T-1121-76
Dominion Mail Order Products Corporation
(Demanderesse)
C.
Benjamin Weider (Défendeur)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Ottawa, les ler et 4 juin 1976.
Brevets—Pratique--Le défendeur demande une ordonnance
rejetant l'action tendant à invalider son brevet d'invention
compte tenu du fait qu'il a intenté une action en contrefaçon et
une action en passing off pour le même brevet devant la Cour
suprême de l'Ontario ou la suspension des procédures en
attendant le jugement de l'action intentée en Ontario—Loi sur
les brevets, S.R.C. 1970, c. P-4, art. 62—Loi sur la Cour de
l'Échiquier, S.R.C. 1970, c. E-11, art. 21—Loi sur la Cour
fédérale, art. 20 et 50(1).
Le défendeur demandait une ordonnance rejetant l'action en
invalidation de son brevet d'invention aux motifs qu'elle est
redondante et vexatoire et qu'elle constitue un abus de procé-
dure puisque le défendeur a intenté contre la demanderesse une
action en contrefaçon pour le même brevet et une action en
passing off devant la Cour suprême de l'Ontario. Il demande
subsidiairement la suspension des procédures en attendant le
jugement de l'action.
Arrêt: la demande est rejetée. L'action intentée en Ontario
visait des dommages-intérêts pour un passing off qui ne pour-
raient probablement pas être obtenus devant cette Cour. La
défense prétend que le brevet est et a toujours été nul et
invalide. L'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale accorde à
la Division de première instance compétence exclusive en pre-
mière instance dans tous les cas où l'on cherche à faire invalider
ou annuler un brevet. La demanderesse intente devant cette
Cour une action dont elle ne dispose pas devant la Cour de
l'Ontario. Cette raison suffit pour refuser de rejeter l'action.
Même si la demanderesse a le droit de demander l'invalidation,
il n'est pas vraiment certain qu'elle cherche à obtenir un
redressement qui, de son point de vue, serait différent de celui
qu'elle peut obtenir en intentant une action devant la Cour de
l'Ontario. Et, si l'action en contrefaçon est rejetée pour une
raison autre que l'invalidité du brevet du défendeur, le litige
soulevé dans cette action ne sera pas résolu, même inter partes.
Le principe général régissant une requête visant à obtenir une
suspension est le suivant: il ne suffit pas de démontrer que des
procédures ont été introduites parallèlement devant un autre
tribunal. Le requérant doit prouver qu'elle est en fait abusive; il
doit convaincre la Cour que la poursuite de l'action causerait
une injustice parce qu'elle serait abusive à son égard, mais
également que la suspension ne causerait aucune injustice à la
demanderesse. Alors qu'il semble logique de suspendre cette
action, étant donné que la Cour de l'Ontario peut résoudre plus
de questions entre les parties, la charge de la preuve est réelle et
ne doit pas être examinée simplement en fonction du plus grand
préjudice. On ne devrait pas entraver à la légère le droit de
poursuite de la demanderesse; l'antériorité à l'égard de la date
d'introduction des procédures ne constitue en aucun cas un
facteur décisif. Le défendeur avance comme seul motif impor-
tant que l'objet des deux actions est le même et que cette action
a été intentée devant la Cour de l'Ontario avant l'autre. Ce
concours de circonstances ne suffit pas pour exercer le pouvoir
discrétionnaire judiciaire et suspendre les poursuites. Cepen-
dant, il faut éviter la multiplication injustifiée des poursuites et
aucun tribunal n'hésiterait à recourir si nécessaire au pouvoir
discrétionnaire qui lui permet d'accorder les dépens.
Arrêts appliqués: MacDonald c. Vapor Canada (1976) 22
C.P.R. (2e) 1; General Foods c. Struthers [1974] R.C.S.
98; Sno Jet Ltd. c. Bombardier Limitée (non publié,
T-369-75); Hall Development Company of Venezuela,
C.A. c. B. & W. Inc. [1952] R.C.É. 347.
REQUÊTE.
AVOCATS:
J. A. Day pour la demanderesse.
G. A. Macklin et B. E. Morgan pour le
défendeur.
PROCUREURS:
D. F. Sim, c.r., Toronto, pour la
demanderesse.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour le
défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
d'ordonnance rendus par
LE JUGE MAHONEY: Le défendeur demande
une ordonnance rejetant cette action tendant à
invalider son brevet d'invention aux motifs qu'elle
est redondante et vexatoire et qu'elle constitue un
abus de procédure puisque le défendeur a intenté
contre la demanderesse une action en contrefaçon
pour le même brevet et une action en passing off
devant la Cour suprême de l'Ontario. Il demande
subsidiairement la suspension des procédures en
attendant le jugement de l'action qu'il a intentée
en Ontario en vue d'obtenir des dommages-intérêts
pour un passing off qui, à mon avis, ne pourraient
être obtenus devant cette Cour par suite de la
décision rendue par la Cour suprême du Canada
dans l'affaire MacDonald c. Vapor Canada Ltd.'
L'action a été intentée devant la Cour suprême
de l'Ontario en février 1976 et les conclusions de la
défense remontent au 8 mars. La défense prétend,
entre autres, que les lettres patentes litigieuses sont
et ont toujours été nulles et invalides. La présente
action a été intentée le 22 mars 1976.
1 (1976) 22 C.P.R. (2e) 1.
Dans l'affaire General Foods, Ltd. c. Struthers
Scientific and International Corp. 2 , la Cour
suprême du Canada semble avoir statué qu'un
jugement rendu par une cour provinciale à l'occa-
sion d'une action en contrefaçon et déclarant nul
un brevet était tout à fait valable pour annuler ce
brevet même si, à cette époque, la Loi sur les
brevets 3 attribuait compétence à la Cour de l'Échi-
quier du Canada pour connaître des procédures en
invalidation. Le Parlement, en votant l'article 20
de la Loi sur la Cour fédérale 4 dans les termes
suivants, semblerait avoir voulu changer cette
situation:
20. La Division de première instance a compétence exclusive
en première instance, ...
b) dans tous les cas où l'on cherche à faire invalider ou
annuler un brevet d'invention ....
L'expression soulignée ne figurait pas à l'article 21
de la Loi sur la Cour de l'Échiquiers qui, avec
l'article 62 de la Loi sur les brevets attribuait
compétence à cette cour pour les procédures en
invalidation.
La demanderesse intente devant cette Cour une
action dont elle ne dispose pas devant la Cour de
l'Ontario. Cette raison suffit pour refuser de reje-
ter l'action. La question de la suspension des pour-
suites est beaucoup plus complexe.
Même si la demanderesse a le droit, lorsqu'elle
décide de l'exercer, de demander l'invalidation du
brevet de la défenderesse, il ne me semble vrai-
ment pas certain qu'elle cherche à obtenir un
redressement qui, de son point de vue, serait diffé-
rent de celui qu'elle peut obtenir en intentant une
action devant la Cour de l'Ontario. Mon confrère
Addy a très bien présenté la situation dans ses
motifs non publiés de l'ordonnance décernée à
l'occasion de l'affaire Sno Jet Ltd. c. Bombardier
Limitée 6 , le 9 avril 1975 [aux pages 5 et 6]:
Le simple fait qu'un jugement en faveur de Sno Jet dans la
présente action en invalidation produirait un effet plus radical,
pour autant que le public est concerné, et un effet définitif sur
le brevet lui-même, ne constitue pas un motif suffisant pour
refuser de suspendre l'action, s'il existe des raisons suffisantes
pour le faire; en effet le rejet d'une action en contrefaçon fondé
2 [1974] R.C.S. 98.
3 S.R.C. 1970, c. P-4, art. 62.
4 S.R.C. 1970, (2° Supp.) c. 10.
5 S.R.C. 1970, c. E-11.
6 N° du greffe: T-369-75.
sur l'invalidité du brevet aurait le même effet, entre les parties,
qu'un jugement déclarant le brevet invalide dans le cadre d'une
action en invalidation, puisque dans le premier cas, la question
serait res judicata entre les parties. Sno Jet a soulevé la même
question dans les deux actions, savoir celle de la validité du
brevet lui-même, et les deux tribunaux sont tout à fait compé-
tents pour trancher cette question, mais à des fins différentes.
Cette proposition implique que, si l'action en con-
trefaçon est rejetée pour une raison autre que
l'invalidité du brevet du défendeur par exemple,
parce que l'invention de la demanderesse ne consti-
tue pas une contrefaçon du brevet, le litige soulevé
dans cette action ne sera pas résolu, même inter
partes.
Le principe général applicable a été énoncé par
le président Thorson, dans l'affaire Hall Develop
ment Company of Venezuela, C.A. c. B. & W.
Inc.', dans laquelle il déclarait après avoir examiné
de nombreux arrêts:
[TRADUCTION] ... sur une requête visant à obtenir une ordon-
nance de suspension des procédures dans une action, il ne suffit
pas de démontrer que des procédures ont été introduites paral-
lèlement à une affaire semblable dans un autre pays. En pareil
cas, on ne présume pas que l'action canadienne est abusive. La
personne qui demande l'ordonnance doit prouver qu'elle est en
fait abusive. Le tribunal ne doit pas intervenir moindrement
dans le droit de poursuite du demandeur et doit éviter avec soin
de le priver des droits et avantages qu'il peut à bon droit retirer
de poursuites dans les deux pays. Par contre, il ne doit pas
hésiter à ordonner une suspension dans les cas appropriés. Pour
démontrer que l'action est en fait abusive, la personne qui
demande l'ordonnance de suspension doit non seulement con-
vaincre le tribunal que la poursuite de l'action causerait une
injustice au défendeur parce qu'elle serait abusive à son égard,
mais également que la suspension ne causerait aucune injustice
au demandeur. La charge de la preuve selon laquelle ces
conditions existent incombe au demandeur.
Mises à part les difficultés très pratiques qui peu-
vent apparaître pour exécuter un jugement étran-
ger, tout en reconnaissant qu'elles méritent d'être
considérées, les principes généraux mentionnés
ci-dessus s'appliquent également aux actions inten-
tées devant des juridictions différentes d'un État
fédéral. Très récemment, la jurisprudence a été
examinée dans l'affaire Sno Jet. Voici les conclu
sions présentées à la page 4:
Puisque Sno Jet a le droit d'intenter une action devant la
présente cour, on ne devrait pas entraver à la légère l'applica-
tion immédiate et absolue de ce droit ni suspendre l'action à
moins que les fins de la justice ne le requièrent formellement ou
à moins que l'autorisation de poursuivre l'action constitue un
abus des procédures judiciaires ou encore que le défaut de
7 [1952] R.C.É. 347, p. 349 et suivantes.
suspendre cette procédure cause un grave préjudice à l'autre
partie .... Sans nul doute, l'antériorité à l'égard de la date
d'introduction des procédures ne constitue en aucun cas un
facteur décisif mais, en revanche, la décision quant à l'opportu-
nité de la suspension d'une action relève du pouvoir discrétion-
naire de la Cour ... et ce type de pouvoir doit être exercé avec
circonspection et pour des motifs sérieux, après un examen de
toutes les circonstances de l'espèce ....
L'article 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale 8 ,
dont voici le texte, confère à la Cour fédérale le
pouvoir de suspendre l'action:
50. (1) La Cour peut, à sa discrétion, suspendre les procédu-
res dans toute affaire ou question,
a) au motif que la demande est en instance devant un autre
tribunal ou une autre juridiction; ou
b) lorsque, pour quelque autre raison, il est dans l'intérêt de
la justice de suspendre les procédures.
Je le répète, la réclamation dont la Cour fédérale
est saisie n'est pas la même que celle qui est en
instance devant la Cour de l'Ontario. Il s'agit donc
de savoir s'il serait, pour une autre raison, dans
l'intérêt de la justice d'empêcher la demanderesse
de poursuivre cette action.
La défenderesse avance comme seuls motifs
importants que l'objet des deux actions est le
même et que cette action a été intentée devant la
Cour de l'Ontario avant l'autre. L'arrêt General
Foods c. Struthers énonce précisément que ce
concours de circonstances ne suffit pas pour exer-
cer le pouvoir discrétionnaire judiciaire et suspen-
dre les poursuites. Le juge Pigeon déclarait aussi à
la page 109:
... les détenteurs de brevet et leurs avocats ne doivent pas
oublier que les plaideurs sont censés éviter les frais inutiles et
que la multiplication injustifiée des poursuites constitue un
abus des plus répréhensibles qu'il faut décourager et, au besoin,
punir, par l'exercice de la discrétion judiciaire, dans les matiè-
res qui sont soumises à cette discrétion.
Je suis sûr que la Cour fédérale et aucun autre
tribunal du Canada n'hésiteront par la suite à
recourir si nécessaire aux pouvoirs discrétionnaires
qui permettent d'accorder des dépens—bien sûr,
après avoir examiné si, le cas échéant, le titulaire
du brevet et non pas son avocat est à l'origine de la
multiplication des procédures.
La charge de la preuve qui incombe au deman-
deur cherchant à entraver le droit d'un tiers à
poursuivre une cause d'action légale est réelle et
non pas simplement hypothétique. Ce n'est pas une
8 S.R.C. 1970 (2e Supp.) c. 10.
question qu'on examine simplement en fonction du
plus grand préjudice; si c'était le cas, je conclurais
probablement, étant donné que la Cour de l'Onta-
rio peut résoudre plus de questions que la Cour
fédérale, qu'il est logique de suspendre cette
action. Cependant, il appartenait au défendeur de
me convaincre que la suspension de cette action
satisfait «d'intérêt de la justice», que sa continua
tion constituerait un abus du processus judiciaire
ou causerait au défendeur un préjudice au lieu
d'un simple embarras. Je n'en suis pas convaincu.
ORDONNANCE
La demande est rejetée avec dépens.
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