A-347-76
Procureur général du Canada (Requérant)
C.
La Commission des relations de travail dans la
Fonction publique (Intimée)
Cour d'appel, les juges Urie, Ryan et Le Dain—
Ottawa, les 2 et 4 juin 1976.
Examen judiciaire—Fonction publique—Décision de la
Commission des relations de travail dans la Fonction publi-
que—L'employeur a fourni une liste des ,,employés dési-
gnés»—L'agent de négociation s'y est opposé—Absence d'ac-
cord sur la liste des employés désignés de la Division de
l'inspection des viandes au ministère de l'Agriculture—Les
parties ont réservé leur droit en ce qui concerne la désignation
de ces employés, après être parvenus à un accord sur la
désignation d'autres employés du groupe—La Commission a
désigné un certain nombre d'employés dans chaque province,
laissant le soin à l'employeur de décider quels étaient les
individus les plus compétents—La Commission a-t-elle
commis une erreur en désignant certains employés d'une classe
donnée dont les tâches ne sont pas différentes de celles des
autres employés de ladite classe et en déléguant à l'employeur
le pouvoir discrétionnaire de décider quels employés devaient
être désignés Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 79—Loi sur la Cour
fédérale, art. 28.
Conformément à l'article 79(2) de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique, l'employeur a fourni à la
Commission une liste des employés ou classes d'employés dont
les fonctions sont jugées nécessaires dans l'intérêt de la sûreté
ou de la sécurité du public. L'agent de négociation s'y est
opposé, et les parties ne sont pas parvenues à un accord sur la
liste des vétérinaires qui devaient être désignés à la Division de
l'inspection des viandes au ministère de l'Agriculture. Un
accord est intervenu sur la désignation d'autres employés de
l'unité de négociation, mais les parties ont réservé leurs droits
respectifs en ce qui concerne la désignation des vétérinaires en
question. La Commission a désigné un certain nombre d'em-
ployés pour chaque province, laissant le soin à l'employeur de
décider quels étaient les employés qui devaient être désignés. Le
requérant a fait valoir que la Commission avait commis une
erreur en désignant certains employés d'une classe donnée dont
les tâches ne sont pas différentes de celles des autres employés
de ladite classe, et, en déléguant à l'employeur le pouvoir
discrétionnaire de décider quels employés devaient être
désignés.
Arrêt: l'ordonnance est annulée et l'affaire est renvoyée à la
Commission. La Commission ne peut pas déléguer l'obligation
qui lui incombe conformément à l'article 79(3) de déterminer
quels employés ou classes d'employés sont désignés. En accor-
dant à l'employeur le pouvoir discrétionnaire de décider quels
employés devaient être désignés, la Commission n'a pas exercé
le pouvoir discrétionnaire qui relevait uniquement de sa respon-
sabilité. Aux termes de l'article 79, la Commission n'est compé-
tente que lorsque les parties ne peuvent pas s'entendre sur la
liste des employés désignés. A défaut d'accord, la Commission,
et elle seule, doit prendre la décision nécessaire. Elle ne l'a pas
fait puisqu'elle a laissé à l'employeur non seulement le pouvoir
discrétionnaire de décider quels employés devaient être dési-
gnés, mais également leur niveau et leur situation géographique
dans la province. Et, en fixant un pourcentage pour une classe
d'employés dans chaque province, sans préciser leur situation
géographique, la Commission n'a pas décidé «quels employés»
ni «quelles classes d'employés» sont des employés désignés; la
Commission a donc manqué à l'obligation que lui impose
l'article 79(3). La désignation concernant une partie d'une
classe ne suffit pas puisque l'employeur, sans référence précise
sur les individus ou sur les emplois au sein de cette partie de la
classe d'employés, doit prendre la responsabilité de déterminer
non seulement quelle classe d'employés sera désignée, mais
également quels employés au sein de ce groupe le seront. En
agissant de cette façon, la Commission n'a pas exercé la
compétence exclusive que lui confère la Loi.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
L. Holland pour le requérant.
Aucun pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Aucun pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés oralement par
LE JUGE URIE: La requête présentée en vertu de
l'article 28 vise à l'examen et à l'annulation de la
décision de la Commission des relations de travail
dans la Fonction publique rendue conformément à
l'article 79 de la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique, le 6 mai 1976. La
demande a été entendue en même temps qu'une
autre demande présentée en vertu de l'article 28,
entre l'Institut professionnel du service public du
Canada et la Commission des relations de travail
dans la Fonction publique (no du greffe:
A-352-76), visant à l'examen et à l'annulation de
la même décision. Les demandes ont été plaidées
ensemble et un avocat a comparu au nom du
procureur général du Canada et de l'Institut pro-
fessionnel du service public du Canada (ci-après
appelé l'Institut). La Commission n'était pas
représentée et n'a fait aucune observation écrite.
Puisque le litige porte uniquement sur l'interpré-
tation de l'article 79 de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique, je cite cet arti
cle en entier.
79. (1) Nonobstant l'article 78, il ne doit pas être établi de
bureau de conciliation pour l'enquête et la conciliation d'un
différend relatif à une unité de négociation tant que les parties
ne se sont pas mises d'accord ou que la Commission n'a pris,
aux termes du présent article, aucune décision sur la question
de savoir quels sont les employés ou les classes d'employés de
l'unité de négociation (ci-après dans la présente loi appelés
«employés désignés») dont les fonctions sont, en tout ou en
partie, des fonctions dont l'exercice à un moment particulier ou
après un délai spécifié est ou sera nécessaire dans l'intérêt de la
sûreté ou de la sécurité du public.
(2) Dans les vingt jours qui suivent celui où l'avis de négo-
ciations collectives est donné par l'une ou l'autre des parties aux
négociations collectives, l'employeur doit fournir à la Commis
sion et à l'agent négociateur de l'unité de négociation en cause
un relevé des employés ou classes d'employés de l'unité de
négociation que l'employeur considère comme des employés
désignés.
(3) Si aucune opposition au relevé mentionné au paragraphe
(2) n'est faite à la Commission par l'agent négociateur dans tel
délai consécutif à la réception de ce relevé par l'agent négocia-
teur que peut fixer la Commission, ce relevé doit être considéré
comme un relevé des employés ou des classes d'employés de
l'unité de négociation qui, par convention des parties, sont des
employés désignés. Toutefois, lorsqu'une opposition à ce relevé
est faite à la Commission par l'agent négociateur dans le délai
ainsi prescrit, la Commission après avoir examiné l'opposition
et avoir donné à chaque partie l'occasion de communiquer ses
observations, doit décider quels employés ou quelles classes
d'employés de l'unité de négociation sont des employés
désignés.
(4) Une décision prise par la Commission en conformité du
paragraphe (3) est définitive et péremptoire à toutes fins de la
présente loi. Le Président doit la communiquer par écrit aux
parties aussitôt que possible.
(5) Dans le délai et de la manière que peut prescrire la
Commission, tous les employés d'une unité de négociation qui
sont, par convention des parties ou par décision de la Commis
sion en conformité du présent article, des employés désignés
doivent en être informés par la Commission. 1966-67, c. 72,
art. 79.
En bref les faits sont les suivants:
Le 18 novembre 1975, l'employeur (Sa Majesté
du chef du Canada, représentée par le Conseil du
Trésor) a fourni à la Commission des relations de
travail dans la Fonction publique (ci-après appelée
la Commission) et à l'Institut (agent négociateur)
conformément au paragraphe (2) de l'article 79,
un relevé des employés ou classes d'employés de
l'unité de négociation que l'employeur considère
comme des employés dont les fonctions sont, en
tout ou en partie, des fonctions dont l'exercice à un
moment particulier ou après un délai spécifié est
ou sera nécessaire dans l'intérêt de la sûreté ou de
la sécurité du public. L'Institut s'est opposé aux
diminutions proposées et les parties ont essayé, en
vain, de résoudre le litige. L'employeur a donc
informé la Commission que les parties n'étaient
pas parvenues à un accord sur la liste des vétéri-
naires faisant partie de l'unité de négociation qui
devaient être désignés à la Division de l'inspection
des viandes au ministère de l'Agriculture. Les
parties sont parvenues à un accord sur la désigna-
tion d'autres employés de l'unité de négociation.
Dans cet accord, les parties ont réservé leurs droits
respectifs en ce qui concerne la désignation de
vétérinaires à la Division de l'inspection des vian-
des où aucun accord n'a été conclu.
La Commission a tenu une audience le 5 avril
1976, pendant laquelle l'employeur a apporté des
preuves montrant que 212 des 282 vétérinaires de
la Division de l'inspection des viandes devaient être
désignés conformément à l'article 79(1) de la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que. A la suite de cette audience, la Commission a
déclaré qu'elle avait besoin d'autres renseigne-
ments concernant en particulier les législations
provinciales et municipales sur l'inspection des
viandes. A l'audience tenue à cette fin, le 22 avril
1976, l'employeur a apporté d'autres preuves et les
parties ont présenté d'autres observations. Par la
suite, la Commission a conclu que ni la thèse de
l'Institut selon laquelle aucun vétérinaire ne devait
être désigné à la Division de l'inspection des vian-
des, ni celle de l'employeur selon laquelle 212
vétérinaires devaient être désignés à cette division,
ne constituait une solution raisonnable ou durable
au problème dont elle était saisie. A l'occasion
d'une nouvelle audience, l'avocat de l'employeur a
informé la Commission que, à la lumière de la
législation de l'Ontario et de l'Île-du-Prince-
Édouard qui interdit la vente de viande non inspec-
tée, l'employeur réduisait à 21 sa demande initiale
de 62 vétérinaires désignés en Ontario, chiffre qui
a été augmenté par la suite à 25. Il a également
retiré sa demande concernant la désignation d'un
vétérinaire pour l'Île-du-Prince-Édouard. L'em-
ployeur est cependant resté sur ses positions en ce
qui concerne les désignations proposées pour les 8
autres provinces. L'avocat de l'Institut a continué
de s'opposer à la désignation de tout employé de la
Division de l'inspection des viandes.
Le 6 mai 1976, la majorité de la Commission (il
y avait une dissidence) a désigné les membres
suivants du groupe de la médecine vétérinaire
affectés à la Division de l'inspection des viandes du
ministère de l'Agriculture:
(a) A Terre-Neuve, en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Bruns-
wick, au Manitoba et en Saskatchewan où, d'après les témoi-
gnages, il n'y a pas d'inspection provinciale des viandes,
cinquante pour cent (50%) des vétérinaires de chaque pro
vince ou, plus précisément, les nombres suivants d'employés:
Terre-Neuve 1
Nouvelle-Écosse 3
Nouveau-Brunswick 6
Manitoba 11
Saskatchewan 9
(b) Au Québec, en Alberta et en Colombie-Britannique où,
d'après les témoignages, il y a inspection provinciale faculta-
tive des viandes, quarante pour cent (40%) des vétérinaires
dans chaque province ou, plus précisément, les nombres
suivants d'employés:
Québec 28
Alberta 17
Colombie-Britannique 7
(c) En Ontario, où il y a inspection provinciale obligatoire
des viandes, dix des membres du Groupe de la médecine
vétérinaire proposés par l'employeur pour l'inspection de la
volaille. En outre, les cinq vétérinaires que l'employeur a
proposés et qui font partie de la Division de l'inspection des
viandes de l'administration centrale du ministère de l'Agri-
culture à Ottawa.
C'est de cette décision que résulte la présente
demande.
Au cours de l'audience devant cette cour, l'avo-
cat du requérant a fait valoir que la Commission
avait commis une erreur à deux égards en rendant
sa décision:
a) en désignant certains employés d'une classe
donnée dont les tâches ne sont pas différentes de
celles des autres employés de ladite classe;
b) en déléguant à l'employeur le pouvoir discré-
tionnaire de décider quels employés devaient
être désignés au regard de la sûreté ou de la
sécurité du public.
L'avocat de l'Institut a fait valoir que l'ordon-
nance de la Commission était tout à fait légale
excepté la mention de la désignation d'employés en
Ontario; la demande de l'Institut, présentée con-
formément à l'article 28, concerne cette partie de
l'ordonnance.
Aux termes de l'article 79(3), la Commission est
tenue de déterminer quels employés ou classes
d'employés de l'unité de négociation sont des
employés désignés au sens du paragraphe (1).
Cette décision relève uniquement de la Commis
sion et ne peut pas être déléguée. Je pense, cepen-
dant, que la Commission a délégué sa responsabi-
lité pour cette décision. En d'autres termes, les
membres de la Commission n'ont pas exercé leur
propre pouvoir discrétionnaire pour décider quels
employés ou classes d'employés de l'unité de négo-
ciation devaient être désignés. Ceci ressort explici-
tement de cet extrait du paragraphe 26 des motifs
de leur décision.
En tous les cas, nous avons cru bon faire nos désignations en
pourcentages des vétérinaires de la Division de l'inspection des
viandes en poste dans chaque province. Pour la commodité des
parties, nous avons traduit ces pourcentages en nombres d'em-
ployés. Notre formule laisse à l'employeur le choix des
employés à désigner pour la sûreté ou la sécurité du public dans
chaque province, en termes de niveau et de situation
géographique.
Un pouvoir discrétionnaire conféré à un tribunal
doit être exercé uniquement par ce tribunal à
moins qu'il n'ait été expressément autorisé à le
déléguer; ce principe de droit est tellement connu
qu'il n'est pas nécessaire de l'approfondir ni de se
reporter à la jurisprudence. Aux termes de l'article
79, la Commission n'est compétente que lorsque
les parties ne peuvent pas s'entendre sur la liste des
employés désignés. Si un tel accord est impossible,
la Commission, et elle seule, doit prendre la déci-
sion nécessaire. Elle ne l'a pas fait en l'espèce
puisqu'elle a laissé à l'employeur non seulement le
pouvoir discrétionnaire de décider quels employés
devraient être désignés, mais également leur
niveau et leur situation géographique dans la pro
vince. Pour cette raison et pour une autre raison
que je vais examiner maintenant, la décision doit
être annulée.
Il ressort clairement de ses motifs que la Com
mission a éprouvé beaucoup de difficultés à déter-
miner quels sont les employés désignés dont les
services sont indispensables dans l'intérêt de la
sûreté ou de la sécurité du public, pendant une
grève légale de l'unité de négociation, étant donné
que «les témoignages et les plaidoyers présentés ...
ne nous ont aidés que de façon rudimentaire ....»
C'est pourquoi la majorité de la Commission a
adopté la ligne de conduite mentionnée dans le
paragraphe 26 de ses motifs et rendu l'ordonnance
en cause.
On remarquera qu'«un certain nombre d'em-
ployés» ont été nommés province par province, par
application d'un pourcentage donné au nombre de
vétérinaires de la division établis dans ces provin
ces. Il me semble qu'en fixant un pourcentage pour
une classe d'employés dans chaque province, sans
préciser leur situation géographique, la Commis
sion n'a pas décidé «quels employés» ni «quelles
classes d'employés» sont des employés «désignés».
La Commission a donc manqué à l'obligation que
lui impose le paragraphe (3) de l'article 79. Au
mieux, elle a nommé une partie d'une classe, ce
qui, à mon avis, ne suffit pas puisque l'employeur,
sans référence précise sur les individus ou sur les
emplois au sein de cette partie de la classe d'em-
ployés, doit prendre la responsabilité de déterminer
non seulement quelle classe d'employés sera dési-
gnée, mais également quels employés au sein de ce
groupe le seront. En agissant de cette façon, la
Commission a refusé d'exercer la compétence
exclusive que lui confère la Loi. C'est la deuxième
raison pour laquelle la décision doit être annulée.
L'ordonnance rendue par la Commission le 6
mai 1976 sera donc annulée et l'affaire sera ren-
voyée à la Commission des relations de travail
dans la Fonction publique pour nouvel examen,
soit avec la preuve dont elle dispose actuellement,
soit après de nouvelles audiences si elle le juge
nécessaire.
* * *
LE JUGE RYAN y a souscrit.
* * *
LE JUGE LE DAIN y a souscrit.
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