T-2003-76
Alger F. Walls (Intimé) (Demandeur)
c.
La Reine (Requérante) (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Gibson—
Windsor, le 24 juin; Ottawa, le 16 juillet 1976.
Impôt sur le revenu—Le demandeur, qui était employé dans
une entreprise de transport de marchandises, devait voyager à
l'extérieur de l'établissement situé à Windsor—Il cherche à
déduire, en vertu de l'article 11(7) de la Loi de l'impôt sur le
revenu, les sommes déboursées pour les repas pris à Détroit—
La défenderesse a rejeté ces déductions—Détroit et sa banlieue
font-ils partie de la région métropolitaine de Windsor?—Loi
de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 11(7).
Le demandeur était employé par une personne dont la princi-
pale entreprise était le transport de marchandises et le siège
social situé à Windsor. Il devait voyager à l'extérieur de son
lieu de travail et, en vertu de l'article 11(7) de la Loi de l'impôt
sur le revenu, il a réclamé des déductions qui ne lui ont pas été
remboursées pour des repas pris à Détroit. La défenderesse a
rejeté ces déductions au motif que la ville de Détroit et sa
banlieue ne se trouvaient pas en dehors de la région métropoli-
taine de Windsor. Le demandeur a sollicité un jugement por-
tant que Détroit et sa banlieue ne faisaient pas partie de la
région métropolitaine de Windsor et que les sommes déboursées
étaient déductibles.
Arrêt: il faut répondre par l'affirmative à la question posée.
La ville de Détroit est située de l'autre côté d'une frontière
internationale. Elle n'est nullement intégrée à la ville de Wind-
sor et n'«appartient» pas ni ne «fait partie» de Windsor. Il est
fort douteux qu'il existe une «région métropolitaine» quelconque
de Windsor au sens de ce paragraphe. Il serait en outre absurde
de dire que Détroit et sa banlieue font partie de la «région
métropolitaine» de Windsor.
Arrêt appliqué: Lumsden c. Commissioners of Inland
Revenue 119141 A.C. 877 (H.L.).
EXPOSE de cause.
AVOCATS:
G. J. Courey pour l'intimé (demandeur).
N. Nichols pour la requérante (défenderesse).
PROCUREURS:
Paroian, Courey, Cohen & Houston, Wind-
sor, pour l'intimé (demandeur).
Le sous-procureur général du Canada pour la
requérante (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE GIBSON: Dans cet appel présenté par
voie d'exposé des faits, le contribuable, soit l'in-
timé (demandeur), sollicite le jugement suivant:
[TRADUCTION] La ville de Détroit et sa banlieue ne font pas
partie de la «région métropolitaine» de la ville de Windsor et,
par conséquent, le demandeur a le droit de déduire les sommes
déboursées pour les repas.
La disposition pertinente en l'espèce est l'article
11(7) de la Loi de l'impôt sur le revenu en vigueur
à l'époque, c'est-à-dire:
(7) Nonobstant les alinéas a) et h) du paragraphe (1) de
l'article 12, lorsqu'un contribuable était un employé d'une
personne dont la principale entreprise était le transport de
voyageurs, de marchandises, ou de voyageurs et marchandises,
et que les fonctions de son emploi l'obligeaient, régulièrement,
a) de voyager, à l'extérieur de la municipalité dans laquelle
était situé l'établissement de son employeur où il devait se
présenter pour son travail, et hors de la région métropoli-
taine, s'il en est, où était situé ledit établissement, sur des
véhicules utilisés par l'employeur pour transporter les mar-
chandises ou voyageurs, et
b) pendant qu'il était ainsi absent d'une telle municipalité et
région métropolitaine, de débourser des sommes pour les
repas et le logement,
les sommes qu'il a ainsi déboursées dans une année d'imposition
peuvent être déduites dans le calcul de son revenu pour l'année
d'imposition dans la mesure où il n'a pas été remboursé et n'a
pas droit d'être remboursé à cet égard. [C'est moi qui souligne.]
Dans le calcul de son revenu imposable pour ses
années d'imposition 1970 et 1971, le demandeur a
déduit certaines sommes en conformité apparem-
ment des dispositions de l'article 11(7) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, tel que
modifié avant la nouvelle loi, S.C. 1970-71-72,
c. 63.
Le ministre du Revenu national a rejeté ces
déductions au motif que le demandeur n'a pas le
droit de déduire ces dépenses en vertu dudit article
11(7) ou d'autres dispositions de la Loi de l'impôt
sur le revenu.
Le demandeur et le sous-procureur général du
Canada au nom de Sa Majesté la Reine, représen-
tée par le Ministre, ont convenu, conformément
aux articles 173(1) de la Loi de l'impôt sur le
revenu et 17(3) de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970, c. 10 (2 e Supp.), de faire trancher
cette question par la Cour fédérale du Canada
puisqu'il s'agit d'une question de droit, d'une ques
tion de fait ou d'une question de droit et de fait.
Voici la question à trancher:
Le demandeur a-t-il le droit de déduire les
sommes déboursées pour les repas au motif que
la ville de Détroit et sa banlieue sont à l'exté-
rieur de la région métropolitaine de la ville de
Windsor au sens de l'article 11(7) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148?
Les parties ont déposé un exposé conjoint des
faits et des points en litige dont voici le texte:
1. A toutes les époques en cause pendant ses années d'imposi-
tion 1970 et 1971, le demandeur était un employé d'une
personne dont la principale entreprise était le transport de
marchandises;
2. L'établissement de son employeur où il devait se présenter
pour son travail était situé au 2260, Walker Road, Windsor
(Ontario), dans la municipalité de la ville de Windsor dans la
province d'Ontario;
3. Les fonctions du demandeur l'obligeaient à voyager réguliè-
rement à l'extérieur de cette municipalité dans des véhicules
utilisés par son employeur pour transporter des marchandises;
4. Le demandeur, pendant qu'il était ainsi absent de cette
municipalité de la ville de Windsor et se trouvait dans la ville
ou dans la banlieue de Détroit, a déboursé les sommes suivantes
pour des repas:
en 1970—$645.
en 1971—$633.
5. L'employeur n'a pas remboursé le demandeur et ce dernier
n'a droit à aucun remboursement;
6. Dans le calcul de son revenu imposable pour ses années
d'imposition 1970 et 1971, le demandeur a déduit les sommes
ainsi déboursées, en partant du principe que, puisque ni la ville
ni la banlieue de Détroit ne faisaient partie de la région
métropolitaine de Windsor, il avait le droit de les déduire en
vertu des dispositions du paragraphe 11(7) de la Loi de l'impôt
sur le revenu;
7. En établissant l'impôt dû par le demandeur en vertu de la
Loi de l'impôt sur le revenu pour ses années d'imposition 1970
et 1971, la défenderesse a rejeté ces déductions dans le calcul
du revenu du demandeur au motif que la ville de Détroit et sa
banlieue ne se trouvent pas en dehors de la région métropoli-
taine de la ville de Windsor où est situé l'établissement de
l'employeur, de sorte que le demandeur n'avait droit à aucune
déduction en vertu du paragraphe 11(7) de la Loi de l'impôt
sur le revenu.
8. En sa qualité de conducteur de camions pour cette entreprise
de transport, le demandeur devait voyager trois fois par jour
entre l'établissement de la compagnie de transport situé dans la
ville de Windsor et la ville ou la banlieue de Détroit.
9. Quand le demandeur quitte l'établissement de son
employeur, il n'y retourne que 10 1 / 2 ou 11 heures plus tard.
Pendant cette période, le demandeur fait trois voyages qui
durent en moyenne de 3 1 / 2 à 4 heures.
10. Pour revenir à Windsor, le demandeur doit traverser la
frontière internationale et acquitter des droits de passage qui
varient entre $3.40 et $6.30.
11. Les déductions réclamées portent sur des repas qui ont été
pris aux heures régulières de repas, en dehors du Canada.
12. Le demandeur a réclamé une déduction au titre de sommes
déboursées pour les repas à raison d'un repas par jour pour
chacune des journées où il se rendait dans la ville ou la banlieue
de Détroit.
13. L'employeur n'a pas remboursé le demandeur et ce dernier
n'a droit à aucun remboursement.
14. Dans sa déclaration de revenu pour ses années d'imposition
1970 et 1971, le demandeur a déduit ces dépenses de son revenu
en partant du principe que, puisque ni la ville de Détroit ni sa
banlieue ne font partie de la région métropolitaine de Windsor,
il avait le droit de les déduire en vertu des dispositions de
l'article 8(1)g) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952,
c. 148, tel que modifié par l'article 1, c. 63 des Statuts du
Canada 1970-71-72;
15. En établissant la cotisation du demandeur en vertu de la
Loi de l'impôt sur le revenu pour ses années d'imposition 1970
et 1971, la défenderesse a rejeté ces déductions au motif que la
ville de Détroit et sa banlieue faisaient partie de la région
métropolitaine de Windsor et qu'en conséquence, le demandeur
n'avait droit à aucune déduction en vertu de l'article 8(1)g) de
la Loi.
16. Voici la question que la Cour fédérale a à trancher:
Le demandeur a-t-il le droit de déduire les sommes débour-
sées pour les repas au motif que la ville de Détroit et sa
banlieue sont à l'extérieur de la région métropolitaine de la
ville de Windsor au sens de l'article 11(7) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148?
Pour trancher cette affaire, la Cour a aussi pris
connaissance des faits suivants:
1. La municipalité de la ville de Windsor a une
population d'environ 250,000 habitants;
2. Par suite d'annexions récentes de certaines
zones urbaines à la ville de Windsor une grande
partie de Sandwich West a été annexée à Wind-
sor, et ne comprend plus qu'environ 5,000
habitants;
3. Windsor a annexé une partie de la municipa-
lité de Sandwich South qui ne compte plus
qu'environ 5,000 habitants;
4. Windsor a annexé les municipalités de Sand
wich East et de Riverside qui n'existent plus
maintenant;
5. La municipalité de Tecumseh a une popula
tion d'environ 5,000 habitants;
6. Il n'existe aucune autre zone urbaine du côté
canadien de la frontière dans le voisinage immé-
diat ou à proximité de la ville de Windsor.
7. La ville de Détroit est, en importance, la
cinquième ville des États-Unis et est entourée de
municipalités de grande superficie qui s'étendent
sur 20 ou 30 milles.
Voici quelques définitions de dictionnaires du
mot «métropolitain»:
[TRADUCTION] Métropolitain ... d'une métropole, qui
appartient à une métropole ou qui la constitue. Signifie faisant
partie ou propre à la métropole (Londres).... Ville principale
ou métropole ... .
(The Shorter Oxford English Dictionary on Historical Princi
ples, Third Edition.)
métropolitain ... d'une métropole, relatif ou propre à une
métropole ... .
(New Collegiate Dictionary, A. Merriam -Webster.)
métropolitain ... d'une métropole, appartenant ou propre à
une métropole. 2. Formant une agglomération urbaine impor-
tante et ses alentours: la région métropolitaine... .
(Standard College Dictionary, édition canadienne, Funk &
Wagnalls.)
métropolitain ... d'une métropole, faisant partie d'une
métropole.
(The Random House Dictionary.)
Voici quelques définitions de dictionnaires du
mot «appartenir» («pertain»):
[TRADUCTION] appartenir ... Se rapporter à ou avoir un
lien avec; avoir trait à; par exemple, des documents qui appar-
tiennent à l'affaire; faire partie de ou se rattacher à une chose
en tant que partie constituante, accessoire, possession ou attri-
but; faire partie à bon droit ou à juste titre;
(The Living Webster Encyclopedic Dictionary of the English
Language.)
appartenir ... s'étendre à, tendre à ou faire partie de ...
Faire partie de; notamment par la naissance, l'appartenance, la
participation ou par un lien de dépendance ... .
(The Shorter Oxford English Dictionary on Historical Princi
ples, Third Edition.)
appartenir ... se rapporter à ou avoir une relation avec; avoir
trait à; des documents qui appartiennent à l'affaire. 2. faire
partie de ou se rattacher à une chose en tant que partie
constituante, accessoire, possession, attribut, etc.
(The Random House Dictionary.)
La ville de Détroit est située de l'autre côté
d'une frontière internationale. Elle n'est nullement
intégrée à la ville de Windsor. Elles ne partagent
par exemple aucune infrastructure, aucun service
municipal tel que la voirie, les services d'adduction
d'eau, les pompiers, la police et il n'existe pas de
liaison politique entre elles. Elle n'«appartient» pas
ni ne «fait partie» de la ville de Windsor.
Les administrations fédérales respectives du
Canada et des États-Unis d'Amérique s'occupent
ou font un contrôle des entrées et des sorties entre
ces deux villes.
Après avoir attentivement examiné les faits et
les dispositions de l'ancien article 11(7) de la Loi
de l'impôt sur le revenu, je doute fort, en premier
lieu, qu'il existe une «région métropolitaine» quel-
conque de Windsor au sens de ce paragraphe de la
Loi. De toute façon, elle se composerait tout au
plus des municipalités de Sandwich West, de
Sandwich South et de Tecumseh. Il serait en outre
absurde de dire que la ville de Détroit et sa
banlieue font partie de la «région métropolitaine»
de Windsor, ce serait pour le moins renverser les
rôles.
Comme le déclarait le vicomte Haldane à la
page 892 de l'arrêt Lumsden c. Commissioners of
Inland Revenue':
[TRADUCTION] ... il est certain qu'il existe des cas d'interpré-
tation où l'on écarte le sens naturel des mots d'une loi pour y
substituer un sens différent de leur sens ordinaire. Cela se
produit lorsque le contexte ou l'économie de la loi l'exige pour
que la loi dans son ensemble forme un tout homogène. Mais la
simple conjecture que le Parlement poursuivait un but qui,
aussi naturel soit-il, n'a pas été traduit dans les mots qu'il a
utilisés, si on les prend dans leur sens littéral, n'est pas une
raison suffisante pour s'écarter de l'interprétation littérale.
et aux pages 896 et 897:
[TRADUCTION] ... il incombe aux juges, quand ils interprètent
les lois, d'adhérer à l'interprétation littérale à moins que,
compte tenu du contexte, il appert qu'on ne peut interpréter
ainsi les mots en cause. Cette règle se révèle particulièrement
importante dans le cas des lois fiscales.
Par conséquent, il faut répondre par l'affirma-
tive à la question posée.
Le demandeur a droit à ses dépens.
L'une ou l'autre des parties, sur comparution de
son avocat ou en vertu de la Règle 324, peut
demander un jugement fondé sur ces motifs.
Jugement ne sera rendu que quand la cause sera
réglée par la Cour.
[1914] A.C. 877 (H.L.).
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.