A-762-76
Donald Jamieson et Marcel Lessard (Appelants)
(Défendeurs)
c.
Mario Carota (Intimé) (Demandeur)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett et les juges
Urie et Ryan—Ottawa, le 20 janvier 1977.
Pratique — Appel d'une ordonnance rejetant la demande
des appelants visant à obtenir une décision sur des points de
droit conformément à la Règle 474 — L'intimé a formé ce qui
semble être un «contre-appel, à l'encontre de la partie de
l'ordonnance rejetant sa demande pour une injonction interlo-
cutoire, conformément à la Règle 1203 Application exacte
des Règles 474 et 1203 — Règles 474 et 1203 de la Cour
fédérale.
Le juge de première instance a rejeté la requête des appelants
visant à obtenir une ordonnance radiant la déclaration, en vertu
de la Règle 419(1), ainsi que la requête de l'intimé, présentée
en vertu de la Règle 469(1), visant l'obtention d'une injonction
interlocutoire. Les appelants ont ensuite donné avis de la
présentation d'une requête visant à obtenir, conformément à la
Règle 474, une décision sur deux points de droit, à savoir, s'il
existe, de la part du demandeur, un défaut de qualité pour
intenter la présente action et si ce dernier a une cause raisonna-
ble d'action ou, subsidiairement, aux fins d'obtenir la permis
sion de déposer une défense. L'intimé a alors donné avis de la
présentation d'une requête sollicitant un jugement par défaut et
une injonction interlocutoire. Ces requêtes furent aussi rejetées,
mais la permission de déposer une défense fut accordée. Les
appels interjetés en l'espèce portent sur le second rejet.
Arrêt: les deux appels sont rejetés. Aucun motif n'a été
fourni permettant l'ingérence dans l'exercice, par la Division de
première instance, de son pouvoir discrétionnaire aux termes de
la Règle 474. De plus, le «contre-appel n'était pas la procédure
appropriée en vertu de la Règle 1203; l'intimé aurait dû
instituer ses procédures par appel distinct. Quoi qu'il en soit,
l'intimé a admis que la Cour d'appel n'était pas justifiée à
s'immiscer dans la décision de la Division de première instance
relativement à sa demande d'injonction.
APPEL et, en apparence, contre-appel.
AVOCATS:
G. W. Ainslie, c.r., et R. P. Hynes pour les
appelants.
Mario Carota pour lui-même.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les appelants.
Mario Carota, North Bedeque, Île-du-Prince-
Édouard, pour lui-même.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Appel est interjeté
par les appelants, défendeurs en première instance,
d'une ordonnance rendue le 28 octobre 1976 par la
Division de première instance'. L'appel porte
manifestement sur la partie de l'«ordonnance»
rendue ce jour-là, suivant laquelle la demande des
appelants, présentée en vertu de la Règle 474 et
visant une décision sur certains points de droit, fut
rejetée. L'intimé, demandeur en première instance,
a formé ce qui semble être un «contre-appel» à
l'encontre de la même «ordonnance». Le «contre-
appel» sera examiné postérieurement à l'appel,
puisqu'il vise une partie tout à fait distincte de
l'«ordonnance» rendue par la Division de première
instance.
Les démarches principales au niveau des procé-
dures intentées en Division de première instance se
résument comme suit:
1. L'intimé, à titre de résident de l'Île-du-
Prince-Édouard, a, dans une déclaration déposée
le 10 mai 1976, entamé des poursuites contre les
défendeurs, le ministre actuel de l'Expansion
économique régionale et son prédécesseur, à
l'égard d'un certain accord qui aurait été conclu
de façon illégale entre le Canada et l'Île-du-
Prince-Édouard. Le redressement demandé était
le suivant:
[TRADUCTION] a) Un jugement déclaratoire statuant que
l'accord conclu le 23 octobre 1975, entre le gouvernement du
Canada et l'Île-du-Prince-Édouard, est nul;
b) Une injonction et une injonction interlocutoire visant à
empêcher la dépense de fonds fédéraux pour la mise en
oeuvre de l'accord susmentionné, jusqu'à ce que des disposi
tions soient prises par le défendeur Marcel Lessard pour
assurer la participation du demandeur, de personnes, de
groupes bénévoles et de corps constitués, dans ces zones
spéciales, dans l'élaboration et la réalisation d'un nouvel
accord relatif à la phase 11 du plan de développement
détaillé et complet de l'Île-du-Prince-Édouard;
c) Un bref de mandamus ordonnant au défendeur Marcel
Lessard de prendre des dispositions pour assurer une colla
boration appropriée avec la province de l'Ile-du-Prince-
Édouard ainsi que la participation du demandeur, de person-
nes, de groupes bénévoles et de corps constitués, dans l'éla-
boration et la réalisation de ces nouveaux plan et accord; et
une injonction interdisant les dépenses additionnelles de
fonds ou toute autre mesure prise dans le but de mettre en
oeuvre un tel accord ou un tel plan, jusqu'à ce que des
dispositions soient prises afin d'assurer la participation men-
tionnée précédemment;
' [1977] 1 C.F. 504.
d) Des dommages-intérêts punitifs de $100,000;
e) Les frais de ces procédures;
f) Tout autre redressement que cette cour jugera équitable.
2. Le 29 avril 1976, les appelants ont donné avis
de la présentation d'une requête aux fins d'obte-
nir une ordonnance qui radierait la déclaration,
conformément à la Règle 419(1), pour les
motifs:
a) que la déclaration ne révélait aucune cause
raisonnable d'action;
b) que le demandeur n'avait pas qualité pour
agir dans l'action introduite par ladite
déclaration;
c) que la déclaration constituait une déviation
d'une plaidoirie antérieure; et
d) que la déclaration constituait par ailleurs
un emploi abusif des procédures de la Cour,
ou
subsidiairement, aux fins d'obtenir une ordon-
nance qui permettrait aux défendeurs de déposer
leur défense.
3. Le 10 mai 1976, l'intimé, conformément à la
Règle 469(1), a donné avis de la présentation
d'une requête aux fins d'obtenir une injonction
interlocutoire qui interdirait la dépense de fonds
publics.
4. Le 31 mai 1976, la requête en radiation et la
requête en injonction furent rejetées 2 .
5. Le 6 juin 1976, les appelants, conformément
à la Règle 474, ont donné avis qu'ils présente-
raient une requête aux fins d'obtenir une déci-
sion sur les points de droit suivants:
1. Existe-t-il, de la part du demandeur, un défaut de qualité
pour intenter la présente action aux motifs:
a) qu'elle n'a pas été intentée par le procureur général du
Canada ex relatione ou par le procureur général du
Canada et que le demandeur n'a pas communiqué avec ce
dernier à ce sujet; ou,
b) que le demandeur, au vu des conclusions écrites, n'a
pas plus subi de dommages spéciaux que tout autre
particulier?
2. Le demandeur a-t-il une cause raisonnable d'action?
ou, subsidiairement, aux fins d'obtenir la per
mission de déposer une défense.
6. Par requête présentée le 22 juillet 1976, l'in-
timé demandait, entre autres,
a) un jugement par défaut, et
2 [I977] 1 C.F. 19.
b) une injonction interlocutoire interdisant la
dépense de fonds publics.
7. Par l'«ordonnance» du 28 octobre 1976 qui
fait l'objet de cet appel,
a) «La demande des défendeurs visant une
décision sur des points de droit» fut rejetée et
la Cour accorda la permission de déposer une
défense, et
b) la demande de l'intimé, en vue d'obtenir,
entre autres, un jugement par défaut et une
injonction interlocutoire, fut rejetée.
Comme je l'ai déjà souligné, cet appel est formé
à l'encontre du rejet de la demande des appelants
qui sollicitait une décision sur certains points de
droit.
Cette demande fut présentée en vertu de la
Règle 474, qui se lit comme suit:
Règle 474. (1) La Cour pourra, sur demande, si elle juge
opportun de le faire,
a) statuer sur un point de droit qui peut être pertinent pour
la décision d'une question, ou
b) statuer sur un point afférent à l'admissibilité d'une preuve
(notamment d'un document - ou d'une autre pièce
justificative),
et une telle décision est finale et péremptoire aux fins de
l'action sous réserve de modification en appel.
(2) Sur demande, la Cour pourra donner des instructions
quant aux données sur lesquelles doit se fonder le débat relatif à
un point à décider en vertu du paragraphe (1).
Les motifs du juge Dubé, dans la mesure où ils
s'appliquent à la décision rejetant la demande aux
fins d'examiner certains points de droit, se lisent
comme suit [aux pages 507-81:
La Cour a donc le pouvoir discrétionnaire d'entendre une
telle demande si elle »juge opportun de le faire». Le but général
de cette Règle est de permettre la solution de questions litigieu-
ses et ainsi abréger et peut-être supprimer les audiences. La
Règle est applicable lorsque les faits ne sont pas contestés ou
font l'objet d'un accord et que la décision recherchée porte
uniquement sur un point de droit. La Règle s'applique mieux
lorsque les avocats des parties s'entendent sur les questions de
droit précises sur lesquelles la Cour doit statuer.
En l'espèce un tel accord n'existe pas, l'avocat des défendeurs
ayant déclaré qu'il aurait été difficile d'y parvenir, le deman-
deur n'étant pas représenté par un avocat. Le demandeur, qui
agissait pour son propre compte, a déclaré sans équivoque qu'il
ne cherchait pas une décision sur un point de droit avant
l'audience mais une date d'audience rapprochée comme l'a
recommandée le juge Collier.
Dans les motifs de son jugement, le juge Collier a étudié
toutes les questions de droit en litige et a conclu qu'il n'était pas
convaincu de l'absence d'une cause d'action ni du défaut chez le
demandeur de qualité pour intenter cette action. Il a déclaré
qu'»elle devrait faire l'objet d'une présentation d'une preuve
complète, de plaidoiries et de débats, au cours d'une audition»
et a conclu qu'»elle devrait tout au moins faire l'objet d'une
audition régulière sur un point de droit après que tous les faits
pertinents servant à trancher ce point en litige auraient été
établis».
Si tous les faits pertinents n'étaient pas prouvés à l'époque,
ils ne le sont pas maintenant car à l'exception de la nouvelle
demande qui n'établit aucun fait mais énumère simplement
certaines questions à trancher, on n'a soumis à la Cour aucun
autre élément de preuve que ceux produits lors de l'audition de
la requête initiale.
Dans les circonstances, je n'ai d'autre choix que de rejeter la
demande. Les défendeurs auront la permission de déposer leur
défense dans les trente jours de la réception de ce jugement.
A mon avis, il est clair que le juge Dubé a souscrit
aux motifs du juge Collier selon lesquels il n'était
pas opportun de statuer sur les «points de droit»
étant donné les faits au dossier à cette époque;
faits qui, comme l'a observé le juge Dubé,
n'avaient pas été modifiés depuis la présentation
de la requête en radiation devant le juge Collier
jusqu'à la présentation de la requête devant lui, en
vertu de la Règle 474. C'est une question de
pouvoir discrétionnaire et aucun motif n'a été
fourni permettant à cette cour de s'immiscer dans
l'exercice, par la Division de première instance, de
son pouvoir discrétionnaire dans cette affaire.
Je désire faire d'autres commentaires, en plus de
ceux formulés par le juge Dubé dans son jugement.
En ce qui concerne la question de droit relative-
ment à la «qualité» de l'intimé pour intenter l'ac-
tion je renvoie à la décision de la Cour suprême du
Canada, dans l'arrêt Nova Scotia Board of Cen
sors c. McNeil 3 , où le juge en chef Laskin, rendant
jugement pour la Cour, déclarait [à la page 267]:
En accordant l'autorisation, cette Cour a indiqué que lors-
qu'il y a, comme en l'espèce, des arguments valables pour
reconnaître la qualité pour agir, il vaut mieux statuer en même
temps sur tous les points soulevés, qu'ils portent sur la régula-
rité ou la justesse de la procédure ou sur le fond du litige.
Quant à la seconde question proposée à titre de
point de droit, à savoir:
2. Le demandeur a-t-il une cause raisonnable d'action?
3 [ 1 976] 2 R.C.S. 265.
je suis d'avis que cette question ne constitue pas,
par elle-même, un point de droit sur lequel la Cour
peut statuer en se fondant sur l'état actuel du
dossier. Il faut faire une distinction entre cette
question et la même question fondée sur des «don-
nées» établies conformément à la Règle 474(2) ou
fondée sur une présomption que toutes les alléga-
tions contenues dans la déclaration sont exactes.
Cependant, je ne voudrais pas laisser entendre que,
même si la dernière question avait été formulée de
cette façon, il y aurait lieu de croire que la Divi
sion de première instance serait parvenue à une
conclusion différente quant à «l'opportunité» de
statuer, avant jugement, sur la question.
J'estime opportun d'ajouter qu'à mon avis, la
Règle 474 prévoit normalement deux étapes, à
savoir:
a) une demande d'ordonnance aux fins de sta-
tuer sur certains points de droit et une demande
d'instructions quant au temps et lieu du débat
relatif à ces points de même que, probablement,
une demande visant à établir les «données» pré-
vues à la Règle 474(2), et
b) le débat relatif à ces points, après que les
deux parties auront eu l'occasion de s'y prépa-
rer, à un moment fixé par la Cour. 4
Il faut faire une distinction entre une demande en
vertu de la Règle 474 visant l'obtention d'une
décision sur un point de droit et une requête en
radiation présentée en vertu de la Règle 419 lors-
que cette requête peut être entendue au cours de la
journée réservée à l'audition des requêtes, au motif
que, de toute évidence, la demande est «absolu-
ment insoutenable», à moins que la Cour n'ait
accordé, aux parties qui le désirent, l'occasion
d'«une audition relativement longue et approfondie
au lieu d'une audition courte et sommaire.» Voir
La Reine c. Wilfrid Nadeau Inc.'
Quant au «contre-appel», je présume qu'il a été
formé conformément à la Règle 1203, qui se lit
comme suit:
Règle 1203. (1) Si une partie qui n'est pas l'appelant a l'inten-
tion de soutenir, lors de l'audition de l'appel, que la décision
Normalement, aucune demande visée à la Règle 474 ne
devrait, à mon avis, être présentée avant le dépôt d'une défense;
ainsi, la Cour pourrait statuer sur la question d'opportunité en
fonction des points en litige.
5 [1973] C.F. 1045.
faisant l'objet de l'appel doit être modifiée, elle doit, dans les 10
jours qui suivent la signification qui lui a été faite de l'avis
d'appel, donner avis de cette intention à toute autre partie que
cette prétention peut toucher et elle doit immédiatement dépo-
ser cet avis ainsi que la preuve de sa signification.
(2) L'omission de donner avis ainsi que l'exige le paragraphe
(I) ne restreindra pas les pouvoirs de la Cour mais peut, à la
discrétion de la Cour, donner lieu à un ajournement de l'audi-
tion de l'appel ou à une ordonnance spéciale quant aux dépens.
A mon avis, le «contre-appel», en l'espèce, n'est pas
la procédure appropriée aux termes de la Règle
1203.
La Division de première instance fut saisie, en
même temps, de deux demandes: l'une présentée
par les appelants, et l'autre, par l'intimé. La Cour
a rendu deux ordonnances, l'une se rapportant à la
demande des appelants et l'autre, à celle de l'in-
timé; mais ces ordonnances furent consignées dans
un seul document. Appel ne fut interjeté que de
l'ordonnance rejetant la demande des appelants; il
s'agissait de la seule «décision faisant l'objet de
l'appel». Le «contre-appel» ne contenait pas d'avis
selon lequel l'intimé avait l'intention de soutenir
que la décision devait être modifiée; il n'est donc
pas, de ce fait, un contre-appel autorisé en vertu de
la Règle 1203. L'intimé aurait dû procéder au
moyen d'un appel distinct.
Nous avons néanmoins entendu l'appel de l'in-
timé au fond et ce dernier, après avoir exprimé son
désir de ne pas donner suite à son appel, sauf en ce
qui concerne l'injonction, a admis, après discus
sion, que cette cour n'était pas justifiée à s'immis-
cer dans la décision de la Division de première
instance relativement à sa demande d'injonction.
Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel
et le contre-appel. J'entendrai les parties sur la
question des dépens.
* * *
LE JUGE URIE y a souscrit.
* * *
LE JUGE RYAN y a souscrit.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.