamé l'intérêt sur cette somme, d'après
le plaidoyer de l'avocat elle aurait été en droit de le faire à
compter du 17 mai 1974, date à laquelle le juge Dunn a rendu
son ordonnance et puisque cette dernière ne mentionne aucun
intérêt, la présente cour ne pourrait refuser d'en accorder.
Cependant, ceci contredit non seulement l'opinion du juge Field
dans l'affaire Pyman ([1884] W.N. à la page 100) selon
laquelle `... il peut y avoir un jugement ordonnant le versement
d'une somme d'argent à une date future. Dans ce cas, l'intérêt
commencera à courir à partir de cette date ... ', mais égale-
ment la décision de la Cour d'appel dans l'affaire Harrison c.
Harrison (18 juillet 1974; arrêt non publié) qui annulait une
ordonnance portant paiement, à compter du jugement, d'un
intérêt de 11 pour cent sur la part de l'épouse dans la maison
matrimoniale au motif qu'on l'empêchait d'y habiter. b) Il n'a
jamais été usuel dans les Divisions dites de Probate, Divorce,
Admiralty et Family de réclamer ni d'accorder d'intérêt sur les
dépens à compter de la date de l'ordonnance. c) Pendant de
nombreuses années il n'y a pas eu une règle bien établie dans
8 Ibid., à la page 778.
les autres Divisions permettant de réclamer un tel intérêt, bien
que les arrêts rendus après 1883 auraient justifié cette réclama-
tion. d) Les motifs sur lesquels se fonde l'arrêt Boswell c.
Coaks ((1887) 36 W.R. 65), décision que j'aurais autrement dû
suivre (en tout cas en l'absence d'une règle particulière) ne sont
plus valables du fait de la suppression de la note infrapaginale
et de la modification apportée aux formules du bref en 1965 et
1966.
Je rejetterais l'appel.
Le montant en cause dans l'appel s'élève
approximativement à $3,000. Les frais de l'inti-
mée, sur la base procureur-client, peuvent dépasser
ce montant. La question de droit qui se pose
soulève des difficultés que l'appelant paraît dési-
reux de voir tranchées. J'accorderais les dépens sur
une base procureur-client.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.